Chapitre 3 : Au Hardi Phacochère
Évangile de Spirale, chant numéro 6, verset 1
Quand Spirale eut expiré son dernier souffle, 'Iilaaha descendit parmi son peuple et lui dit :
« Enfants, maintenant que ma dernière prophétesse vous a quitté, il vous faudra de nouveaux guides pour vous garder sur le chemin de lumière, car j’annonce de nouvelles tempêtes dont je devrai vous prévenir. Mais n’ayez crainte, car je suis le phare et vous êtes mes bateaux. Vous construirez trois temples à ma gloire :
Le temple de Portail, l’immaculée, protectrice de l’enfant innocente et de la maternité, sera construit au sein même de l’océan, au plus près de moi.
Le temple de Dédale, la traîtresse et la repentie, protectrice des travailleuses et de la justice, sera construit au sein même de la ville, là où respirent les femmes.
Le temple de Spirale, l’invaincue, protectrice des mortes et de la guerre, sera construit au sein même du marais, là où toute chose revient à l’eau qui l’a fait naître.
De la montagne, vous détournerez vos regards et n’y bâtirez rien à mon éloge, car là est la porte de l’enfer où règne Manat et ses Djinns. Là brûleront les infidèles et ceux qui se détourneront de moi. »
*
Une foultitude d’indiscrètes se pressait dans la salle crasseuse du Hardi Phacochère où la toute nouvelle héritière de Dédale avait été portée en triomphe par la populace jusqu’à ladite auberge – où elle avait sa chambre –, avant d’être assise de force devant un comptoir et cinq ou six bières. Chacune voulait avoir l’occasion de la féliciter d’avoir trucidé ce larron ou lui donner une bourrade complice, lui faisant plonger le nez dans la mousse et s’asperger copieusement d’alcool.
Lactae et Larifari avaient suivi cette agitation avec un peu de recul. Debout devant l’établissement, elles observaient sans un mot l’enseigne de fer forgé qui couinait selon les aléas du vent. La silhouette dodue du cochon sauvage, découpé dans le métal dessinait des ombres chinoises sur des vitres si recouvertes de crasse qu’elles laissaient à peine passer la lumière de la salle. L’auberge résonnait des rires gras de celles qui parlaient trop fort et quand on entendit les premières notes de l’accordéon, les deux am' saghiras décidèrent qu’il leur faudrait intervenir si elles ne voulaient pas que la nouvelle recrue se vide de son sang avant que la plèbe ne la lâche.
Une clochette tinta quand Larifari poussa la porte et elle dut se baisser pour ne pas se cogner contre le chambranle. Le plafond était bas et la lumière, vacillante, résumée à une poignée de chandelles de suifs dégoulinantes.
Sur les murs était étalée une carte de la baie ainsi que cinq ou six têtes de phacochères empaillées particulièrement miteuses. L’air sentait la blague de mauvais goût et le vin aigre. Une dizaine de tables étaient encombrées d’ivrognes et de joueuses de belotte. Ah elles étaient belles les citoyennes quand 'Iilaaha ne regardait pas de trop près !
Assise sur un tonneau, une femme aux cheveux enduits d’un henné flamboyant jouait la musique, accompagnée de deux sbires qui frappaient en cadence sur une table avec leurs chopes.
— Allez, chauffe Mangouste !
Trois buveuses entonnèrent à différents tons de voix :
« Elles étaient neuf sur le navire
Et plus une seule goutte de Rhum
Ho ho ho tirelire
Juste le scorbut et des pommes !
Elles étaient huit sur le navire
Et pas une seule pièce d’or
Ho ho ho tirelire
Faudra rev’nir pour un trésor
Elles étaient sept sur le navire
Et pas une seule queue d’ondin en vue
Ho ho ho tirelire
À peine un crabe et trois morues »
— Hé de quelle queue vous causez, vous autres ? demanda la Capitaine Cougnette dans la foule et cela fit beaucoup rire l’assemblée.
La chanson se poursuivit sous les hourras tandis que Larifari jouait des coudes jusqu’au comptoir, échangeant rires et anecdotes avec toutes celles qu’elle croisait. Impénétrable, Lactae se fondait dans son sillon. Tout un groupe de marines plus ou moins bien léchées entourait la nouvelle recrue et l’assaillait de questions :
— Et ils étaient gros comment ?
L’adolescente écarta largement les bras :
— Grands comme ça ! Avec des pinces énormes, coupantes comme des rasoirs. Ils nous ont bien éviscéré trois mousses avant qu’on arrive à les jeter par-dessus bord.
Malgré son œil ensanglanté qui n’était pas beau à voir, elle était en train de finir sa troisième chopine et la tenancière en poussa une quatrième entre ses mains avides.
— Bois, bois ! Ça fait passer la douleur.
Lactae se racla la gorge et inexplicablement, brouhaha et musique fondirent comme méduse sur plage :
— À propos de douleur...
Son interlocutrice leva son œil valide vers elle ce qui permit à Lactae de la détailler : une prunelle grise surmontée de sourcils sombres, une bouche pleine et sérieuse, un nez qui n’avait pas encore trouvé sa forme adulte... Elle avait un visage rond, angélique, à qui l’on aurait donné 'Iilaaha sans confession. Ses traits présentaient tous les agréments que sa silhouette un peu lourde n’avait pas. Enfin, c’était avant qu’on essaie de l’énucléer, mais une femme pouvait plus facilement se passer de beauté qu’un homme. Au contraire, cette blessure rappellerait à toutes son remarquable courage.
Lactae chercha ses mots ; elle désirait quelque chose de simple, mais ne savait comment s’adresser à cette enfant qui était maintenant son égal. Lulla et Larifari avaient été choisies quelques années après elle ; cela faisait si longtemps qu’elles étaient habituées les unes aux autres… Comment s’adresser à cette étrangère qui n’était qu’une enfant ? Mais après tout, Lactae avait presque le même âge lorsqu’elle avait été choisie.
— Il te faut une doctoresse. Rapidement.
Une vieille édentée haussa les épaules :
— On arrête pas de lui répéter 'am saghira. Mais elle écoute rien, c’t’une bornée, elle dit qu’elle a son propre toubib. Y faut juste qu’elle arrive.
— Qu’il arrive, corrigea la jeune fille. Mon médecin est un homme.
Cette déclaration eut l’air de toutes les faire tomber des nues et cela fit beaucoup rire la dénommée Lù.
— Ne vous inquiétez pas. Il vient d’un pays où les hommes ont le droit de faire certaines études, et il m’appartient, c’est mon docteur personnel.
La patronne se pencha sur son comptoir et chuchota :
— Il vient d’arriver 'am saghira. Je l’ai vu se glisser dans l’escalier jusqu’à votre chambre.
— Parfait ! Je vais vous demander de m’excuser un instant.
Pour accompagner sa phrase, elle leva son sérieux, but la fin à la régalade, puis s’échappa à l’étage. Sa dernière tirade, comme quoi le docteur lui appartenait, eut l’air de calmer les esprits. Après tout, à femme exceptionnelle, il fallait bien un homme exceptionnel. Et puis ce n’était pas textuellement interdit par les lois d’Iilaaha tant que leurs rapports intimes n’étaient pas exclusifs.
— Quand bien même, c’est pas banal... commenta la vieille Capitaine Cougnette, résumant la pensée de toute l’assemblée.
Lactae ne savait pas très bien quelle était son opinion personnelle, mais vu les circonstances, des excentricités n’étaient pas les bienvenues. Elle chercha Larifari du regard, espérant qu’elle devinerait le fond de sa pensée dans les tréfonds de ses prunelles jaunes. Cependant, sa compagne avait rejoint les musiciens et, tapant sa chope sur la table, les accompagnait de toutes les inflexions de sa voix rauque :
« Y’avait plus personne sur le navire
Un fantôme et trois squelettes
Hohoho tirelire
Plus une forbanne pour faire la fête »
*
Le palier de l’auberge donnait sur quatre portes qui menaient à autant de chambrettes crasseuses et Lù s’engouffra dans la première. La pièce n’avait rien de particulier, ce n’était que quatre murs blanchis à la chaux et un parquet miteux. On y trouvait un cabinet de toilette et ses accessoires, un lit bancal trop étroit pour deux et une chaise branlante. Un bouquet de fleurs séchées avait été disposé sur le cabinet de toilette par un servant, dans un excès de zèle, mais cela faisait une éternité, car les pétales tombaient en poussière.
Dans un coin, une étrange malle en métal était posée, qui comportait au moins trois verrous différents.
La porte, en se refermant, fit comme un tampon au brouhaha et aux chants qui résonnaient en bas, tout comme aux odeurs de bananes plantains grillées et de viandes mijotées aux épices. L’homme à la redingote, le grec aux yeux bridés, était assis sur la chaise près de la fenêtre ; ses longs doigts élégants marquaient la page du traité de médecine qu’il lisait.
Avant toute chose, c’est-à-dire avant de lui parler, avant de lire la désapprobation dans ses yeux noirs, Lù traversa la chambre et vomit copieusement dans la bassine d’étain du cabinet de toilette. Il ne leva pas la tête en amorçant la conversation :
— Et bien, et bien... je suppose que je dois te féliciter pour ton succès...
Elle secoua la tête et dans un hoquet, vomi une deuxième fois. Il lui fallut quelques minutes pour se reprendre, puis elle contempla son visage blême et sanguinolent dans le miroir fêlé.
— Tu es fâché ?
— Des gens sont morts, Lù.
Elle versa l’eau du broc dans la vasque du cabinet de toilette et y trempa une serviette :
— Je le sais. Qu’est-ce que j’aurais pu faire ?
— Ne pas participer à ça ? M’en parler ? Sauver ce garçon ?
— Pourquoi ? Il avait autant choisi d’être là que les autres ; ils connaissaient tous le risque.
— Tu l’as fait dans ton coin, comme une cachottière.
— C’était une opportunité de dingue et tu m’aurais dissuadée.
Il pinça les lèvres et ne répondit pas. La jeune fille commença à nettoyer son visage avec la serviette humide avant de s’immobiliser, contemplant toujours son reflet.
— Dis-moi Taï... est-ce que j’avais déjà tué un humain avant ?
Il leva la tête vers elle pour la fixer ; un intense sentiment de tendresse et de pitié contracta ses traits.
— Bien des fois, tu as tué... mais tu avais promis d’arrêter.
Elle retira la serviette pour le fixer et fronça ses sourcils sombres :
— Je me souviens d’une promesse, mais ce n’était pas « ne pas tuer ».
— C’est vrai. C’était « Fais de ton mieux pour ne pas faire de mal autour de toi ».
— Je fais toujours de mon mieux.
— Vraiment ?
L’étranger posa son livre et soupira. Cette conversation ne servirait à rien. Puis il se leva pour prendre la serviette humide des mains de la jeune fille.
— Fais voir ton œil ? Bigre, il ne t’a pas loupée... mais tu l’avais mérité.
— Ça va guérir tout seul.
Il lui fit un sourire ironique.
— Excellente idée, comme ça, tu vas paraître bizarre à tout le monde. Les yeux crevés ne repoussent pas chez les humains normaux.
Il tapota la blessure avec le plus de douceur possible, mais Lù grogna :
— Aïe ! Ça fait mal, lâche-moi ! Qu’est-ce que tu proposes au juste ? De me mettre un cache ?
— Avoue que ça te ferait plaisir... tu as toujours adoré te déguiser. Tiens, tu n’as qu’à mâcher ça pour diminuer la douleur.
Lù accepta les morceaux d’écorce que lui tendait son compagnon :
— Qu’est ce que c’est ?
— Saule blanc. Analgésique naturel.
— Wah ! Tu prends ton rôle de médecin très au sérieux.
— Ça pourrait servir.
La jeune fille mit les morceaux d’écorce dans sa bouche, les mastiqua lentement tandis que le surnommé « Taï’ » se rapprochait de la fenêtre : dehors, le vent de la mer décoiffait les palmiers et faisait trembler les vitres. Lù le suivit et ouvrit les battants ; elle avait besoin d’air frais. Il abaissa vers elle son visage grave et doux.
— Et maintenant ? Que vas-tu faire ?
— Hum... Je crois que je vais redescendre boire un verre ou deux. Peut-être grignoter quelque chose.
— Tu ne penses pas que tu as assez bu ?
— Ce n’est pas pour l’alcool, Taïriss. C’est pour gagner leur confiance, pour me mêler à elles... Je ne connais nul peuple qui aime les étrangers alors il faut que je me débarrasse de cette étiquette.
— Je comprends. Quand je demandais ce que tu allais faire, j’étais plus général. Tu vas vraiment devenir l’am saghira de cette Dédale ?
— Qu’est-ce qui me permettrait mieux de mettre mon nez dans ce qui ne me regarde pas ? Ça va me demander de bosser, c’est sûr...
— Oui, enfin... la précédente a été assassinée, tu ferais bien de ne pas trop remuer les tas de purin locaux.
— Ça aussi, ça mettra du piment dans nos vies. Oh, allez ! Tu ne trouves pas ça juste un petit peu excitant ?
Son compagnon lui renvoya un regard maussade :
— Bof.
— Oh, ne sois pas si rabat-joie. C’est toi qui as insisté pour m’accompagner après tout. Tu auras à faire de ton côté : si les femmes ont tendance à être un peu trop bavardes quand elles vont au bordel, je crois qu’ici rien ne vaudra un médecin pour faire parler un homme.
Taïriss croisa les bras sur sa poitrine tandis que la jeune fille respirait l’air marin à plein poumon. Elle rentra le visage à l’intérieur et essaya de l’embrasser, mais il la repoussa.
— Tu viens de rendre tripes et boyaux, désolé, mais non...
Elle eut l’air malheureuse.
— J’ai aussi failli mourir...
Il soupira et la prit dans ses bras, posant son menton sur ses cheveux moites de sang et de sueur.
— Lù... tu es sûr que ça en vaut la peine ? Tout ça pour un trésor ?
Elle sourit contre sa poitrine.
— Ce n’est pas n’importe quel trésor.
*
L’agora s’était vidée de ses femmes et le ciel s’était rempli de vautours. Dédale, Portail et Spirale étaient seules. Délaissant leurs trônes de bois flotté, elles s’étaient levées pour arpenter la place où s’étaient affrontées les prétendantes.
Tous les cadavres avaient été mis à l’abri, sauf un : le corps du jeune homme reposait sur le dos, veines gonflées, visage bleu et torse béant. Les trois grandes mères s’approchèrent d’un pas calme et égal, jusqu’à s’interposer entre le mort et le soleil.
Il y avait quelque chose d’incongru à les voir ensemble car, une fois de plus, sauf en des occasions très particulières comme celle-ci, les amy kabira n’avaient pas le droit de quitter l’enceinte de leurs temples respectifs.
— Tu comptes le laisser ici ? interrogea Portail.
Son visage était recouvert d’un masque qui englobait la moitié de son crâne rasé. Conçu en bois blanc poli et orné d’une corne immaculée, il imitait parfaitement le faciès d’un jeune narval. Le corps obèse de la grande mère de la naissance était engoncé dans une large tunique de lin clair, recouverte d’un châle à franges vertes qui ressemblaient à s’y méprendre à des algues.
Dédale releva son museau de gnou vers Portail :
— Nous avons besoin de faire un exemple. Il ne manquerait plus que les hommes nous fassent des problèmes à présent. Pas maintenant, après la mort de Lulla.
Un rire sans joie s’échappa de la bouche de Spirale.
C’était une femme immense et maigre comme un coucou. Ses os et la peau qui était dessus se perdaient dans la soie mitée de sa chemise à jabot et dans sa longue veste trouée de velours calicot. Sous le large tricorne émergeait la mâchoire menaçante d’un caïman dont la peau était de bois, mais les dents véritables.
— Ton idée vaut pas un pet... Tu vas attirer les hyènes dans la ville et c’est tout c’que tu auras gagné.
— Je te remercie de tes bons conseils, mais je m’en passe depuis dix ans, Spirale. Jacte pour ceux que ça intéresse.
— Très bien, tu peux faire ce que tu veux, je m’en moque, petite chiure.
Dédale ne répondit pas, mais les jointures de ses doigts blanchirent sur la poignée de sa béquille ; elle avait mal à sa jambe fantôme, celle qui aurait dû la soutenir en dessous de son moignon.
Portail leva les mains :
— Calmez-vous ! Vous vous comportez comme des adolescents. Excuse-toi, Spirale.
L’immense femme recula d’un pas, prit une attitude désinvolte et articula d’un ton beaucoup trop aimable :
— Très bien, je m’excuse. Je ne suis pas de taille à lutter contre ton bon sens, Portail.
La vieille femme obèse ne répondit pas à cela, qu’elle ait senti l’ironie du propos ou non. Dédale renifla, jeta un dernier regard bovin au corps qu’elle allait laisser à la merci des charognards et tourna les talons.
— Si cela ne vous gêne pas, mesdames, je retourne à mon temple et à mes obligations. Après tout, nous aurons le déplaisir de nous revoir bientôt.
Alors qu’elle se dirigeait vers la sortie de l’agora, Spirale la héla :
— Attends un peu.
Et l’autre lui répondit, hargneuse :
— Qu’est ce que tu veux ?
— C’est pas moi qui ai fait assassiner Lulla.
Dédale frémit :
— Et donc je devrais juste te croire ?
— Tu pouvais pas la voir et elle te mettait des bâtons dans les roues chaque jour. Crois-moi, je m’amusais trop pour vouloir en finir avec elle.
La grande mère de la vie la fixa avec haine avant de reprendre sa route :
— Va en enfer, Spirale.
Quand elle eut disparût, Portail intervint :
— Si tu étais maligne, tu arrêterais de la provoquer...
— Et toi tu devrais arrêter de lui lécher le trou du cul, c’est pathétique à ton âge.
Le masque de narval se pencha en avant et murmura sur le ton de la confidence :
— Tu devrais être plus prudente. Dédale est jeune, dynamique et la moitié des femmes lui ont vendu leur âme et leurs oreilles pour quelques pesos. Tu as peut-être une flotte à tes ordres, mais Dédale a bien autant de puissance et elle veut te voir pourrir au fond de l’océan qui respire.
— Oh par la toute grande ! Tu crois que je ne sais pas tout ça ? Je sais que cette femme est un arrière-faix de truie ladre, ce n’est pas pour autant que je vais me coucher devant elle !
Offensée, Portail emmêla ses doigts sur son ventre :
— Je n’ai pas d’armée ni de ville pour me défendre, moi !
— Tu as Lactae !
— Elle ne représente qu’une seule personne.
— Elle est le meilleur soldat de l’île et tout le monde la respecte !
Portail hésita :
— Lactae... Lactae est une héritière idéale... mais d’aucune façon elle ne s’opposerait officiellement à Dédale, ce serait contraire au Livre.
Spirale arpenta la cour de l’agora ; ses pieds nus marchaient dans le sang mêlé de poussière des combattantes, mais elle ne s’en préoccupait pas.
— Il est heureux que Lactae et Larifari soient proches. Ainsi, elles ne subiront pas les mêmes querelles que nous.
Portail eu une mimique étonnée :
— Elles sont proches ?
— Bien sûr ! Du moins... Larifari pense qu’elles sont proches.
La grande mère de la naissance haussa les épaules, elle n’avait aucune idée des sentiments que Lactae pouvait entretenir pour telle ou telle personne : leurs échanges étaient strictement utilitaires.
A travers son masque de narval, elle observa Spirale, dénommée ainsi comme métaphore au lent maelström qui mène indubitablement chacun à la mort. Elle aurait put l’apprécier, si les circonstances avaient été différentes : Spirale était une militaire, une corsaire franche et entière qui ne se laissait pas attendrir par pitié, mais ne faisait en aucun cas preuve de cruauté.
Dédale en revanche… Dédale était l’incarnation même de son nom, le labyrinthe tortueux de la vie et de ses méandres les plus tordus : politicienne arriviste, commerçante dans l’âme, juge sans foi ni loi et fine manipulatrice.
Ces deux-là s’étaient haïes immédiatement, par principe, et les choses auraient pu parvenir à un équilibre si elles n’y avaient pas mêlé des guerres plus intimes.
Elle-même, Portail, l’entrée dans l’existence… aurait dû jouer son rôle de modératrice entre la Guerre et la Politique, comme toutes les autres prêtresses de la naissance avant elle. Mais voilà, Portail avait toujours eu un petit faible dans la vie, à la fois pour la lâcheté et les pots-de-vins. Lactae, sa propre disciple, le lui reprochait bien assez, par ailleurs. Elle renifla :
— Je suppose que je devrais rentrer... Je n’aime décidément pas ce soleil...
Spirale comprenait ; elle n’était pas gênée par la lumière, mais cette stabilité sous ses pieds la déroutait... il lui manquait un roulis familier.
Elles descendirent la grande rue de Hàgiopolis, exceptionnellement vide, et se séparèrent sur le port. Spirale ne put s’empêcher d’admirer l’allure de son temple, amarré dans la baie. Après tout, elle avait rarement l’occasion de le voir de cet angle-là. C’était un bâtiment ventru, tout hérissé de canons et au château réhaussé de tourelles cuirassées : une véritable forteresse flottante. Mumit — tel était son nom — l’attendait au bout de la jetée, fidèle, entièrement drapé de ses voiles couleur de brume, un alligator fou de rage jaillissant d’une gerbe d’eau à sa proue.
La grande mère de la mort se saisit d’un bout et au moment où elle allait se hisser à bord de son navire, hésita. Dans le ventre du bateau se trouvait le corps de Lulla, attendant son embaumement et des funérailles dignes d’une élue d’Iilaaha. Elle n’avait pas de temps à perdre, cependant...
Le soleil qui avait tant gêné Portail commençait à descendre sur une mer embrasée et les rues étaient vides : les hommes avaient retrouvé leurs baraquements et les femmes s’enivraient au tripot pour fêter leur nouvelle 'am saghira.
Quant à elle, elle avait envie de voir quelqu’un. Silencieuse comme un chat, Spirale brisa l’interdit qui l’obligeait à rejoindre au plus vite son temple, se glissa dans les ruelles de Hàgiopolis et disparut parmi les ombres.
J'aime toujours autant. Je ne comprends pas grand chose. Je m'embrouille entre les différents personnages (pourtant, il n'y en a pas tant que ça, c'est juste moi) et je m'en fiche. Je continue quand même. Les descriptions sont excellentes. Les femmes n'ont pas de corps parfaits, rendant cette histoire plus réaliste.
Néanmoins, si je peux me permettre, je trouve que ce choix d'avoir inversé les valeurs entre hommes et femmes s'essouffle assez vite. J'ai l'impression de tomber dans une démonstration mal gérée de nos conditionnements, c'est souvent poussif. Là où à contrario, l'inversion de valeurs sur les couleurs de peau est mieux géré, mieux amené, moins exacerbé, on y croit sans effort. Et pour moi, la balle dans le pied que tu t'es tirée, c'est le fait d'avoir laissé aux hommes leur supériorité physique ; comme expliqué dans mes commentaires précédents, je n'y trouve pas de cohérence avec ce que tu nous montres du quotidien des hommes.
Sinon, concernant ta demande de base, à savoir si tes trois premiers chapitres sont clairs au niveau du rythme et des personnages : oui ça l'est et c'est un très bon point. L'univers est dans sa globalité bien expliqué, bien amené. Les personnages bien introduits, on ne s'y perd pas. Juste un petit effort à faire pour certains termes, mais ça va vite.
Et petite coquille que j'ai cru voir : « Ton idée vaut pas un pet... Tu vas à attirer les hyènes »
Je m'arrête ici pour aujourd'hui, je continuerai très bientôt.
Anton
Autrement, j'adore ces interrogations qui montent : les objectifs de cette Lù, son lien avec son "médecin", et l'assassinat de Lulla ! J'aime beaucoup aussi la fête pour célébrer sa victoire, mais c'est tellement peu habituel de lire ça de la part des femmes (chansons paillardes, etc) que j'ai mis du temps à me faire à l'idée (comme quoi, je suis conditionnée xD)
Et oui, on est totalement conditionné, j'ai moi même du mal avec mon propre texte et j'ai aussi envie de féminiser des trucs et d'en masculiniser d'autres ^^.
J'ai a-do-ré la chanson entonnée par les buveuses. J'ai un faible pour les chansons de marins et j'ai eu un coup de coeur immédiat pour celle-ci avec son „ho ho ho tirelire“.
J'avoue être de plus en plus intriguée par cette société de femmes et comment elle fonctionne. J'ai bien aimé en apprendre plus sur ce fameux Grec mystérieux. La dynamique qu'il entretient avec Lù est intéressant, un mélange de complicité et peut-être de romance, mais je ne suis pas sûre (après tout, Lù avait bu xD). Je me demande quel est ce trésor qui attire tant Lù !
La dynamique entre les grandes mères est intéressante aussi; elles se taquinent, mais ne s'apprécient visiblement pas toutes de la même manière. Je n'ai aucune idée qui a tué Lulla et pourquoi, mais j'ai hâte de continuer ma lecture pour découvrir tout ça!
Remarques:
C’est pas moi qui ais fait assassiner Lulla. → ai fait
Quand elle eut disparût, Portail intervint : → eut disparu
à bientôt pour la suite :)
Jowie
Personnellement, j’ai toujours un peu de mal avec les prologues qui n’ont que peu de rapport avec la suite immédiate, parce que cela provoque des attentes, et que si on ne voit pas rapidement le rapport avec le reste, ces attentes sont déçues. Et quand on a finalement la « clé », si ça met du temps, il est fort probable qu’on ne se rappelle plus le prologue… Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, mais attention aux attentes que tu suscites…
Il y a de chouettes expressions/descriptions dans la partie de la taverne. J’ai particulièrement aimé (en vrac) : L’air sentait la blague de mauvais goût et le vin aigre, Lactae se fondait dans son sillon, brouhaha et musique fondirent comme méduse sur plage, une femme pouvait plus facilement se passer de beauté qu’un homme. Et la chanson, dommage qu’il nous manque des couplets…
Ça ne les gêne pas qu’une étrangère concoure à pour la place de petite mère ? Ça m’a un peu surpris.
On en découvre un peu plus sur les relations (fort mauvaises) entre les grandes mères. Pourquoi mettent-elles des masques ? Leurs héritières ont l’air en effet de s’entendre mieux, mais on n’en sait pas encore assez sur Lactae pour pouvoir l’affirmer.
Quant à la nouvelle Héritière, elle cherche un trésor, si je comprends bien ? (Et elle n’est pas une humaine ordinaire…). Si j’ai bien compris, elle ne se souviens plus du passé (ou d’une partie du passé ? c’est intrigant…)
Tout ça prend tournure, on ne sait pas trop encore où tu vas nous emmener, mais on se laisse entraîner avec plaisir dans cette histoire. Il n’y a encore aucun personnage qui « domine » (peut-être qu’il n’y en aura pas ? ), mais ceux qu’on a découvert sont intéressants que ce soit Lactaée, Lu ou son énigmatique médecin, ou encore Gaspard et Balthazar.
Détails
Tout un groupe de marines plus ou moins bien léchées entourait la nouvelle recrue et l’assaillait de questions :: j’aurais mis un pluriel ici, pour accorder avec marines plutôt que groupe.
Miteux : reviens deux fois dans le chapitre (OK, je chipote…)
C’est pas moi qui ais fait assassiner Lulla : qui ai
Il l’attendait au bout de la jetée, fidèle, entièrement drapée de ses voiles : drapé
Alors le prologue est une question délicate (qui rejoint une autre question délicate qui est présente sur tout le roman) qui est une conséquence du fait que tous mes romans sont liés et si Le Livre des Vérités peut très bien se lire en premier, il peut tout aussi bien se lire après Ville Noire et dans ce cas être abordé par des lecteur ayant un regard très différent sur des personnages qu'ils connaissent déjà (et je suis sûr qu'avec tes romans, tu as déjà vêcus des dilemnes semblables).
Au départ, je n'avait que la deuxième partie dans ce prologue et j'ai rajouté la première pour créer un lien avec les lecteurs qui avaient lu VN (qui eux doivent très bien comprendre de quoi ça parle). Pour les autres lecteurs, il y a pas mal de choses qui doivent arriver assez vite dans la partie 1 -les 9 premiers chapitres- (et en fait, là où tu es, tu vas très bientôt en entendre parler)
"Ça ne les gêne pas qu’une étrangère concoure à pour la place de petite mère ? Ça m’a un peu surpris."
Alors non, ça ne les dérange pas "pour l'instant". Mais en fait dans ce monde, il y a très peu de femmes à la peau brunes comme elles, donc comme Lù leur ressemble physiquement, le peuple la considère comme une "cousine", mais ce serait bien que je le précise quand elle est élue. Ce n'est pas complètement évident pour l'intant, mais j'essaie aussi de faire un parallèle avec le peuple juif (peuple élu, qui a connu une exode, terre promise, blabla...) pour qui un juif étranger, ça reste un juif.
Et toutes tes remarques sur Lù sont tout à fait cohérentes (il s'agit là aussi d'un personnage qui est vu et analysé différement en fonction des lecteurs)
Et comme tu l'a remarqué, non je n'ai pas de personnage central. Il y en aura des secondaires que l'on verra assez peu, mais sinon, tout les personanges que tu as vu jusqu'ici sont importants.
Et merci beaucoup pour les coquillettes!
Ce chapitre ci ouvre pleins de choses intéressantes, en particulier sur la jeune gagnante qui vient du coup d'une autre réalité c'est ça ? L'entrevue avec son medecin se passe bien dans le monde que tu décris ou elle est comme projetée dans son ancien monde ? Je ne suis pas sure d'avoir bien compris...
Du coup, elle est là pour un trésor... C'est le trésor de la chanson ? Il va être dans la montagne ??? Lol ( la fille qui essaie de deviner^^). En tout cas, j'aime beacoup ce début et j'ai hâte de voir comment les différents personnages vont évoluer et se cotoyer !
Ah oui, j'adore les jurons que tu as trouvés ils sont excellents et tu as un véritable don pour les dialogues, je m'y voyais !
Bref, j'attends la suite :p
Bisous volants
Coucou Makara, contente de te revoir chez moi <3
Yep, moi aussi j'étais triste que le jeuen homme soit mort, mais c'était tellement logique que ce soit lui qui gagne, ç'aurait été trop facile pour un début. En plus j'ai été fourbe, parce que au début, il n'avait pas de prénom et une copine m'a conseillé de lui en donner un pour que tout le monde y croit... et ça a plutôt bien marché.
Alors oui, Lù vient d'une autre réalité, d'où le fait qu'elle ne dise pas trop d'où elle vient. Par contre à ce stade de l'histoire on en parle pas du tout et il ne faut aps que tu te prennes la tête avec ça, ce roman se passera à 99,9% dans cette dimension et pour la seule et unique exception, il n'y aura pas d'ambiguité, ce sera bien expliqué.
Donc l'entrevue avec Taï se passe juste dans la chambre de l'auberge et il n'est nullement question d'autre monde.
Quand à cette histoire de trésor, on en saura vite un peu plus, mais il ne s'agit aps de celui de la chanson. A priori ce sont des femmes pirates et les trésors ça pullulent dans ce genre d'ambiance.
Merci beaucoup pour mes dialogues. Pour les insultes, je puise énormément sur une page sur PA qui avait listé les "insultes désuettes". C'est hyper pratique, je l'adore!
Des poutoux et à bientôt <3
me revoilà après la lecture de ce chapitre. Décidément j'adore cette ambiance que tu installes entre épopée et farce; ça donne une tonalité délicieuse et drôle. Je m'étais dit que je ne lirai qu'un morceau du chapitre et que j'en garderai pour demain mais, comme les bons chocolat, je n'ai pas pu m'empêcher de tout manger d'un coup.
C'est très drôle et fin à la fois, bravo:
« L’air sentait la blague de mauvais goût et le vin aigre. » J’adore !
J'aime beaucoup le mystère qui s'installe autour de Lù et cette perspective d'un trésor. Cette jeune fille semble avoir oublié des choses sur elle-même, si j'ai bien compris, et ça m'intrigue. Je trouve cette astuce narrative excellente parce que Taï en sait plus. Chouette, j'attends la suite.
J'ai relevé quelques coquilles par ci par là pour finir:
« Indiscrêtes » -> indiscrètes
« leurs choppes » à leurs chopes
« Quand bien même, c’est pas banal... comment la vieille femme édentée, » > commenta ?
« Tu vas à attirer les hyènes dans la ville » > « à » à enlever.
« Vous vous comportez comme des gamins. » gamines ?
« c’est pas moi qui ais fait assassiner Lulla. » > « ai fait »
« elle eut disparût » > disparu
« Il l’attendait au bout de la jetée, fidèle, entièrement drapée de ses voiles couleur de brume, » : drapé
A plus pour la suite!!!
Bisouilles
ElGaëlle
Tout d'abors, merci pour les coquillettes, je suis la reine pour ça, j'aime pas trop me relire...
Merci beaucoup pour tes compliments, et je suis contente si Lù t'intrigue ^^. Effectivement elle oublie un certains nombre de choses, mais tu en sauras plus plus tard.
Merci encore! Des poutoux!
Et oui, c'est moi qui ait écrite la chanson, mais j'ai aps écrit le bout manquant, on verra si je trouve le foie un de ces quatre ^^.
Quand à Lù, je suis contente qu'elle te plaise, c'est un personnage assez récurrent dans mes écrit (Taïriss aussi) et bien sûr je ne dirai rien sur le trésor et l'oeil qui guérit tout seule, tu sauras plus tard :3
Et effectivement, tout ce qui est lié à une société avec les rôles hommes-femmes sont inversés, c'est perturbant, ça m'arrive aussi pas mal de me tromper moi-même et ça m'énerve. Genre au début quand il y a des hommes qui sont cloitrés pendant le tournoi, j'avais tout le temps de marquer "elles". C'est vraiment hyper désagréable comme sensation.
Et d'un autre côté, j'avais envie de montrer ce qu'on pouvait ressentir en tant que femme en lisant un livre plus "normé" par la société, mais malgré tout, je n'ai pas un gentil beau gosse, un méchant sexy qui utilise son charme pour arriver à ses fins et un père frigo (en fait si, j'ai un père frigo, dès l'intro même XD). Bref, ça m'amuse beaucoup mais ça m'énerve aussi XD c'est pas facile tous les jours!