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Les semaines passèrent, et la chaleur s’intensifia jusqu’à devenir presque étouffante lors des festivités du solstice d’été, le vingt-huit Iwän. Tous les ans, un grand marché avait lieu dans les grandes villes et même si Lamania était un petit village, il se trouvait à la croisée de deux royaumes humains, un royaume nain, et une contrée elfique. Les marchands et artisans de tous ces États se rassemblaient à Lamania pour le marché de l’été qui se déroulait la journée, et pour les festivités la nuit. La fête de l’été était dédiée aux Enaidi de la Vie et du Soleil : Lilween et Loïth. Les stands du marché étaient vidés puis recouverts d’épis de blé, de fleurs et l’espace était libéré pour que tout le monde puisse danser. C’était aussi mon seizième anniversaire.
C’était l’un des moments les plus intenses de l’année à l’auberge, et on avait engagé deux jeunes femmes pour nous aider durant les trois jours de festivités. J’espérais que Calador revînt, mais bien qu’il y eût plusieurs groupes d’elfes ce n’étaient que des voyageurs qui ne connaissaient rien des affaires de la frontière. La première nuit fut la plus occupée et je dormis presque toute la journée le lendemain. Je réussis tout de même à trouver le temps de me promener à travers les différents stands. Les odeurs douces et épicées et les couleurs resplendissantes envahissaient mes sens. Toutes les ethnies étaient rassemblées et étaient en paix, cherchant à vendre le plus possible.
J’admirais des rideaux entiers de rubans doux, en dentelle, en satin, de mille couleurs, considérant en acheter quelques-uns pour mes cheveux, quand mon regard fut attiré par quelqu’un. J’écartai quelques rubans et vis à l’autre bout de l’allée un jeune homme, assis sur un tonneau vide et travaillant quelque chose à la main. Il avait des cheveux blonds cendrés qui lui tombaient sur le front et au vu du stand auprès duquel il se trouvait, il devait être sculpteur sur bois.
Il releva le visage, chassant les cheveux de son front transpirant. Son regard sombre captura le mien et un sourire en coin, malicieux, apparut sur son visage.
— Prudence, regarde ce collier ! Il t’irait à ravir ! s’exclama Emi.
— Quoi ?
Mon attention fut happée par mon amie qui me présenta un collier que j’ignorai.
— Tout va bien ? demanda-t-elle, inclinant la tête sur le côté, ses cheveux noirs tombant en vagues.
— Oh, oui…
Elle se pencha au-dessus de mon épaule et écarta les rubans. Un sourire amusé apparut sur son visage lorsqu’elle vit le jeune homme qui avait capturé mon attention. Il était à nouveau concentré sur sa sculpture. Emi rigola doucement.
— Oh, je vois ! Tu as des choses plus intéressantes à regarder qu’un collier ennuyeux, n’est-ce pas ?
— Je t’en prie ! m’exclamai-je, rougissant malgré moi.
— Catherine ne voulait-elle pas une nouvelle décoration pour la salle de l’auberge ? Ces figurines en bois seraient jolies, non ?
— Je sais ce que tu essaies de faire, et ça ne marchera pas, Emi !
Elle s’esclaffa pendant que je m’éloignais, aussi loin que possible de cette aire en particulier. De retour à l’auberge, déjà occupée par de nombreux voyageurs, ma mère eut immédiatement besoin de mains supplémentaires et mon esprit fut distrait par le travail.
La deuxième nuit, après avoir servi une treizième tournée pour le groupe de nains qui dansaient et chantaient, encouragés par toute l’auberge enthousiaste, ma mère m’approcha. Elle transpirait autant que moi, que tout le monde ici, à cause de la chaleur de l’été et de la foule rassemblée dans un même endroit. Mais elle souriait malgré tout.
— Tu nous as bien aidés hier et aujourd’hui, tu devrais aller profiter de la fête, Prudence. Surtout que c’est ton anniversaire.
— Vraiment ? Je peux ? demandai-je.
— Oui, vas-y, mais ne bois pas trop, d’accord ? Et reviens avant les feux d’artifices.
— Promis, maman ! m’exclamai-je, embrassant sa joue.
Je laissai mon tablier et mon plateau sur une table, et me dépêchai hors de l’auberge. Le moment où je me trouvai à l’extérieur, je me détendis, respirant l’air presque frais de la nuit. Les étoiles étaient étouffées par les lumières éblouissantes du marché et du village. Je me laissai tomber contre le mur, fermai les yeux, et écoutai la musique et les rires qui résonnaient au loin.
— Tu as un beau sourire, tu devrais en faire profiter le reste des voyageurs au lieu de sourire aux étoiles, non ?
Je sursautai en m’écartant brusquement. Un jeune homme était appuyé contre le mur. Je ne pus empêcher le rire nerveux qui m’échappa. C’était le jeune homme du marché qui avait croisé mon regard. Il avait le même sourire en coin, rempli d’amusement, comme s’il savait l’effet qu’il avait sur moi.
— Tu… qu’est-ce que tu fais ici ? demandai-je, regardant tout autour.
De l’autre côté de l’auberge, il y avait de nombreuses caravanes alignées le long de la route, et la cour avait été remplie de tables pour les groupes qui festoyaient plus calmement que les nains. Mais j’étais sortie par la porte arrière et il n’y avait quasiment personne.
— J’étais venu prendre un verre à l’intérieur, quand je t’ai vue sortir. Tu vas bien ? demanda-t-il, s’écartant du mur pour m’approcher.
— Je... bien sûr, répondis-je.
— Tu as les joues rouges, tu devrais faire attention avec un été aussi chaud, fit-il passant le dos de sa main sur ma tempe.
Je m’écartai timidement et il continua de sourire de manière énigmatique.
— Puis-je t’offrir un verre ? Cela te rafraîchirait… hmm…
— Prudence… Je m’appelle Prudence, murmurai-je.
— Quel beau prénom, susurra-t-il. Mon nom est Omri. C’est un plaisir de faire ta connaissance, Prudence.
Il entra dans l’auberge, mon cœur battait fort. Il revint avec deux pintes de bière fraiche. Cela me fit du bien, et m’aida à me détendre. Il me guida dans la cour et me présenta au groupe de sculpteurs sur bois avec lequel il voyageait. Ils jouaient de la musique pour que des jeunes femmes puissent danser. Omri m’offrit une seconde bière, et me fit tournoyer, avant que l’on aille se promener. Il me posa des questions sur ma vie à l’auberge et à Lamania, et il me parla de la sienne, voyageant dans tout Sehaliah pour son travail. C’était si naturel de discuter avec lui, même si je le connaissais à peine.
L’alcool me tapait dans la tête, réchauffant mon corps et me donnant un courage que je n’avais pas habituellement. Seuls au milieu des caravanes vides, avec la musique au loin, et le calme autour de nous, son baiser vint naturellement. Ce n’était pas mon premier baiser, que j’avais eu avec l’apprenti forgeron du village l’année précédente, lors de la même fête, mais Omri était plus expérimenté. Il m’entraîna à travers les caravanes, il me tint la main fermement et resta calme malgré mes rires énivrés à chaque fois que je trébuchais. Je m’accrochai à ses bras solides. Il m’offrit un autre verre d’une liqueur plus forte, mentholée, et on se cacha dans sa caravane, étendus sur des couvertures. Entre les baisers et les soupirs, il laissa ses mains caresser mon corps, tout en restant respectueux.
— Qu’est-ce que c’est ? souffla-t-il.
Je tournai mon visage vers mon poignet gauche, couvert d’un bracelet de protection en cuir qu’il observait curieusement. L’intérieur de mon poignet portait une trace bleue qui ressemblait à une fleur de lys, je la cachais avec cette protection que j’utilisais aussi pour le tir à l’arc. Avant que je ne puisse répondre, Omri détacha la ficelle et dévoila ma peau colorée. Je me sentais plus nue de lui montrer cette marque que si j’étais dévêtue.
— Une marque de naissance, fis-je à voix basse, soudain inconfortable.
Son doigt caressa la peau délicate et je frémis. Il se pencha et l’embrassa, un sourire dansant sur ses lèvres. Son visage se tourna vers moi. Ses yeux noirs étaient aussi sombres et doux que du velours. Plonger dans les ténèbres de son regard était aussi exaltant que se promener dans la forêt par une nuit sans lune.
Il m’embrassa à nouveau, plus férocement, au moment où les feux d’artifices explosèrent au-dessus de nos têtes. Le repoussant, je me redressai soudainement.
— Les feux d’artifices ! Je dois partir ! m’écriai-je, me souvenant de ce que ma mère avait demandé.
Si je ne revenais pas à temps, elle s’inquiéterait et risquerait de m’interdire de ressortir de nuit.
— Quoi ? Déjà ? s’étonna Omri alors que je sautais hors de la caravane, arrangeant mon corsage et ma robe. Tu me laisserais aussi insatisfait ?
Je me retournai vers lui. Il souriait victorieusement, persuadé que je grimperais de nouveau dans la caravane avec lui. J’étais charmée, mais pas stupide. Je pris son visage entre mes mains, le forçant à se baisser vers moi.
— Omri, tu es mignon, et le moment qu’on a passé ensemble était merveilleux, mais tu n’as aucune intention de me revoir après cette nuit et je ne peux pas rester. Restons-en là, d’accord ?
Je l’embrassai rapidement sur les lèvres avant de me retourner, resserrant précipitamment le bracelet de cuir autour de mon poignet. Rassemblant mes jupons, je me mis à courir à travers les caravanes, éclairée par la lune et les feux d’artifices aux milles couleurs qui explosaient dans le ciel.
J’arrivai à l’auberge à bout de souffle et grimpai par l’une des fenêtres arrière pour y revenir discrètement. Quasiment tout le monde était sorti pour observer les feux d’artifices. Je repérai facilement ma mère qui se trouvait à la porte, la tête levée vers le ciel. Ses yeux brillaient de larmes et son sourire était triste.
— Maman ? appelai-je, arrivant à ses côtés. Je m’excuse du retard, j’étais–
— Prudence, fit-elle en souriant et en me prenant dans ses bras.
— Tout va bien ? demandai-je, la serrant en retour.
— Oui, je pensais juste à ton père, répondit-elle, embrassant mes cheveux tendrement. Je peine à croire que tu aies déjà seize ans, ma chérie…
Je levai à mon tour la tête vers le ciel illuminé par les explosions de couleurs. Le vent souffla, portant l’odeur de poudre brûlée jusqu’à nous, accompagnée de l’essence de la forêt. Les feux d’artifice continuèrent de résonner mais ils étaient à présent un bruit de fond, étouffé par un murmure clair et léger, dansant au rythme de la brise d’été et faisant écho à mes battements de cœur. Je me tournai vers le Bilderŵ, sachant qu’il m’attendait, son appel plus fort que jamais en ce jour du solstice d’été.
J’espérai que Calador reviendrait bientôt et aurait des réponses à mes questions.
Les semaines devinrent des mois, la chaleur d’été laissa place à la fraîcheur d’automne. Les champs perdirent leurs vives couleurs tandis que les forêts devinrent aussi chatoyantes que des bijoux. J’attendis impatiemment Calador, mon regard constamment rivé vers le Bilderŵ qui continua son appel chantant que j’étais la seule à entendre. La pluie froide fit tomber les feuilles qui recouvrirent le sol de taches brunes, rouges et dorées.
Mon rêve ne cessait de me hanter. Plusieurs fois, ma mère, ou même Adela, Hilda ou Emi me réveillèrent alors que je me promenais dans l’auberge. Elles pensaient que j’étais somnambule, seule ma mère comprenait que je cachais quelque chose mais elle ne dit jamais rien, respectant mon silence. J’angoissais tant à l’idée de m’endormir et de faire ce rêve une nouvelle fois, que je passais toutes les nuits à tourner dans mon lit. Au matin, l’épuisement finissait par prendre le dessus.
Un matin d’automne, je fermai enfin les yeux, écoutant le vent soufflant dans les arbres au loin, résonnant dans les vieux murs de l’auberge… La brise porta la voix du Bilderŵ.
L’esprit éveillé, mais incapable de contrôler mon corps, je me levai et descendis les escaliers en bois. Je traversai la salle principale de l’auberge et sortis. Mes pieds nus rencontrèrent le sable humide et j’avançai vers la forêt.
On m’appelait. Ils avaient besoin de moi, je devais m’y rendre.
— Eiddwen…
Coupant à travers les champs, je continuai sans m’arrêter. L’humidité et le froid pénétraient mes vêtements et ma peau, et me glaçaient le sang presque autant que la terreur qui s’insinuait en moi, mais j’étais incapable de faire demi-tour.
— Elle est là !
— Attrapons-la !
J’entendis le tonnerre résonner même s’il n’y avait aucun orage en vue. Je savais qu’il s’agissait du chêne, de ces voix, de ces souvenirs qui ne m’appartenaient pas.
— Il la tuera !
— Tu mourras !
Un hurlement strident me libéra de ma torpeur.
Mon propre cri de détresse fit écho à cette voix dans ma tête et je tombai contre l’arbre le plus proche. L’écorce du tronc érafla ma peau frigorifiée. Je me recroquevillai, essayant de rassembler le peu de chaleur qui restait dans mon corps. Je tremblai, je respirai avec difficulté et regardai tout autour de moi. Je n’avais pas encore franchi la frontière avec Lómáwen, mais j’étais proche, si proche que des elfes pouvaient se cacher dans les arbres, invisibles. Les couches de feuilles décomposées, gorgées d’humidité, pénétraient le tissu de ma chemise de nuit et insufflaient une torpeur glaçante dans les muscles de mon corps. Les branches sombres des arbres nus semblaient essayer de me capturer depuis leur hauteur, comme des longs doigts prêts à me cueillir si je bougeais. Ils remuaient, à cause du vent qui sifflait dans le bois ténébreux de ce matin d’hiver. Ce chuintement grandissant me rappelait le cri qui m’avait ramenée. Un craquement résonna derrière moi.
Étouffant un cri, je bondis et courus à travers la brume laiteuse. J’avais l’impression que les branches des arbres essayaient de se refermer sur mon passage, tendant leurs longs doigts mortels vers moi. Visage et bras griffés, robe de nuit déchirée et boueuse, j’arrivai enfin dans les champs que je traversai à toute allure.
Un soleil timide se levait à l’horizon. Ses rayons, presque froids, luttaient pour percer les nuages et la brume.
J’arrivai à l’auberge et ouvris la porte si violemment qu’elle claqua contre le mur. Je tombai contre la table la plus proche, luttant pour respirer, ma gorge en feu.
— Prudence !
Je sursautai et me retournai, ma mère et Hilda accoururent depuis la cuisine.
— Que fais-tu– je croyais que tu dormais ! s’écria ma mère, me regardant de haut en bas pour m’examiner.
— Tu es glacée ! Tu vas attraper la mort ! siffla Hilda, se dépêchant d’aller chercher des couvertures et de quoi me réchauffer. Quelle idée de se promener pieds nus à l’aurore !
— Aurore…
— Qui a parlé ?! hurlai-je, me retournant brusquement.
Hilda et ma mère me fixèrent, hallucinées par ma réaction. Je restai tournée vers le mur, dans la direction du Bilderŵ. Personne ne se trouvait là, mais j’avais entendu une voix.
Se remettant de son choc, ma mère attrapa les couvertures qu’Hilda avait ramenées et les força autour de mes épaules, puis me prit dans ses bras.
— Prudence, tout va bien, dit-elle, me pressant contre son corps chaud. Tu es en sécurité, tu es avec nous, tout va bien…
Elle caressa mes cheveux, comme lorsque j’étais une enfant et qu’elle me réconfortait après un cauchemar. Je fondis dans son embrasse. Hilda, le visage grave, m’apporta une tasse de thé.
Je ne me souvenais pas m’être endormie mais lorsque je me réveillai, étourdie par le sommeil et le froid, ma mère était à mes côtés. Elle tricotait le châle bleu qu’elle avait commencé quelques semaines plus tôt.
— Tu n’es pas somnambule, n’est-ce pas ? demanda-t-elle doucement.
— Je… je ne sais pas…
— Tu ne t’en souviens sans doute pas, mais… lorsque tu étais petite, tu avais des cauchemars presque toutes les nuits. Tu te réveillais ou tu essayais de partir en disant que des monstres te poursuivaient dans la forêt. Tu disais que la tempête se rapprochait, même si le ciel était clair.
Exactement comme les rêves que je faisais maintenant.
— Tes terreurs nocturnes se sont calmées, puis ont empiré peu de temps après avoir rencontré Calador.
— Je me souviens… tu m’as emmenée à Rencil pour rencontrer une sorcière qui m’avait donné une potion à boire… Je n’avais plus de cauchemars mais…
— Ils sont de retour, n’est-ce pas ? fit-elle avec un sourire triste.
Je hochai légèrement la tête, et tirai les couvertures vers moi.
— J’ai envoyé une lettre à Calador en espérant qu’il pourra t’aider, ajouta-t-elle en posant le châle près de moi. Pour l’instant, tu devrais essayer de dormir, Prudence.
— Mais...
— Je suis avec toi, il ne t’arrivera rien, je te le promets, ma chérie, dit-elle, embrassant mon front et caressant mes cheveux.
Je finis par m’assoupir, réconfortée par la présence de ma mère.
Après mon escapade nocturne, chaque nuit, ma mère ferma la porte de ma chambre. Plus que mes cauchemars, on craignait que je n’entre sur le territoire de Lómáwen, ce qui signifiait risquer d’être abattue par un elfe frontalier.
Ton histoire me plaît, mais pour être tout à fait honnête, la longueur de tes chapitres me freinent un peu, il faut avoir le temps, surtout si on veut comment par la suite.
Dans la 1ière moitié, je trouve que tu nous racontes trop ce qui va se passer, ça fait souvent doublon avec les dialogues, et rend la lecture un peu moins agréable. Tu fais aussi référence à des choses dites dans les premiers chapitres, ce n'est pas nécessaire de les répéter(comme pour l'héritage de Catherine).
En revanche, le reste est top, bourré d'actions, on n'apprend pleins de choses, et la fin donne envie de lire la suite
J'espère que tu ne me trouve pas trop dure, j'essaie juste de te donner mon ressentit, mais si c'est le cas n'hésites pas à me le dire