En m'avançant vers la baie vitrée, comme il faisait noir dehors, la première chose que j'aperçus fut mon propre reflet. Frêle, hagard. J'avais une sale tête. Je ressemblais à une petite chose fragile. Je ne me reconnaissais pas.
Je collai mon front contre le verre pour observer la nuit, mes mains autour de mes yeux pour faire barrage à la lumière de l'intérieur. D'énormes blocs, épars et lointains, s'imposaient dans l'obscurité malgré leur distance. En levant la tête pour observer leurs sommets, je vis pour la première fois ce qui se trouvait au-dessus des nuages éternels du Bidonville. La vraie couleur de la nuit. Une étendue noire peuplée de petits diamants pâlots et vacillants qui n'éclairaient rien d'autres qu'eux-mêmes. Cet enchevêtrement d'édifices formait une masse géométrique étrange et inquiétante à laquelle je n'arrivais pas à donner un sens. Je ne comprenais pas vraiment tout ce que je voyais. Ça ne ressemblait pas à ce que Sao m'en avait raconté. Il manquait trop de choses. Les gens, la lumière, la vie, il n'y avait rien de tout ça là-dehors. On aurait dit que quelqu'un avait éteint le monde.
La femme debout à côté de moi ne me quittait pas des yeux, scrutant chacune de mes réactions. Je restai sur mes gardes, prête à me défendre au moindre mouvement suspect de sa part mais rien ne vint. Enfin, après un long silence et un moment à manipuler des données sur une tablette, le gros homme se dirigea vers nous.
« J'ai fini de configurer ton Asnav. Ça te servira à circuler et activer les différents dispositifs dont tu as le droit de te servir. Il est strictement personnel et tu dois le garder sur toi en permanence. »
Il me tendit une chevalière sertie d'un rubis taillé en ovale dans lequel une petite lumière pulsait de façon régulière. Je l'observai un peu bêtement. Trop de mots dans la même phrase.
« Enfile-le autour de ton majeur. »
Pour illustrer son propos, il me montra sa propre main. Il portait la même. La femme aussi. J'obéis machinalement. Je fis bouger mes doigts pour observer les scintillements de la pierre sous l'effet de la lumière ambiante. C'était joli. Familier. J'avais déjà vu ce genre d'objet. Sao en avait utilisé un pour nous faire entrer à Citadelle.
La porte de l'autre côté de la pièce s'ouvrit en coulissant toute seule. Une femme entra, d'environ mon âge, la peau blanche, les yeux clairs et les cheveux blonds comme les rares descendants d'Euranord. Elle avait la carrure svelte et athlétique des éclaireurs de la Maraude mais avait-elle seulement une fois dans sa vie eu à ramper dans la vase ? Elle paraissait trop propre, avec ses cheveux remontés en un chignon strict dont pas une mèche ne ressortait et son uniforme presque similaire au mien - à l'exception des liserés sur le col et les manches - qui ne comportait absolument aucun pli. Quelqu'un comme elle n'avait probablement jamais connu autre chose que Citadelle.
« Ah, juste à temps ! sourit la femme qui s'était occupée de moi jusqu'à maintenant. Entre. »
La nouvelle arrivante posa le regard sur moi et eut un léger mouvement de recul. Elle se reprit rapidement et s'avança vers nous, un sourire poli sur le visage - ça lui faisait une tête étrange.
« Je suis à votre disposition, Maestreï.
— Présente-lui ses quartiers. Tu l'introniseras demain au sein du groupe D. »
La blonde s'inclina devant le gros homme avec déférence. Elle lui tendit une petite tablette de verre rectangulaire, longue comme une main, sur laquelle il posa la paume quelques secondes, jusqu'à entendre un bip sonore cristallin. Ensuite, elle se tourna vers moi, agitant l'objet sur lequel, désormais, défilaient des données lumineuses :
« Suis-moi, je vais te montrer ta nouvelle maison. »
Je m'apprêtai à lui emboîter le pas, mais elle m'arrêta d'un geste de la main.
« Il faut d'abord saluer les Maestreï. Comme cela. »
Ma guide se tourna vers l'homme et la femme, qui s'apprêtaient à vaquer à d'autres occupations, et répéta sa révérence. Ils se contentèrent de hocher la tête en signe de satisfaction puis se détournèrent de nous sans plus de considération.
La blonde m'entraîna vers la sortie de la pièce.
« Au fait, je suis Sydney, se présenta-t-elle en ouvrant la porte. Comme la ville d'Australie aux flammes perpétuelles - un pays si grand qu'il formait un continent à lui tout seul. Et tu sais quoi ? Ça existe encore. On n'y trouve plus grand chose et on y a déjà pris toutes les ressources qu'on pouvait y trouver, mais les ruines sont toujours là. Et des bêtes aussi dangereuses que dégoûtantes à manger. »
Appuyant sa phrase par une grimace écoeurée, elle attendit ensuite ma propre présentation. Je ne la fis pas attendre.
« Lille, répondis-je. Comme la Mégalopole au-dessus des Mers qui reliait Europa à Royaume et fut ravagée par la folie des hommes lors de la Deuxième Apocalypse.
— Ah oui, la Deuxième Apocalypse, commenta-t-elle. Peut-être la pire, parce qu'on aurait pu l'éviter. »
Je remarquai bientôt qu'elle portait une bague similaire en tous points à la mienne et, si moi je m'efforçais de garder les mains hors de sa vue, elle ne cherchait aucunement à la dissimuler.
Disant cela, la blonde s'engagea dans un couloir à l'image de la pièce que nous quittions : large, vide, blanc, propre. Un rail de lumière parcourait le haut plafond tout du long, éclairant nos pas sur plusieurs dizaines de cadavres devant et derrière nous à mesure que nous avancions. Les semelles de nos sandales crissaient sur une résine noire miroitante. Quelques portes faites d'un verre opaque de la même couleur nous dissimulaient tout autant de salles. Il n'y avait, ici, absolument personne d'autre.
Sydney ne laissa pas le temps au silence de s'installer :
« Il y a quelques règles très simples ici. Entre nous, Vermines, nous sommes libres. Devant les Maestreï nous devons obéir, garder le silence, ne pas poser de questions. Nos dortoirs sont dans les souterrains, et tu devrais a-do-rer : des installations sanitaires pour faire ses besoins, se laver, de la distribution de nourriture à volonté…
— Contre quoi ? maugréai-je.
— Pardon ?
— Ils ne font pas ça de bonté de coeur. On m'a envoyée ici pour travailler. S'ils offrent tout ce que tu dis, le travail doit être vraiment pénible. Alors ils veulent quoi en échange ? »
Elle pouffa, amusée par ma réflexion. Elle répondit sans même prendre le temps d'y réfléchir :
« Notre travail est de parcourir la Terre à la recherche de ressources et de les ramener ici. C'est un peu fatiguant oui, mais rien d'insurmontable. »
Parcourir la Terre.
« C'est donc ça, le piège, murmurai-je.
— Le piège ?
— On revient rarement de l'Extérieur. »
Elle pouffa à nouveau.
« Ne t'en fais pas, tu auras de l'équipement pour te protéger. Je sais que les Vermines qui grandissent de l'autre côté du Rempart voient le danger partout mais tu finiras par t'habituer au fait qu'ici, personne ne nous veut de mal. Les Citadins ont conscience de leur privilège, tu sais. Si la ville avait la capacité d'accueillir et de subvenir aux besoins de tout le monde, le Bidonville n'existerait plus depuis longtemps. Et nous, notre rôle, c'est faire en sorte qu'un jour cela soit possible. »
Je ne répondis rien. Il n'était pas dans mon intérêt de la contrarier même si elle commençait légèrement à m'agacer.
Nous nous trouvions sur le pallier de l'une des centaines d'étages traversés par ce trou béant et vertigineux. Une simple rampe métallique nous séparait du vide. Au-dessus de nous, à une trentaine de cadavres au-dessus de nos têtes, dominait une étroite coupole par laquelle le ciel se distinguait à peine. Ce puits gigantesque était traversé en son centre par un tube transparent assez large pour contenir dix personnes, relié à chaque pallier par des rampes d'accès recouvertes d'un carrelage noir. Des portes permettaient d'accéder à l'intérieur. Sydney s'aventura sur l'une des passerelles et s'approcha du centre. Elle passa sa main baguée devant la porte.
Quelques secondes s'écoulèrent puis une plateforme à l'intérieur du tube, que rien ne retenait ni par le haut ni par le bas, descendit jusqu'à nos pieds. La porte s'ouvrit toute seule. La blonde s'avança sur le disque volant et m'invita à la suivre.
« Les Vermines de ton rang n'ont pas accès aux ascenseurs alors, profite de mes privilèges, sourit-elle. »
J'hésitai, peu rassurée à l'idée de monter. Ceux qui se risquaient à faire usage de technologie anti-gravitationnelle au sein du Bidonville finissaient toujours par disparaître dans de tragiques accidents.
« N'aie pas peur, c'est un peu impressionnant, mais c'est sans aucun risque ! voulut me rassurer ma guide. Du moins, tant que tu ne t'approches pas des parois. »
Je la rejoignis sur la plateforme. La porte se referma derrière nous.
J'eus l'impression que mes tripes me remontaient dans la gorge. Autour de moi, à travers le verre, les terrasses des étages défilaient à une vitesse effrayante. Au moins une centaine. Sydney observait sa tablette, l'air sereine.
« Nous voilà arrivées ! s'exclama ma guide avec enthousiasme. Ici, c'est ce qu'on appelle la Base. Nous vivons toutes là, entre Vermines. »
Une nouvelle porte s'ouvrit devant nous. Nous n'étions plus sur une passerelle mais tout en bas, au centre d'une place ronde. Le sol était en béton, tout comme les murs. Il n'y avait rien d'autre. En face de nous, un nouveau couloir. Au-dessus de nous, la coupole était si haut qu'on ne la voyait même plus.
Un chapitre calme qui décrit surtout l'arrivée de Lille, mais qui est bien placé pour découvrir son nouvel environnement. Je te fais surtout des retour sur la forme avec ce chapitre :)
"une masse géométrique étrange et inquiétante à laquelle je n'arrivais pas à donner un sens. Je ne comprenais pas vraiment tout ce que je voyais" -> le fait de ne pas donner un sens et de ne pas comprendre sont proches au niveau du sens de la phrase... Du coup c'est un peu redondant, je pense que tu peux supprimer l'un ou l'autre.
"« Enfile-le autour de ton majeur. » (...) Il portait la même." -> Enfile-la plutôt (la chevalière) ?
Sur ce passage :
"« Il faut d'abord saluer les Maestreï. Comme cela. »
Ma guide se tourna vers l'homme et la femme, qui s'apprêtaient à vaquer à d'autres occupations, et répéta sa révérence. Ils se contentèrent de hocher la tête en signe de satisfaction puis se détournèrent de nous sans plus de considération." -> elle le refait pour lui montrer mais Lille ne le fait pas ?
"Tout était parfaitement sec, sans la moindre trace de moisissure ou la moindre odeur rance." -> étant donné que c'est le type d'odeur auxquelles elle est habitué, je ne sais pas si il ne serait pas plus logique que son nez soit agressé par l'odeur de désinfectant (bien sûr, elle ne saura pas de quoi il s'agit, mais ça peut-être qualifié autrement) plutôt que de se rendre compte de l'absence. On note davantage une odeur à laquelle on n'est pas habitué.
"« Quelque chose ne va pas ? interrogea la blonde. »" -> guillemets mal placés
"« Tout va bien ? demanda Sydney de l'autre côté, m'arrachant à mes interrogations. »" -> pareil
"Même si ça voulait dire réprimer mes envies d'encastrer Sydney dans un mur." -> J'ai un peu de mal à comprendre ce qui l'énerve tant. Je ne sens pas tellement la condescendance de Sydney, ni dans ses propos, ni dans sa façon de faire. Du coup je n'arrive pas à comprendre et à adhérer à sa colère.
"L'imagination se confondait à la mémoire" -> avec la mémoire ?
Voilà pour ce chapitre :D à bientôt pour la suite !