Chapitre 3

Notes de l’auteur : Le troisième premier chapitre.
Ou le premier troisième chapitre, au choix.

Chapitre 3

 

 

Alors qu’il traversait une crête, l’homme du désert entendit un battement d’ailes. L’aigle était de retour et portait à sa serre droite une enveloppe fermée par un sceau de cire rouge, aux armes du royaume. En avisant le faucon argenté en vol et la rose écarlate dans ses serres, qu’il devinait appartenir à l’extravagant monarque, le voyageur soupira. D’un geste sec, il brisa le sceau, qui alla répandre ses morceaux de chaque côté de la crête. Debout à la lumière du midi, il entreprit sa lecture de la missive.

 

Homme des sables,

Ta folie ne te met pas à l’abri de ma riposte.

Ne mets jamais les pieds dans mon royaume, dans ma capitale ou dans mon palais. Répondre de mes actes ? Devant un inconnu qui n’ose même pas décliner son identité ? Pour qui te prends tu donc ?

Le seul et unique souverain d’Asgard,

Ijmahan Akis.

 

L’arpenteur soupira. Le roi opposait à sa déclaration de guerre savamment construite une simple lettre de menaces. Il secoua négligemment la main et la lettre prit feu, puis il la laissa dévaler la montagne de pierres. En touchant le sol, le papier n’était déjà plus qu’un amas de cendres éteintes depuis longtemps. Il reprit sa marche et libéra l’aigle de ses obligations, désolé qu’il était qu’une bête aussi majestueuse ait dû porter une lettre aussi fade. Quand la nuit tomba à nouveau, il était arrivé devant un poste de garde, tour en pierre branlante. La garde royale. Au souvenir du vieux fermier et de sa vieille femme, il examina la mémoire des gardes présents puis toqua à la porte : ils étaient ceux qui avaient laissé mourir la fillette, et, par coïncidence, étaient aussi responsables du village du vieux fermier. Un soldat aux traits acérés lui ouvrit et lui adressa un regard exaspéré.

-Qui es-tu et que veux-tu ?

-Mon nom est… Commença le voyageur, clignant des yeux et provoquant à l’oreille du soldat un son incompréhensible, je viens du désert.

-Comment as-tu dit ? Demanda le garde, intrigué par le son qu’il venait d’entendre.

Le voyageur réitéra. Le soldat tira son épée de son fourreau, effrayé par ce son qu’il ne pouvait comprendre. Quand son adversaire tenta de lui porter un coup de taille, le vagabond intercepta la lame de sa main ouverte, referma sa paume autour en entaillant ses doigts, et projeta le soldat contre la porte, que le choc ouvrit pour le laisse rentrer. Les quatre autres gardes à moitié levés, alertés par le bruit, devant un jeu de cartes, lui indiquèrent qu’il avait interrompu une soirée d’autant plus importante que le peuple mourrait de faim. Alors que le premier fonçait vers lui à la vue de sa main couverte de sang -son sang- et de son collègue affalé contre le bois, le voyageur se baissa et attrapa ses deux jambes avant de se relever brutalement pour l’envoyer derrière lui. Comme un deuxième assaillant se précipitait à son tour, il se déplaça sur le côté et le premier soldat et le deuxième se rentrèrent dedans. Les deux autres étaient adossés contre le mur le plus loin de lui, essayant de passer inaperçus. Le voyageur rugit d’une voix où retentissait le tonnerre :

-J’ai menacé votre roi récemment. Exécutez-moi donc, vous qui êtes assez braves pour rire de la mort d’une fillette et laisser vos fermiers mourir de faim ! Assassinez-moi, honorables comme vous êtes. Je ne suis qu’un criminel, coupable d’arranger les choses.

Les deux gardes se regardaient, terrifiés par ce qu’il savait de leurs actions.

-Votre feu, ici, me paraît bien faible, reprit-il. Laissez-moi vous réchauffer un peu. Avec ce que vous condamnez, précisa-t-il en tendant la main vers la cheminée où s’alluma un brasier qui, bientôt, emplit tout le poste.

Le voyageur sortit de la tour, fermant la porte derrière lui et la scellant de la même manière qu’avait scellé Ijmahan : arrogamment. Dans la bâtisse, les deux gardes encore conscients criaient de leur brûlures. Paisiblement, l’arpenteur s’éloigna et reprit sa route.

 

Quand le soleil fut à son zénith, le marcheur, dans une petite clairière à proximité d’un ruisseau chantant de sa voix cristalline, décida de constater par lui-même l’état d’Ijmahan. Une nouvelle fois, il ferma les yeux et murmura : Ijmahan Akis. Asgard. Cette fois-ci, personne d’autre qu’Ijmahan ne pensant au roi, il ne fut pas détourné vers une quelconque ferme, mais arriva bien dans la salle du trône. Le roi recevait un messager des habitants mêmes des faubourgs de la capitale, écrasés par les interventions incessantes de la garde, les taxes absurdes et désespérés par les fêtes que donnait Ijmahan dans le château alors qu’eux-mêmes criaient famine. Le monarque, négligemment affalé sur une chaise, attendait visiblement que les doléances soient finies pour congédier le messager. Ses cheveux de jais en bataille et les cernes sous ses yeux témoignaient d’une nuit d’abus, que le voyageur devinait ne pas être la première, et le souverain faisait visiblement un effort pour garder les yeux ouverts. Le messager, lui, encore incliné, n’osait pas porter son regard sur l’homme tout en listant les plaintes, et croyait avoir toute l’attention du souverain. Quand sa plainte s’acheva, Ijmahan cligna des yeux, regarda autour de lui, et, voyant que l’auditoire attendait qu’il parle, se redressa en position convenable. Il marmonna un bref « Je vais voir ce que je peux faire », puis agita la main pour que les gardes escortent le pauvre homme hors du château. Le voyageur approcha son esprit du roi, tenta d’inspecter sa mémoire, et se heurta à une barrière. Confus, il réessaya : avec le même effet. Cette fois ci, le roi regardait autour de lui, comme s’il était dérangé par un insecte. S’en apercevant, le vagabond laissa son esprit regagner son corps, avec le craquement le plus bruyant possible.

 

L’Arland d’emprunt s’assit à même l’herbe et soupira. Le souverain était un cas encore plus désespéré que ce qu’il ne pensait. « Ce que je peux faire » ? Alors qu’il s’était lui-même arrogé tous les pouvoirs ? L’arpenteur se retenait de crier, par peur de troubler la tranquillité de la forêt. Il résolut de reprendre sa marche et d’arriver le plus tôt possible à Asgard. Il lui faudrait aussi investiguer l’étrange résistance mentale que lui opposait le monarque. Était-ce parce qu’il n’avait pas d’âme ? Le voyageur ricana ; il n’aurait jamais cru qu’être stupide ou cruel puisse être salvateur. Il saisit à nouveau son bâton et reprit son chemin. Qui fut bientôt coupé par une bande de bandits aux visages dissimulés par des foulards.

-La bourse ou la vie ? Lança l’un d’entre eux, brandissant un couteau. Les autres tenaient des gourdins.

-…

-Un muet, hein ? Ce n’est pas grave, donnes nous ce que tu as sur toi.

Le voyageur sourit, lisant leur ruse dans leur esprit comme dans un livre. Une fois qu’il aurait donné son argent, les bandits l’éventreraient tout de même pour faire bonne mesure. Puis, ils vendraient sa dépouille au nécromancien...
Il cessa de sonder leur pensée et afficha une mine interrogative. Quel nécromancien ? Il avait très envie de se mêler des affaires de cet homme qui n’était de toute manière sûrement « qu’un honnête manipulateur de cadavres ». Comme il ne répondait pas depuis un moment, les bandits se ruèrent sur lui. D’un geste maîtrisé, il invoqua un éclair. Ce qui eut pour seul effet de faire sortir un peu de fumée de ses doigts.

-Tiens ? Dit-il, sincèrement étonné, avant de recommencer, avec le même résultat.

Alors qu’il dégainait son épée de son fourreau invisible, il avisa un treizième homme au foulard, qui se tenait les mains tendues, en retrait. En un éclair, le voyageur comprit.

 

Il était au bord d’une falaise, à la pleine lune. Tournant la tête vers l’abîme, n’entendant que faiblement le grondement de la mer malgré sa bonne ouïe, il vit de très courtes jambes partir de sa taille : il était enfant. Une voix froide et implacable, toutefois attentionnée le tira de sa contemplation.

-Reprend le contrôle, comme je t’ai appris ; Arhzna, Ikira Seysua !

Sous l’incantation de la voix, une vague d’énergie déferla sur le futur voyageur, menaçant de le pousser vers la mer. Il tenta tant bien que mal de planter ses jambes dans le sol, de tenir tête à la force inarrêtable, mais il ne pouvait pas. Chaque seconde, ses pieds glissaient un peu plus vers le rebord de la falaise. Quand son pied arrière fut à moitié dans le vide, le sentiment d’alerte le tira de sa terreur. Il incanta à son tour, sa petite voix lui déchirant les poumons.

-Izarus, ourka iko-umeya !

Aussitôt, la vague cessa, le vent retomba, la mer se tut. Il avait réduit le monde au silence. Puis, quelques secondes plus tard, une silhouette sombre avec un genou posé sur le sol, de laquelle venait la voix, parla, difficilement et visiblement affaiblie.

-Tu.. Tu y es allé un peu fort, petit.

-Désolé, Maître, se répandit l’enfant en excuses. Je… J’avais peur, pardonnez-moi.

-Ce n’est rien. Mais assure-toi de doser correctement, à l’avenir. Il serait dommage que tu prives un homme de ses organes ou de son énergie dans une telle situation.

L’enfant acquiesça, conscient et terrifié que chaque fois qu’il ferait usage de magie, il risquait de perdre le contrôle de cette force indomptable. Il ne voulait pas devenir un immortel.Pas si cela signifiait mettre fin au monde.

 

Le bandit neutralisait sa magie. L’arpenteur releva le défi. En deux assauts de sa lame, il pourfendit quatre de ses assaillants. Il pointa son doigt vers le mage, et, d’un air accusateur, sa voix grondant comme le tonnerre de cette nuit à la falaise, lança :

-Izarus, ourka iko-umeya !

Le sorcier chancela, ébranlé. Sans lui laisser le temps de se ressaisir, le voyageur se dégagea des autres bandits et s’approcha de lui. Quand il fut juste devant, il lui asséna un coup du pommeau de son épée qui l’assomma. Il se tourna pour s’occuper des brigands qui restaient, mais ils s’étaient déjà agenouillés, comme s'ils se laissaient exécuter pour une faute. Le vagabond haussa les sourcils : seuls les chevaliers se comportaient ainsi, et non les bandits ! Quand il arriva à portée de sabre d’eux, il remarqua leurs yeux vides : inanimés, éteints, inconscients. Il voulut en saisir un par le col de sa tunique, mais son corps se désagrégea en une poussière noire qui lui fila entre les mains et s’envola avec le vent. Tous les autres furent ainsi. En procédant de la même manière avec le mage, celui-ci ouvrit les yeux et lui chargea dessus comme les autres l’avaient fait. Ramené à son état inerte en quelques traits d’épée, le sorcier se décomposa exactement comme les autres. Exceptés les bandits du désert, le voyageur n’avait pas vu de cadavre depuis trop longtemps pour savoir si tous agissaient ainsi. Les corps humains se décomposent différemment selon leur milieu, supposa-t-il. Ne sachant que faire des vêtements des bandits, il les ramassa, traça du doigt une petite trappe dans le sol, qu’il ouvrit et dans laquelle il jeta les effets. Ensuite, il fit disparaître la faille vers la nouvelle salle qu’il venait de créer. Il pourrait toujours y aller à sa guise, mais il doutait avoir besoin de vêtements pour treizebandits un jour.

 

Le soir, il était arrivé dans un village appelé Villaura. L’endroit dégageait une impression de sérénité si intense que l’on se sentait coupable de troubler le calme de la grand-rue par un bruit aussi infime que celui de ses pas. Son bâton battant le pavé, le voyageur s’abandonna à l’admiration des maisons cossues en pierres, couvertes de lierres et des vitraux en verre teinté de la petite église. Il avisa une auberge nommée « Le Couvert Batifolant », et, séduit par le nom, s’invita à entrer. Aussitôt, il sut qu’il avait fait le bon choix : l’atmosphère étouffée mais détendue, les lanternes brillant faiblement au plafond et illuminant la salle à manger d’une douce lumière jaune, les meubles et étagères en vieux bois, tout était confortable. Derrière le comptoir, le dos courbé par une journée remplie, un homme essuyait une choppe en cuivre avec un torchon défraîchi. En l’avisant, le tenancier releva la tête et lui demanda d’une voix serviable :

-Soyez le bienvenu au Couvert, que puis-je faire pour vous ?

-J’aimerais avoir une chambre pour la nuit, ainsi qu’une place à table ce soir, répondit le voyageur en fouillant sa cape à la recherche d’un quelconque moyen de paiement. Mais je n’ai pas d’argent, je crains ne pas être le bienvenu.

L’aubergiste le regarda d’un air étonné, puis secoua la tête en signe de dénégation, comme si l’argent n’était pas un problème. « Alors, dit-il, vous nous ferez l’honneur de raconter votre périple et votre destination. Nous n’accueillons pas souvent de voyageurs venant d’aussi loin, et tous ici sont friands de leurs récits. Vous savez, votre tenue indique clairement que vous venez de loin à l’Est. Peut-être même de Kirigosa, à la frontière du désert. Ai-je raison ? »

Le vagabond hocha la tête, étonné par le débit de parole et les connaissances qu’avait l’homme de la cartographie. D’autant qu’il se souvienne, peu de gens du peuple étaient intéressés par l’étude de territoires plus lointains que ceux dans lesquels ils pouvaient se rendre en moins de trois jours de carriole. Qu’il ne vienne pas de Kirigosa ou n’en aie même jamais entendu parler était un détail qui n’avait nul besoin d’être révélé.

-Comment se fait-il que vous soyez plus intéressé par mes récits que par mon argent ? Questionna l’arpenteur.

-Voyez-vous, commença l’aubergiste, les dragons existent encore. Oui, oui, ils n’ont pas tous disparu il y a cinq cent ans, quand le roi a décidé que les humains devraient être la seule race sur Heringer. Je le sais pour la simple et bonne raison qu’un de ces lézards du Malin a décidé de s’installer sur la montagne voisine et menace constamment Villaura, ricana-t-il amèrement, à la limite du sanglot. Depuis, beaucoup de personnes ont peur de se risquer hors du village, et encore moins ne s’y arrêtent. Mon commerce ne s’en porte que plus mal, alors un peu d’animation au Couvert ne peut que nous faire du bien.

-Ijmahan ne fait-il rien pour le déloger ? S’inquiéta le faux Arland.

-Chaque fois que nous demandons de l’aide, nous recevons la même réponse : une enquête sera menée, puis une force appropriée sera déployée pour maîtriser la menace. Depuis trois ans, Asgard nous répète la même chose. « Nous prendrons bientôt les choses en main ». Et en attendant, nous n’osons même pas partir du village de peur que le dragon nous attaque sur les routes. Cela dit, qu’il ait brûlé quelques maisons m’offre des clients permanents en attendant la fin de la reconstruction.

-Pourquoi le dragon n’attaque-t-il pas le village ? Interrogea le vagabond. Avez-vous de quoi le tenir à distance ?

-Non, il s’en tient à l’écart naturellement. L’église dégage une énergie qui le repousse, mais elle n’est pas assez grande pour sécuriser une zone guère plus grande que Villaura. Tenez, prenez la chambre douze, abrégea-t-il en lui tendant une clé. Vous nous ferez honneur de votre histoire avant le dîner, dans trois heures, bien entendu ?

-Comptez sur moi, confirma le voyageur.

 

Il passa la majeure partie de ses trois heures à essayer de convoquer ses souvenirs de voyage avant qu’il ne se mette en route pour Asgard, et à faire le tri pour en trouver un qui soit digne d’intérêt. Il n’eut, à la vérité, pas à se déranger beaucoup pour choisir : il ne s’en était remémoré qu’un seul. Une fois qu’il fut bien certain d’avoir tous les détails, le voyageur se plaça devant la glace murale de sa chambre pour prendre le temps d’examiner son corps. Il était grand, nota-t-il. Plus de six pieds, presque sept. Sa carrure, elle, était celle d’un homme qui n’avait pas mangé depuis des siècles. Il se regardait avec un intérêt croissant alors qu’il remarquait de plus en plus sa constitution frêle, qu’il compensait par une certaine présence. Il se faisait penser à un phasme. Il regarda plus attentivement son visage : Ses yeux, violets comme une digitale, lui faisaient penser à un chat animé d’une quelconque volonté malveillante. Son visage, quand à lui, était d’une pâleur qui l’effrayait, quasi cadavérique et incompréhensible au vu du nombre d’années qu’il venait de passer au grand air. Ses cheveux, secs comme de la paille et blancs comme neige, se dressaient en épis indomptables sur son crâne. Il travailla légèrement ses intonations, ayant rarement parlé plus d’une minute d’affilée dans le désert, et tenta également de trouver la meilleure manière de raconter ce voyage, pour que l’auditoire soit captivé mais ne l’inonde pas de questions importunes qui risquaient de révéler sa condition. Enfin, quand l’aubergiste sonna une cloche pour signaler l’heure du repas, il descendit l’escalier grinçant en même temps que les autres locataires, et en profita pour intercepter des conversations. Tous parlaient des récoltes, des visites qu’ils rendraient « bientôt » à leur famille où pour affaires dans d’autre villages, ou bien du marché de Villaura, des dernières nouvelles -un mariage aurait lieu dans trois jours, unissant l’héritière d’une famille noble locale, en disgrâce et ruinée mais encore noble, et du fils du forgeron-, ou encore échangeaient des blagues grivoises parfois et déclenchant des rires gras toujours, mais personne n’abordait le sujet du dragon, bien que même l’étranger put sentir qu’il était au cœur de toutes les discussions et que tous l’avaient à l’esprit. Alors qu’il allait pour s’asseoir sur les bancs de bois, avec les autres locataires, en attendant le service, l’aubergiste retint le voyageur d’une main sur le torse avant de lui tendre un morceau de pain.

-Prenez ceci et installez-vous sur l’estrade. Je vous laisserai profiter du reste du repas une fois que je serais assuré que vous ne comptiez pas partir sans payer, ajouta-t-il avec un clin d’œil malicieux.

 

Le voyageur obéit, peu rechigneux à l’idée de mettre en pratique la leçon de contage qu’il s’était donnée lui-même trois heures plus tôt. Quand le brouhaha ambiant se fut tut, l’aubergiste cogna sur le comptoir pour avoir l’attention de tous.

-Oyez oyez, commença-t-il en ce qui semblait être une phrase rituelle qui déclencha des rires brefs dans l’assemblée. Ce soir, nous accueillons un voyageur venu de Kirigosa, qui va nous faire l’honneur de nous conter son épopée ! Présenta-t-il.

Des cris de joie montèrent de la foule, pourtant constituée principalement d’hommes mûrs ou dans la fleur de l’âge, censés savoir se contenir. « Une histoire ! Une histoire ! Une histoire ! » scandaient-ils, scrutant le visage nacré et les yeux pourpres de leur divertissement de la soirée.

Le voyageur sourit, puis s’éclaircit la gorge. D’une voix qui évoquait le roulement de la mer, il prit la parole.

 

-Ce soir, je vais vous conter, non pas la raison de mon voyage de Kirigosa jusqu’à Villaura, mais un évènement bien antérieur. Un qui remonte à si longtemps que j’ai moi-même dû faire un effort pour m’en rappeler tous les détails. Ce soir, mes amis, ajouta-t-il en baissant la voix sur le ton d’une confidence, je vais vous parler du voyage en solitaire d’un homme jusqu’à Uk’ilaek. C’était un temps où tous croyaient à son existence, précisa-t-il en sentant les murmures incrédules de l’audience au nom de la mystique cité des glaces. Cet homme, eut-il été besoin de le préciser, était moi. Un moi, qui, jeune et avide d’exploits, rêvait comme tous de découvrir, au tournant d’une montagne de glace, la silhouette d’une ville prise pour toujours dans l’étau blanc et bleu d’une belle nuit gelée. J’avais, une fois résolu et impossible à faire changer d’avis, dans mon sac, ce même bâton de marche que j’ai aujourd’hui, une outre que m’avait donnée un ami, une simple miche de pain, et des rêves plein le cœur. Je partais à l’aube, d’un bon pas, humant l’air d’une journée naissante. Pour les fermiers que je croisais, ce serait un jour comme un autre ; pour moi, ce serait un nouveau départ. Deux jours plus tard, je n’avais plus de pain. Mais j’avais un bâton, des mains, et soif d’aventure. De là jusqu’à la fin de mon périple, j’ai moi-même chassé ma nourriture, usant parfois de ruses, je l’avoue aujourd’hui, torves sinon cruelles, pour mettre fin à la vie de cerfs, de sangliers ou de poissons. Je m’étais donc, en deux jours, perdu dans la jungle de bambous au nord-ouest de Kirigosa. Au moins, tentais-je de me rassurer moi-même, j’avais sous les yeux des toucans, ces oiseaux au large bec multicolore dont le cri et l’apparence vous font douter de la bonne santé mentale de leur architecte, ajouta-t-il, provoquant quelques rires dans l’assemblée. En toute honnêteté, je ne crois pas m’être jamais plaint de m’être égaré tant la jungle était un endroit riche de nature. Bien sûr, je craignais un peu de ne pas retrouver mon chemin avant ma mort, mais cela passait au second plan face à la beauté du lieu, précisa-t-il devant les mines incrédules de l’auditoire qui s’étonnait qu’un homme puisse si facilement se résigner à son sort.

 

Le voyageur continua son récit jusque tard dans la nuit. Comment, au détour d’un arbre de plusieurs trentaines de pieds de haut, il avait croisé un ermite qui lui avait montré la bonne voie et avait accepté de partager ses provisions. Comment, en quittant la jungle, il s’était retrouvé sur un banc de sable qui s’étalait à perte de vue sur le flanc de la mer. En abattant de ces arbres centenaires, il s’était taillé lui-même un bateau de fortune, des rames, et, toujours armé de sa volonté, avait bravé l’océan vers l’inconnu. Il avait accosté sur un désert de glace, enfilé une cape de fourrure, et affronté le froid, sous une nuit qui ne finissait pas. Les aurores boréales, décrivait-il, dessinaient des figures évanescentes dans le ciel noir percé seulement de la lueur d’étoiles solitaires. En tournant la tête, il voyait des nuages violets piqués d’astres lumineux suspendus dans la voûte, lointaines traces de constellations dont il n’arrivait à imaginer ni la taille, ni le nombre, ni l’âge.

Marchant au milieu de pointes de glaces bien plus grandes que lui dressées, défiant l’univers, vers le ciel, il n’avait jamais regardé devant lui mais toujours au-dessus. Le firmament du nord, assurait-il, valait tous les trésors qu’un homme pourrait jamais envisager posséder. Enfin, au détour d’une de ces montagnes de glace, il était arrivé à ce que sa carte et les récits qu’il avait emportés indiquaient comme Uk’ilaek. Appréhensif, il avait franchi le col, et avait vu…

 

Une plaine de glace. La cité du nord n’existait pas. Le voyageur avait cherché au-dessus et en-dessous de lui pendant des jours, pour s’assurer de ne pas la manquer, et s’était enfin résigné à accepter la non-existence de la ville mythique. Pas le moins du monde déçu, il avait tourné les talons et refait le chemin en sens inverse. Il avait passé cinq ans de sa vie à la poursuite d’Uk’ilaek, et, en rentrant dans son village, il répondait seulement d’un ton évasif « Oui, c’était beau » quand les gens lui demandaient s’il avait trouvé ce qu’il cherchait.

 

Quand, n’ayant pas parlé depuis plusieurs secondes, le silence indiquait que le voyageur avait fini son histoire, les hommes sursautèrent, tirés de leur transe par le bruit des pas du conteur qui gagnait un banc. Des exclamations indignées fusèrent :

-Pourquoi as-tu si vite renoncé ?

-Pourquoi disais-tu que tu avais trouvé ?

-Comment oses-tu nous faire croire une histoire pareille?

-Ne te rassois pas si vite, l’ami ! Vas-tu nous faire l’affront de ne pas répondre à nos questions ?

L’arpenteur soupira, se releva, et reprit sa place sur l’estrade.

-J’avais, commença-t-il, passé cinq ans à chercher Uk’ilaek. Assez longtemps pour que j’oublie l’objectif premier de mon voyage, et que le voyage en lui-même passe devant la destination. Je n’étais ni déçu ni heureux de ne pas l’avoir trouvée : j’avais vu un beau bout de chemin. Et puis, si je rentrais chez moi en annonçant simplement que cette ville n’existait pas, beaucoup de jeunes gens auraient renoncé à entreprendre le même voyage, et n’auraient probablement eu la chance de voir ni cette jungle, ni cette mer, ni cette glace. Je n’ai par ailleurs pas la prétention de vous convaincre que je dis la vérité ; l’aubergiste m’a simplement demandé de raconter quelque chose que j’avais vécu, alors je l’ai fait.

 

Sa tirade avait rejeté le silence sur l’assemblée. Cette fois-ci, c’était un silence sain où tous méditaient les paroles du conteur d’un soir. Alors que des murmures approbateurs et compréhensifs s’échangeaient d’un bout à l’autre de la salle, le voyageur mangea sa soupe en silence, puis monta sans un bruit dans la chambre douze. Là, il attendit que la rumeur de la conversation dans la salle d’en bas se tusse, puis, quand les locataires furent tous réunis dans leurs chambres et plongés dans un profond sommeil, il sortit de la sienne, ouvrit la porte verrouillée du Couvert d’un murmure impérieux, et sortit en silence dans la nuit. Il leva la tête et compta. Deux-mille-huit-cent-soixante-douze. Une fois cette tâche accomplie, sa détermination à faire renaître Chronostella renouvelée, il partit vers la montagne la plus proche qu’il voyait.

 

Au fur et à mesure qu’il entreprenait son ascension, le vagabond sentait une pression sur son crâne se renforcer, jusqu’à entendre un sifflement incessant derrière ses oreilles. En silence, il s’approcha d’une caverne, où la sensation était la plus forte. Il pénétra dans la grotte, et fut étonné par ses dimensions : autrement plus grande qu’elle ne le paraissait depuis l’extérieur, la bouche béante dans la roche avait la taille d’une cathédrale, en hauteur comme en longueur. Il entendit un reniflement puissant, qui résonna sur les murs et lui revint, amplifié. Pourquoi n’as-tu pas peur, humain ? Les récits de ma puissance ne te terrifient donc pas ? Pauvre fou, acheva une voix dans sa tête avec des inflexions méprisantes.

-Tu n’es pas un danger, répliqua le voyageur, brisant le silence. M’es-tu hostile ?

Cela dépend. Comptes-tu m’attaquer ?

-Oui, si tu cherches à m’affronter.

À la vérité, pas vraiment.

-As-tu déjà tué des hommes ?

Ils souhaitaient eux-mêmes m’assassiner.

-Et comptais-tu attaquer Villaura ?

Je ne sais pas, si les habitants décidaient que ma présence était de trop, peut-être que je serais intervenu avant.

-N’as-tu pas peur de l’église ?

Ce tas de pierre ? Pourquoi en aurais-je peur ?

-Que se passera-t-il si tu mourrais de la main d’un homme ? Enchaîna l’arpenteur, amusé de la superstition des villageois.

Les plantes flétriront, privées de mon énergie. Ma dépouille relâchera tous mes poisons et toutes mes flammes dans l’air, le vent sera plus chaud, plus sec, plus mortel. Tout ce que mon meurtrier pourrait retirer de moi se résume à la perle incrustée dans mon front, qui n’a guère d’autre application qu’une certaine harmonie esthétique.

-Ainsi, il serait le mieux pour toi de partir d’ici.

Comment donc ?

-Si tu restes, les hommes, effrayés par ton existence, viendront essayer de te déloger jusqu’à ta mort, qui arrivera inévitablement. Beaucoup d’entre eux mourront, et leur fureur n’en sera que plus grande. Si tu essaies de les aider, ils le prendront comme une intrusion et te lanceront des pierres et du fer. Si tu pars, tu renonces certes à cette montagne, mais aussi à la mort. Tu pourras vivre vieux et loin, et les humains d’ici retrouveront leur ancienne liberté, avant qu’ils ne se croient menacés par ta présence.

Qui donc crois-tu être ? Gronda le dragon d’une voix menaçante. Qui es-tu pour oser me déranger dans mon sommeil et m’évincer ainsi ? Quelle sorte de pouvoir crois-tu avoir sur le monde pour tenir de telles paroles ?

-Recule, supplia le voyageur d’une voix ferme. Je ne veux pas te faire de mal. Ne m’y force pas.

Allons donc. Ainsi, tu menaces de me tuer et n’oses pas le faire ? À quel degré de lâcheté es-tu réduit pour essayer de m’intimider ?

Le dragon se réveillait maintenant complètement, secouait ses ailes, soufflait de la fumée noirâtre par ses naseaux. Ses écailles rouges luisaient dans la pénombre de la grotte, et, en effet, la perle rubis entre ses deux yeux d’or sur les côtés de sa tête était d’une beauté incontestable. Sa langue fourchue se dardait, et il avançait, menaçant, vers un voyageur qui tendait ses mains devant lui, essayant dans un geste futile de garder le reptile à distance.

-Arrière. Si tu avances, je…

Il n’eut jamais le temps de terminer sa phrase. Le dragon plongea la tête en avant et mordit, arrachant son bras gauche. Alors qu’il retirait sa mâchoire d’un air triomphant, le voyageur lâcha un soupir exaspéré et claqua des doigts de sa main droite. Aussitôt, une lueur verte emplit la grotte et son membre retrouva sa place sur son épaule.

-C’est toi qui l’a voulu. Allons ailleurs, je n’ai pas envie d’infliger les dommages que tu as décrits à la nature.

Le dragon l’ignora, et balaya l’air de ses longues serres pointues. Alors qu’il se penchait en arrière pour éviter le coup, le voyageur prit un instant pour admirer la taille indéniable des griffes. « Je me demande sur quoi il les aiguise », pensa-t-il brièvement avant de dégainer son épée. Son adversaire recula la tête, et déglutit comme s’il s’apprêtait à cracher quelque chose.

-Izarus, ourka iko-umeya ! Anticipa l’arpenteur en tendant sa main libre en un geste de conjuration, et les flammes s’étouffèrent dans le gosier de son adversaire. Ensuite, il avança d’un pas mesuré et continua, formant des signes dont il ne comprenait plus la signification avec sa main. Je t’avais dit de reculer. Mais il est trop tard maintenant. Pourrais-je connaître ton nom ?

Peleryx, répondit instinctivement le dragon.

Alors qu’il formait ses incantations, le voyageur put voir naître sur le plafond et les murs de la grotte de grands cercles de lumières aux bords couverts de runes incompréhensibles. C’est moi qui ai fait ça ?

Alors que, cette fois-ci, Peleryx reculait, le voyageur marcha vers la sortie de la grotte, et, une fois dehors, laissa tomber sa main en un poing serré vers les yeux qui luisaient de peur. Un grondement de tonnerre retentit, et une lumière violette illumina brièvement chaque recoin de la grotte, le dragon poussant un rugissement de douleur tandis que son corps disparaissait sous l’effet du sort. Ensuite, une fois le silence revenu, le voyageur entendit un roulement de pierres, et un éboulement boucha la caverne, scellant la tanière de l’animal pour l’éternité. Voyant que la lune était toujours haut dans le ciel, le vagabond haussa les épaules, épousseta sa cape, rengaina son épée qui n’avait finalement pas servi, et regagna sa chambre au Couvert.

 

À l’aube, tous les locataires étaient debout et discutaient dans la salle commune du rugissement qu’ils avaient entendu dans le lointain. Le voyageur, lui, resta allongé quelques minutes de plus avant de sortir de sa chambre en feignant une grande fatigue et affichant une mine peu alerte.

-Tu n’as pas entendu ce bruit, tout à l’heure ?

-Je dormais, marmonna-t-il faiblement en se retenant de sourire. Rien entendu, désolé. Une idée de ce que c’était ?

-On a d’abord craint que le dragon ne se soit décidé à passer à l’attaque, mais on a toujours aucune nouvelle de dégâts.

-Peleryx.

-Quoi ?

-Le dragon. Il s’appelle Peleryx, expliqua l’arpenteur sans trop savoir pourquoi.

-Si tu le dis. Quoi qu’il en soit, nous avons prévu d’aller nous rendre compte nous-mêmes de la situation dans sa tanière. S’il se montre, nous retournerons ici en courant.

-Pourrais-je en être ? Demanda-t-il, curieux de voir la réaction des villageois.

-Pourquoi pas…

-Il faudrait s’assurer d’avoir de quoi se prévenir du poison, il me semble avoir lu dans un livre que les dragons pouvaient en lâcher dans l’air, invisible et mortel.

Suivant ses conseils, les locataires, en majorité des villageois privés de maison mais aussi des aventuriers ou des mercenaires, s’équipèrent de ce qu’ils pouvaient trouver -pour la plupart, des masses de bois que leur tendait l’aubergiste en leur recommandant de ne pas les briser pour qu’il puisse s’en servir dans la cheminée-, échangèrent des discours qui se voulaient encourageants et qui sonnaient désespérés, et se mirent en chemin.

-Le sifflement n’est plus là, remarqua Gulio, désigné par un accord tacite comme le chef de troupe, quand ils furent au pied de la montagne. Avant, il était de plus en plus fort à mesure qu’on approchait du dragon.

En effet, Gulio semblait taillé pour mener un groupe. Aux larges épaules et l’air alerte, un éclat attentif dans le regard, il inspirait une confiance immédiate et un sentiment de sécurité. Tandis que le meneur exhortait le reste du groupe à tenir bon et à continuer de gravir tout en restant sur leurs gardes, l’arpenteur prit le temps de regarder autour de lui. Les fleurs, bien qu’encore frêles, ne tarderaient sûrement pas à sortir de leurs bourgeons pour ajouter un peu de couleur à la roche d’un gris brunâtre. L’air, rare mais frais, porté par un vent doux et constant, balayait les brins d’herbe vers l’ouest. Sous le ciel azuré, il semblait impossible de se sentir en danger. Une heure de marche plus tard, le meneur fit demi-tour pour leur faire face et inspira d’un air solennel.

-C’est là, murmura Gulio. Sa tanière est dans cette grotte. Soyez braves, alertez les autres au moindre signe de danger, et…

-Quelle grotte ? Le coupa le groupe à l’unisson.

Gulio afficha une mine circonspecte, fronça les sourcils, et tourna lentement sur ses talons, pour enfin réaliser que d’énormes rochers bloquaient l’accès.

-En… Effet. Quoi qu’il en soit, nous pouvons considérer que ce dragon est soit mort dans l’éboulement, soit coincé là-dedans, d’où il ne sortira pas de sitôt.

Le groupe cligna des yeux, ayant visiblement du mal à croire que la bête ait pu mourir aussi simplement, que tout soit fini de cette manière.

-Et si nous allions à l’intérieur pour récupérer la gemme sur son front ?

-Et si le dragon est encore en vie, risquerais-tu la tienne pour un caillou brillant ? Contra l’arpenteur avec véhémence. Il ne s’était pas forcé à rester éveillé pour qu’un villageois meure stupidement.

Ainsi, ils retournèrent au Couvert heureux de la tournure que prenaient les évènements : sans qu’ils n’aient plus eu à risquer de vie, Peleryx n’était plus une menace.

 

Tandis que Gulio rassemblait les villageois sur la place et annonçait la nouvelle à des habitants extatiques, le vagabond réunissait ses affaires dans sa chambre -son bâton de marche et son épée invisible-, et descendit vers la porte de sortie, prévoyant de quitter Villaura sans un bruit.

-Beau travail,cette nuit, l’apostropha l’aubergiste, essuyant la même choppe que la veille. Pourquoi ne pas prendre part aux réjouissances ?

-De quoi parlez-vous ?, répondit calmement l’arpenteur en faisant lentement demi-tour pour faire face à son interlocuteur. Pourquoi pensez-vous que c’était moi ?

-Vous êtes arrivé hier, faites le récit d’une épopée incroyablement dangereuse que vous avez entreprise en solitaire, sans la moindre trace de peur ou de traumatisme, et ce matin à l’aube, un danger dont je vous ai moi-même entretenu disparaît sans un bruit.

-L’éboulement aurait tout aussi bien pu être naturel.

-Ainsi que la lumière violette que j’ai vue d’ici ? Drôles de lucioles, n’est-ce pas ?

Le voyageur ne trouva rien à répondre. Il se contenta seulement d’observer le tenancier d’un air morne et de lui demander de garder le secret ; les villageois seraient plus que déçus d’avoir à remercier un inconnu qui n’avait rien à voir avec eux.

-Pourrais-je au moins connaître votre nom ? Demanda l’aubergiste.

-… Arland, improvisa l’anonyme.

 

Sous le regard fatigué de l’aubergiste qui avait bien compris qu’il s’agissait d’un faux nom, il reprit la direction de la porte, et, en retournant vers Asgard, entendit clairement le bruit diffus du banquet que faisait Villaura en l’honneur du Beau Miracle de l’Éboulis.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez