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L’odeur de désinfectant les suivit jusqu’au couloir. Lars referma doucement la porte de la chambre derrière lui, mais même ce simple geste lui sembla pesant. Il inspira, cherchant à dissiper l’étrange malaise qui s’accrochait à lui depuis le début de l’interrogatoire.
Boris marchait à ses côtés, silencieux, le regard fixé droit devant lui. D’ordinaire, son mutisme ne surprenait pas Lars, mais cette fois, il y avait quelque chose d’autre. Quelque chose d’inhabituel.
Le couloir de l’hôpital était désert à cette heure tardive, si ce n’était une infirmière qui passait, un chariot de médicaments entre les mains. Le bruit des roulettes grinçantes résonna sur le sol carrelé, accentuant la lourdeur de l’atmosphère.
— Inspecteur.
La voix douce et posée s’éleva derrière eux.
Lars s’arrêta net. Il tourna la tête et vit Lan Wei, assise sur son lit, la tête légèrement penchée vers eux. Elle ne les voyait pas, bien sûr. Pourtant, l’intensité de sa présence donnait l’impression qu’elle les fixait droit dans les yeux.
— Vous auriez une cigarette ?
La demande, anodine en apparence, eut l’effet d’un coup de fouet.
Boris s’arrêta net. Il se figea une seconde, puis tourna lentement la tête vers elle. Ses yeux s’assombrirent. Lars le vit glisser la main dans la poche de son manteau, en sortir un paquet à moitié écrasé. Il hésita.
— Vous fumez ? demanda Lars, plus pour combler le silence que par réelle curiosité.
Lan Wei esquissa un sourire à peine perceptible.
— De temps en temps.
Sa voix était calme, presque trop. Elle tendit une main vers eux, paume ouverte.
Boris ne bougea pas.
Le silence s’étira, pesant, jusqu’à ce que Lars prenne la parole, légèrement agacé :
— Vous n’êtes pas en état de fumer, vous devriez…
— Laisse tomber, coupa Boris d’un ton sec.
Sans un mot de plus, il rangea le paquet et tourna les talons.
Lars le suivit du regard, puis fit un dernier geste à l’intention de Lan Wei.
— Reposez-vous.
Il se détourna à son tour.
Derrière eux, dans la chambre plongée dans la pénombre, Lan Wei restait assise, le dos droit, son expression inchangée.
La tension entre Lars et Boris ne se dissipa pas lorsqu’ils quittèrent l’hôpital. Au contraire, elle s’intensifia.
Ils traversèrent le parking en silence. Boris alluma enfin une cigarette, l’air absent.
— Pourquoi elle n’est pas morte ?
Les mots, à peine murmurés, se perdirent presque dans le vent nocturne.
Lars s’arrêta.
Il tourna lentement la tête vers Boris.
— Quoi ?
Boris jeta un regard rapide vers lui, puis détourna les yeux, feignant l’indifférence.
— Rien.
— Non, répète.
— J’ai rien dit.
Lars sentit son estomac se nouer. C’était rare que Boris perde son calme, encore plus rare qu’il laisse échapper un commentaire aussi troublant.
Il ouvrit la bouche, prêt à insister, mais une agitation soudaine attira leur attention.
Une silhouette avançait d’un pas rapide vers l’entrée de l’hôpital. Une femme âgée, drapée dans un manteau trop grand pour sa frêle silhouette. Son chignon défait laissait échapper des mèches argentées qui tombaient sur son front plissé par l’inquiétude.
Viviane Romanov.
Lars échangea un regard avec Boris.
— Je croyais qu’elle ne sortait presque jamais, murmura Lars.
— Elle ne sort jamais, répondit Boris.
Ils la suivirent des yeux alors qu’elle pénétrait dans l’hôpital, sans leur accorder un regard.
— C’est elle qui a signalé la disparition de Lan Wei, non ? demanda Lars.
— Ouais.
— Drôle de coïncidence.
— Très drôle, confirma Boris avant d’écraser sa cigarette sous sa chaussure.
Ils restèrent un instant silencieux, puis Lars tapota l’épaule de son collègue.
— On devrait rentrer.
Le commissariat baignait dans une ambiance familière. Les néons blafards, le bourdonnement des ordinateurs, les discussions murmurées. Tout semblait presque normal.
Presque.
Lars s’absenta un moment. Prétexte facile : il avait besoin d’un café.
Boris resta seul dans le bureau, avachi sur sa chaise. Il passa une main sur son visage fatigué et soupira.
Ses pensées étaient en désordre.
Il pensa à Lan Wei.
À son regard vide et pourtant si perçant.
À son nom.
Lan Wei.
Pourquoi avait-elle pris ce nom ?
Pourquoi était-elle encore en vie ?
Il alluma une cigarette et ferma les yeux un instant, savourant le silence.
Puis, un bruit sourd déchira l’air.
Suivi d’un cri.
Puis d’un autre.
Boris se redressa d’un bond.
Les voix montèrent en intensité. Des bruits de pas précipités résonnèrent dans le couloir.
Il se leva et se dirigea rapidement vers la sortie.
Dans la cour du commissariat, plusieurs agents s’étaient rassemblés.
Il s’arrêta en haut des marches et observa la scène.
Au centre, une voiture, son toit déformé, brisé par l’impact.
Et sur le métal froissé, un corps.
Celui d’un homme, vêtu d’un costume froissé, son visage défiguré par la chute.
Boris descendit lentement les marches.
Puis il le vit.
Les orbites vides.
Les yeux arrachés.
Le sang coulant lentement des cavités béantes.
Une nausée soudaine le prit à la gorge.
Derrière lui, une agitation nouvelle se fit entendre.
Lars venait d’arriver.
Boris ne se retourna pas.
Il savait déjà ce qu’il allait dire.
Parce que lui aussi venait de le reconnaître.
Sergeï Volodin.
Lan Wei continue de déranger. Cette scène où elle demande une cigarette est d’une efficacité remarquable. Ce n’est presque rien, une phrase anodine — mais elle claque. On sent que cette femme a le contrôle même en position de faiblesse.
Le dialogue dehors est excellent. Peu de mots, beaucoup de silence, et cette question de Boris, "Pourquoi elle n’est pas morte ?", qui fait son effet ! Puis vient Viviane Romanov. Apparition fugace mais lourde de sens. Tu as bien fait de ne pas en dire trop — elle ne fait que passer, mais on la sent chargée d’histoire. Le lecteur sent que tout est lié, sans savoir comment. C'est très bien dosé.
Enfin, la scène du commissariat. On revient dans du plus classique en surface, mais le surgissement du cadavre est d’une brutalité visuelle maîtrisée. On passe d’un malaise psychologique à une horreur frontale. Tu doses très bien l’effet !
Bref, un excellent chapitre de transition. On quitte l’interrogatoire, mais la tension ne redescend pas. Au contraire : quelque chose s’ouvre. Quelque chose de mauvais. J'ai hâte de lire la suite ^^
Allez maintenant la suite!!!
Pour l'instant, seul Lars semble être dans une position de protagoniste à qui on fait confiance. Je dis ça à cause du commentaire du Boris. Mais il est vrai que Lan Wei est un peu trop calme pour une personne hospitalisée. On ne sait pas quoi penser d'elle.
Hâte de découvrir la suite avec le cas Sergueï
J’espère que tu ne seras pas déçu de lire la suite ;)