Je n'entendais pas leurs mots car ils veillaient à conserver un faible volume mais, à leur attitude, je devinai un désaccord. Le gros gesticulait beaucoup, pour appuyer des propos que j'étais trop loin pour entendre mais qui, à l'évidence, ne suffisaient pas à convaincre l'autre en face, qui demeurait imperturbable, debout les bras croisés, et rejetait chaque argument avec le même silence glaçant. Je le fixai un moment. Il était différent de ses pairs. Ses vêtements noirs, un pantalon ample et resserré aux chevilles, et un haut sans manches et près du corps, étaient pensés pour être pratiques. Il ne portait pas autant de bijoux que les deux autres, et le peu qu'il arborait était beaucoup moins ostentatoire. Une bague en argent, deux bracelets de force dans un matériau translucide, un cercle de métal autour de la tête. Ce n'était même pas de l'or.
« Ça y est, tu peux te lever », sourit la femme.
Mon regard se reporta sur elle. Elle n'eut pas besoin de me le dire deux fois. Je descendis de la structure, profitant de la vigueur retrouvée de mon corps, prête à me défendre au moindre mouvement suspect de leur part. Je regardai mes mains, mes bras. Plus la moindre croûte, mes chairs à vif étaient maintenant recouvertes d'une fine couche de peau nouvelle. Je pouvais sentir l'air sur mon crâne. J'y passai la main. Mes cheveux avaient brûlé, comme le reste de mes poils. Il ne restait que trois ou quatre mèches éparses qui ruisselaient sur mes épaules osseuses.
Le gros homme approcha, manifestement encore contrarié par sa discussion avec l'autre qui avait disparu. Il me tendit un linge que j'enroulai autour de moi pour me sécher puis pressa son index sur la pierre d'un de ses bracelets. Les loupiotes rougeoyantes qui diffusaient leur éclairage tamisé dans la pièce s'éteignirent au profit des longues rampes de néons rivés au plafond, d'où jaillit une vive lumière blanche.
« Bienvenue à Citadelle, lâcha-t-il sur un ton aigre.
— Merci, bredouillai-je, sans trop savoir ce que ces deux attendaient de moi, mais quelque part rassurée à l'idée que Sao avait tenu parole ».
Sao. Il n'était pas là. Pas d'attaches. Ce n'était pas le moment de m'apitoyer. J'étais à Citadelle. Ce mot me mit un peu de baume au cœur. J'avais réussi. Ces gens m'avaient soignée et me souhaitaient la bienvenue. Tout allait bien.
Maintenant que je me trouvais là, debout dans le monde réel, en pleine lumière, je n'étais plus vraiment certaine de ce que je venais de vivre. Le décor était strictement identique, à l'exception des couleurs qui avaient repris leur place dans mon champ visuel. Les émotions tragiques me hantaient toujours, telle une main glacée enserrant mon âme, mais le souvenir de mon expérience s'estompait comme celui d'un cauchemar au lever du jour. Je mourais d'envie d'interroger mes hôtes mais les consignes que m'avaient données le Maraudeur durant notre trajet résonnaient toujours dans ma tête : ne pas poser de questions. Pas d'attaches. Je ne devais pas laisser mes sentiments guider mes actions. Suivre le plan. À défaut de le connaître, je devrais me contenter de rester dans le rang et ne pas faire de vagues.
Un courant d'air me fit frissonner. Froid. Ces choses que j'avais vues durant mon expérience, étaient-elles toujours là, partout autour de nous ?
L'homme retourna derrière la console et éteignit les écrans un par un. La femme m'aida à me sécher puis un androïde m'apporta des vêtements. Il était beaucoup moins sophistiqué que les robots qui accompagnaient la Milice ; on n'avait pas pris la peine de lui donner un visage ni de le vêtir. Certaines parties de ses composants les plus précieux étaient à nu, narguant avec arrogance mes instincts de fille de la Maraude.
Je revêtis un peu maladroitement ces fines étoffes beiges assemblées en tee-shirt et en pantalon. Un mince liseré turquoise bordait les manches et le col. Je reçus également des chaussures en toile, étonnamment fines et perméables. La femme dut remarquer mon air dubitatif lorsque je les enfilai car elle me demanda :
« Un problème ? »
Je n'osai d'abord pas répondre mais face à son regard insistant je me sentis obligée ;
« Ç'a pas l'air de protéger de grand chose.
— Et de quoi voudrais-tu te protéger ? Tu ne risques rien ici », rétorqua mon interlocutrice avec enthousiasme.
Pour appuyer son propos, elle me désigna l'un des murs, entièrement fait de verre, et la vue qu'il offrait sur l'extérieur. Elle posa doucement la main sur mon épaule pour m'inviter à m'en approcher et ajouta :
« Tu n'es plus chez les Vermines ici ».
Vrai. J'étais à Citadelle. Les règles étaient différentes. Et puis, pourquoi auraient-ils pris la peine de me soigner si c'était pour me mettre en danger ensuite ?
J'avançai vers la baie vitrée et posai, avec une certaine excitation, mon regard sur ce nouveau voisinage.
Ce chapitre était un peu plus court que les autres, il m'a semblé (en tout cas cette seconde partie était vraiment courte). Mon commentaire va être un peu à l'échelle.
La chose principale sur laquelle je rebondis, c'est l'expérience surprenante Lille ! Il y a donc une dimension fantastique à ton histoire ? Je ne m'attendais pas, malgré le titre de l'histoire, à croiser des fantômes, pourtant il me semble que c'est ce qu'elle est devenue un bref instant alors qu'on s'occupait de son enveloppe charnelle. C'est original. À voir comment ça va s'incorporer dans ton histoire.
Pour le reste, on est dans la présentation très brève du nouvel univers dans lequel elle va évoluer, donc je pense que le prochain chapitre devrait mieux me le présenter.
Juste une petite remarque sur la forme :
"qui m'écrasait le front me l'écrasa moins." -> la répétition est peut-être voulu, mais je reconnais que je ne la trouve pas élégante.
À bientôt !
En ce qui concerne la dimension fantastique, oui, il y a un côté paranormal, mais c'est une histoire de science-fiction ésotérique plutôt qu'une histoire d'horreur ou vraiment de fantômes. Après pour le titre, "fantômes" veut dire beaucoup de choses, à la fois pour désigner ces visions/expériences/autre de Lille, et à la fois pour désigner tout le reste (les vestiges du monde détruit, les idéaux abandonnés, certains qui ne seront plus que l'ombre d'eux-mêmes etc ... et surtout une métaphore en particulier que je ne veux pas spoiler)
Pour la répétition je vais la noter et j'essaierai de voir si je trouve quelque chose de plus élégant, merci beaucoup :) (ps : je t'ai ajouté à ma pal j'ai vu qu'on avait le même genre de contexte de départ :D je te lirai une fois que j'aurai terminé mon autre lecture en cours mais je te préviens d'emblée que je suis pas super rapide ^^° )
Et oui, c'est un chapitre de transition les suivants poseront le contexte et d'autres enjeux et Lille sera un peu plus lucide sur ce qu'elle vit :D. A l'origine, les deux premiers chapitres n'existaient pas, ça commençait directement au moment où Sao la fait entrer à Citadelle et le trajet tenait sur trois pages, mais on m'avait fait des retours comme quoi c'était dommage de ne pas en voir davantage sur le Bidonville (on y reviendra à l'occasion de quelques péripéties) , du coup pour la V2 j'avais modifié la trame pour rajouter deux chapitres et de la profondeur. Je suis jamais très forte pour pitcher mes histoires, mais en gros ce roman tourne davantage autour du lore et de ses mystères que de la narratrice qui au final est surtout une caméra, j'aime bien voir l'univers comme un personnage quand j'écris :x
Bref merci encore pour ces commentaires !! :)
Pas de souci pour mon histoire, rien ne presse :) On a en effet un contexte proche (futuriste-dystopique / qualité d'air pas top) mais de ce que j'ai lu pour le moment je ne crois pas que nous prenions la même direction du tout ! ^^
Je viens lire la suite de la tienne dans les prochains jours, à bientôt ! :D