Le roi Oswald ne venait pas de nos terres.
Adéios des landes du pays Kasmalt, il était revenu sur les traces de ses ancêtres, Larzares déchus de la guerre ayant fui vers ces espaces arides.
Il ne portait pas de nom, n'avait pas d'histoire, il était un étranger sans passé.
Cependant, par son dur labeur et son cœur juste, il ne mit pas longtemps à prendre une place importante au sein des forces royales.
Gagnant le cœur de la princesse Maanlia, il assura la succession par la naissance de deux enfants tant espérés.
Son esprit vif et sa hardiesse renforcèrent la prospérité du pays.
Il en développa l'économie, assura de meilleurs conditions de vie aux habitants et repoussa les souvenirs douloureux et les plaies immondes de la Guerre Larzare, ayant mal cicatrisées sous les multiples générations qui l'avaient suivie.
Sa diplomatie sans faille accorda un avenir radieux au pays par l'accord signé avec la Prêtresse de la Montagne, dirigeant les landes wiktoriennes.
La sécurité du pays était donc pleinement assuré.
Et le peuple, reconnaissant des jours heureux leur étant promis, avaient témoignés d'une dévotion sans faille, comme il n'en avait jamais régné à Arvalée.
Généalogie et Histoire de la famille royale, Eliott Franzsco
***
Comme une colonie de champignons ayant surgi de la mousse, les habitations des villageois s'élevaient sur la colline surplombant les champs. Blanches et grisâtres, leur similitude impersonnelle résumait tristement la condition des habitants d'Arvalée, il n'était plus qu'un ensemble insipide de sans-pouvoirs. Ces étranges amas de bâtisse étaient apparus à la suite de la grande guerre ayant séparé les Larzares et les Sarcassins. De nombreux villageois s'étaient enrichis grâce au legs reçus ou à la disparition des commerçants rivaux pendant que d'autres, aux familles déchirées, sombraient dans la misère la plus totale. Le sentiment de révolte de la guerre enflammait encore les esprits des habitants, si bien que les plus riches vinrent à s'imaginer pouvoir remplacer le pouvoir en place. Après tout, n'étaient-ils pas plus riches que le roi ?
Ils tentèrent alors un coup d'état, mais par l'ardeur de la garde royale, les malheureux ne purent même pas gravir la colline menant au palais et, les hommes qui avaient défiés le roi finirent sur le sol tapis pourpre qu'ils n'auraient jamais pu fouler, celui de leur propre sang. Cette révolte avait provoqué un vrai massacre, mais surtout, elle avait prouvé au roi que son pouvoir était contestable et que les habitants n'étaient plus aussi dociles que ce qu'ils avaient été. Ainsi, on les priva de tout pouvoir : leur personnalité et leur fortune.
Désormais, tous vivaient dans une maison similaire à celle de son voisin, portant les mêmes habits, mangeant la même ration. Toutes les ressources étaient données au roi, les redistribuant équitablement entre chaque habitant. La misère et la richesse avaient donc quittées Arvalée en un jour, de la même manière que les Sarcassins, mais, pour Else, il semblait qu'ils eussent emporté avec eux la liberté.
Passant entre les champs, la jeune femme observait ces colonnes courbées entre les épis, dont les herbes s'accrochant fermement à leur tunique, les faisaient parfois totalement disparaître en leur cœur, comme des noyés dans une mer étrange. Lorsqu'ils se relevaient, laissant apparaître la tête qu'ils portaient sur cette voûte usée, les habitants saluaient cordialement le petit cortège avant de replonger dans leur travail quotidien. Rendant leur salutation avec amabilité, Else se perdait dans ce flot de visages anonymes. Tous la connaissaient et il lui semblait ne connaître personne. Perdues dans cette protubérance de brun, de leur peau à leurs habits, de la terre à leurs outils, tout paraissait être mélangé et chaque détail familier perdu. Et elle, dans sa robe grise, elle aussi tâchée de ce brunet, elle resplendissait dans leur yeux inconnus.
Mais cette admiration ne serait pas longue, une fois les frontières verdoyantes de sa patrie passée, ces habits de lin ne ferait même pas vibrer la pupille des Wiktorias et leurs parures de pierre précieuse. Tout comme les habitants, la famille royale vivait modestement, cherchant par cette proximité avec le peuple un soutien fort pour sa place. Les conditions de vie à Arvalée étaient modiques, à l'image de l'entièreté du pays. Assez pour vivre simplement, mais bien trop peu pour rendre envieux les étrangers. Nombreux avaient quitté ce cocon fade lors de l'entrée dans le nouveau régime, recherchant un avenir plus excitant au delà des frontières. Mais presque tous étaient revenus, car, sans pouvoir qu'ils étaient, seul l'existence d'un esclave se présentait à eux. Désormais, chaque jour, ils se fondaient dans la masse informe des uniformes bruns, telle une colonie de fourmis ouvrières, ils grouillaient tous vers la mer de blé ondulant au cœur de la vallée, ne revenant qu'à la tombée du jour. Tout était simple.
N'ayant connu que les collines et la vie plate d'Arvalée, Else ne savait que penser de tout cet univers qui la dépassait totalement. Son peuple était-il heureux de cette vie rythmé par le soleil, où chaque jour paraissait être le précédent, ou bien, ne restaient-ils sur ces terres que par dépit, se protégeant du monde hostile qui entourait les gens de sa condition ? Elle se sentait parfois égoïste de ne penser qu'à la tristesse que lui provoquera l'absence de ces petits monticules, quand, nombreux de ceux qui l'entouraient ne souhaitaient que les fuir.
Devant elle, la conversation animée d'Hector et de Lénora menait la marche, parfois interrompue par les esclaffements plus discrets de George et Louis. D'un air distrait, Else les observait s'agiter et bavasser joyeusement, heureux tels qu'elle les avait connus et tel qu'elle les connaîtrait toujours. Leurs épaules s'étaient endurcies tout comme leur voix, mais pas une seule fois leur sourire n'avait quitté leurs lèvres, à la manière des rossignols qui animaient toujours les matins d'été. Rien n'avait changé et tout été pourtant si différent. Un peu déroutée par le drôle de pincement qui lui enserrait la poitrine, la jeune fille se laissa porter par le brouhaha rassurant des chamailleries.
Lénora se détourna d'un seul coup vers elle, lui affichant un sourire franc. Else, un peu perdue, tenta de se remémorer les dernières paroles perçues avant de bafouiller maladroitement une réponse, arrachant ainsi un rire à la jeune femme. Lénora était ce genre de personne que vous ne pouviez qu'admirer. D'une beauté discrète et simple, elle portait dans son caractère une force mêlée d'une grande bonté. Naturellement, la jalousie était l'un des premiers sentiments que vous ne pouviez que porter à son égard, mais seulement pour un temps, car rapidement, son sourire charmeur faisait disparaître tout l’animosité que vous pouviez lui offrir. Longtemps, Else avait été honteuse de ces vils ressentiments à l'encontre de la jeune femme. Elle les avait pendant un temps attribués au lien naturel et fusionnel qu'elle entretenait avec son frère, mais elle avait fini par comprendre qu'il n'en résultait pas de ça. Lénora était simplement tout ce qu'elle désirait être. Une beauté mature, sûre d'elle, déterminée, une grâce couplée d'intelligence et d'agilité. Elle s'était battue pour obtenir ce qu'elle voulait, avait défendu sa place bec et ongle, jusqu'à devenir la future cheffe de la garde royale, suivant les traces de son père, perpétuant ce noble héritage. Elle avait réussi obtenir l'honneur et la joie, duo que la jeune fille n'avait jamais réussi à coordonner. Dans cette sphère de femme forte, Else avait un peu de mal à trouver sa place. Elle n'était pas diplomate et gracieuse comme sa mère, ni belle et déterminée comme Lénora et encore moins terre-à-terre et travailleuses comme les domestiques et nourrices qu'elle côtoyait au palais. Elle avait parfois l'impression d'être un être étrange, un hybride entre un enfant et un adulte, trop grande et blessée pour un univers de douceur et de rêve, mais trop faible et puérile pour s'affirmer dans la réalité. L'attention infantilisante qui lui était constamment portée n'avait que ancré davantage cette sensation dans sa chair. Elle se demandait si elle serait un jour une femme, une vraie.
***
D'un geste un peu rustre, Diane tirait sur ses cheveux mouillés, laissant échapper un soupir d'exaspération à chaque gravier qu'elle extirpait de l'amas de mèches blondes entortillées. Une moue réprobatrice n'avait pas quitté ses lèvres depuis que la jeune fille avait surgi à travers la fenêtre de sa chambre, parfaitement recouverte de terre et de feuille. Else se tenait droite sur le petit tabouret de bois, ses mains serrant ses genoux, crispant parfois la nuque pour maintenir sa tête stable. Les mains de la vieille femme effleuraient parfois les contours de son cou alors que ses doigts tressaient ses longs cheveux, arrachant un petit sourire à la jeune fille. Elle aimait ces gestes maternels, ils semblaient ramener en elle la petite Elsebeth, celle qui revenait crasseuse de la forêt après avoir tenté d'attraper un animal sauvage, et non essayant de fuir les ombres, semblant ainsi effacer leur existence. Diane, elle ne voyait pas vraiment cette différence, il semblait qu'elle tenait encore entre ses doigts les mèches pâles d'une petite fille ne cessant de gazouiller joyeusement, d'une enfant rebelle qui aimait se rouler dans les fourrés. Une enfant qui bientôt partirait pour toujours.
Jamais Elsebeth n'aurait la carrure d'une dame de cour, et même si la tristesse et le temps avaient durci les traits de son visage, ils ne pourraient changer son âme, seulement la détruire. L'espoir de la famille royale et des précepteurs, Diane ne le portait pas en elle. Quand bien même la jeune fille reviendrait sur les terres de ses ancêtres, seule son enveloppe charnelle y poserait pied, son âme, elle, aurait depuis bien longtemps été happée par l'horreur de la montagne de glace. Quant à son corps, meurtri par le poids des robes et de l'ennui, rongé par les grossesses et le froid, il ne laisserait plus apparaître la candeur enfantine, beauté rare et pure que peu possèdent encore en ce monde, mais une beauté laide et usée, vieilli par le malheur. Scellant fermement les deux nattes sur le haut de son crâne, la vieille nourrice soupira, soulagée d'avoir enfin réussi à donner un peu de rigueur à l'amas de broussailles qu'elle avait récupéré. Déposant délicatement l'Arceau d'argent, elle sourit malicieusement à la jeune fille, et suivi d'une tape légère sur le haut du front, s'exclama :
-Voilà, propre comme un sou neuf. Chaque jour je me demande comment j'arrive à accomplir un tel miracle, peut-être ai-je des pouvoirs après tout ?
-Suis-je vraiment obligée de porter l'Arceau ? Nous n'avons aucune réception au palais.
-Non, mais je t'y oblige. Il est temps que tu t'habitues à un peu d'inconfort, la cour de Tondime ne t'offrira pas autant de libertés que ce Palais.
À ces mots, Else fixa son reflet dans le miroir, arrêtant distraitement son regard sur les courbes noires s'insinuant le long de son cou, témoin de l'omniprésence des ombres. Ses rêveries ne lui empêchaient jamais de leur échapper indéfiniment. Elles allaient bientôt revenir. Elles revenaient toujours. Remontant légèrement son col afin de couvrir ces marques fuligineuses, elle fixa distraitement le reflet de l'Arceau, détaillant la gravure qui parait son devant. Astrid lui avait fait part des règles et des coutumes vestimentaires de la cour Wiktorienne. Bien qu'elle en aurait été normalement horrifiée, ces lourdes robes aux collerettes vous enserrant le menton, ces manches d'hermine et gants de daim deviendraient ses plus grands alliés dans cette mascarade qu'elle jouait continuellement. Le seul traître demeurant, dernier témoin des démons qui la suivaient, ne serait plus que ses iris, dont les saphirs se plaisaient à se transformer en deux grenats. S'approchant davantage de son reflet irrégulier, elle observa les maigres lignes vermeilles prendre naissance au sein de son regard sous l'arrivée de ces forces maléfiques. Plongeant son visage entre ses mains, elle respira longuement, chassant de son esprit toute peur. Elle devait demeurer forte, c'était le seul moyen de les chasser, ne serait-ce que pour un temps. Son cou se raidit soudainement sous la chaleur de la paume de Diane. Depuis l'incident avec Hector, chaque contact se teintait d'appréhension, lui apportant la lourde réalisation qu'elle n'était pas encore assez prudente. Que son secret n'était couvert que par une fine toile de lin bleu, sous un col lui mangeant le cou, sous de la soie protégeant ses doigts. Contre sa nuque, la chaleur de la main de sa nourrice irradiait tout son corps, non d'une chaleur douce et rassurante, mais d'un feu ardent et insupportable contre sa peau de glace. Enfonçant un peu plus son visage dans ses paumes, Else laissa échapper un mugissement de douleur face au pincement prenant naissance au cœur de sa poitrine. Préoccupée par son comportement, Diane replaça doucement une de ses mèches frivoles derrière son oreille.
-Astrid t'attend dans la bibliothèque, murmura-t-elle sans interrompre ses gestes maternels, je peux lui dire que tu te fais porter pâle, tu rattraperas ta leçon demain.
-Non, je.. Je vais y aller. Il me faut juste quelques minutes, seule. Je dois juste reprendre mes esprits.
Sa voix lui paraissait semblable à un râle sourd, sa gorge se contractant contre son gré, comme étranglé par une force invisible. Sans un mot de plus, Diane quitta la pièce, silencieusement, mais la jeune fille pouvait sentir son regard peser sur ses épaules. Quand la porte émit un dernier cliquettement, elle se laissa tomber contre le mur. Il lui fallait quelques minutes, juste quelques minutes.
***
Les minutes s'étaient finalement transformées en heures, si bien qu'Else douta trouver Astrid entre les rayonnages. Le soleil filtrait doucement entre les carreaux, se teintant de reflets orangés sous l'effet de l'heure tardive, et luisait le long des grandes bibliothèques de bois, dont les étalages semblaient crouler sous la quantité de parchemins. La bibliothèque avait toujours été comme un deuxième cocon protecteur pour la jeune fille. Malgré sa décoration impersonnelle et l'odeur entêtante de bois et de vieux papier y régnant, cette vieille salle remplie de livre resterait sûrement l'un des théâtres de ses plus beaux souvenirs. Il y avait eu ces longues soirées à lire face à sa grande cheminée, ces incessantes leçons qui avaient rassasié sa curiosité et il y avait Astrid. Il y avait surtout Astrid. Bien qu'elles aient partagé toutes deux de nombreux moments hors de ces quatre murs, l'odeur de vieux parchemins entourait son être à la manière d'une seconde peau, si bien qu'il semblait presque impossible de dissocier la bibliothèque de son être. Chaque mur semblait empreint de sa présence, ses yeux déterminés dans chaque mot encré entre les pages, son rire franc dans chaque aspérité de la pierre, son toucher dans chaque portion de bois vernis. Else pouvait presque revivre chaque parcelle de ces souvenirs en ce lieu. Cette pensée lui arracha un petit sourire.
-J'ai bien cru que tu ne viendrais jamais.
Cette voix dure avait résonné sans annonce dans son dos, tâchant de ses couleurs familières l'air de la pièce. Comme un puzzle finalement complet, tableau de maître touché de son dernier coup de pinceau, la bibliothèque sembla revivre pleinement. La jeune fille se retourna pour observer ce décor pleinement ressuscité. Nonchalamment adossée à une bibliothèque, le corps un peu trop grand d'Astrid lui faisait face, animé par cette aura d'énergie brute l'entourant constamment. Face à son regard courroucé, toujours teinté d'un certain amusement, Else ne put s'empêcher de sourire à pleine dent, ce qui arracha un soupir puis une même réaction chez son interlocutrice. Il semblait que son corps se détendait totalement dès que ses iris d'un bleu profond se posaient sur elle. Sous cet étrange pouvoir, tous ses soucis disparaissaient lentement de son esprit. Ombres, démons, même la glace enchaînant son corps fondaient légèrement pour laisser place à une chaleur rassurante au creux de ses entrailles.
-Alt khorohyvin dantch?
Ne s'attendant pas à ce qu'elle s'adresse directement à elle en Wiktorien, Else se figea quelques instants, avant de hocher la tête, un sourire rassurant se dessinant sur ses lèvres. Oui, elle allait bien. Maintenant tout allait bien. Le visage d'Astrid s'adoucit alors, en quatre grandes enjambées, elle traversa la distance qui les séparait, déposa un léger baiser sur son front, avant de se diriger vers la grande table de chêne trônant au milieu de la pièce. Else ne put retenir le léger rire qui s'échappa de ses lèvres, et vint rejoindre la jeune femme attablée. Sous la lumière du soleil, sa chevelure semblait encore plus flamboyante qu'à l'accoutumé. Ses mèches, pareilles à des flammes ardentes lui brûlant les joues, roulaient le long de sa peau d'albâtre dans une danse langoureuse. Elle était si belle. Les femmes Wiktorienne étaient connues pour leur grande beauté. Mais loin des formes voluptueuses, de leurs lèvres rosées et de leur chevelure semblable à des rivières de lave ardente faisant gloire à leur peuple, Astrid s'élevait aux yeux de la jeune fille par sa beauté si singulière. Grande, les épaules carrées, ses cheveux courts lui chatouillant les joues, elle ressemblait traits pour trait à ces représentations des idoles de chasses présentent dans les anciens livres wiktoriens.
Descendante lointaine des anciens Larzares s'étant installés dans la toundra Wiktorienne lors de l'entrée dans le nouveau régime, Astrid faisait partie de ces yvrídios enfants de familles d'adynatos. Naturellement, au fil de ces nombreuses générations d'adynatos, leurs pouvoirs déjà faibles avaient fini par disparaître, ne laissant désormais place qu'à une descendance d'adéios. Cette absence de pouvoir était un fardeau dur à porter dans ces contrées lointaines où la majorité du peuple en était doté. Ne pouvant sortir des castes les plus faibles, par leur impossibilité de se marier avec des personnes de pouvoirs ou d'obtenir des postes importants, ils étaient destinés à une vie de misère. Nombreux n'hésitaient donc pas à quitter ces contrés vers des terres moins hostiles où les jours paraissaient meilleurs. C'était ce qu'avait fait la jeune femme, arrivant alors âgée de dix ans sur les terres d'Arvalée, elle avait espéré y trouver par ses racines lointaines un simple métier lui promettant une vie tranquille. Mais le hasard avait bien fait les choses, et ses origines Wiktoriennes lui avaient permise d'obtenir un travail fort gradé : préceptrice de la jeune princesse. Elle avait ainsi rencontré Elsebeth, jeune enfant promise à sa nation. Lui enseigner sa langue, les coutumes et histoires de son pays avait été une bénédiction pour la jeune femme. Elle aimait sa compagnie, son sourire et ses yeux pétillants de curiosité. Au fil des années, leur complicité s'était lentement transformée en quelque chose de plus beau, de plus grand, de plus fort. Tout avait été parfait, et tout aurait pu être parfait si seulement elle n'avait pas eu à les quitter. Longtemps, Astrid avait hésité à partir avec elle, retourner dans ces plaines de glace, plus proche de la grande cité de pierre dans laquelle elle serait prisonnière. Mais l'idiotie de cette perspective lui avait éclatée en pleine figure, se transformant en une réalité douloureuse : Else serait bientôt mariée. Leur affection, leur amour commun devrait alors disparaître, ne pouvant subsister dans le temps. Il lui avait donc semblé plus raisonnable de demeurer ici, entre ces beaux murs de pierre blanche, où sa place était acquise, et de laisser la jeune fille si chère à son cœur s'éloigner d'elle.
Étirant ses doigts contre le bois poncé, Astrid releva ses yeux vers Else, dont ses pupilles semblaient la détailler curieusement en attendant ses directives. Dieux qu'elle aimait ce regard. La fixant à son tour, elle s'exclama, sans se dévêtir de son wiktorien :
-Que veux-tu apprendre aujourd'hui ?
-Aucune idée, tu es mon professeur, c'est à toi de décider.
S'étirant à la manière d'un chat, la jeune femme fit mine de réfléchir quelques instants. Un sourire satisfait barra finalement son visage, et posant sa tête dans le creux de ses paumes, elle la détailla malicieusement.
-Je pourrais t'apprendre quelques mots doux, pour faire plaisir à la future personne qui partagera tes jours. Puis, bon, te servir de cobaye ne me dérange pas vraiment.
Else soupira, levant les yeux au ciel alors que le rire d'Astrid emplissait déjà la pièce. Comme un carillon joyeux, ce dernier rebondissait sur chaque surface, formant une douce mélodie aux oreilles de la jeune fille. Se reprenant légèrement, la wiktorienne se redressa et rajouta d'un air faussement sérieux :
-Tu as raison. C'est mieux que je ne te les apprenne pas. Comme ça, je serais la seule personne à qui tu auras pu les prononcer avant qu'ils ne te les enseignent. Par contre…
Astrid leva alors sa main devant elle, la présentant à la jeune fille. Puis, d'un geste doux et gracieux, elle toucha d'abord son nez à l'aide de son pouce, puis brossa sa joue droite avant de taper deux fois la pulpe de son majeur contre ses lèvres, puis contre son front. Else n'eut aucun mal à comprendre quel mot elle lui signait, et, une légère coloration rosée lui mordant les joues, lui offrit le même signe. Bien évidemment qu'elle aussi l'aimait. Ce langage, dérivé du wiktorien, était presque comme leur propre code secret. Originaire des plaines, où les températures si froides et les animaux sauvages trop présents avaient rendus la communication orale impossible, ce dernier était totalement signé sur le visage, permettant une communication dans les périodes de grands froids. Astrid avait insisté pour lui apprendre, car, bien qu'il ne soit pas parlé à la cours, il lui permettrait de comprendre parfaitement les domestiques l'entourant, s'en servant souvent pour communiquer secrètement entre eux. De plus, il construisait leur petite bulle d'inimitié et protégeait leurs secrets des oreilles un peu trop attentives des gardes et des domestiques du château. Les premières mécaniques avaient été dures à apprendre, mais désormais, Else adorait les possibilités que lui ouvrait cette nouvelle façon de communiquer. Elle se souvenait parfaitement de l'hilarité qui avait habité son amante lors de ses premières leçons. Se trompant constamment sur de nombreux mots, présentant des phrases n'ayant ni queue ni tête, Astrid n'avait pu retenir ses éclats de rire, en tombant presque à la renverse sous les spasmes qui avaient habités sa cage thoracique. Ces moments allaient lui manquer, horriblement.
-Encore ce regard triste. Beaucoup trop de choses se trame là-dedans, s'exclama son interlocutrice en lui assénant une légère tape sur le front, tu devrais en sortir quelques-unes.
Triturant nerveusement la couture de ses gants, Else réfléchissait à la tournure de ses phrases, analysant chaque mot s'apprêtant à être dits. Comment pouvait-elle se confier sans éveiller aucun soupçon ? Inspirant un grand coup, elle plongea son regard dans l'océan bleu des yeux d'Astrid, ici, peut-être trouverait-elle tout le réconfort et la force qu'elle cherchait désespérément.
-J'ai peur que, une fois éloignée de ces petits moments de réconforts, de la clairière, d'Hector, de Diane et, surtout, de toi, je me perde totalement. J'ai peur de me perdre. J'ai déjà parfois l'impression de ne plus me reconnaître dernièrement, qu'une autre personne habite mon corps. Je suis terrifiée à l'idée de tant changer que les gens ne me fassent soudainement confiance, qu'ils me tournent le dos, qu'ils soient horrifiés par ma personne.
"Qu'ils soient horrifiés comme je suis horrifiée par mon propre être." pensa-t-elle tout bas. Sa voix faiblissant sur chacun de ses mots, comme sur le point de laisser place à un sanglot, urgèrent en Astrid l'envie de la serre contre elle, si fort qu'elle ne se sentirait plus aucune douleur, plus aucune appréhension. Saisissant ses mains dans les siennes, elle caressa leur dos d'une légère friction de ses pousses.
-J'aurais toujours confiance en toi, Else.
Elle se pencha légèrement vers elle, et posant sa main contre sa joue, la laissant se lover contre cette dernière, elle continua d'une voix pleine d'émotions :
-Tu es une bonne personne. Et, bien sûr nous allons tous changer. Mais je sais que peu importe ce dont il advient, tu le resteras, car je te connais, tu sais toujours tirer le meilleur de chaque expérience.
Sa gorge et son cœur se serrant sous le son de ces mots, Else s'appuya davantage dans le creux de sa main, fondant dans cette chaleur réconfortante. Elle aurait voulu rester là, à jamais sous cette douce caresse, devenir si petite, insignifiante, disparaître pour toujours. Mais le temps jouant contre elle ne lui laissant aucun répit. À travers les fenêtres, le soleil semblait s'éteindre lentement, lui rappelant qu'un nouveau jour venait de s'écouler. Comme aussi touchée par cette réalisation, Astrid reprit place sur sa chaise et, se tournant vers la porte de la bibliothèque pour s'assurer qu'aucun domestique ne ferait interruption, signa un message à la jeune fille. " Ce soir, toi, moi, fontaine. Comme deux avant-matins, tu en as besoin, plus que jamais". Else acquiesça d'un mouvement de tête. La jeune femme se leva alors, et la saluant par le même signe précédemment effectué, quitta la pièce, emportant avec elle une part de sa vie.
C'est tout aussi bien écrit même si dans quelques phrases, on se perd un peu. Je te donne quelques exemples:
"Naturellement, la jalousie était l'un des premiers sentiments que vous ne pouviez que porter à son égard, mais seulement pour un temps, car rapidement, son sourire charmeur faisait disparaître tout l’animosité que vous pouviez lui offrir"
Je trouve un peu "lourde" cette phrase:
"... Un des premiers sentiments que vous portiez à son égard... Faisait disparaître toute votre animosité."
"Le soleil filtrait doucement entre les carreaux, se teintant de reflets orangés sous l'effet de l'heure tardive, et luisait le long des grandes bibliothèques de bois, dont les étalages semblaient crouler sous la quantité de parchemins."
J'aurais mis un point après tardive et j'aurais commencé par il ou l'astre.
"Ce langage, dérivé du wiktorien, était presque comme leur propre code secret. Originaire des plaines, où les températures si froides et les animaux sauvages trop présents avaient rendus la communication orale impossible, ce dernier était totalement signé sur le visage, permettant une communication dans les périodes de grands froids"
La phrase n'est pas très claire. J'ai du la relire deux fois pour en saisir le sens. Après c'est peut-être moins qui ait perdu quelques neurones! ;-)
Tu gagnerais à parfois mettre un point.
Sinon la découverte de ton univers se fait subtilement et la relation entre Else et Astrid est vraiment belle.
Peut-être manque t-il un peu de rythme malgré tout ton écriture fine et poétique permet de combler cette lacune.
J'ai hâte de voir dans quelle direction tu vas nous emmener par la suite! Merci.
On dit souvent que le style pompeux est comme la confiture, et personnellement, j'ai l'horrible défaut de la manger à même le pot, ce qui rend parfois mon écriture plutôt indigeste pour le lecteur/ moi lors de la relecture :').
Je vais de suite changer tout ça et rajouter un peu de rythme ! Merci beaucoup de me donner des pistes d'amélioration/ des conseils sur les changements à faire, cela m'aide vraiment énormément !
Et non pas de neurones perdus de ton côté, je te rassure ;). Certaines phrases passent pour moi en relecture car j'ai déjà en tête l'idée que je veux faire passer, mais elles peuvent se révéler assez cryptique pour une personne extérieure.
En tout cas, merci beaucoup pour tes supers commentaires me permettant vraiment de m'améliorer !
De rien si mes modestes commentaires peuvent t'aider, c'est parfait!
A bientôt.
Le commentaire sera plus court je le fais avec mon portable !
C'est toujours super beau, alors que ce chapitre est vraiment différent ! Moins poétique, plus rationnel je dirais même, mais toujours dans un superbe style. On en apprend et on comprend d'avantage! J'ai juste une décalage (mais je relirais) où je n'ai pas compris exactement où se situait l'action au début (et quand on passe avec la nourrice).
Forcément, j'ai aimé la relation d'Else et d'Astrid, et la description que tu en fait est vraiment belle!
En tout cas c'est toujours bien :) (bemol : quelques description métaphoriques où j'ai du m'y reprendre a deux fois pour comprendre x) )
Il est vrai que je n'ai pas trop situé l'action dans les deux paragraphes, le premier se passe sur le chemin du retour de la forêt et le deuxième dans les "appartements" d'Else. Comme je me suis un peu plus penchée sur l'action, j'ai un peu oublier le décor. Je vais rectifier ça merci !
Contente que cela te plaise toujours et que tu apprécies la relation entre Else et Astrid !
Merci encore pour tes commentaires qui me font toujours autant plaisir !
Encore un sacré chapitre :)
Je trouve que tu nous présente bien l'univers de ton roman et en particulier la visions des choses d'Else.
Sa relation avec Astrid est vraiment touchante et pleine de délicatesse ! Je ne l'ai pas senti cependant extrêmement malheureuse à l'idée de la quitté mais peut-être cela se ressentira plus lors de leur rendez-vous secret prêt de la fontaine ! Quitter la femme qu'on aime en plus de quitter son pays et tout ce qu'on aime doit être un véritable déchirement...
Pour le petit bémol, même si j'ai aimé voyager au fil des pensés d'Else j'ai trouvé que cela manquait un peu d'action ! J'aurai peut-être aimé un peu plus d'interaction au début, pour rendre le tout plus vivant !
:)
Merci pour ton gentil commentaire !
Il est vrai que je n'ai pas vraiment évoqué la tristesse d'Else face au fait de ne plus voir Astrid. Dans mon esprit elle était un peu plus préoccupée par les "ombres" et plutôt à la recherche de réconfort face à ça que dans l'optique de son départ prochain, mais il est vrai que je devrais peut-être un peu plus renforcer ce point.
Je vais aussi essayer de dynamiser un peu ce début ! C'est vrai que je n'avais pas vraiment remarqué qu'il pouvait faire un peu planplan é-è.
En espérant que la suite te plaira :)
Plan plan le terme est fort mais je pense que tu peux le dynamiser un peu oui :)
Je suis très contente qu'Astrid et Else t'aient plue.
Sans trop en révéler sur la suite de l'histoire, il est vrai que ces premiers chapitres sont principalement présents pour bien poser le personnage d'Else avant d'attaquer la suite, donc je suis très contente qu'on arrive bien à assimiler ses sentiments.
Merci d'avoir relevé ces fautes ! Je vais m'empresser de corriger cela ! ;)
La suite ne devrait pas tarder normalement ^^ (juste le temps que je corrige le prochain chapitre), j'espère qu'elle te plaira tout autant !