CHAPITRE 3
— Palladim ! Dans la taverne de mon père ! Tu venais te venger, ou noyer tes problèmes dans la picole ? attaqua Elisaé avec un rire mauvais.
Contenant sa colère, Ander répliqua :
— Pourquoi m’avoir balancé au professeur ? T'es jalouse de ma magie ?
— Moi, jalouse d'un déchet dans ton genre ? Dégage de chez moi, sale sorcier !
D’abord abasourdi, Ander tenta de calmer le jeu :
— Tu devrais pas écouter les ragots de taverne. A force de supporter ces magiphobes qui viennent se soûler chez ton père, tu deviens comme eux.
— Occupe-toi plutôt de ta sorcière de mère ! Traîtresse en plus ! Capable de se vendre à l'ennemi ! Même ton paternel en est persuadé !
C’en était trop, Ander se rua sur elle, l'attrapa par le col et la plaqua contre le mur. D’abord muette de surprise, Elisaé le provoqua de nouveau :
— Tu vas faire quoi, déchet ? Après l'école, tu veux te faire expulser de la ville ?
Il resserra sa prise autour du col. L'adolescente, grande et bien bâtie, hoqueta malgré tout, tentant en vain d'écarter les serres d'Ander. Chacun se fusillait du regard. Les rares badauds auraient pu croire à une joute amoureuse. Devant son souffle court, le jeune homme réalisa son acte, et, pris de remords, desserra son étreinte et recula, en la fixant toujours :
— T'es bien à ta place dans ce pays pourri. Tu mérites que mon indifférence…
Il fit demi-tour et s'éloigna. Ne voulant pas s’avouer vaincue, Elisaé lâcha:
— J'espère que tu vas crever comme ta chienne de mère !
Un voile rouge tomba devant les yeux du jeune homme. Il fit volte-face et fonça sur elle. D’instinct, Élisaé s'empara d'un pavé abandonné et arma son bras, poussant Ander à se protéger le visage. Ce faisant, le même puissant frisson ressenti avec Jord lui parcourut la colonne vertébrale. L’onde de choc générée propulsa Elisaé et son pavé lancé contre le mur de la taverne. Le bloc de pierre frappa le poignet de l'adolescente qui en sentit les os craquer. Elle poussa un long cri de douleur avant de s’affaisser contre le mur telle une poupée de chiffon. Sidérée, elle contempla sa main pantelante et ensanglantée. Ses hurlements ayant poussé le père d’Elisaé et quelques clients hors de la taverne, le jeune Palladim se trouva sous un faisceau de regards haineux. Le tavernier porta secours à sa fille tandis qu’Ander se faisait cerner :
— Vaurien ! Lâche ! T’attaques les filles ?
Sanglotant, la blessée bredouilla :
— Sorcier… magie ... contre moi…
Le cercle autour d’Ander gronda. Les yeux devinrent noirs et menaçants. L'un des hommes aboya :
— Je le reconnais, c'est Ander Palladim ! Le fils de Cassie, la sorcière ! Il s’en prend à nos jeunes comme un sale Scovien !
Le groupe hostile se resserra encore autour de lui. En plein cauchemar, Ander se mordit la joue. Il n’en revenait pas, comment était-il possible de cumuler autant de problèmes en une seule soirée ? Il visualisait déjà les bras enhardis qui allaient le clouer au sol, bientôt secondés par une patrouille brusquement apparue au bout de la rue. Son instinct de survie l’envahit, il se campa sur les jambes et tendit les bras en avant. Il appela son pouvoir induisant le frisson dorsal salvateur, et lança un charme de lumière. L’ayant étrenné consciemment des centaines de fois dans sa chambre, il était sûr de lui. Devant ses paumes écartées, une minuscule boule lumineuse se dessina, surgissant du néant. Ander sentit ses forces décliner à toute vitesse. Même fragile, le point brillant eut l'effet escompté. Les bras nuisibles refluèrent, le groupe se dispersa en grognant et en vociférant malédictions et insultes. Ander put ainsi détaler à l'opposé des gardes et se réfugia, à bout de souffle, dans son quartier. La silhouette de sa maison le rasséréna, car affronter son père serait finalement la chose la plus facile de la soirée…
Il trouva Jord tassé dans son vieux fauteuil déglingué. C’était seulement là qu’il parvenait à se reposer et méditer. Ses grands yeux noirs perdus dans le vague, il tenait mollement de sa main valide une pipe en bois, pleine d’un tobak rougeoyant. Son autre main était enveloppée d'une épaisse bande. Apercevant son fils, il se redressa. Son visage teinté d'inquiétude avait abandonné toute colère. Ander tenta de filer directement dans sa chambre pour esquiver les douloureuses explications, mais l’homme l’interpela :
— Ah ! T’es rentré… c’est bien… mais je n’en démords pas… je reste sur ma position. Mais… Ça va fils ?
Les yeux ronds, il fixa la mine anéantie de son garçon.
— J’n’ai pas voulu tout ça p'pa… et puis ce soir, dehors, c’était l’enfer…
Les yeux de Jord s'agrandirent de plus belle, sa main valide se crispant sur sa pipe :
— Quoi encore ? Parle, au nom de Jorvassine !
Ander raconta tout, la patrouille, sa fuite, la taverne, Elisaé, le groupe d’excités qui l’avait reconnu et aussi comment il avait dû son salut une fois de plus grâce à la magie… Jord se décomposa, lâchant sa pipe qui claqua au sol dans un nuage de cendres.
— Juste un p'tit sortilège lumineux, p'pa ! Pas dangereux… de l’intimidation…
Le regard incrédule du grand homme se posa un instant sur sa main bandée. Il hurla :
— T'as blessé deux personnes ce soir avec ta magie et t'en as menacé d'autres ! Qui t'ont identifié ! Tu nous as fourrés dans de sacrés problèmes ! Tu vois bien que ça n’attire qu'des galères ! Tout le monde s’est fait, se fait ou se fera avoir… ta mère, c'bon à rien de Pitare et même les Scoviens !
Fixés sur son père, les yeux froncés d’Ander s’inondèrent de larmes silencieuses. Tous deux savaient que la garde municipale viendrait tôt ou tard pour demander des comptes, ainsi que le père d'Elisaé. C'étaient des sanctions en perspective, plus les ennuis de Jord avec son patron, le Maire.
Ander assura :
— C’est pas ma faute, j’ai fait que me défendre ! Et ils ont insulté maman !
— File dans ta chambre… souffla l’homme, les poings serrés et tremblants.
En montant l’escalier, Ander entraperçut une paire d'yeux verts le fixer du haut des marches avant de s'éclipser. Derrière lui, la voix de Jord rajouta sèchement :
— La magie, c’est terminé. J’espère que c’est bien clair…
Ander claqua la porte de sa chambre et s'affala sur son lit. Il repensa à cette vérole d’Elisaé, fanatique endoctrinée par son père, aux magiphobes de la taverne, à la magie en Canamérie qui vivait des jours sombres, et qu’il allait devoir abandonner. Au prix d’un effort, il s'installa cependant à son pupitre, sortit d'un tiroir une liasse de feuilles, et saisit la plume dans l'encrier :
"Monsieur le proviseur Garil, j'ai pris conscience que la magie est dangereuse et indigne de notre pays. Je suis décidé à ne plus m’en servir car..."
Rédiger trente pages sur un tel sujet était trop absurde. Qu’inventer ? Angoissé, il tira sur son écharpe et le pendentif libéré vint se balancer au-dessus de la feuille. Il le fixa, hypnotisé. Sa mère... il avait, comme elle, la magie dans le sang. Mais pourquoi avait-elle sacrifié sa famille, abandonné ses enfants ? Ander s’ébroua et poursuivit sa rédaction :
" ...car ma famille a subi de graves préjudices à cause d'elle. La magie a mué les Scoviens en barbares sanguinaires. Nous ne devons pas nous rabaisser à utiliser leurs pratiques. La science et la technologie sont les seules voies dignes d'être étudiées et pratiquées. Je ne chercherai plus à en apprendre davantage sur cette détestable sorcellerie auprès de..."
Non ! Surtout ne pas écrire le nom de Pitare. Quelle catastrophe pour ce vieil homme ! Il pourrait être mis à mort si ses enseignements venaient aux oreilles des autorités. Ander frappa du poing, faisant vaciller l’encrier. Cette confession forcée, tous ces mensonges, c’était vraiment stupide. Il réalisa qu’il était impossible de consigner trente pages sans tourner en rond. Le proviseur ne souhaitait sûrement pas son retour en classe. Et de toute façon, une fois sa soirée ébruitée par Elisaé, il serait rejeté par tous. Sauf par Pitare ! Il devait le voir le lendemain, sans faute !
C’est avec soulagement qu’Ander jeta à la poubelle la feuille roulée en boule. Puis, posant l'index sur la surface froissée, il se concentra. Sous l’effort, de grosses gouttes de sueur inondèrent son visage et le frisson réapparut. Un mince filet de fumée s'échappa de la poubelle et l'odeur du papier brûlé se répandit. Il attisa la flamme et en quelques secondes l’embryon de dissertation fut réduit en cendres. À genoux au-dessus de sa défunte prose, il pleura de joie, de colère, de peur et de tristesse. Dans la chambre enfumée, le jeune homme semblait se recueillir devant sa propre urne funéraire.
— Non mais ! Ça va pas !
Tiana venait d’entrer dans la chambre de son frère. Elle referma doucement la porte et ouvrit la fenêtre en grand. À l’aide de la liasse de feuilles restante, elle évacua la fumée dehors, tout en apostrophant Ander:
— Papa aurait pu renifler la fumée et monter ! Qu'est-ce qui t'passe par la tête ?
— T’as raison, quel abruti je fais… Ça sent le brûlé dans ta chambre ?
— Non, mais… je... j’ai senti ta magie, dit Tiana en rougissant.
— Mais Tiana, c’est fantastique ! Tu as donc des dispositions, comme maman, comme moi ! C’est aussi pour cela que tu m’as senti arriver à la maison, ce soir ! Tu commences à développer des talents en biomancie, et comme Pitare tu pourras plus tard guérir les gens !
À sa grande surprise, Tiana se braqua :
— Non ! Les gens vont me détester et papa va devenir fou s'il apprend que moi aussi…
— J'dirais rien, Tiana ! Ce sera notre secret…
Les yeux embués de reconnaissance, elle sauta au cou de son frère, et avoua :
— Depuis quelques jours, je sens la présence des gens autour de moi, dans la maison, dans la rue, à l'école, partout... J’étais terrifiée à l'idée de l’évoquer. Même à toi !
— Je dois voir Pitare demain matin, je vais lui en parler ? Il pourra t’aider sur la biomancie.
— Non ! Surtout pas ! Je veux que personne ne sache, à part toi.
— Quand tu te sentiras prête, alors nous irons le consulter ensemble, insista Ander.
Tiana acquiesça et lui demanda, en attendant, de glaner indirectement des conseils. Elle étreignit encore son frère dans ses bras, puis trottina joyeusement jusqu'à la porte, lui souhaitant bonne nuit, avant d’ajouter :
— Reprends ta dissertation. Invente tous les mensonges que tu veux, juste pour calmer les esprits !
Et elle disparut dans le couloir. Ébahi par la maturité de sa sœur, Ander obtempéra intérieurement.
Malgré les événements de la veille, Ander se réveilla de bonne humeur le lendemain. Un soleil matinal montant dans un ciel pur illuminait sa chambre. Une belle journée pour aller voir Pitare. Quand il descendit, son père était déjà parti à l’atelier municipal et sa sœur devait être sur le chemin de l’école. Elle avait pris soin, avant de partir, de lui préparer un solide petit déjeuner dont Ander se régala. Repu de fruits et de tartines, il fit sa toilette. Il finissait de s’habiller quand des coups ébranlèrent la porte. S’approchant de la fenêtre de la salle d’eau, il écarta doucement le rideau.
Il sursauta et transpira brusquement une sueur glacée.
CHAPITRE 4
— Ouvrez ! Garde civile ! Dernière sommation !
Le ton et le bruit des bottes des deux soldats piaffant devant la maison ne présageaient rien de bon. On venait l’embarquer pour interrogatoire à la caserne ou, pire, le jeter dans les geôles. Toujours dissimulé, Ander vit le plus grand des deux tambouriner encore, menaçant d'entrer par la force. Même assumant ses actes, le jeune homme n'avait aucune envie de subir une interminable procédure maintenant, et tremblait en imaginant les mauvais traitements que les magiphobes du Maire lui ferait subir. Il était également trop impatient de voir Pitare, aussi il resta silencieux. Mais quand le garde sortit un passe-partout pour crocheter la serrure, il déverrouilla le loquet de la fenêtre. Dès que les deux gardes s’engouffrèrent dans la maison, il sauta dans la rue et détala jusqu'à se trouver à bonne distance.
Il atteignit rapidement le quartier Nord, le plus étrange de Danecan. Habitations, commerces et artisans miteux s'y côtoyaient, cernés par une forêt dense. Ander aimait bien ces rues de terre battue, sa population disparate et colorée ainsi que les senteurs de sous-bois exhalées par les arbres, dont on percevait la cime au-dessus des toits. La garde civile évitant le coin, l'endroit favorisait toutes les activités douteuses. On trouvait ici la plupart des marginaux et des exclus des autres quartiers de la ville, comme Pitare. Tavernes poussiéreuses servant de l’alcool frelaté, trafiquants en tout genre, herboristes interdits d’exercice, médecins répudiés, voisinaient avec des ingénieurs et des scientifiques exclus des ateliers pour leurs dangereuses expériences sur la vapeur et l’électricité.
Ander esquiva un vendeur de breloques à la sauvette, et approcha de chez Pitare. Le portillon de bois était ouvert. De dimensions discrètes, une plaque de cuivre oxydée y indiquait :
Pitare Zhiyu, magicien guérisseur. Biomancie appliquée. Diplômé de l'académie magique royale de Honkone.
Ander adorait cette plaque, prouvant l’existence, hors de Canamérie, d’écoles de magie et donc d’un monde où elle était une véritable institution. Cela le faisait rêver. Il grimpa les quelques marches qui menaient à la modeste chaumière ronde, en pierres chaulées. La porte s'ouvrait sur une unique pièce, séparée en deux par un épais rideau vert. Au centre de la partie visible, Pitare était assis en tailleur sur une grande natte de chanvre. Les yeux fermés, immobile, il semblait dormir. Mais Ander savait que le magicien recouvrait ses forces. Paupières closes, Pitare murmura :
— Installe-toi, Ander.
Assis à son tour, l'adolescent en profita pour l’examiner. Malgré un aspect physique banal – petit, la soixantaine chétive, peau très pâle habituelle aux Honkoniens, crâne dégarni, visage anguleux sans rides, yeux bridés et barbiche grisonnante – le vieil homme le fascinait depuis quelques décades. Il était toujours vêtu d'une longue tunique verte à capuchon. Leur première rencontre fortuite avait eu lieu dans une rue du quartier alors que le biomancien portait secours à une femme évanouie. Ander l'avait aidé à la transporter à l'abri, et avait été intrigué par la façon dont il l'avait réanimée.
Le magicien prit une grande inspiration, ouvrit les yeux, puis sourit :
— Quelle surprise mon garçon ! Tu devrais être à l'école, non ? Je t'ai attendu hier après-midi pour notre rendez-vous décadaire… que tu ne rates jamais...
— J'ai eu des ennuis, Maître. J'ai été renvoyé… deux décades pour pratique de magie en classe. Et j’ai passé une horrible soirée hier.
Ander narra en détail l’enchaînement des péripéties de la veille jusqu’à la visite matinale de la garde civile. Dubitatif, Pitare prit la parole:
— Tu aurais jeté des sorts puissants malgré toi, Ander ? C'est très étonnant. C'était la première fois ?
— Oui, Maître, ça m’a angoissé…
— Seuls des magiciens expérimentés parviennent à ce niveau de sortilèges. De plus, tu as utilisé deux disciplines magiques différentes, ce qui est remarquable, même incroyable, pour ton âge.
Devant le regard interrogateur du jeune homme, Pitare précisa :
— Tu as brûlé la main de ton père, en utilisant la radiance, discipline qui manipule chaleur, lumière et électromagnétisme, comme tu le sais. Ensuite, tu as projeté cette fille contre un mur. Dans ce cas-là, c’est de la télékinésie avancée, accessible normalement qu’à ceux qui pratiquent cette discipline depuis des années. Tu vas devoir faire preuve de vigilance, Ander… Non seulement ces sorts sont trop dangereux pour être manipulés par un adolescent, mais surtout, tu n'avais pas décidé de les lancer... tu ne les contrôles pas.
— Apprenez-moi à le faire ! supplia Ander.
— J’avoue n'avoir jamais été capable de réaliser ce que tu as décrit. Donc, je serais bien en peine de t'enseigner à contrôler quoi que ce soit. Il te faut contacter un magicien plus expérimenté. Moi je n’ai jamais maîtrisé que la biomancie.
Ander s’assombrit. Ils savaient pertinemment tous deux que les magiciens étaient rares en Canamérie, et les Grands Maîtres inexistants. Pitare le confirma :
— Le roi Jorvassine et ses prédécesseurs ont fait table rase. Il ne reste que des magiciens exilés ou perdus, comme moi. Plus personne ne voudrait s'établir ici, le pays est en majorité magiphobe.
Pour comprendre ce qui lui arrivait, Ander réalisa qu’il n'avait pas d'autre choix que de quitter le pays. Devant la mine déconfite du jeune homme, le biomancien tenta une hypothèse :
— La magie est un art si difficile que ses pratiquants doivent faire de gros efforts pour lancer un sortilège même minime, comme ceux que tu as réalisés avec moi. Quand on perd le contrôle, l’effet s'arrête, se dissipe. Je n'ai jamais entendu dire qu'un sortilège soit lancé sans la volonté du magicien. Surtout de ce niveau ! Tu as ressenti de la fatigue après avoir blessé ton père ou cette fille ?
— J'm'en suis pas rendu compte dans les deux cas… c’était en pleine action…
Pitare caressa sa barbiche, puis lança :
— Nous tenons quelque chose. Les sortilèges ont dû être déclenchés par une émotion forte.
— Ou par un réflexe de défense ? Mon père et Elisaé ont voulu m'agresser…
— C'est effectivement une hypothèse… Tu dois donc apprendre à contrôler tes émotions en attendant mieux, et pour cela, la méditation est le meilleur moyen. Est-ce que tu médites après tes exercices, comme je te l’ai enseigné ?
Ander ne put empêcher ses joues de se teinter d’un beau rouge vif.
— J'ai pourtant bien insisté sur ce point. La méditation est indispensable pour recouvrer ses forces après une dépense magique, si infime soit-elle. Elle permet aussi, avec le temps, d'accroître notre potentiel. Et dans ton cas, elle t'aidera à gérer ta colère et ta peur. Compris ? Maintenant, passons à la pratique. Laisse-moi apprécier ton sortilège lumineux.
Ander prit une grande inspiration et relâcha ses muscles, puis tendit la main droite, paume vers le haut. Il déclencha le frisson. L'air au-dessus de sa main ondula et un petit point lumineux apparut, suspendu dans l'espace, gagnant en intensité et passant progressivement du rouge au jaune, puis au bleu. Il scintillait comme une petite étoile. Au bout d'une minute, Ander n'en pouvait plus, pris de vertiges, un voile noir couvrant ses yeux. Il abandonna le contrôle, et la petite étoile vira au rouge avant de disparaître. Il leva les yeux et vit Pitare qui lui souriait.
— Tu as progressé, mon garçon ! Tu as maintenu la lumière deux fois plus longtemps que la dernière fois, bravo. Et maintenant, tu sais ce qu'il te reste à faire ?
— Oui, Maître. Méditer !
— Va derrière le rideau te reposer, je sens quelqu'un approcher. Sûrement mon rendez-vous. Reste tranquille et ne m'interromps surtout pas pendant la séance.
Pitare alla accueillir la personne dont Ander percevait la voix flûtée dans l'allée. Le jeune homme se glissa derrière l'épais rideau et, assis sur un coussin, ferma les yeux. Sa performance l'ayant épuisé, il accueillait ce répit comme une bénédiction. Il tenta de trouver son calme intérieur, mais les voix du biomancien et de la cliente le déconcentraient. Une phrase vint chatouiller ses oreilles :
— Restez bien immobile, ne bougez surtout pas votre main. Comme d'habitude ça va démanger un peu.
Pitare se concentrait sur un charme de guérison. Dévoré de curiosité, Ander s'approcha du rideau qu'il entrouvrit. Sur la natte, une jeune femme était allongée sur le dos. Perpendiculaire à son corps, son bras droit était étendu, reposant juste devant les jambes croisées du magicien. Ander remarqua en frémissant que la main de la patiente était amputée de trois doigts. Pitare prit une grande inspiration, ferma les yeux, tendit les bras et ouvrit ses paumes juste au-dessus de la main incomplète. Le jeune Palladim vit l'air onduler, la femme laissant échapper un gémissement. Stupéfait, il vit un petit moignon pousser lentement à côté de l'index, là où aurait dû se trouver le majeur. Le bourgeon s'allongea, millimètre après millimètre, atteignant bientôt la taille d'une phalange. Crispé, Pitare grognait sous l'effort, son crâne chauve constellé de gouttes de sueur. Il ramena enfin ses bras en soufflant, puis invita la patiente à se relever et annonça :
— On s’occupera de la prochaine phalange demain. Encore huit jours à ce rythme et vous aurez retrouvé votre main d’antan.
— Merci beaucoup, Monsieur Zhiyu !
— C'est moi qui vous remercie pour votre confiance. Les gens qui acceptent les services de magiciens se font de plus en plus rares.
La patiente s'indigna :
— Au nom de Jorvassine ! Les médecins Canamériens sont bien incapables de faire repousser des doigts. On serait vraiment bêtes de se passer de vos services !
— Cela me touche beaucoup. Votre mari accepte-t-il mieux vos séances ?
— Il a tant culpabilisé qu’il ne peut pas m’en vouloir pour cela. Il est tellement soulagé que je puisse récupérer mes doigts ! D’ailleurs il a détruit tous ses prototypes de scies à vapeur, et a arrêté d’aller boire avec ces idiots de magiphobes.
— J’en suis ravi. Bonne journée Madame.
Pitare récupéra ses honoraires, attendit que la femme quitte la maison, puis il se tourna vers le rideau.
— Alors, Ander, tu as aimé le spectacle ?
Le jeune Palladim avait oublié que le biomancien était capable de deviner sa position. Pitare poursuivit :
— Au moins tu auras eu l’aperçu d'un charme de biomancie avancée, même si je suis loin d'être un expert en ce domaine.
— Oh, c'était fantastique !
— Merci, tu es gentil. Comme toutes ces étapes sont éreintantes, je vais aller me reposer, si tu le permets.
Ander prit conscience de la mine affreuse de son professeur. Mais avant de partir, il devait s’assurer d’une chose importante :
— Attendez Maître, qu’allez-vous faire avec ceux d'la taverne qui vous veulent du mal ?
— Oh ! Ne t'en fais pas pour ça, ces magiphobes de pacotille n'approchent pas de moi à moins de cent mètres. C’était de la vantardise. Il suffit que j'agite les mains pour qu'ils fassent dans leurs pantalons !
Ander éclata de rire. D'autant que la métaphore de Pitare n'en était peut-être pas une. L'homme ébouriffa les cheveux se son élève et conclut :
— Reviens demain si tu le souhaites.
Sur le chemin du retour, Ander avait pris garde à rester discret, mais il était aux anges. Sa progression et l'exploit de Pitare l’avaient rasséréné. Arrivé à la maison, il aperçut un papier sur la table : une convocation de la garde. Il la déchira et la jeta, puis décida de suivre le conseil de Tiana.
Installé à son pupitre, devant sa feuille, les mots venaient facilement, comme soufflés par un magiphobe. En fin d'après-midi, il avait déjà rédigé dix pages, quand il entendit sa sœur rentrer de l'école. Il se précipita, pressé de lui relater les exploits de Pitare. Mais dès qu’il vit Tiana, il stoppa net.
J'aime bien le langage des personnages. Chacun possède une façon de parler différente, pour l'instant. Cela me plait.
Encore du suspens ! Tu me fais souffrir : que fait, qu'a fait ou que va faire Tiana ? Que se passera-il alors ?
Je lirai la suite très vite, à très bientôt !
H.M.
Moi perso je trouve ça plus naturel de mettre du langage familier, j'aime construire les dialogues comme si j'entendais les personnages parler naturellement, du coup le langage familier s'impose, surtout que je suis moi même du genre à placer des gros mots dans n'importe quelle discussion, bordel ! :D
A très vite !
Contrairement à certains, je ne trouve pas que le langage familier des personnages soit rebutant, au contraire, il apporte quelque chose en plus ! J'aime bien tes choix de mots et l'argot qui parsème ça et là les répliques. Ca pourra te permettre de faire un contraste avec des gens plus éduqués par exemple.
En tout cas c'est top de finir avec du suspense à la fin à chaque fois... Ca donne vraiment envie de continuer :)
A +
Encore merci pour ce super commentaire Alixxx ! ça me soulage, j'avoue, de voir que quelqu'un enfin ne soit pas rebuté par le langage familier.
Un léger côté ennuyeux parce que j'ai eu l'impression qu'on tournait en rond. Contrairement au premier chapitre où beaucoup de choses s'enchaînent, on change de scène, on découvre de nouvelles choses, les personnages etc. Vu la façon dont la magie d'Ander s'est "réveillée", dans le sens où il l'a utilisée inconsciemment et de façon beaucoup plus puissante qu'auparavant, je me serai attendue à ce que quelque chose de spécial se passe ici. Ou que quelqu'un de bizarre l'entraîne dans une aventure, un peu comme Strider qui trouve les Hobbits dans la taverne et apparaît si mystérieux au départ. Mais au contraire, là, c'est juste une scène de taverne supplémentaire, où on réitère l'idée d'un "réveil" de sa magie, une scène similaire à celle des gendarmes précédents.... pour retourner chez son père. Il est parti parce qu'il ne se sentait pas en sécurité chez son père, il fuit les gendarmes parce qu'il est sur le point de se faire arrêté, il fuit la taverne pour éviter de se faire agressé - pourquoi ne pas aller voir Pitare qui, apparemment, est la seule personne en qui il aurait confiance quand sa magie devient incontrôlable?
Le fait que Tiana ait de la magie, mais la craint, est intéressant et j'ai hâte de voir comment cela tournera.
Au vu de tout les évènements de la soirée, surtout en public, je me serai attendue à ce qu'il y aient des conséquences immédiates (les gendarmes alertés par les gens de la taverne qui seraient allés directement voir Jord par exemple?). Le lendemain toujours pas de conséquences "officielles". J'attendais beaucoup de la conversation avec Pitare, mais encore une fois, j'ai eu l'impression de tourner en rond. Ils ont juste répété ce que l'on savait déjà: Ander a utilisé des sortilèges variés et de façon puissante, ce qui est inattendu, voir impossible à son âge. Ce n'est pas une situation normale, mais où est l'inquiétude des personnages?
J'apprécie les différentes catégories de magie que tu as créé, et la distinction entre toutes que l'on peut commencer à deviner. La spécialité est-elle unique à chaque magicien? Ou est-ce qu'ils la choisissent? Pitare peut-il exécuter autre chose que la biomancie? Pourquoi Ander peut-il faire tant de choses avec la magie?
Ce sont toutes des questions que l'on se pose. C'est normal d'être dans le flou à ce stade de la lecture, mais je pense que la conversation entre Pitare et Ander est à revoir pour 1) concrétiser les connaissances de base que les lecteurs doivent avoir sur le système magique que tu as créé pour qu'on sache à quoi s'attendre à l'avenir et que l'on comprenne POURQUOI la situation d'Ander est si particulière et 2) augmenter les enjeux sur le plan des personnages (pour Ander, sa famille, Pitare, etc. quelles conséquences risquent d'arriver?) et sur le plan de l'intrigue (avec une telle magie si différente, que risque-t-il de se produire???). Ces deux points vont donner encore plus envie aux lecteurs de lire la suite, même si tu m'as l'air d'être un professionnel des cliffhangers.
Encore une fois, j'espère que ma bêta-lecture est satisfaisante! :)
"je me serai attendue à ce que quelque chose de spécial se passe ici. Ou que quelqu'un de bizarre l'entraîne dans une aventure" > Oui, pour moi c'est encore un peu tôt pour ce basculement d'intrigue, mais ça va venir ;)
"pourquoi ne pas aller voir Pitare qui, apparemment, est la seule personne en qui il aurait confiance quand sa magie devient incontrôlable?"
> J'y ai pensé, mais son respect pour le vieux magicien l'empêche d'aller l'importuner en fin de soirée, si tard. En outre il culpabilise trop ce qui le pousse à aller se confier à son père.
"Le fait que Tiana ait de la magie, mais la craint, est intéressant et j'ai hâte de voir comment cela tournera."
>> héhé
"Au vu de tout les évènements de la soirée, surtout en public, je me serai attendue à ce qu'il y aient des conséquences immédiates (les gendarmes alertés par les gens de la taverne qui seraient allés directement voir Jord par exemple?). Le lendemain toujours pas de conséquences "officielles". "
>>> Pareil tu anticipes la suite, Jord sera embêté. Et les gardes sont venus se saisir d'Ander mais il leur a echappé. En outre, on le voit plus tard, le conflit naissant préoccupe trop la ville pour qu'elle se soucie d'une petite altercation de rue.
"J'attendais beaucoup de la conversation avec Pitare, mais encore une fois, j'ai eu l'impression de tourner en rond. "
>> pareil, tu anticipes, c'est parfait, je pense que la suite va te plaire
"J'apprécie les différentes catégories de magie que tu as créé, et la distinction entre toutes que l'on peut commencer à deviner. La spécialité est-elle unique à chaque magicien? Ou est-ce qu'ils la choisissent? Pitare peut-il exécuter autre chose que la biomancie? Pourquoi Ander peut-il faire tant de choses avec la magie?"
>> toutes ces questions vont trouver des réponses à plus ou moins court terme ;)
Merci beaucoup pour tes remarques, désolé que tu trouves ce chapitre un peu plus ennuyeux que le 1er, mais je pense que c'est necessaire pour poser le personnage de Pitare et diffuser quelques éléments de l'intrigue (pas trop, de même pour le système de magie. Je m'efforce tout le long du livre à ne pas noyer le lecteur sous une avalanche d'explications).
A bientot.
J'ai attaqué ton 1er chapitre moi aussi, je te tiens au jus
Merci en avance pour tes corrections!
Déjà merci pour ta proposition de me lire aussi, mais si cela ne te plaît pas abandonne, ne t'en fais pas.
Alors désolée mais je n'aurais pas grand chose à dire. Ton histoire me plaît bien, l'écriture est fluide et agréable à lire. J'aime bien la relation d'Ander et de sa soeur, et bon suspense à la fin du chapitre.
Ce qui me dérange toujours un peu c'est le langage familier, j'ai un peu de mal à m'y faire.
A quel public va s'adresser ton roman ??
A+
Décidément, tu aimes nous tenir en haleine avec tes fins de chapitres !
Encore une fois, ta plume est fluide et nous emporte dans ton histoire. Je n'aurais donc pas de commentaires à faire sur la forme, rien ne m'a vraiment interpellé.
En revanche, je dois dire que le fond me plaît de plus en plus. Les nouveaux noms (tel Honkone) et descriptions (celle de Pitare notamment) apporte un énorme plus à ton univers. J'aime beaucoup la diversité que tu y apportes avec "la population disparate et colorée" et les yeux bridés de Pitare Zhiyu (d'ailleurs, Honkone ressemble étrangement à Hong Kong, est-ce volontaire ?), cela change des romans dont j'ai l'habitude.
De même, les différents types de magie attisent ma curiosité, et le fait que tes personnages décomptent les jours en décades plutôt qu'en semaines de 7 jours comme nous enrichit aussi ton monde, sans pour autant nous perdre.
A propos de magie, elle semble être très limitée. Le fait que Pitare ne puisse faire repousser "qu'une seule" phalange à la fois et ses commentaires sur la puissance des sorts d'Ander qui n'étaient pourtant pas dévastateurs indiquent que même les grands mages ne sont pas tout-puissants. Cela me plaît beaucoup car, en plus de te permettre de contingenter la magie dans ton récit, les enjeux sont d'autant plus grands que la magie ne résout pas tout.
Pardonne le manque de pertinence de mon commentaire, mais le temps me manque.
J'essaierai de faire mieux la prochaine fois.
Au plaisir de te lire !
Romiklaus
Je ne trouve pas que ton commentaire manque de pertinence, au contraire, car pour être honnête, je suis extrêmement satisfait de ta compréhension du texte, tu as cerné au détail près ce que je souhaitais véhiculer au lecteur ! Les ouvertures sur la diversité du monde, le système de magie contingenté et limité, même Honkone (qui est effectivement dérivé de Hong-Kong) ! Merci beaucoup ! Je publie la suite très vite