Chapitre 3 - Charlie

Une étrange sensation d'humidité apparut sur ma joue et un frottement assez étrange. Il ne me fallut que quelques secondes pour ouvrir les yeux et découvrir mon chat, sur moi, en train de me lécher le visage.

— Enfin ! Noisette, c'est pas poli ça du tout ! m'exclamai-je en essuyant brièvement mon visage.

Le chat se contenta de miauler et bondit du lit comme si de rien n'était. Il n'en faisait vraiment qu'à sa tête. Après tout, ça n'avait pas changé avec le temps...

Je quittai mon lit et me dirigeai vers la cuisine où mon cousin Clint prenait encore son petit-déjeuner en traînant sur son téléphone.

— Hey ! C'est maintenant que tu te lèves ? me demanda-t-il alors que je cherchais une tasse dans les placards.

— Je me suis réveillée hier dans la soirée tout de même ! Et j'ai dû aller chercher le chat chez nos voisins, les Van Rossem.

— Et ça t'a tellement fatigué de les voir que tu t'es immédiatement rendormie ? plaisanta-t-il.

Une fois que j'eus trouvé une tasse, je mis à chauffer de l'eau dans la bouilloire et me tournai vers lui.

— Non ! Ce n'était pas aussi épuisant que ça et ils m'ont aidé à retrouver Noisette, même si je sais plus quel frère m'a pas très bien regardé contrairement à sa sœur qui était vraiment adorable.

— Mouais...

Il prit une gorgée de son thé et je choisis un sachet dans la boîte posée en plein milieu de la table. Heureusement, il y avait de quoi faire et je me contentai d'un Russian Earl Grey.

— De toute manière, ce n'est pas comme si je les connaissais vraiment, lâchai-je en levant les yeux au ciel. Et au moins, en partant à Paris, je n'entendais plus parler de la moindre sale histoire de voisinage.

— C'est vrai que tu as échappé à ça ! rétorqua-t-il, un sourire en coin. Si tu savais tout ce qui s'y passe... Et je pense que... tu sais quoi, ça pourrait être lié à eux.

Tout mon corps se figea un instant. Évidemment, j'avais évité tous les problèmes en vivant ailleurs le temps de quelques années et je ne m'attendais pas à entendre ce genre de choses. Malheureusement, ma tante s'était ôté la vie quelques jours auparavant, sans que personne y comprenne rien. Alors, chacun émettait son propre jugement quant à la situation.en accusant l'autre.

Après tout, même si j'avais grandi dans le meilleur des foyers avec beaucoup d'amour provenant de tous les membres de ma famille, ces conflits entre voisins avaient rythmé une partie de ma vie. Il y avait constamment eu des remarques, des critiques, des menaces et parfois, quelques méthodes peu scrupuleuses. Ma famille avait fait du mieux qu'ils pouvaient pour garder une certaine forme de morale, mais ce n'était pas toujours inévitable. Mes parents m'avaient probablement protégé des pires atrocités qu'ils avaient commises à contrecœur.

— Je ne suis pas sûre qu'on devrait chercher un responsable dans ce genre de cas, réfutai-je son avis en remarquant que l'eau avait fini de chauffer.

Je me servis une grande tasse tout en remarquant sa légère grimace. En partant quelques mois, j'avais perdu l'habitude de haïr mes voisins, au plus grand dam de mon innocence.

— Ne devrait-on pas l'avoir vu avant que ça n'allait pas ?

Je soufflai dans ma tasse pour la refroidir un instant puis m'assis en face de lui. J'aimerais bien lui faire comprendre que c'était inutile de se perdre dans la quête d'un responsable, mais malheureusement, il avait un deuil à faire. Il avait tout de même perdu sa mère.

Je ne pouvais pas non plus lui dire à quel point les suicidaires pouvaient être d'excellents menteurs et se fondre à la perfection dans la masse, mais ce serait prendre un trop grand risque. Je n'avais pas envie qu'il apprenne ainsi ce que j'avais pu vivre ces derniers temps.

— J'en sais rien à vrai dire, éludai-je.

Mon attention se porta soudainement sur mon téléphone qui venait tout juste de vibrer. Sydney me proposait de manger avec elle ce midi si j'avais un peu de temps depuis mon retour. Je lui répondis par l'affirmative sans même y réfléchir. Bien que nous nous étions rapprochés via l'écrit, j'espérais vraiment que notre relation n'en soit pas désormais changée.

Mon cousin fut immédiatement intrigué par mon échange textuel et m'interrogea sur la nature de cette personne.

— C'est Sydney, une amie, et on ne s'est pas vues depuis mon départ. Je pense qu'on a beaucoup de choses à se dire.

— Je n'en doute pas... D'ailleurs, je sais pas grand-chose non plus sur ton voyage, lança-t-il d'un ton joueur.

— Ne t'en fais pas, on aura des tas d'occasions pour en parler.

Je me contentai de lui tirer la langue en complément de ma réponse, ce qui suffit pour le faire rire. Malheureusement, la réalité n'était jamais loin et je sentais encore cette même atmosphère pesante depuis mon retour. Il allait nous falloir du temps pour tout faire comme avant...

*

Avant mon départ, je connaissais quelques coins sympas pour manger à San Francisco. Désormais, j'étais complètement perdue. Je n'avais plus le moindre repère quand bien même j'avais passé presque une vingtaine d'années par ici.

Heureusement que Sydney m'avait proposé une adresse en voyant mon hésitation. Ne sachant pas exactement ce qui pourrait me plaire, elle avait choisi un restaurant proposant diverses alternatives vegan.

En arrivant sur les lieux, je fus submergée par le décor qui donnait l'impression d'être plongé dans une forêt. Les murs étaient recouverts de planches de bois assez claires et de longues plantes le recouvraient en grande partie.

Dès qu'elle m'aperçut, elle me fit un signe de main et je la rejoignais d'un pas déterminé, un grand sourire sur les lèvres.

— Ça fait longtemps que tu es venue ? me demanda-t-elle en ouvrant la carte du restaurant.

— Tout juste hier.

— Et tu n'es pas crevée ?

— Si totalement. Je ne sais même pas comment je fais pour tenir debout.

Nous échangeâmes un bref rire et je me sentais déjà à l'aise à ses côtés, quand bien même nous avions plutôt eu une relation à distance.

Elle commença alors à me conseiller quelques plats et m'avoua qu'elle essayait de devenir vegan petit à petit. Elle cherchait régulièrement des alternatives sans jamais forcer ses proches. Selon ses dires, elle n'avait pas le temps de gérer l'assiette de ses amis alors qu'elle avait celle d'un bébé à gérer avant tout.

— Tu as un enfant ? m'étonnai-je.

— Hum... Je pensais te l'avoir dit.

— Non, tu ne m'en as jamais parlé. Je m'en serais rappelé sinon.

Elle passa brièvement sa main dans ses longs cheveux blonds et baissa son regard. Je savais d'ores et déjà qu'il y avait quelque chose de presque tabou au sujet de son enfant.

Elle détourna la sujet pour me poser des questions sur mon voyage et sur ce que j'y avais pu faire. Je commençai à lui détailler mon travail dans une boutique de création de robes de mariée, ce qui sembla la fasciner, suffisamment pour qu'elle me pose de nombreuses questions.

Entre temps, une serveuse était venue prendre notre commande, mais ceci n'interrompit pas notre discussion pour autant.

Néanmoins, elle perdit pendant de longues secondes le fil de la discussion et son regard s'était posé sur une personne qui venait d'entrer. En me tournant vers celle-ci, j'aperçus Kayla. Nous échangeâmes un sourire, mais le sien était bien plus timide et réservé que le mien, comme si elle ne voulait pas le montrer. Puis en posant de nouveau mon regard sur Sydney qui s'était assombri, je compris qu'il y avait probablement un conflit entre elles.

— Tu la connais ? m'enquis-je naïvement.

— Mon ex connaissait un de ses frères, Blaine, répliqua-t-elle d'une voix grave.

Elle évita de nouveau mon regard et prit une grande gorgée de son verre d'eau.

J'aurais bien voulu lui poser davantage de questions, mais je sentais que ce n'était vraiment pas du tout le bon moment. Et puis, avec toutes les histoires de famille que j'avais de mon côté, ça n'aidait pas à imaginer le pire.

Kayla s'approcha du bar pour commander un smoothie. Ses mains tremblaient et elle manqua de tomber plusieurs fois. Elle avait l'air d'être dans un piteux état, probablement le stress. Elle évitait désormais le regard de tout le monde et dès qu'elle reçut sa commande, elle quitta le lieu d'une démarche rapide et les yeux rivés sur le sol.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé avec eux ?

— Tu n'en as pas suffisamment entendu parler d'histoires avec eux ? Tu veux encore en entendre ? me demanda-t-elle, presque comme un reproche.

— Pour l'instant, je n'ai rien entendu depuis mon retour.

— Eh bien, il faudrait peut-être qu'il en reste ainsi.

Son ton froid et grave marqua la fin de la discussion, en plus de la serveuse qui venait de déposer nos assiettes sous nos yeux.

Et ce n'était qu'aujourd'hui que je découvrais qu'elle avait bien plus de secrets que je ne le croyais...

*

De retour chez moi, je fus interrompue dans l'allée par Kayla qui avait accouru vers moi, criant mon nom. Elle avait toute la panoplie pour sortir dehors : bonnet, gants, écharpe et manteau épais. Visiblement, elle ne supportait pas les températures les plus basses.

— Désolée de ne pas être venue te voir dans le restaurant, j'avais vraiment peur de déranger.

Au ton de sa voix, il était évident qu'elle me mentait, mais je n'avais aucunement envie de lui faire remarquer. En revanche, encore une fois, tout ceci me confirmait qu'il y avait une grande masquerade à laquelle je ne faisais pas partie et qui s'était développée durant mon départ.

— Ne t'en fais pas. J'étais juste avec une amie.

Une légère expression de peur se dessina sur son visage. Ce fut à peine perceptible mais étant donné la situation actuelle, c'était prévisible.

— Comment va ton chat ? Pas trop secoué depuis la veille ? lança-t-elle pour détourner le sujet.

— Je crois qu'il ne s'est pas rendu compte de la connerie qu'il a faite la veille, mais au moins, il n'a pas l'air d'en souffrir.

Elle m'adressa un timide sourire. Malgré des années de rivalités entre nos familles, je sentais qu'elle n'avait vraiment pas un mauvais fond ; et j'avais aussi envie d'y croire. Ces quelques années en dehors de cette tourmente me faisaient relativiser. Je n'avais clairement plus envie de devoir supporter ce genre de haine.

— Peut-être qu'on pourrait se revoir dans un contexte plus...

— Amicale ? finis-je. Avec plaisir. En ce moment, ça risque d'être compliqué entre les fêtes et l'enterrement de... ma tante.

— Bien sûr ! Hum... Est-ce qu'il y a un moyen qu'on peut utiliser pour se tenir au courant ?

— Oui. Messenger ? Tu l'utilises ?

— Totalement.

Immédiatement, je l'ajoutai dans mes contacts, simplement. On s'adressa un dernier sourire mutuel et chacune reprit notre chemin.

Dès que je franchis le seuil de ma maison, je sortis de nouveau mon téléphone pour tomber sur son profil Facebook.

Kayla Van Rossem.

Elle semblait si heureuse sur sa photo de profil même si ces cheveux bruns noirs étaient bien plus courts. Quant à son mur, il n'avait pas été actualisé depuis des mois. Il était évident qu'elle n'y allait plus depuis un bon bout de temps.

Et avec beaucoup d'insouciance soudainement, je la demandai en amie, ignorant totalement les futures conséquences.