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La salle d’interrogatoire improvisée dans l’hôpital n’avait rien de rassurant. C’était une simple pièce aux murs ternes, éclairée par une lumière crue qui projetait des ombres dures sur le sol. L’odeur de désinfectant, entêtante, rendait l’air plus lourd encore.
Au centre, une table en métal. Deux chaises. Une troisième, vide, contre le mur.
Lan Wei était assise, droite, les mains posées sur ses genoux, immobile. Ses longs cheveux noirs cascadaient sur ses épaules, masquant en partie son visage. Elle ne semblait ni souffrir, ni être troublée.
Lars Jensen, lui, s’était installé en face d’elle, carnet en main. Il faisait tourner son stylo entre ses doigts, un geste presque absent. À côté de lui, Boris Karpov se tenait légèrement en retrait, silencieux.
Le tic-tac d’une horloge accrochée au mur marquait les secondes.
Lars l’observa un instant. Cette femme, retrouvée à moitié morte sur une plage, ne ressemblait en rien à une victime. Pas de tremblements. Pas de confusion dans son regard. Juste cette immobilité calculée.
Peut-être était-ce simplement parce que c’était la première fois qu’ils interrogeaient une personne aveugle. Ou peut-être pas.
Son regard, pourtant vide de vue, semblait s’accrocher à eux. Fixe, inébranlable, il transperçait le silence d’une manière inexplicable. Ce n’était pas une victime en état de choc, tremblante et perdue. Il n’y avait ni détresse apparente, ni peur visible sur son visage. Juste cette présence, lourde, presque étouffante, qui s’imposait dans la pièce sans qu’ils puissent dire pourquoi.
Lars en prenait conscience à mesure que le silence s’étirait. Il tenta de l’ignorer, se concentrant sur ses notes, sur la voix du médecin en arrière-plan, sur le moindre détail tangible. Mais cette sensation restait là, insistante. Comme une ombre dans un coin de la pièce, qu’on devine sans pouvoir la nommer.
Il jeta un bref regard à Boris. L’inspecteur était resté près de la porte, figé. Il ne prenait aucune note, ne disait rien. Son regard, lui, n’était pas fixe – il fuyait.
Quelque chose clochait.
Lars reporta son attention sur la jeune femme. Elle ne bougeait toujours pas, mais il avait cette étrange impression… Comme si, malgré sa cécité, elle les observait.
Il tapota du bout de son stylo sur la table.
— Nous allons commencer.
Il posa la première question, neutre, formelle.
— Nom, prénom ?
Un silence. Puis, d’une voix douce, presque effacée, elle répondit :
— Lan Wei.
Lars sentit une crispation immédiate dans son poignet, une hésitation infime alors qu’il notait la réponse. Il ne savait pas encore pourquoi, mais quelque chose, dans ce nom, lui donnait envie de relever la tête.
— Âge ?
— Trente-trois ans.
— Nationalité ?
— Chinoise.
Il hocha la tête, gardant un ton professionnel.
— Que faisiez-vous sur cette plage ?
Elle ne prit pas le temps de réfléchir.
— Je ne sais pas.
Lars releva enfin les yeux vers elle.
— Vous ne savez pas ?
Elle secoua lentement la tête.
— Je… je ne me souviens pas de grand-chose. Seulement du froid, du bruit des vagues… et puis plus rien.
Sa voix était douce, presque brisée. Lars nota l’émotion dans son timbre, mais quelque chose sonnait faux. Trop bien dosé.
Il jeta un bref regard à Boris. L’inspecteur restait silencieux, fixant un point invisible sur la table.
Lars sentit une tension étrange dans la pièce. Il poursuivit pourtant, son ton toujours neutre.
— Est-ce que vous savez comment vous êtes arrivée là ?
Elle secoua la tête.
— Est-ce que vous étiez seule ?
— Je… je crois que oui.
Lars nota à nouveau. Puis, du coin de l’œil, il remarqua que Boris semblait étrangement tendu. Il ne bougeait pas, ne parlait pas.
— Attendez…
Lan Wei brisa soudain le silence. Lars plissa les yeux.
— J’étais avec un client.
— Un client ?! Quel genre de client ?!
Pour la première fois, Boris intervint brusquement. Son ton était trop vif, trop brutal. Lars tourna légèrement la tête vers lui. Boris s’en rendit compte et se renfrogna, se murant à nouveau dans le silence.
— En fait, je suis céramiste, reprit-elle après un moment, je travaille pour madame Viviane Romanov. Ce jour-là, elle était malade et n’a pas pu se lever, alors je lui ai proposé de livrer le colis à sa place. Même si je ne connaissais pas vraiment la ville… on n’avait pas d’autre choix. C’était un client important.
— Et on peut savoir qui était ce client ? demanda Lars, intrigué.
Elle hésita un moment avant de murmurer :
— Sergeï Volodin.
Un silence.
Lars fronça les sourcils.
— Sergeï Volodin ? Le frère du maire ?
— Oui. Comme l’anniversaire de sa fille approchait, il nous a demandé de fabriquer un cadeau sur mesure. Mais…
— Mais quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé après ? s’impatienta Lars.
Elle serra légèrement ses mains sur ses genoux.
— Je me suis perdue en route et je suis arrivée en retard. Et c’est là que je l’ai entendu.
— Qui ?
Son visage se figea.
— Le cri d’agonie de Sergeï, dit-elle brusquement.
La pièce devint soudain étouffante. Comme si les murs se rapprochaient imperceptiblement.
— J’ai essayé de m’enfuir, dit-elle, la voix tremblante. Mais il m’a rattrapée. Et après… plus rien.
— Comment ça, plus rien ?
Elle leva lentement les yeux vers le plafond et esquissa un sourire fragile.
— Trou noir. J’arrive pas à me remémorer le reste.
— Et Sergeï ? Où est-il ? demanda Lars, plus tendu.
— Je ne sais pas non plus.
Un silence pesant s’abattit sur la pièce.
Lars serra le stylo entre ses doigts.
Ils venaient de perdre leur seule piste.
Et le tueur, lui, avait une longueur d’avance.
J’ai trouvé cette scène d’interrogatoire très bien menée. Il y a une vraie tension, installée dès les premières lignes grâce à la sobriété du décor et à l’ambiance presque clinique de la pièce. Ça rappelle les bons vieux procédés du polar noir, où l’environnement joue autant que les dialogues pour faire monter la pression. D'ailleurs je viens juste de remarquer que tu avais changé le temps de narration depuis le 1er chapitre, et c'est efficace ! Ça renforce l'idée que le premier chapitre posait vraiment les bases, était à part.
Lan Wei est un personnage intrigant : sa cécité, son calme presque dérangeant, son silence maîtrisé… tout ça la rend très ambiguë, et c’est parfait. On ne sait jamais si elle dit la vérité ou si elle joue un rôle, et ce doute est super bien géré. Le fait qu’elle ne réagisse pas comme une victime classique, ça met tout le monde mal à l’aise, lecteurs compris — et c’est exactement ce qu’on attend d’une bonne scène d’interrogatoire dans un polar.
Mention spéciale aussi pour la dynamique entre Lars et Boris : ce silence de Karpov, son brusque éclat, puis son retrait… ça donne envie de creuser. Il y a clairement quelque chose de non-dit là-dessous, et ça apporte une tension supplémentaire, presque parallèle à l’enquête.
Et puis le nom de Volodin, balancé comme ça au milieu de l’interrogatoire, fait bien monter la sauce. On sent que l’histoire prend un tournant plus large, avec des enjeux politiques ou familiaux en arrière-plan. Bref, tu poses des jalons solides sans en faire trop, et ça donne vraiment envie de tourner la page.
Merci énormément pour ton commentaire ça fait vraiment plaisir et j’espère que tu continuera de tourner les pages de ce roman ✨
Merci…
Vraiment hâte de découvrir la suite
J’espère que tu continueras de lire la suite pour savoir qui est vraiment Lan Wei ;)