Chapitre 3: Dans lequel la protagoniste se révèle être une idiote.
ˢᵘᵖᵉʳᶰᵒᵛᵃ
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Cassiopée ouvrit la porte de la salle de classe. Elle s'immobilisa néanmoins aussitôt dans l'encadrement, marquant un temps d'arrêt pendant lequel son regard s'attarda sur la silhouette qu'elle avait aperçue du coin de l’œil en entrant. Silhouette qu'elle reconnut aussitôt, et qui la fit soupirer doucement.
<<- Claire...C'est pas vrai...>>
La malgache scruta son amie affalée sur son pupitre encore un instant, essayant de déterminer de là où elle se trouvait si elle respirait encore. Elle s'autorisa une moue désabusée lorsqu'elle le confirma, ses yeux perçants et attentifs repérant le mouvement presque imperceptible de ses épaules alors qu'elle inspirait.
4h52. Lui apprit l'horloge archaïque suspendue au-dessus du tableau blanc, lequel n'arborait à cette heure-là que les restes d'écriture effacées de marqueurs plus persistants que d'autres et les premiers rayons de soleil s'y réfléchissant. Ce qui signifiait, dans son langage d'un autre temps: 7h52.
Claire était déjà endormie.
Les cours n'avaient même pas commencés.
La jeune fille s'approcha d'un pas imperturbable, et posa son propre sac sur son bureau dans un bruit sourd de ses cahiers et de son thermos heurtant le bois. Elle tourna la tête.
La guitariste n'avait pas esquissé le moindre mouvement.
Cassiopée soupira de nouveau, vaincue. Elle avait l'air épuisée. À quoi s'attendait-elle ? Elle était pourtant la mieux placée pour savoir qu'au vu de sa tête, elle n'obtiendrait rien d'elle dans l'immédiat.
La lycéenne tendit sa main vers elle et la posa sur sa tête doucement. Elle lui caressa les cheveux, tâchant de rétablir un peu d'ordre dans ses mèches en pagaille; elle ne fit cependant qu'empirer les choses, et capitula en grimaçant faiblement lorsqu'elle s'en rendit compte.
C'était facile, de dire qu'une horloge était cassée. Elle s'arrêtait, ou retardait, et c'était à peu près tout. Il suffisait de tourner une molette pour la réparer.
La malgache s'installa à son pupitre, les pieds de sa chaise raclant le sol dans un grincement désagréable lorsqu'elle la rapprocha de son bureau. Elle sortit ses affaires en silence, et attendit que la cloche sonne en relisant ses notes, faute de mieux; mais les mots défilaient sans prendre de sens sous ses yeux, et s'effaçaient de son esprit dès qu'elle finissait sa ligne.
C'était plus difficile avec les êtres humains. Parfois, on ne le remarquait même pas.
L'esprit préoccupé par son amie, son attention finit inconsciemment par se détourner de la phrase qu'elle relisait pour la deuxième fois sans s'en rendre compte, pour se poser sur elle. La jeune fille se demanda si il existait une catégorie dans le business world record pour les cernes qu'elle apercevait derrière les cheveux tombant devant son visage.
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<<- Claire...Elle est absente ?
La voix fluette de la professeur d'anglais résonna dans la salle, brisant à grande peine le silence de mort s'étant installé depuis le début de l'heure. Le même type de silence lourd et inconfortable qui régnait sur un champ de bataille après une guerre: une guerre contre l'ennui, qui avait de toute évidence été perdue. Cassiopée releva son regard vers la jeune femme s'étant immobilisée devant le pupitre à ses côtés, détournant son attention des carreaux qu'elle coloriait minutieusement dans la marge de sa feuille.
- Ah, oui. Elle est allée à l'infirmerie. Confirma-t-elle de sa voix calme et posée, suspendant son stylo en l'air le temps de répondre.
- Vraiment ?
- Elle ne se sentait pas bien.
- Elle s'est surtout fait virer de cours parce qu'elle dormait, oui ! La corrigea une voix claire s'élevant fortement du fond de la salle, provoquant quelques pouffements et commentaires dispersés autour d'elle.
- Car elle se sentait mal. Répéta Cassiopée en détachant chaque syllabe soigneusement, avant de se détourner pour voir sa nouvelle interlocutrice. Ton intervention était tout sauf nécessaire, comme d'habitude, Taylor. Ajouta-t-elle acerbement alors qu'elle faisait peser sur cette dernière un regard lourd de reproches silencieux.
Pas le moins du monde intimidée par ses iris pesants, l'interpellée se contenta d'hausser les épaules en se renfonçant dans le dossier de sa chaise, avant de croiser les bras sur sa poitrine.
- Tu t'énerves ? Pourtant, je ne fais que préciser ton propos ! Déclama-t-elle d'une voix assurée frôlant le dédain en relevant le menton, avant qu'un large sourire provocateur n'étire ses lèvres fines. Tu devrais même me remercier !
- Ah !? Fût tout ce que la lycéenne trouva à répondre sur le moment, tellement abasourdie par son culot qu'elle en perdait les mots. Je n'ai pas besoin de toi, merci ! Asséna-t-elle après coup sèchement, ignorant les sifflements ténus et les bastons puérils scandés par ses camarades.
Le rictus de Taylor s'agrandit jusqu'à révéler ses canines aiguisées, ses yeux pétillants avec une malice malsaine la faisant enrager d'autant plus. La blonde semblait s'amuser de l'agitation que leur altercation avait provoqué, et alors même qu'elle avait eu le dernier mot, Cassiopée avait la désagréable impression d'avoir perdu quand même. Elle ne comprenait même pas pourquoi son interlocutrice s'était mêlée de ça. Elles ne s'étaient jamais parlées, et ne faisaient que se croiser au hasard des couloirs et de leurs cours. Pourquoi avait-elle soudainement décidé d'être aussi insupportable avec elle ?
La malgache soutint le regard de son adversaire sans flancher, tâchant au contraire de lui faire parvenir mentalement les éclairs déchirant l'orage troublant à présent le noir de ses yeux. Inébranlable, cette dernière ne réagit pas, la fixant de ses iris noisettes insondables sans se départir de son expression supérieure on ne pouvait plus contrariante.
Ses yeux ne souriaient pas, eux. Ils étaient froids, glacés, et contrastaient tant avec son comportement qu'un frisson descendit la colonne vertébrale de Cassiopée. La jeune fille l'associa cependant à la chute brutale des températures à l'approche de novembre, et à sa décision mal avisée de se rendre en cours simplement vêtue d'un t-shirt pink floyd.
- Keep quiet ! Tonna la professeur autoritairement, coupant court à leur échange tendu. Arrêtez de discuter ! Réitéra-t-elle en français d'une voix plus exaspérée pour tenter de ramener le calme s'étant dissipée à cause d'elles, comme n'attendant que cette opportunité pour s'enfuir loin de cette salle étouffante. Ah...Soupira-t-elle finalement profondément en constatant son échec affligeant, ses épaules s'affaissant alors qu'elle passait la main dans ses cheveux pour se redonner un semblant de contenance.
<<- Madame. Madame.
- Quoi encore ? Oh, Chiara...S'agaça-t-elle, son intonation s'apaisant néanmoins aussitôt qu'elle vit son interlocutrice attendant patiemment, la main levée au-dessus de sa tête sagement. Oui...?
- Je prends pour elle.
- Quoi ?! S'étrangla Cassiopée en se tournant vivement pour pouvoir la dévisager, cherchant sur son visage un signe -n'importe lequel- révélant que son intervention n'était qu'une vaste blague.
- Quoi ?! Siffla Taylor en même temps, se redressant brusquement sur sa chaise en perdant son air altier, avant de crisper soudainement la mâchoire et de lâcher un ow étouffé entre ses dents.
La blonde fusilla du regard sa voisine de pupitre, ses cheveux blonds bouclés retombant sur la moitié droite de son visage. Elle détourna la tête après coup, reportant son attention sur le côté opposé à cette dernière pour ne plus avoir à la regarder avec un claquement de langue énervé.
La malgache fronça les sourcils faiblement. Chiara venait de donner un coup de pied à Taylor sous le pupitre.
- Bien sûr. Merci pour elle ! Acquiesça l'adulte avec un soulagement évident, se déplaçant déjà vers la lycéenne d'un pas rapide faisant claquer ses talons sur le sol.
Il était impossible de savoir à ce niveau-là si elle ne remarquait vraiment rien de ce qu'il se passait dans son cours, ou si elle ignorait tout en attendant que l'heure se termine. Cassiopée espérait pour elle que la deuxième option était la bonne, sinon quoi la jeune femme devait souffrir quotidiennement de son manque d'attention. Quoique, cette variable n'était pas la plus glorieuse, et était peut-être même après réflexion la pire des deux.
- Madame...! Je suis le binôme de Claire, c'est mon rôle de prendre pour elle ! S'interposa-t-elle d'une voix blanche dont elle faisait de son mieux pour contrôler les intonations, levant sa main avec vigueur pour attirer l'attention de son interlocutrice sur elle.
- Cassiopée, si Claire ne se sent vraiment pas bien comme tu le dis, je pense que ton énergie débordante ne lui sera que néfaste. Rétorqua cette dernière, avant de lâcher un claquement de langue agacé en relevant la tête, les sourcils froncés. Qui est la personne qui a encore oublié de mettre son nom ?! Je vous le dis à chaque fois !
- Oops.
- C'est ça oui, "oops" Luc, encore une fois !>>
Cassiopée se laissa tomber contre le dossier de sa chaise, hébétée.
<<- C'est une blague...>> Murmura-t-elle pour elle-même imperceptiblement, fulminante.
Se sentant peut-être observée, cette dernière sonda la salle du regard curieusement, jusqu'à ce que ses iris saphir accrochent ceux de son observatrice.
Un sourire matois ourla ses lèvres alors qu'elle plissait les yeux légèrement, son expression rompant totalement avec celle de l'élève studieuse qu'elle arborait encore un instant plus tôt.
Et elle lui tira la langue.
Cassiopée tiqua, alors que de nouveau un faible ah ?! acerbe résonnant plus fort que prévu lui échappait.
Alors là.
Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait, ni d'où venait ce soudain engouement pour Claire. Mais ce qu'elle savait, c'était que premièrement, elle allait trouver;
et deuxièmement
Si elles voulaient la guerre, elles allaient l'avoir.
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<<- Claire, réveille toi.>>
La jeune fille souffla faiblement, n'esquissant néanmoins pas le moindre mouvement. Ses paupières semblaient lui peser une tonne, et la chaleur des couvertures dans lesquelles elle était enveloppée la plongeait dans un état de semi-conscience dont elle n'avait nullement envie de sortir. Au toucher des draps rêches sous sa joue et le bout de ses doigts, elle pouvait supposer qu'elle n'était plus dans la salle de classe: elle n'aurait cependant pas pu dire où avec précision. Elle avait le vague sentiment d'être allongée: dans quel sens ? De quel côté ? Sa perception était perdue au milieu d'un brouillard brumeux. Elle ne se rappelait déjà plus de la voix. Quelle voix ? Elle avait dût rêver, ça arrivait, parfois. Elle était intouchable avec les yeux fermés. Les doutes, la peur, l'anxiété- fuir était peut-être la méthode des lâches, mais les lâches étaient toujours ceux qui survivaient à la fin. Elle ne voulait pas être réveillée. Si seulement cette fois, elle ne se réveillait pas.
Chaque matin commençait par une déception. Elle ne voulait pas être déçue cette fois-là aussi.
<<- Claire.>>
Fuck.
La lycéenne soupira, avant d'ouvrir doucement les yeux à contrecœur. Elle les referma cependant aussitôt en plissant le nez, éblouie par la lumière alentour. Des tâches lumineuses persistantes flottaient devant ses yeux, l'aveuglant alors même que ses paupières étaient closes. Le visage de la brune se crispa, alors qu'elle attendait avec impatience que ces dernières se dissipent. Elle sentait déjà une migraine palpiter derrière ses yeux.
Génial.
Claire resta encore un instant dans sa position, avant de finalement réussir à réunir le courage nécessaire pour se redresser, le tissus de ses couvertures émettant un chuintement feutré accompagnant son mouvement. Elle prit encore le temps de s'étirer longuement, avant de finalement s'intéresser à son environnement.
Sa mémoire lui revint lorsque son regard distant effleura les murs d'un blanc presque agressif de la pièce, et les lourds rideaux synthétiques encadrant les deux grandes fenêtres dont la peinture s'écaillait, abîmée par les rayons du soleil.
Ah, c'était vrai. L'infirmerie: pièce du lycée qui était, même plus que les salles de classe, témoin de son échec scolaire.
La guitariste laissa dévier son attention jusqu'aux différents posters affichés bien en évidence contre le mur lui faisant face, s'arrêtant en particulier sur le plus grand d'entre eux. "La drogue, c'est mal", disait-il en lettres multicolores élancées et espacées de différentes typographies. Elle l'avait toujours connu à cette place, et le soupçonnait depuis la première fois d'avoir été créé par des élèves dont le projet de fin de séquence avait mal tourné. Elle avait de quoi, en même temps. Dans le coin gauche de l'affiche, une vache avec des ailes de fée broutait du cannabis; juste à côté un homme bâton refusait ce qui semblait être un joint en dabant, une grosse bulle de texte où était écrit "NON MERCI" en gras l'accompagnant. Une image de kermit étendu sur du parquet avec une boîte de pilules à ses côtés était placée juste en dessous, légendée de nouveau du slogan "la drogue, c'est M A L" au travers de l'image. Peuplaient aussi ce poster notamment des dinosaures avec des chapeaux de cow boy, des chats avec des lunettes de soleil et un meme de Harold smile through the pain levant son pouce, au-dessus duquel avait été encadré dans un rectangle rose fuchsia "DON'T DO DRUGS <3" en police pixellisée. Plus le regard de la brune s'y attardait, et moins elle comprenait, comme à chaque fois. Elle commençait d'ailleurs à être trop réveillée pour y réfléchir. Cette affiche faisait partie de celles auxquelles il valait mieux penser avec seulement la moitié de ses cellules grises d'activées.
La musicienne se rappela alors de la présence à ses côtés, et secoua doucement la tête pour remettre ses idées en place avant de reporter son regard vers le côté de son lit, insondable. Ses yeux s'écarquillèrent néanmoins.
C'était Chiara.
Claire fixa la nouvelle arrivante d'un air ahuri, les yeux ronds comme des soucoupes, figée.
Chiara.
Son cœur manqua un battement lorsque le prénom prit enfin toute son ampleur dans son esprit. La brune inspira profondément, ne se rendant compte qu'elle était en apnée que lorsque ses poumons commencèrent à la brûler pour quémander de l'oxygène.
Chiara. Pourquoi...? Pourquoi était-elle là ? Pourquoi elle ? Qu'est-ce qu'il se passait ?
Ses pensées fusaient dans tous les sens, la sonnant à moitié. Elles étaient trop vives pour qu'elle les comprenne, et à peine commençait-elle à essayer d'en examiner une en particulier qu'elle était déjà remplacée par une autre. Elle avait l'impression que son esprit était une volière dans laquelle aurait éclaté un pétard, effarouchant tant les oiseaux s'y trouvant qu'ils se regroupaient en s'enfuyant en une masse informe et compacte, et se heurtaient les uns aux autres avec plus ou moins de violence dans une cacophonie insupportable.
Finalement, une conviction se détacha du reste. Faiblement au début, puis avec de plus en plus de force.
Elle ne voulait pas la voir.
Claire baissa les yeux sans un mot, focalisant son attention sur ses mains posées sur ses cuisses. C'était égoïste, non ? Sa manière de réfléchir. Elle ne pouvait pas juste dire "va-t’en" à Chiara. Elle ne pouvait pas juste lui reprocher de ne pas être venue.
Elle aurait pu
si elle avait été
quelqu'un d'autre.
Quelqu'un qui en valait la peine. Or, elle n'était...
Qu'elle.
...Et c'était déjà une raison suffisante pour qu'elle la comprenne. Elle n'avait pas le droit d'être en colère, ni d'être triste ou déçue. Elle s'en voulait de se sentir blessée. Car au final, c'était sa faute si elle avait été naïve. C'était sa faute, si elle s'était brulée.
Comme d'habitude.
Chiara poussa un petit soupir.
<<- Tu es en colère pour hier, pas vrai ? Demanda-t-elle à voix basse.
-...Non. Mentit la musicienne en réponse après quelques instants, avant d'hausser les épaules quelque peu. Pourquoi je serais en colère ?
Elle reporta son attention sur la fenêtre pour ne pas avoir à soutenir les yeux de son interlocutrice. L'ampoule de l'infirmerie donnait aux carreaux des reflets lumineux, dont elle tenta de déterminer la couleur distraitement.
Elle sentait le regard de la sportive peser désagréablement dans son dos.
- Tu m'as attendue ? Questionna cette dernière de nouveau, son intonation se faisant étrangement plus douce.
- Non.>> Asséna immédiatement la musicienne d'un timbre plus étranglé, bien trop vite néanmoins pour être plausible.
Elle leva légèrement la tête vers le plafond. Les dalles avaient un motif zébré absolument immonde. Elle fût cependant soulagée de les trouver là, pour pouvoir se concentrer dessus. Ses yeux la piquaient, ce qui était vraiment désagréable.
Claire ferma les paupières. Le motif était toujours imprimé sur sa rétine.
<<- Ce n'est pas comme si on était amies, de toute façon...>> Ne put-elle néanmoins se retenir d'ajouter amèrement, plus pour elle-même que pour être réellement entendue.
Elle aperçut du coin de l'œil sa camarade tiquer légèrement. L'attention de la musicienne coula jusqu'à Chiara, qu'elle observa suspicieusement. Cette dernière la fixa en silence, soutenant son regard émeraude, vert comme une forêt en temps de pluie. Ce devait être la moisson, dans l'univers de ses iris; il pleuvait tellement que ses yeux allaient déborder.
<<- Qu'est-ce que tu veux, Chiara, en vrai ?>> Murmura d'une voix fatiguée la guitariste en passant sa main dans ses cheveux, ne laissant que quelques mèches oubliées tomber sur son front.
Son interlocutrice se gratta la joue nerveusement, ne sachant que répondre. Son manque de tact l'avait prise de court, et elle semblait perdue entre les différentes réponses qu'elle pouvait donner.
La brune ramena ses jambes vers elle pour s'assoir en tailleur, froissant ses draps qui s'accumulèrent en des montagnes et vallées de tissus inégales à ses pieds. Elle sentait les vagues de non-dits flottant dans l'air devenir de plus en plus grosses, se gonflant pour venir s'écraser contre elles avec force, essayant de les entraîner avec elles. La jeune fille flancha, effleurant par réflexe la couverture du bout des doigts pour se retenir.
<<- J'aimerais...Qu'on passe plus de temps ensemble.>> Hasarda finalement la volleyeuse, sa phrase peinant à se faire entendre dans le bruit fracassant de la quiétude environnante.
La marée reflua.
Claire la contempla avec impassibilité un instant; avant de froncer les sourcils en plissant le nez, suspicieuse.
<<- Je ne mens pas ! S'exclama son interlocutrice vivement en voyant son expression troublée. S'il te plaît, Claire ! Soyons amies ? Reprit-elle avec plus d'assurance en se penchant inconsciemment en avant, dérangeant les mèches reposant contre l'arrête de son nez.
- Euh, je...Je...Balbutia cette dernière en esquissant un mouvement de recul rapide par réflexe, dévisageant la jeune fille comme le ferait un chat sauvage qu'on aurait approché trop soudainement. Oui...? Finit-elle par accepter en détournant le regard, crispée.
Son geste brusque l'avait fait sursauter.
La musicienne passa sa main derrière sa nuque d'un geste automatique, dérangeant les cheveux bruns y reposant. Ceux de Chiara glissèrent sur ses épaules fluidement, jusqu'à chuter contre le matelas en des arabesques liliales élégantes. Cette dernière n'y fit pas attention, trop occupée à fixer son interlocutrice de l'air le plus sérieux qu'elle possédait, comme pour lui prouver sa sincérité. Son visage s'illumina après la réponse de cette dernière, et un large sourire fendit son visage alors que ses yeux se mettaient à briller avec une excitation se trahissant sur ses traits.
- Vraiment ?! S'enthousiasma-t-elle vigoureusement en se penchant d'avantage, radieuse.
Sa camarade ne possédait visiblement aucune notion de l'espace vital.
Chose que la brune affectionnait pourtant particulièrement.
- O-Oui...Répéta cette dernière en se décalant de nouveau, avant de se racler la gorge pour se reprendre, de plus en plus perturbée par les étoiles qu'elle devinait dans ses iris. Pourquoi tu as l'air aussi heureuse...?
Claire esquissa une moue troublée. Elle ne comprenait décidément pas...Le comportement de son interlocutrice était plus que suspect. Déjà, pourquoi une personne comme elle voudrait passer du temps avec...Elle ? Ca n'avait aucun sens.
Ce n'était pas comme si la guitariste était particulièrement intéressante non plus.
Elle n'était pas grand-chose, en fait.
Elle se demandait vraiment ce qu'elle voyait en elle qui la poussait à s'accrocher de la sorte...Peut-être un sentiment ? De la culpabilité, à cause de la veille ? Peut-être de la panique, à l'idée que son image pourrait en pâtir ? Bêtises. Elle ne trouvait rien de satisfaisant pour expliquer son comportement, et plus elle y pensait, et plus elle avait mal à la tête. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Chiara continuait de rayonner devant elle, si lumineuse que la lycéenne alitée plissa les yeux pour ne pas se faire aveugler de nouveau. Comment était-il possible qu'un humain soit aussi éblouissant ? Se demanda-t-elle mentalement, sceptique. Peut-être qu'elle mangeait des ampoules. Ou des piles: ce qui expliquerait son énergie débordante.
Sa visiteuse ouvrit la bouche pour parler: elle se fit néanmoins interrompre par un bruit assourdissant provenant de la porte de l'infirmerie, laquelle venait de heurter brutalement le mur tant elle s'était ouverte brusquement.
La guitariste sursauta de nouveau, alors que la jeune fille aux cheveux blancs se retournait rapidement sur son tabouret pour voir le nouvel arrivant. De là où elle était, Claire vit cette première blêmir soudainement.
<<- AH-AH !>> Claironna une voix féminine amplement reconnaissable, alors qu'une silhouette victorieuse se dessinait sur le pas de la porte.
Claire se pencha sur le côté pour mieux voir, la sportive à ses côtés l'empêchant de pouvoir discerner correctement l'entrée. Elle s'étouffa presque lorsque ses soupçons furent confirmés, et que son regard chamboulé tomba sur une Cassiopée pointant du doigt Chiara d'un air mi-accusateur, mi-triomphant.
<<- Cassiopée ?!>>
Comme ne remarquant qu'alors sa présence, l'interpellée dirigea ses yeux ébènes vers elle. La musicienne lâcha un oof sourd lorsque la malgache se précipita sur elle pour la prendre dans ses bras, lui donnant accidentellement un coup d'avant-bras dans le nez.
<<- Qu'est-ce...-
- Claire, comment tu vas ?
- Pardon...?-
- Je suis désolée, j'ai essayé de prendre pour toi mais quelqu'un a pris mon rôle. S'affligea son amie en poussant un profond soupir, appuyant avec un air lourd de sens sur certains mots de sa phrase.
- Ah ? >> Articula Claire difficilement d'une voix étouffée par le tissus de son pull, faisant mine de comprendre de quoi elle parlait.
La guitariste faillit poser des questions pour éclaircir les choses: mais en voyant l'expression contrariée de son interlocutrice, elle laissa tomber l'idée. Cassiopée n'était pas du genre à s'énerver facilement; et elle savait d'expérience que ressasser ce qu'il s'était passé ne ferait que l'irriter d'avantage. La jeune fille se contenta donc de lui tapoter le dos de manière réconfortante maladroitement, se concentrant sur son geste pour tâcher d'oublier la douleur la tiraillant au niveau du nez.
Son attention coula jusqu'à Chiara lorsque sa camarade la relâcha finalement, gonflant au passage ses cheveux d'électricité statique créée par leur frottement contre la laine de ses vêtements. Son regard ne rencontra cependant que du vide: sa camarade avait déjà disparue, si discrètement qu'elle aurait douté qu'elle soit même venue en premier lieu si il ne restait comme preuve de son passage un tabouret vide à côté du lit.
Claire soupira faiblement.
Heureusement que c'était le week-end à la fin de la journée...Car plus le temps passait, et plus elle avait l'impression de ne plus rien contrôler.
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<<- Alors ?
- Tu as vraiment laissé une trace sur le mur, Cassie. Confirma Claire, ses yeux presque admiratifs coulant sur la marque qu'avait laissée le choc de la poignée contre le plâtre. Quelle force impressionnante ! C'est des femmes intimidantes comme toi qui font battre mon cœur ! Commenta-t-elle mielleusement en se redressant, un grand sourire railleur étirant ses lèvres.
-...La prochaine fois, ne compte pas sur moi pour venir. Maugréa la lycéenne aux cheveux noirs en portant la main à son front, visiblement exaspérée.
- Un jour, ma Cassiopée, viendra.~ Un jour, elle cassera un mur pour moi.~ Chantonna très suavement la guitariste en joignant les mains sur le côté de son visage d'un air de princesse éperdue rêvant au grand amour, pas le moins du monde sensible à sa nervosité. Un jour...~ Fuck, voilà l'infirmière !
- Quoi, vraiment ?!
- Non. Répondit la brune en lui adressant un clin d'œil charmeur, avant de lui tirer la langue malicieusement. Sucks to be you.
- Claire, bon Dieu ! Jura son amie d'une voix bourrue en lui assénant une tape mécontente derrière la tête, avant de tiquer en s'exclamant. Aïe ! C'est pas vrai que en plus, tu oses m'électrocuter ?! S'offusqua-t-elle lorsqu'un coup de jus la fit se crisper faiblement, et ramener prestement sa main vers elle avec une moue fortement réprobatrice.
- Tu as activé ma carte face cachée! J'utilise les lois de la physique...->> Commença à déclamer emphatiquement son interlocutrice en prenant une pause de circonstance.
Elle ne put néanmoins finir sa tirade, car Cassiopée la saisit par la manche pour sortir de la pièce sans la laisser finir, la tirant à sa suite en levant les yeux au ciel comme pour implorer une aide divine.
<<- Aah, tu m'agaces vraiment. Souffla-t-elle en secouant doucement la tête avec consternation. Partons avant que tu ne nous portes la poisse.>>
Une ombre de sourire ourlait ses lèvres. Cassiopée n'était plus en colère.
Les épaules de la guitariste s'affaissèrent imperceptiblement.
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<<- Bybye, Cassiopée.
- À toute, Claire.>>
Les deux jeunes filles se tapèrent dans la main avec complicité, avant de poursuivre leurs chemins respectifs. Claire tira sur les sangles de son sac pour raccourcir ses bretelles, prenant le chemin du parking pour deux roues encore une fois. Encore une fois, une silhouette aux cheveux ivoires attira son attention. Elle ne s'arrêta néanmoins pas, cette fois-là. La lycéenne se contenta seulement de ralentir quelque peu prudemment, avant de se planter avec moins d'assurance que prévu devant son véhicule.
Chiara était assise sur sa selle, une jambe pendant dans le vide. Précédemment occupée à faire défiler l'écran de son portable de son pouce, elle releva la tête en entendant les graviers crisser sous les semelles de la brune.
Les nuages défilaient rapidement au-dessus de sa tête, s'assemblant et se fractionnant en des volutes de fumée blanchâtres disparaissant comme des fantômes, sans bruit. On aurait dit la toile d'un artiste indécis, traçant des lignes impétueuses de son pinceau avant d'estomper pour recommencer, encore et encore. La jeune fille aux cheveux blancs s'y fondait sans mal, comme en faisant elle-même partie: ses yeux étaient de la nuance bleuâtre du ciel, presque luminescents tant ils revenaient clairs sur l'ombre du contre-jour portée sur son visage. Claire avait presque l'impression que si elle la touchait, ses doigts se tâcheraient de la peinture utilisée pour la dessiner.
Il y avait quelque chose de vertigineux à percevoir le monde bouger autour de soi d'une telle manière. Autour d'elles, la vie continuait, la Terre tournait, les nuages filaient, comme faisant la course. Le dernier qui meurt a perdu.
La lycéenne ancra ses pieds dans le sol inconsciemment.
<<- Que fais-tu là ?>> Questionna la guitariste d'une voix impassible, insondable.
Son interlocutrice éteignit son téléphone d'une main, avant de le faire glisser dans la poche du sac à ses pieds. Elle tenait dans l'autre un paquet de feuilles de différentes nuances de couleur reliées entre elles par un ruban noué en un double nœud serré, dont les extrémités se balançaient doucement contre ses mitaines.
Feuilles qu'elle tendit à sa camarade après s'être redressée, sa position d'équilibre précaire défiant la gravité.
<<- On rentre ensemble ?>> Proposa-t-elle en souriant joyeusement.
Claire contempla un instant ce qu'elle lui tendait sans comprendre, perplexe. Son regard dériva jusqu'à ses mains, dont la peau pâle contrastaient avec les teintes chaleureuses et sombres de son bouquet.
Constatant que le silence s'éternisait, elle saisit ce qu'elle lui tendait d'un geste hésitant, ne pouvant néanmoins s'empêcher de laisser ses yeux s'appesantir sur le phénomène encore un instant. Elle se força à reporter son attention sur ce qu'elle venait de récupérer, et tenait précautionneusement dans ses paumes.
Il fallait dire que les feuilles avaient l'air d'avoir été choisies avec soin: aucune n'était humide, ou abîmée. Toutes se dressaient même plutôt dignement dans ses mains, comme enorgueillies par l'attention dont elles faisaient à présent l'objet.
Ce qui rendait la chose d'autant plus loufoque, bien sûr. Elle n'aurait jamais pensé pouvoir un jour employer de tels adjectifs pour décrire des feuilles mortes.
La musicienne ne put s'empêcher d'esquisser un sourire amusé. Elle n'était plus sûre d'être vraiment surprise d'avantage par les lubies de la capitaine de l'équipe de volley.
<<- Tout dépend de la pertinence de ta réponse. C'est quoi, ça ? S'enquit-elle d'une voix neutre en contemplant son interlocutrice d'un air le plus sérieux possible.
- C'est un bouquet. Expliqua Chiara sans se démonter. C'est moi qui l'ai composé.>>
Le sourire de Claire s'élargit.
<<- C'est bizarre.>>
Chiara garda le silence, la fixant avec une attention si pesante que la brune la capta, et releva la tête. La lycéenne semblait attendre quelque chose, presque avec appréhension et impatience.
Elle ne l'avait encore jamais vue comme ça; d'ailleurs, jamais elle n'aurait pu imaginer que la jeune fille aux cheveux blancs pourtant si assurée puisse avoir de telles expressions. La guitariste ne fût pas sûre d'apprécier cette découverte: elle ne fût pas non plus vraiment réjouie de s'en sentir responsable.
<<- ...Enfin, je ne voulais pas dire bizarre bizarre, mais seulement bizarre dans le sens positif ! Comme, c'est original...!>>
Sa camarade resta silencieuse. Claire s'empourpra avec embarras, continuant son monologue qui devenait de plus en plus confus au fur et à mesure qu'elle développait, malgré tous ses efforts -désespérés- pour redresser le tir. Plus elle se rendait compte que ses propos ne rendaient pas du tout comme ils le faisaient dans son esprit une fois prononcés, et plus sa voix devenait pressée et basse, jusqu'au point où elle ne fit plus que paniquer et buter sur ses mots.
<<-...Enfin, je n'utilise pas original parce que je ne trouve pas ça beau, hein, car c'est pas du tout le cas. Attends ! Dans le sens où c'est beau, pas le contraire ! En fait...En fait, j'aime beaucoup.>> Déclara-t-elle dans un souffle d'une voix fatiguée, capitulant finalement à se rattraper, puisqu'elle ne faisait qu'empirer les choses de toute façon.
La musicienne esquissa un pauvre sourire, avant de rigoler nerveusement en détournant le regard. Elle passa l'une de ses mains derrière son cou pour se frotter la nuque anxieusement, dérangeant ses cheveux bruns aux reflets cuivrés qui glissèrent irrégulièrement sur ses épaules. La guitarise se cacha de son mieux derrière les mèches inégales se balançant devant son visage et encadrant sa mâchoire, comme si cela lui permettrait vraiment de disparaître. Elle trouva un peu de réconfort dans la froideur de la paume de sa main contre sa peau, qui contrastait assez avec sa température temporelle pour lui procurer un frisson. Elle était brûlante d'embarras.
Le visage de Chiara s'illumina, se fendant d'un large sourire faisant pétiller ses yeux.
Claire la fixa d'un air hébété un instant; avant de froncer les sourcils, l'un des coins de ses lèvres se relevant en une moue crispée d'incompréhension la plus totale.
Heh. Ricana intérieurement la musicienne, ses yeux plissés perturbés dévisageant le visage de sa camarade, qui rayonnait avec contentement en face d'elle. Est-ce qu'elle l'avait même écoutée ? Apparemment pas, ou alors seulement sa dernière phrase.
Ce qui devrait la soulager, certes, mais...
Pourquoi ne se mettait-elle pas en colère ? Elle aurait presque préféré. Elle avait l'impression de la tromper...Elle n'était pas honnête avec elle. Chiara était...Chiara, et elle, elle était elle: et elle ne devrait pas lui sourire de la sorte, elle ne devrait pas lui parler si chaleureusement, et elle ne devrait définitivement pas être si amicale avec elle. D'ailleurs, rien de tout cela ne devrait arriver. Au final, elle allait juste lui faire de la peine, à elle comme à tous les autres, car c'était la seule chose qu'elle savait faire bien. Elle avait trop de noirceur en elle, un gouffre où les rayons du soleil disparaissaient, écrasés par la pression qu'il renfermait. Elle ne voulait pas abîmer la lumière de Chiara. Elle ne voulait pas être la cause de sa perte.
Elle ne voulait pas être un Icare et se brûler—mais cela ne voulait pas dire qu'elle souhaitait rendre le soleil moins lumineux. Elle refusait de blesser qui que ce soit. Elle préférait se détruire elle-même mille fois plutôt que faire du mal aux autres.
<<- Tant mieux, car je l'ai fait pour toi ! Je sais que tu aimes le rouge.
Cette dernière la tira justement de ses pensées. La brune cligna des yeux, peinant un instant à se replacer dans le moment présent.
Elle inspira.
Elle se sentait comme un plongeur remontant à la surface après être resté en apnée trop longtemps.
- Vraiment ? Comment ? Questionna-t-elle en reportant son attention sur elle, avant de passer sa main dans ses cheveux pour y remettre de l'ordre, assez vainement, d'ailleurs.
- Ah, euh...Balbutia nerveusement son interlocutrice en marquant un temps d'arrêt, avant de rigoler d'un air léger sonnant un peu faux en se grattant la joue. Tu en portes souvent...?
- Ah bon ? Ah...Peut-être. En tout cas, c'est vrai que j'aime bien, donc bien vu.
- Ahah...Bref !>>
Elle sauta sur ses pieds souplement, sa jupe se gonflant de vent avant de retomber sur ses cuisses négligemment. Le vélo protesta avec un grincement, auquel Claire ne prêta aucune attention, trop soulagée de voir la jeune fille qu'elle connaissait et sa bonne humeur éreintante de retour. Lorsqu'elle était préoccupée, elle avait l'impression qu'elle se transformait complètement pour devenir une autre personne. Même l'atmosphère devenait un peu étrange, comme influencée par ses humeurs.
Chiara avait un pouvoir puissant sur le monde autour d'elle.
Elle n'était pas sûre qu'elle s'en rende compte.
<<- Je prends ta réaction pour un oui, donc allons-y !>> S'exclama justement sa camarade en posant son casque sur sa tête d'un geste dynamique, la sortant involontairement de ses pensées.
La guitariste se détendit légèrement, influencée par sa bonne humeur communicative. Elle contempla sa camarade se débattre avec l'attache de son casque, qu'elle peina d'abord à attraper, puis à accrocher, les cheveux tombant sur sa mâchoire lui compliquant la tâche. Après un moment à être spectatrice de ses efforts, elle renifla, avant de rioter dans le col de sa veste.
<<- Saperlipopette...
- Pff...->> S'étouffa la brune en entendant son juron, portant la main à sa bouche pour feindre une nouvelle fois une toux sèche.
Elle entrouvrit les lèvres...
Et éclata de rire.
C'était trop.
<<- Hey ! Se récria la volleyeuse.
- Bahahaha...- Gloussait néanmoins sa camarade sans retenue à présent, ses épaules tressautant à cause de son hilarité. D-Désolée...Balbutia-t-elle d'une voix serrée et saccadée entre deux éclats de rire, peinant à rattraper son souffle. Désolée ! C'est…Juste que je suis fatiguée, et tu...Tu...- Bahahaha !>>
Elle avait oublié de décompresser.
C'était sûrement ça: les plongeurs, en remontant, s'arrêtaient à des paliers précis pour laisser le temps à leurs organismes de s'habituer à la pression de moins en moins soutenue. Le décalage entre son imaginaire et la réalité était si grand qu'il en devenait ridicule: et elle, elle avait été propulsée de l'un à l'autre sans temps d'adaptation.
Elle évacuait juste la pression.
<<- Excuse-moi. C'est bon ! Promis, j'arrête. S'excusa Claire en levant les mains devant elle en signe d'honnêteté, un peu gênée à présent de son élan de bonne humeur inhabituel. Si tu pouvais oublier ça, ça m'arrangerait, en fait. Ajouta-t-elle en posant son bouquet précautionneusement dans son panier de fer cabossé, prenant grand soin à lui tourner le dos pour dissimuler ses joues s'empourprant avec embarras.
Elle était mal à l'aise. Qu'est-ce qu'il lui avait pris, au juste ? Normalement, elle se maîtrisait mieux que ça...Elle avait honte de son comportement.
- Mn.~ Je ne sais pas...Résonna la voix faussement hésitante de son interlocutrice dans son dos, la faisant se crisper et tiquer imperceptiblement.
- Ah ?
La guitariste reporta vivement son regard sur elle en blêmissant, alarmée.
Chiara inclina faiblement la tête sur le côté, ses mèches blanches se balançant devant son visage avant de s'arrêter contre l'arrête de son nez. Ses mains étaient jointes dans son dos, et les lanières de son casque entouraient à présent sa mâchoire, fermement attachées l'une à l'autre.
- Je rigole ! Bien fait. Se moqua-t-elle facétieusement de sa voix harmonieuse et suave, avant de lui tirer la langue puérilement. Œil pour œil, dent pour dent.~ Chantonna-t-elle avec une légèreté puérilement, visiblement très satisfaite de la réussite de sa blague.
Son interlocutrice lâcha un râle de frustration sonore en laissant tomber sa tête en arrière, avant de reporter son regard vers la volleyeuse pour lui lancer une œillade appuyée exprimant toute sa contrariété et sa consternation.
- Mais ne t'inquiètes pas. Chuchota cette dernière en barrant ses lèvres de son doigt d'un air de conspiratrice mystérieuse, avant de continuer avec un sérieux inébranlable. Je ne dirai à personne que tu es super mignonne quand tu rigo...-
- AAAAAAAAAAA je crois qu'il est temps que je te ramène chez toi !>> La coupa brusquement la guitariste en saisissant le guidon de sa bécane, s'éloignant déjà d'un pas vif en direction de la sortie du parking dans le crissement de ses roues accrochant les quelques graviers se trouvant sur le bitume.
Chiara éclata de rire derrière elle. Les oreilles de la musicienne s'accordaient avec celle rouge sombre des feuilles tressautant dans le panier, subissant avec impuissance les déformations de la route et son allure rapide.
<<- Claire.~ Claire ! Tu pars sans moi, là !
- Non, jure ? Ironisa sarcastiquement l'interpellée d'une voix dissonante, brûlante.
- Quoi ?! Tu me laisserais vraiment là, seule, dans le froid, à la Mercie de...- Déclama dramatiquement Chiara en portant la main à son front théâtralement, avant de se couper en constatant que son interlocutrice, bien loin de s'arrêter, enjambait déjà sa selle agilement. Non non non ! Attends ! Attends-moi !>>
Claire soupira.
✦
<<- Bienvenue !>>
Les portes coulissantes se refermèrent derrière Claire, immobile à l'entrée du magasin. Ses semelles dépassaient de la limitation du carreau noir sur lequel elle se tenait, pièce du carrelage constituant le sol du magasin et s'étendant autour d'elle comme un échiquier.
La lycéenne se demanda brièvement quelle pièce elle serait, sur un terrain taille réelle. Peut-être un pion; un soldat insignifiant, combattant de son mieux avec son cœur et son épée. Une épopée en un acte, qui verrait son apogée et son déclin tragique; car, pourquoi être un soldat, si ce n'était pour mourir sous l'adversité ? Danser avec la mort sur un champ de bataille, au centre de terre piétinée par les semelles des armures et de fleurs écrasées qui, comme de nombreux autres soldats, ne se relèveraient jamais.
Elle savait très bien, néanmoins, qu'elle serait le fou. Elle l'était déjà, parce qu'en voyant que la dame qui l'avait accueillie n'était pas Chiara, elle n'avait pu s'empêcher de se sentir déçue. Ce qui était stupide, bien sûr.
Elle n'était pas là pour elle.
<<- Bonjour, madame.>>
La guitariste se força à sortir de ses pensées pour saluer en retour la caissière, avant de s'aventurer dans les rayons prestement pour se soustraire de sa vue. Elle s'était enfoncée si loin dans ses pensées qu'elle avait l'impression de percevoir le mouvement des autres pièces autour d'elle. Elles glissaient sur le carrelage comme des fantômes dans un chuintement sifflant, bougées par mains invisibles tentant de remporter la victoire sur une partie se déroulant dans un autre univers que le sien.
Elle se sentait presque coupable de ne pas suivre les lignes noires en diagonale.
Elle pensait vraiment que Chiara vivait ici, cependant. Elle avait été bête. Juste parce qu'elle descendait là, cela ne signifiait pas que sa famille tenait le magasin. Peut-être travaillait-elle à mi-temps ? Songea la musicienne en saisissant distraitement un produit. Elle ne serait même pas surprise. Dès qu'elle pensait avoir fait le tour de la jeune fille, et l'avoir cernée assez pour commencer à la comprendre, elle sortait une nouveauté qui faisait voler tout son travail en éclats et la laissait perdue au milieu de débris de certitudes et de confusion.
Claire poussa un soupir, ses épaules s'affaissant quelque peu. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, de toute façon ? Elle n'aurait certainement pas le temps de s'habituer plus que ça avant qu'elle ne se lasse d'elle, et ne tourne sa bienveillance vers quelqu'un d'autre. Quelqu'un de plus sociable, de plus drôle, de plus talentueux qu'elle. Elle comprenait, mais elle était quand même un peu jalouse...Elle, elle ne pouvait pas s'abandonner de la sorte.
Elle reporta son attention sur le produit qu'elle tenait dans sa main, et le contempla d'un air interdit puis hébété, comme ne se rappelant qu'alors de sa présence. Elle esquissa après coup une moue frustrée en fronçant les sourcils, et chercha du regard sa place dans le rayonnage pour le reposer.
Fichue Chiara, à la déconcentrer même quand elle n'était pas là. Ce n'était pas du tout ce qu'elle voulait.
Un rapide coup d'œil sur le reste des étalages lui fit pousser un nouveau soupir, plus profond. Claire passa sa main dans ses cheveux en secouant doucement la tête, emmêlant ses doigts avec ses mèches brunes en pagaille.
Ce n'était même pas son rayon.
La guitariste enjamba un carreau blanc souplement, avant de reprendre son errance dans le magasin. Ses yeux coulaient sur les articles, sans vraiment les voir; elle ne discernait vraiment que des nuances de couleur sans queue ni tête qui défilaient au fil de ses pas. Plus vite elle trouverait, et plus vite elle partirait d'ici; seulement ce n'était pas aussi simple. Elle devait être très fatiguée, voire même malade, car elle n'arrivait pas à se concentrer.
<<- Ah, bah voilà.>> Souffla-t-elle avec soulagement lorsqu'elle déboucha enfin sur le bon rayon.
Son regard se verrouilla sur sa cible: un paquet de farine.
Elle en avait besoin. Sur la liste laissée sur le frigo par sa mère le matin-même, le produit avait été entouré trois fois; c'était que ça devait être important.
Ce n'était pas une excuse pour venir dans ce magasin, qui n'était pourtant pas sur son chemin. C'était juste le plus près dans un rayon périphérique autour de chez elle, propos validé par Googlemap. Elle avait toujours voulu venir de toute façon, mais n'avait juste jamais trouvé le temps. Chiara, dans tout ça, n'était qu'un contre temps.
Le sourcil de Claire tiqua imperceptiblement. Aah. S'agaça-t-elle intérieurement en se frottant la nuque, avant de relever la tête, ennuyée.
Fool.
<<- Bien sûr, c'est tout en haut...>> Maugréa-t-elle dans sa barbe, reportant sa frustration sur autre chose pour se changer les idées.
Elle tendit la main, mais capitula avant même de réellement essayer en constatant que sa taille ne suffirait pas. La lycéenne lança un regard noir à l'objet hors d'atteinte, relativement énervée à présent. Rien n'allait, ce matin-là. Le paquet de farine la regardait de haut depuis sa position de supériorité. Oh, comme il devait se croire en sécurité.
Plus pour longtemps. Fulmina la brune en pinçant les lèvres, avant de balayer les alentours du regard, à la recherche attentive d'un tabouret ou d'un objet assez solide pour lui servir de support.
C'était ridicule, évidemment. Elle s'en rendait compte: c'était un caprice idiot, étant donné que d'autres paquets de différentes marques étaient disposés sur des étagères plus accessibles, renfermant le même contenu que celui qu'elle visait avec tant d'acharnement à des prix restant globalement les mêmes. Mais...Elle avait besoin de sentir qu'elle avait encore un peu de contrôle sur le monde autour d'elle; lequel depuis quelques temps paraissait s'amuser à se servir d'elle comme d'une marionnette de spectacle.
Eh bien, la représentation était terminée. Elle tirait sa révérence; il était temps pour elle de regagner sa juste place dans les ténèbres des coulisses.
La guitariste quitta le rayon d'un pas vif et motivé. Après quelques minutes, elle revint cependant, bredouille. Sa quête avait été infructueuse. Elle semblait être ce qu'on appelait couramment coincée: car, à part des conserves de petits pois pouvant éventuellement lui servir à bâtir un escalier de fortune, elle n'avait rien trouvé. Le magasin était visiblement spécialisé dans l'alimentation; à part des brosses à dents, quasiment tous les produits étaient consommables. Bien sûr, elle ne comptait pas vraiment empiler des cylindres de fer pour atteindre son objectif. Elle n'avait pas besoin d'un diplôme en architecture pour deviner que ce serait un carnage.
<<- Ugh...Rouspéta la jeune fille en relevant la tête vers le paquet de farine, le fixant avec un air mécontent. Tu te crois tellement fort, hein ?>>
Elle tendit la main de nouveau, s'élevant sur la pointe des pieds en prenant appui sur les étagères métalliques à son niveau pour optimiser sa taille. La fraîcheur de ces dernières lui mordit le bout des doigts; mais au moins le frôla-t-elle presque.
Ah. Se réjouit triomphalement la guitariste en esquissant un sourire en coin, retombant sur ses talons agilement. Encore un peu.
Elle réitéra l'opération, s'efforçant de se grandir d'avantage en s'étirant au maximum. Elle aperçut entre ses doigts la couleur de l'objet, qu'elle réussit quasiment à saisir. L'un de ses pieds décolla du sol.
Encore un peu plus...-
Une main se posa sur son épaule délicatement, alors qu'elle était pressée contre le rayon doucement. Claire sursauta violemment, son dos heurtant le torse du nouvel arrivant lorsqu'elle perdit l'équilibre à cause de son mouvement brusque. Elle releva néanmoins immédiatement la tête, soucieuse; elle ne pût que considérer avec impuissance une main pâle s'emparer du paquet de farine contre lequel elle combattait depuis un moment à présent, le soustrayant à sa prise en la coinçant contre l'étalage alors même qu'elle allait enfin parvenir à remporter la victoire.
<<- Hey ! Se récria-t-elle d'un ton coupant en se retournant brutalement, courroucée. J'étais en train de...-
Sa voix mourut dans sa gorge lorsqu'elle capta du coin de l'œil une lueur de blanc mouvant.
-...D-De...- Oh fuck...->>
La guitariste bégaya d'une voix serrée, son cerveau se bloquant sur la nuance qu'elle venait d'apercevoir. Blanc comme un nuage de beau temps, blanc comme les pétales d'un lys, blanc comme de la neige un jour d'hiver, blanc comme...-
Chiara...-
La jeune fille écarquilla les yeux et recula brusquement par réflexe, ne remarquant qu'alors que son espace vital avait été considérablement réduit. Dans son empressement, elle oublia le rayonnage, qu'elle percuta violemment, les barres de fer heurtant rudement ses omoplates dans un bruit métallique grinçant et un crissement douloureusement aiguë. La musicienne s'exclama en grimaçant, se crispant à cause de la douleur passagère raidissant ses membres et du bruit insupportable venant de lui vriller les tympans; avant de s'exclamer de nouveau en apercevant des produits au-dessus d'elle tanguer et chuter de leurs étagères, propulsés dans le vide.
Elle sentait son cœur rater un battement à chaque fois qu'un objet s'écrasait contre le sol dans un bruit sourd et accusateur. Paf, paf, paf. Un, deux, trois.
C'était une catastrophe.
<<- Ouhla, tout va bien ?>> Demanda Chiara en se reculant d'un pas, l'objet de ses convoitises toujours dans sa main, en observant avec des yeux ronds d'inquiétude la musicienne.
Cette dernière garda le silence, lançant plutôt un regard coupable et sincèrement désolé aux produits jonchant le carrelage. Ce n'était que des paquets de farine de marques différentes, ceux-là même qu'elle s'était refusée à choisir. L'un d'eux avait d'ailleurs dû s'ouvrir lors de l'impact, car une brume épaisse et opaque flottait à présent à leurs pieds, se déposant graduellement sur le sol en une pellicule blanchâtre faisant déborder les carreaux blancs sur les noirs et recolorant leurs chaussures.
Claire s'empourpra, honteuse. Elle bredouilla une phrase incompréhensible en baissant la tête, le regard fuyant, avant de se laisser glisser au sol avec un dépit si marqué qu'il paraissait suinter de par tous les pores de sa peau. Elle sentait encore l'adrénaline qui avait coulé dans ses veines électriser son corps et faire battre son cœur, qui résonnait presque trop fort à son goût dans ses tympans.
Son épaule gauche l'élançait toujours un peu, comme pour lui rappeler sadiquement sa maladresse. Ce n'était pourtant pas nécessaire. Si elle bougeait ne serait-ce que d'un centimètre ses pieds, ses semelles crissaient sur la farine qu'elles écrasaient. L'air avait également adopté l'odeur âcre et amère du produit, laquelle lui irritait la gorge et lui piquait les yeux.
Elle ne pourrait jamais, jamais revenir dans ce magasin.
<<-...Tu ne pouvais pas attendre que je me décale...? Maugréa-t-elle en cachant son visage dans ses mains après quelques minutes, sa voix accablée et contrariée étouffée par ses paumes. Si tu ne m'avais pas surprise ainsi, je n'aurais pas...!>>
Claire détourna impérieusement la tête avec un tch agacé comme toute fin de phrase.
Fichue Chiara.
Cette dernière gloussa, pas le moins du monde affectée par ses états d'âme. Visiblement, elle s'amusait même au contraire beaucoup de la situation, qu'elle trouvait fort distrayante.
<<- Tu n'aurais jamais abandonné, je voulais seulement t'aider ! S'excusa-t-elle avec sa légèreté habituelle, un grand sourire fendant son visage.
- Je n'avais pas besoin de toi ! S'offusqua fougueusement son interlocutrice, outrée par son culot.
Elle tiqua néanmoins de nouveau en captant la force et l'agressivité involontaire de sa propre voix, et se mordit l'intérieur de la joue en détournant le regard. Claire ramena ses genoux contre sa poitrine dans une position défensive, avant de reprendre d'une voix plus basse en grommelant:
- J'y étais presque...
- Mh...Bien sûr !>> Acquiesça sa camarade en hochant la tête, son expression moqueuse contrebalançant néanmoins totalement ses propos.
Elle observa Claire, laquelle fixait toujours un point lambda du magasin avec une moue dépitée. La jeune fille esquissa un sourire en coin, avant de déposer le paquet devant elle comme une offrande et de reculer d'un pas pour s'accroupir en face d'elle.
La musicienne lui lança une œillade méfiante. Chiara la scrutait comme on contemplerait un animal sauvage effarouché; comme un chat errant, qu'on tenterait d'amadouer avec des friandises et des bruits de bouche à outrance.
La brune renifla, et la dévisagea encore un peu avant de tendre prudemment le bras vers l'objet pour le saisir. Sa camarade riota de nouveau en la voyant faire; elle se releva adroitement après coup, et se détourna avec énergie pour aller ranger le bazar qu'elles avaient provoqué.
Le temps que la guitariste se relève à son tour, il ne restait plus qu'à nettoyer les restes de farine débordant toujours des carreaux blancs, comme du sable s'écoulant d'un sablier cassé. Claire baissa la tête, mal à l'aise. Le cuir de ses docs martens s'accordaient à ces derniers.
Est-ce que cela signifiait qu'elle avait été mangée par le camp ennemi ? L'échiquier n'était plus que des nuances de couleur se mêlant les unes aux autres. Si elle était le fou noir, Chiara était la reine blanche.
Avec elle à ce rôle, son équipe ne pouvait que gagner. Une reine...Ça lui allait plutôt bien.
Comme percevant son prénom dans ses pensées, la principale intéressée releva la tête. Ses iris saphir se posèrent sur Claire, alors qu'elle se frottait les mains entre elles pour en chasser les restes de farine, lesquels s'évanouissaient dans l'air sagement.
La volleyeuse lui adressa un sourire complice.
<<- Tout va bien ? S'enquit une voix lointaine, que la lycéenne attribua à la caissière qu'elle avait déjà aperçue rapidement.
- Oui.~ T'inquiètes pas Victor, mon amie est juste maladroite !>> Répondit Chiara joyeusement en se penchant au bout du rayon agilement, tournant le dos à l'amie en question pour s'adresser à son interlocutrice.
Claire remonta prestement la fermeture de sa veste contre son nez en s'empourprant de nouveau, avant de récupérer son sac de course en tissus pour y glisser le paquet durement gagné, presque affligée.
Tout ça pour ça.
<<- Pardon...>> S'excusa-t-elle platement dans un murmure en dépassant la volleyeuse, avant de sortir du rayon à pas vifs pour entreprendre de payer ses articles, ayant dans l'esprit l'idée de quitter le lieu au plus vite.
C'était sans compter Chiara, bien sûr, qui la rattrapa sur le parking.
<<- Claire ! L'appela-t-elle en la rejoignant d'un pas enjoué, un sourire lumineux sur son visage.
- Chiara...Répliqua l'interpellée avec lassitude, tout cet échange l'ayant vidée de ses forces. Qu'est-ce qu'il y a ?
- Tu ne m'as pas remerciée.
-...Pardon ?
- Tu ne m'as pas remerciée. Répéta-t-elle, avant d'esquisser un sourire peiné en calant l'une de ses mèches de cheveux derrière son oreille d'un geste fluide délicat. Pour la farine, tu sais ?
- Ah...Souffla la jeune fille du bout des lèvres, avant de transférer son poids sur son autre jambe pour se tourner vers elle et lui faire face, plus alerte. C'est vrai...Désolée. Merci.>>
La sportive secoua la tête de droite à gauche pour toute réponse, avant de poser sa main sur sa hanche dynamiquement, un sourire machiavélique fendant son visage.
<<- Trop tard ! S'exclama-t-elle vigoureusement en la pointant du doigt impérieusement, son air attristé s'évanouissant totalement pour être remplacé par une expression malicieuse faisant pétiller ses iris matoisement. Maintenant, tu vas devoir te racheter !
- Heh.>>
Claire fronça les sourcils.
Pourquoi avait-elle la désagréable impression de s'être fait avoir ? Les iris de la blanche pétillaient, comme miroir d'une galaxie remplies d'étoiles que seule elle connaissait.
Si les yeux étaient vraiment le reflet de l'âme, alors celle de Chiara était magnifique.
La lycéenne scanna son environnement rapidement, à la recherche désespérée de quelque chose, quoi que ce soit, qui pourrait l'aider à sortir de là. Aide...Qu'elle ne trouva pas, évidemment, ça aurait été trop facile. Le seul être vivant à la ronde était un vieux chat errant grassouillet, qui disparut d'ailleurs au tournant de la rue au moment où elle le remarquait, vaquant à ses propres occupations. Claire plissa le nez dans une moue de réprobation agacée. Elle détestait vraiment ces animaux...Tsk. Jamais là quand on avait besoin d'eux. Maintenant, elle pouvait dire qu'il n'y avait pas un chat.
La brune ricana nerveusement. Ahah...
<<- Que dois-je faire...?>> Abdiqua-t-elle finalement dans un énième soupir fatigué, sortant le drapeau blanc face à la ténacité de son interlocutrice, dont l'expression décidée la découragea avant même que l'idée de lui résister ne fleurisse dans son esprit.
Le visage de Chiara s'illumina suspicieusement aux yeux de la musicienne, qui se tint inconsciemment sur ses gardes, se crispant faiblement. Son sourire ne lui disait rien qui vaille...
<<- Je veux...>>
Cette dernière fit semblant de réfléchir, posant son doigt sur sa joue d'une manière songeuse en inclinant la tête. Elle émit un mhhhh concerné appuyé, prenant le temps de réfléchir sérieusement avant de reporter son attention sur sa camarade. Elle l'observa d'une expression insondable le temps d'un instant. Elle semblait peser le pour et le contre, releva la musicienne en remontant le col de sa veste sur son nez, soutenant néanmoins le bleu luminescent de ses yeux plongé dans les siens.
<<- Je sais ! Clama-t-elle après quelques secondes, ses épaules s'affaissant faiblement alors qu'elle se relâchait pour adopter une posture moins exagérée et plus naturelle. Je veux un...!->>
Une voiture passa à toute allure sur la route bordant le parking, les pneus crissant sur les irrégularités et les nids de poule remplis de graviers de la route. Claire secoua la tête, certaine d'avoir mal entendu, la fatigue n'aidant pas.
<<- Tu as dit quoi ?
- Je veux un baiser.>> Répéta Chiara le plus sérieusement du monde, avant d'appuyer sa phrase en tapotant ses lèvres.
Les deux jeunes filles se scrutèrent.
<<-...>>
La guitariste fixait son interlocutrice d'un regard lourd et appuyé, recherchant sur le visage de cette dernière des signes qu'elle plaisantait. Elle n'attendait que le moment où elle annoncerait qu'elle rigolait avec sa légèreté puérile habituelle, restant obstinément muette; mais le silence s'étirait de plus en plus entre elles, jusqu'à devenir si pesant qu'elle sentit physiquement son poids sur ses épaules. Et avec lui, c'était un océan de non-dits qui déferlaient au-dessus d'elle, les plongeant dans la quiétude angoissante de ses profondeurs.
Elle attendait toujours. Cela devrait arriver d'une seconde à l'autre, à présent.
Chiara s'empourpra, comme ne se rendant qu'alors compte de ce qu'elle venait de dire. Elle s'évertua néanmoins à garder son sérieux, se faisant violence pour ne pas être la première à rompre le contact visuel. Elle releva le menton dans une tentative pour se donner plus de prestance; ce qui échoua principalement à cause du rose poudré de ses joues, détonnant comme la plus vive des couleurs sur la pâleur de sa peau et la blancheur de ses cheveux.
...Ou...Pas.
<<- Ah.>> Lâcha alors la jeune fille d'une voix blanche un peu trop grave, son expression neutre remplacée par une incompréhension ineffable qui lui fit esquisser un demi-sourire figé en un rictus troublé et perdu, ressemblant plus à une grimace qu'à un sourire.
De...quoi ?
<<- Ou...Ou alors, deuxième option ! Enchaîna Chiara en levant un deuxième doigt, reprenant peu à peu contenance en parlant. Tu m'aides à faire ma liste !
- Quelle liste ? Réussit à articuler la musicienne par-dessus le tapage que faisait son cœur, qui battait à un rythme soutenu dans ses oreilles.
Oh gosh. Elle espérait que de là où elle était, Chiara ne l'entendait pas. Cela ne lui arrivait pas souvent de se manifester aussi fortement: il arrivait même parfois à Claire de se demander si elle était encore vivante. Elle posait sa main au centre de sa poitrine, et attendait de sentir les battements contre sa paume: bo-bom, bo-bom. Cela tardait parfois, mais elle finissait toujours par les ressentir. Inconsciemment, sa respiration s'y accordait, devenant moins profonde comme pour s'effacer devant ce bruit imperceptible. Bo-bom, bo-bom. Comme une phrase noyée dans le silence: je suis là. J'existe. Pour combien de temps ? La différence entre les morts et entre les vivants était ce battement. Ce battement faisait que, même mort intérieurement, une personne avait l'obligation de se lever, et de continuer à avancer. Bo-bom, bo-bom. C'était les plus petites choses qui importaient le plus. Un battement d'aile de papillon. Un battement de cœur.
Bo-bom.
Ne m'oublie pas.
Quel tapage. Bo-bom.
Tu es en vie.
La jeune fille tira sur les manches de son pull pour se cacher les mains. Son mouvement dérangea les lanières de son sac, qui glissèrent de son épaule; elle les réajusta, presque soulagée de pouvoir se concentrer sur cette action et sur le tissus rêche et souple qui la déconcentrèrent le temps d'un instant précieux.
- Ma liste de choses à faire avant de mourir.>>
La guitariste reporta son attention sur son interlocutrice, sa voix claire la sortant de ses pensées. Un frisson lui descendit la colonne vertébrale, la faisant souffler doucement. Ah.
Elle dévisagea Chiara, troublée. Elle avait crût discerner une once de solitude dans sa voix: mais déjà, le sentiment avait disparu, si vite qu'elle se l'était sûrement imaginé. Une impression étrange lui collait néanmoins à la peau. Comme si elle avait soudainement été projetée dans l'espace, à des milliards d'années-lumière de son interlocutrice; comme si soudainement, toute la distance séparant les planètes du soleil s'était installé entre elles, tangiblement intangible. L'air s'était déchiré entre elles, formant un gouffre invisible infranchissable juste devant ses pieds. Claire inspira doucement pour dissiper un vertige éphémère, se faisant violence pour ne pas faire de mouvement de recul.
Peut-être l'astre se sentait-il seul.
Cela ne devait pas forcément être agréable, d'être la cause de la mort de ses amants.
La lycéenne se prit à se demander si le Soleil avait culpabilisé du décès d'Icare. Elle se demanda, si il avait pleuré lorsque ce dernier avait chuté du ciel. Des larmes de cire brûlantes, qui auraient incendiées malgré elles sa peau rougissante; la couvrant de cloques éclatantes là où auraient dût se perdre des baisers délicats. Icare criait-il de joie ou de douleur, en tombant du ciel ? Baignant dans la lumière et l'or, alors qu'il devait finir dans l'obscurité et la suie ? Peut-être riait-il, hystériquement, alors que le feu mangeait son visage.
Peut-être que le Soleil aussi, souffrait de ne pouvoir qu'aimer de loin.
Elle aussi voulait mourir dans la lumière et l’or. Elle aussi voulait mourir en chutant du ciel.
Elle voulait briller, juste un peu
avant de disparaître.
<<- Je t'aiderai.>>
Elle avait accepté avant même de réaliser qu'elle avait ouvert la bouche: et lorsqu'elle comprit que la voix qu'elle entendait était la sienne, c'était trop tard.
Son refus non-prononcé se coinça au travers de sa gorge. Fuuuck. Jura la jeune fille rageusement intérieurement, avant de se mordre la lèvre inférieure pour retenir un cri de frustration, atterrée. AAAAAAAAAAA ! Mais qu'est-ce qui n'allait pas chez elle ?! S’admonesta-t-elle toutefois, son sourcil tiquant sur son visage décomposé par sa stupidité.
<<- Vraiment ?
Le visage de son interlocutrice s'illumina d'un sourire chaleureux, alors que ces yeux bleus se remettaient à pétiller avec ravissement. La brune détourna le regard, avant de passer sa main dans ses cheveux et de se gratter l'arrière de la nuque nerveusement, semant le désordre dans sa chevelure.
- Je veux dire...Commença-t-elle, avant de soupirer profondément. O-Ouais. Compte...Sur moi...>>
Elle ne pouvait pas juste dire que sa langue avait fourché: elle n'y arrivait pas. C'était juste au-dessus de ses forces. Ce serait lui donner un faux espoir, ce qui serait odieux de sa part. Ce serait comme jouer avec ses sentiments, et rien que l'idée la rendait malade. Rah...C'était absurde.
Fichue Chiara.
Cette dernière combla l'espace entre elles joyeusement, l'effrayant involontairement.
- Pour la liste !>> Précisa farouchement la musicienne, dont la voix grimpa malgré elle ridiculement d'un octave.
Chiara s'immobilisa à quelques pas d'elle, réussissant étonnement à respecter son espace vital. Elle lui tendit la main.
<<- Deal, alors ?
Claire la contempla quelques secondes sans réagir. Le coin de ses lèvres tiqua imperceptiblement lorsqu'elle imita son mouvement.
-...Deal.>>
La jeune fille aux cheveux blancs lui serra la main.
Diaphane.
C'était le mot qu'elle cherchait, alors que sa peau tannée par le soleil contrastait avec celle quasiment translucide de sa camarade.
Diaphane.
Échec et mat.
Ce chapitre était très intéressant.
Taylor est vraiment insupportable, comment Chiara peut-elle être amie avec elle ?
On découvre Cassiopée sous un nouveau jour, j'ai beaucoup aimé ça.
Tes descriptions sont très bien écrites, j'ai apprécié la métaphore avec le jeu d'échecs, mais parfois il y a quelques pléonasmes, ou répétitions, comme:
"-Non, jure ? ironisa sarcastiquement ..."
Sur ce, je vais lire le prochain chapitre !