Chapitre 4 : La porte

Par AsnMes

***

Putride et vicieux, les Enfers grouillent au cœur de la montagne comme un amas d'insectes.

Dévorant ses entrailles de ses flammes fétides, ils sont le purgatoire des âmes impures de ce monde.

L'ancienne prêtresse des traîtres Sarcassins y règnent sans merci.

 

Ô ! Habitants Larzares ! Gardez-vous loin de ces chemins salis de traces impurs !

Protégés par la porte des Dieux, vous ne craignez rien

Mais, vos saintes prières ne pourraient vous protéger de la perverse poigne des âmes déchues !

Gardez-vous loin du cœur des bois.

Là y chante les lamentations tentatrices des démons.

Chants du Maître Antoine Lanefaire

***

Le tableau de bois s'étendait face à elle sous la lumière dorée de la bougie qu'elle tenait à ses côtés. Dépeignant chaque exploit de ses ancêtres, chaque trait de leur visage, chaque parcelle de leur vie, il bordait la salle du trône de son immensité majestueuse. Monument du passé, Else trouvait entre ses gravures un étrange sentiment de réconfort. Elles témoignaient de la force et du courage qui coulait dans ses veines, de cette détermination sans faille qui avait habité ses ancêtres, qui aurait dû l'habiter. Dans un soupir fatigué, elle glissa ses doigts contre le grand panneau de bois, observant laconiquement la devise royale gravée en son centre. Dessinant distraitement de la pointe de son ongle les contours de ces antiques dessins, elle cherchait à emplir son être d'un calme plein, pareil à celui du lac entourant la grande porte. Elle avait besoin du conseil de ses ancêtres plus que jamais. Les Dieux veillaient sur ses pas, les ancêtres lui apportaient une clarté d'esprit et lui montraient le chemin. S'agenouillant sur l'albâtre, sa robe l'entourant d'un halo étrange, elle commença à citer lentement le nom de ses aïeuls, les appelant un à un. Comme une vieille litanie, les noms trop souvent répétés avaient presque finis par perdre leur sens, mais il s'agissait du seul moyen de ramener leurs âmes à ses côtés. A demi plongée dans l'obscurité du couloir, seulement éclairée par la flamme vacillante de la chandelle qu'elle transportait, Else sentit une étrange sensation de plénitude l'envahir. Comme résonnant au loin, il semblait lui parvenir les frémissements indistincts de voix, comme des murmures perdus dans la brume. Elle se concentra, tentant du mieux qu'elle pouvait de les écouter, de les comprendre, mais une barrière étrange, impénétrable, semblait les tenir au loin.

-Chers Ancêtres, montrez-moi le chemin.

Dans de fébriles mouvements de lèvres, ces mots s'étaient échappés comme un murmure suppliant. Elle avait désespérément besoin de clarté, besoin de chasser tous ces doutes l'entourant. Mais avant tout, elle avait besoin d'être rassurée. Comme le son fébrile des battements d'ailes d'une nuée de papillons, les chuchotements s'étaient multipliés, résonnant le long de l'alcôve du couloir, longeant les murs. Plus erratiques, ils étaient pareils au brouhaha d'une foule, si lointaine que son bruit se transformait en un grésillement constant et indiscernable. Le froid des ombres commença alors à envahir sa poitrine, s'intensifiant tout comme les voix résonnant autour d'elle. L'obscurité l'enveloppait de son lourd manteau, soudainement plus pesante et profonde, elle l'étouffait presque. La flamme de la chandelle dansait toujours devant ses yeux, mais aucune lumière ne semblait plus en émaner. Comme l'on s'immerge lentement dans les eaux glaciales d'un lac, Else sombrait dans le cœur de cette mer d'ombre.

Le contact brûlant d'une main sur son épaule, la ramena subitement à la surface. S'habituant à la clarté soudaine, elle battit quelque peu des paupières avant de se tourner vers l'intrus l'ayant surpris. La surplombant de toute sa grandeur, caché dans l'obscurité de la pièce, seul quelques étincelles dorées venaient mordre sa mâchoire carrée dont la peau sombre se fondait dans l'obscurité fuligineuse. Baissant faiblement la tête pour le saluer, Elsebeth fixa avec insistance le sol.

-Père.

Dans un mouvement lent et silencieux, empli de la même solennité qui teintait chacun de ses gestes, le roi tendit sa main afin d'aider la jeune fille à se relever. Bien que l'écart séparant leur visage se soit considérablement réduit une fois debout, Else ne se détendit pas pour autant. Sous son charisme et sa prestance naturelle, il était parfois difficile de croire que son père était issus des campagnes arides de Jar. Loin de la force calme de sa mère, le Roi irradiait le monde d'une ferveur brute, à la manière d'un diamant fendant la roche. Cette dernière portait en elle un doux mélange de sûreté et d'appréhension, un décalage étrange sur lequel Else n'avait jamais vraiment réussi à mettre le doigt.

-Que fais-tu ici à une heure aussi tardive ma fille ? S'enquit-il, sa voix dure grimpant le long des murs de pierres dans un vrombissement sourd.

-Je venais consulter les ancêtres, pour savoir quel chemin je serais amenée à suivre les jours prochains.

Baissant légèrement les yeux à ses mots, Else réajusta ses gants, soudainement soucieuse de voir son secret percé à jour. Le regard pénétrant de son père avait pesé sur ses épaules toute son enfance, mais il semblait s'être intensifié ces dernières années, flottant tel une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. La jeune fille avait l'impression que le moindre de ses mouvements se teintait d'une aura suspecte, n’atténuant pas la paranoïa l'ayant habitée depuis l'apparition des ombres. D'un simple geste, le Roi relevant le menton de sa fille, la forçant à plonger son regard dans le sien. Else semblait presque pouvoir y percevoir le reflet brumeux de la flamme de la chandelle.

-Tu connais le chemin Elsebeth. Ta mère et moi sommes à tes côtés pour te guider. Tout ira bien." Il marqua une légère pause." Désires-tu me faire part de quelque chose ?

Plongée dans ce regard brun, elle ne savait que faire. Devait-elle confier l'existence de ce mal ? Entrouvrant légèrement les lèvres, elle chercha un moyen de s'expliquer, mais les mots semblaient demeurer enfouis au creux de sa poitrine, impossible à libérer. Un silence pesant s'installa autour d'elle, l'enserrant comme dans un étau. Incapable de détourner les yeux du regard de son père, sa tête se remplissait de mille pensées contradictoires dominées par un seul et même instinct : elle devait se taire.

Le bruissement étouffé d'un battement d'aile de l'autre côté de la fenêtre à l'extrémité du couloir la tira de sa léthargie. Baissant à nouveau les yeux, elle secoua la tête, laissant échapper un simple "non" dans le creux d'un soupir. Le Roi la détailla quelques instants dans un froncement infime des sourcils. Ses yeux paraissaient vouloir percer les moindres secrets de son âme.

-Bien. Nous sommes toujours à tes côtés, sache-le. Ne tarde pas à regagner tes appartements.

Sans un mot de plus, il s'éloigna, disparaissant silencieusement, happé par la mer fuligineuse les entourant.

*

Sortir du palais sans attirer l'attention des quelques gardes patrouillant n'avait jamais été une tâche très aisée, mais ses nombreuses années d'entraînement avait fini par la rendre plus facile. Toujours déroutée par la conversation pesante tenue avec son père, Else n'avait pas tardé à se diriger vers le point de rendez-vous où l'attendait Astrid. Elle devait se changer les idées, plus que jamais. Passant distraitement ses doigts sur les aspérités longuement apprises, elle balança ses jambes au-dessus du parapet bordant l'une des fenêtres de ses appartements. Numéro d'acrobate répété à chaque tombée de soleil, son escapade du palais ne se résumait désormais plus qu'à un enchaînement mécanique de mouvement. Attraper, glisser, pousser, glisser, attraper, glisser. Ses mains et ses pieds travaillaient dans une coordination presque inhumaine portant ses pas. Dans un dernier saut, la jeune fille se laissa tomber de la branche d'un grand platane avant d'atterrir habilement sur l'herbe fraîche.

 

Déjà au loin, les cigales et grillons claironnaient gaiement, intensifiant leur chant à mesure qu'elle se rapprochait de la forêt. Ce cœur de la nature semblait pleinement vivre une fois la nuit tombée, laissant finalement apparaître les nombreuses créatures l'habitant. Il se teintait de nouvelles parures, de nouvelles sensations, qui émerveillait et emplissait la jeune fille de joie. Jetant sur les herbes folles leur pluie livide, les rayons de la lune filtraient entre les branches, éclairant certaines parcelles de la forêt dans un jeu de clair obscure qui, loin d'être angoissant, renforçait le côté mystérieux des lieux. Bien qu'il semblât qu'elle en eût parcouru chaque parcelle, Else avait l'impression de chaque jour découvrir de nouvelles choses entre ces arbres, ce qui ravivait sa curiosité toujours plus florissante et rendait cet endroit si cher à son cœur. La jeune fille avait toujours trouvé étrange le contraste saisissant qui séparait Arvalée de ses alentours. Une nation simple et morne, sans couleur et surprises entourée d'un cocon de merveilles et de découvertes infinies, c'était ainsi qu'elle percevait le pays. Elle n'avait d'ailleurs jamais compris l'aversion de son peuple pour ces bois, préférant rester au cœur de leur chaumière ou des mers de blés, certains les considérant même comme maudits. Certes, ils tenaient encore en leur cœur quelques stigmates de la guerre Larzare, mais, sous les ruines recouvertes de lierres et de ronces, ils ne semblaient que renforcer l'idée que cette dernière était bien loin derrière eux. Else , elle, chérissait ces lieux, remplis d'histoire et de souvenirs ne lui appartenant pas, comme plongés dans un autre espace temps. Elle ne les trouvait pas angoissants, non, ils étaient paisibles à leur manière, comme la nature se réveillant à la suite d'un orage foudroyant.

Passant ses mains entre les fougères pour les écarter, Else commencer à percevoir le halo resplendissant de la place de la fontaine. La blancheur du grès la composant reflétait comme un miroir chaque rayon de lune, apparaissant comme un phare de lumière entre ces eaux de feuillages et de verdures. Le claquement de ses bottines sur la pierre s'accompagnant à la clarté resplendissante lui venant soudainement sortirent la jeune fille de la douce somnolence dans laquelle elle était tombée. Avançant silencieusement, elle se délecta de la sensation de la lumière lunaire sur sa peau, comme un voile fin glissant le long de son corps dans une caresse langoureuse. L'endroit était totalement désert, à l'exception d'une petite mésange noire se désaltérant dans le bassin. Cependant Astrid ne tarderait pas à faire irruption, elle le savait. S'agenouillant contre le bassin, elle lissa distraitement sa robe d'un revers de main, se concentrant sur les bruits de la nature pour chasser la sensation désagréable de la migraine persistante lui assénant les tempes. Le bruissement des feuilles au loin, pareil à des murmures étouffés, raisonnait avec une ardeur nouvelle. Un frisson remonta le long de son échine, à la manière d'une longue couleuvre glissant le long de son dos avant de venir s'enrouler le long de son cou. Non, elles ne pouvaient pas revenir, pas maintenant. Arrachant dans un accès de rage les gants de ses mains, Else se retourna prestement pour faire face à la fontaine, faisant s'envoler par ces mouvements rustres le petit volatile y ayant pris refuge. Sous son départ précipité, l'eau se couvrit d'ondulation, brouillant le miroir de sa surface. S'aspergeant le visage afin de calmer son cœur commençant à s'emballer dans sa poitrine.

Puis, elle les vit. Pareils à deux charbons incandescents, ils flottaient au cœur d'une masse noire. Ses iris s'étaient totalement changés. La bile lui monta aux lèvres à la vue de son propre reflet. Se penchant prestement en avant dans un réflexe, elle se laissa tomber sur le pavé, sa poitrine se déchirant dans un râle sourd. Elle avait l'impression qu'un poignard lui était planté en plein thorax, sa glace incandescente lui prenant les poumons, l'empêchant de respirer. Ses yeux se posèrent sur ses mains dont la noirceur contrastait soudainement avec la pierre blanche, lui arrachant un gémissement de douleur. Un tambourinement sourd emplit son crâne. Était-ce les battements de son propres cœur ou les pas lointains d'Astrid ? Un nouvel élan de douleur lui secoua le corps et son esprit se vida totalement, dominé par une seule et même pensée : fuir. Elle trébucha, ses jambes trop lourdes et raides, et s'élança dans une dernière course au creux des arbres.

 

Elle ne savait où ses pieds la menaient, mais elle n'avait plus qu'un seul but, s'éloigner au plus d'Astrid. Les branches lui fouettaient violemment le visage, leurs épines s'accrochant au tissu de sa robe ralentissant sa progression. À ses oreilles montaient les battements féroces d'une course. Bien qu'il s'agissait sûrement du bruit de ses bottines sur la terre, son esprit agité ne cessait de lui montrer la vision de son amante la pourchassant. Astrid la rattrapant. Astrid l'observant. Astrid la repoussant, effrayée. Cette vision sembla briser davantage son cœur malmené par l'adrénaline et la glace insidieuse emplissant chaque parcelle de son corps, la poussant à encore accélérer sa course. Ses pieds se dérobaient à chacun de ses pas. Ses muscles se contractaient sous des spasmes de douleur. Le sol, moins dégagé que celui de l'allée principale, se révélait être un piège à chaque foulée. Glissant, son pied se prenant dans un trou, elle tomba, roula, avant de frapper de plein fouet la souche d'un arbre. Son souffle se bloqua dans ses poumons. Il lui semblait impossible de bouger. Gisant inerte dans la poussière, Else regardait le ciel étoilé se découper entre les branches, silencieuse. Il lui semblait entendre au loin la voix d'Astrid héler son nom, mais tout lui semblait flou. L'obscurité envahissait son champ de vision, sa respiration sifflante n'étant plus que le seul son montant à ses oreilles. Se recroquevillant légèrement afin de mieux cacher son corps sous les fougères, elle se laissa doucement sombrer dans cette mer de ténèbres. C'était donc ainsi qu'elle allait mourir. Ses paupières trop lourdes finirent par couvrir ses yeux alors que des larmes muettes roulaient le long de ses joues.

 

Soudain, elle sentit une caresse familière toucher sa joue, tarissant ses larmes d'un doux toucher. Elle ouvrit doucement les yeux et lui sourit faiblement. Il était là, comme à chaque fois qu'elle se perdait entre les arbres. Sa figure fuligineuse était encore plus indiscernable dans l'obscurité de la nuit, mais Else était certaine que s'il avait pu, il aurait souri lui aussi. Elle l'avait rencontré alors qu'elle n'avait que sept ans, et qu'enfant trop curieuse qu'elle était, elle s'était égarée au cœur des bois. Comme cette nuit, il était venu essuyer ses larmes et avait guidé ses pas jusqu'au château, l'aidant à retrouver son chemin comme à chaque fois qu'elle en avait eu besoin. Lentement, elle sentit ses mains s'enrouler autour de ses bras et, dans une douleur terrible, la remit sur ses pieds. Toujours pantelante, la jeune fille s'appuya contre son épaule et stabilisa sa respiration.

 

-Guide moi.

 

Sa voix n'était plus qu'un murmure sourd, mais il sembla la comprendre. D'un hochement de tête, il acquiesça et, la gardant tout contre lui, la poussa au creux des arbres.

 

*

 

Il semblait lui avoir erré des heures au cœur de la forêt. Ses mains, saisissant fermement ses bras, essayaient de réchauffer au mieux son corps glacé. La douleur ayant empli chacun de ses muscles s'était légèrement dissipée, mais la présence des ombres subsistait malgré tous ses efforts pour les chasser. Devant elle, son guide franchissait les murs de verdures avec aises, flottant presque entre les troncs, son corps fuligineux disparaissant presque dans les ténèbres de la nuit. Ses pieds traînaient sur le sol, n'ayant pas retrouvé toute leur stabilité, ils lui empêchaient de progresser à un rythme soutenu. Mais cela ne semblait plus déranger la jeune fille. Perdus dans cet enchevêtrement de feuillages, les cris d'Astrid s'étaient fanés dans l'opacité fuligineuse, n'atteignant plus ses oreilles. Seuls les murmures sourds persistaient et résonnaient avec une nouvelle force au creux de son crâne. Toujours étourdie par les sensations beaucoup trop forte qui imprégnaient son corps, Else ne parvenait pas à se repérer dans la pénombre, si bien qu'elle fut étonnée lorsqu'elle aperçut la petite maison de prière se découper entre les arbres. Elle avança prestement vers son guide, dont la silhouette noire se découpait frêlement devant sa façade. S'attendant à ce qu'il la guide à l'intérieur, elle fut surprise de le voir continuer vers le rivage où s'écrasait l'eau dans un léger clapotis.

Dominant le paysage, la lune éclairait de ses rayons blafards chaque surface, pareille à un voile venant recouvrir et adoucir chaque contour de la nature. La porte d'Onyx se découpait fièrement sous ce ciel nocturne, embellit par la caresse langoureuse des rayons d'argents sur les arabesques qui décoraient ses battants. Le lac s'était transformé en un miroir splendide, se parant de diamant sous le reflet des étoiles à sa surface. Le vent s'était levé, emportant avec lui les mèches folles parcourant la chevelure de la jeune fille. Devant ce décor grandiose, la silhouette obscure lui faisait face, la fixant avec intensité. Les rayons de la lune n'avaient aucune accroche sur ce spectre d'ombre, ils ne glissaient pas sur son corps, ne s'enroulaient pas à chacun de ses membres, le faisant apparaître comme un trou béant de vide au cœur du réel. Alors qu'Else s'approchait lentement de lui, ce dernier avança lentement dans l'eau, son corps fendant ce miroir paisible. La jeune fille l'observa sans un mot, figée sur place. Elle ne pouvait pas. Sans se retourner, ce dernier progressait vers le cœur du lac, son être engloutit un peu plus par les eaux à mesure de ses pas. Elle le regarda, son estomac se tordant sous la panique gagnant son corps. Désirait-il qu'elle le suive ou regagnait-il simplement sa demeure ? Ne sachant quelle voie prendre, elle cria de toutes forces pour attirer son attention.
-Ne me laisse pas ! Je t'en prie !

 

Sa voix n'était plus qu'un râle sourd, mais ce dernier sembla attirer l'attention de son guide. Sans un geste, ce dernier se retourna et le fixa de loin, son corps flottant presque désormais au centre du lac. Else le dévisagea intensément, le discernant plus difficilement dans l'obscurité, espérant le moindre signe pouvant éclaircir ses doutes. Mais il demeura immobile, ne détachant pas son regard d'elle.

 

-Il doit y avoir un autre chemin ! S'écria-t-elle avec une nouvelle ferveur.

 

Il ne réagit pas, la fixant stoïquement dans une longue attente. Le corps de la jeune fille se mit à trembler soudainement sous le flot de sentiments la balayant soudainement. Peur, incompréhension, doute. Tout se mêlait dans ses entrailles, la laissant pantelante sur le rivage. Il attendait qu'elle le rejoigne. Regardant plus loin vers les profondeurs du lac, elle tenta d'estimer si cette traversée était réalisable. Elle était trop faible, elle ne pourrait jamais nager très longtemps. Mille et unes pensées se bousculaient dans sa tête, renforçant l'horrible migraine qui ne l'avait jamais vraiment quittée. Elle devait se décider, rapidement. Posant une nouvelle fois son regard sur l'être obscur, elle tenta d'éclaircir au mieux ses pensées. Il l'avait toujours parfaitement guidé. Il ne s'était jamais trompé. Mais il ne suffisait que d'une erreur. Une seule erreur. Cependant, elle devait lui faire confiance. Elle ne savait pas où il la menait, mais elle trouverait peut-être les réponses qu'elle cherchait de l'autre côté de la montagne.
Lentement, elle retira ses bottines, puis sa robe et tout autre accessoire pouvant alourdir son corps. Si elle allait nager, il fallait mieux rendre la tâche le plus facile possible. D'un geste hésitant, elle décrocha l'Arceau du haut de son crâne. Elle caressa légèrement d'un geste distrait du pouce la gravure qui parait son centre, puis posant son regard vers le cœur du lac, le laissa tomber dans le sable aux côtés de ses autres effets personnels y gisant déjà. Elle s'aventura timidement dans l'eau. Sa peau déjà glacée ne frissonna que légèrement à son contact. Ses pieds ne tardèrent pas à s'enfoncer dans la vase, trempant le bas de sa tunique. Un nouveau vent de panique s'insinua dans son esprit et urgea en elle l'envie de rebrousser chemin. Inspirant un grand coup, calmant ses mains tremblant de peur et de froid, elle jeta un dernier coup d'œil vers la rive. Tout allait bien, elle pouvait rebrousser chemin à tout moment. Fendant ainsi les eaux, elle continua sa progression. Accompagnée par les légers clapotis de l'eau dominant les bruits de la nature, Else huma les odeurs du lac teintées des effluves de bois humide. Seule au cœur de cette étendue immense, perdue dans le ciel et son reflet, la jeune fille ne s'était jamais sentie si insignifiante. Elle se sentait être lentement happée par les flots, étrangement statiques sous ses mouvements.L'eau ne tarda pas à atteindre ses épaules, ralentissant davantage sa progression et l'entourant de leur manteau opaque. Elle s'apprêta à nager lorsqu'elle les sentit. Cris d'agonies remontant des profondeurs du lac, leurs membres spectraux s'accrochèrent lentement à son corps, la remontant lentement vers la surface. Saisie de peur, Else observa le sol se dérober sous ses pieds. Elle réussit à distinguer de lourdes pierres gisant au cœur des abysses lacustres desquelles s'échappaient d'étranges filaments blanchâtres remontant jusqu'à elle. Tout devint soudainement clair dans son esprit. Les spectres des noyés Larzares. Elle avait toujours pensé qu'il s'agissait d'une légende, comme beaucoup d'autres qui circulaient sur ces bois. Mais non, eux aussi existaient et comme annoncé, ils semblaient garder la porte d'Onyx. Cependant, elle fut étonnée d'être portée à la surface et non emmenée au creux des flots par ces spectres maudis. Elle continua d'avancer lentement, fixant d'un air incrédule ces fantômes se rassembler sous elle, portant chacun de ses pas. Ils l'empêchaient de sombrer dans les profondeurs, créant sur son passage un étrange pont, lui donnant presque l'impression de marcher sur l'eau. Leur toucher était glacial et vaporeux, et Else était certaines que cette sensation était pareille à celle de marcher sur un nuage. Voyant que la jeune fille n'avait pas stoppé sa progression, son guide continuait sa traversée devant elle, se rapprochant de plus en plus de la porte d'Onyx.

Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, la jeune fille se sentie engloutie par sa stature, elle était encore plus impressionnante que ce qu'elle avait pu imaginer. Dans un geste infiniment doux, la silhouette sombre glissa ses mains sur les battants. Les arabesques et runes dont ils étaient gravés s'animèrent alors, comme remplis d'un étrange feu. Else ne pouvait détacher ses yeux de ces derniers. Elle ignorait ce que tout cela signifiait, mais jamais elle n'avait vu quelque chose d'aussi fantastique. D'aussi magnifique. Elle approcha légèrement ses doigts, désirant les toucher pour s'assurer qu'elle n'était pas simplement en train de rêver. Mais une main sombre s'enroula autour de son poignet, la ramenant vers le petit interstice qui fendait désormais la porte. Sans attendre, son guide l'y emmena avec elle. Comme si elle plongeait à nouveau dans les eaux gelées du lac, Else sombra dans cette masse sombre. Sauf que cette fois-ci, aucun fantôme ne vint l'aider. Tout était noir, vide, perdu. Ses forces la quittant, elle succomba au cœur des ténèbres. Il y avait tout, il n'y avait rien. Fermant les yeux, elle se laissa happer par le Néant.

 

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Arod29
Posté le 09/07/2021
Hello, me revoilà!
J'aime toujours autant. La poésie qui se dégage de ton histoire me plait beaucoup, mais j'ai trouvé ce chapitre un peu moins abouti que les précédents.

En fait je pense que tu utilises trop souvent des participes présents. Ce qui alourdit tes phrases et tu perds en rythme.

Par exemple:

"S'agenouillant contre le bassin, elle lissa distraitement sa robe d'un revers de main, se concentrant sur les bruits de la nature pour chasser la sensation désagréable de la migraine persistante lui assénant les tempes"
Là tu as "agenouillant, lissant, concentrant et assénant"
Je te propose
"Elle s'agenouilla contre le bassin et lissa distraitement sa robe d'un revers de la main. Son esprit se concentra sur les bruits de la nature pour chasser la sensation de migraine persistante lui assénant les tempes."
Je ne dis pas que j'ai raison, c'est juste une proposition, tu peux sûrement trouver mieux mais je trouve que c'est plus fluide ainsi.
Ou celle-ci:
"Les branches lui fouettaient violemment le visage, leurs épines s'accrochant au tissu de sa robe ralentissant sa progression."

Les branches lui fouettaient violemment le visage, leurs épines s'accrochaient au tissu de sa robe, ralentissant sa progression.
Je trouve que c'est plus dynamique.

J'ai aussi noté quelques phrases qui me posait problème.

"Elles témoignaient de la force et du courage qui coulait dans ses veines, de cette détermination sans faille qui avait habité ses ancêtres, qui aurait dû l'habiter."
Je trouve que ça sonne mal.
Je te propose:
"Elles témoignaient de la force et du courage qui coulait dans ses veines, de cette détermination sans faille qui avait habité ses ancêtres, des qualités dont elle ne se sentaient pas dignes."

Cette phrase aussi:

"A demi plongée dans l'obscurité du couloir, seulement éclairée par la flamme vacillante de la chandelle qu'elle transportait, Else sentit une étrange sensation de plénitude l'envahir. "
Je ne change pas grand chose mais je la trouve plus clair comme ça.

"A demi plongée dans l'obscurité du couloir, avec pour seule lueur la flamme vacillante de la chandelle qu'elle transportait. Else sentit une étrange sensation de plénitude l'envahir. "

"Ses mains et ses pieds travaillaient dans une coordination presque inhumaine portant ses pas. "
Celle-ci je ne comprends ce que tu as voulu dire. ;-)

Je ne vais pas tout lister mais j'ai l'impression que ce chapitre est moins travaillée que les autres. Je le trouve plus inégal.
Et j'oubliais fuligineux... ;-)
Par contre ton univers est excellent et le mystère est toujours là, planant comme une brume du matin qui s'attarde. Le romantisme et la poésie imprègnent ton récit de belle façon.
Mes remarques ne sont pas celles d'un professionnel, je ne suis qu'un amateur. Donc tu prends ce que tu veux et tu jettes le reste. Ce n'est que mon avis. :-)
En tout cas continue!
A bientôt!
AsnMes
Posté le 15/09/2021
Merci beaucoup pour ton super commentaire ! ( Vraiment désolée pour le délai de réponse, les derniers mois furent mouvementés et je n'ai pas eu le temps de me connecter à plume d'argent ^^').

Je suis contente que mon univers t’intéresse toujours autant !

Sinon ne t’inquiètes pas, vraiment tes remarques me sont d’une aide plus que précieuse. Cela m’aide tellement dans mes relectures mais aussi dans l’écriture des prochains chapitres. De plus tu me donnes toujours des pistes et des alternatives avec tes remarques ce qui est super pratique.
Je vais très rapidement changer toutes ces petites choses ( et tenter de calmer mon étrange addiction au participe présent é-è ).

Vraiment merci pour tes commentaires toujours gentils, complets et plus que bénéfiques. Tu m’aides vraiment dans mon travail d’écriture.

En espérant que la suite te plaise tout autant.
A bientôt !
Arod29
Posté le 16/09/2021
Hello
Pas de soucis!
Je suis content que mes remarques te soient utiles. Je continuerai à chipoter!
A bientôt!
Laurence Acerbe
Posté le 27/07/2020
Nous sommes de retour, pour vous jouer un mauvais tour!
Bonjour bonjour! (ça rime en plus!)
Comme d'habitude, il y a toujours cette poésie qui anime tes récits, que je trouve vraiment belle. Là, "Jetant sur les herbes folles leur pluie livide, les rayons de la lune filtraient entre les branches", vraiment, ça a fait quelque chose dans mon petit coeur!
Cependant, tu as quelques erreurs (bénignes), des coquillettes (mais ça c'est normal), et tu as un problème de "justification". Ton texte prend au départ bien la largeur, et à la moitié, la justification change.
Attention a Fuligineux! Tu la mis a toutes les sauces il y en a beaucoup trop xD
Ensuite, ce chapître m'a plus chiffoné que les autres sur certains points: j'ai apprécié les quelques lignes décrivant le père et montrant sa puissance, mais cela manque un peu de fond, un peu d'histoire je trouve.
J'aurais préféré plus d'attente à la fontaine, quand Else attend Astrid, quelque chose qui montre son amour, qui fait que sa fuite devient vraiment poignante. Une description du souvenir de leur premier baisé par exemple (si elles s'embrassent). Et qu'elle s'aperçoivent vraiment qu'Astrid arrive (en la voyant), ce qui fait qu'Astrid la voix fuir.
A ce propos, le plus gros défaut que j'ai trouvé: le rythme est totalement en dent de scie. Les descriptions sont jolies, mais tranchent parfois avec un rythme déjà saccadé dans l'action. Ce qui fait que quand on arrive à la fin, (la porte d'Onyx), j'ai eu un peu de mal à en ressentir le grandiose, comme si je n'étais pas préparée. Mais je pense qu'en mettant de la profondeur au père et en intensifiant la "non rencontre" avec Astrid, et ses enjeux (et peut être faire un peu plus penser au lecteur et à Else que ses réponses se trouvent derrière la porte, en utilisant le guide par exemple, qui nimbé de mystère est très bon je trouve), cela aplanirait le tout. Je sais que c'est vraiment pas facile et je suis désolée d'avance x). J'ai tout de même très envie de voir ce qu'il y a derrière cette porte ! :D

Je vais continuer (surement aujourd'hui d'ailleurs!) à lire, j'espère que je ne vais pas te baisser le moral !
AsnMes
Posté le 09/09/2020
Merci pour ton super commentaire très constructif !
Je vais m'empresser de changer la mise en page et de trouver ces petites coquilles !
Avec le recul, je comprends parfaitement ce que tu me dis sur le rythme ! Je crois que j'ai voulu donner une certaine langeure au récit pour renvoyer à l'état second de Else pendant tout le chapitre mais au final cela casse l'action. Je vais donc rallonger un peu ces scènes de développements de personnages annexes afin d'un peu plus lier le tout ( et que cela ne tombe pas trop comme un cheveu sur la soupe) et je vais retravailler le rythme de cette scène de poursuite !
Je vais aussi changer tout ces fuligineux en tentant de trouver d'autres synonymes que les trois mêmes que j'utilise à toute les sauces :') .
Merci encore pour ce commentaire et ne t'en fais pas, cela ne me démoralise pas du tout ! (D'ailleurs je préfère parfois des commentaires pointant de nouveaux défauts car je les trouve toujours très bénéfique à l'amélioration de mon style et de ma narration. Même si les compliments me font toujours extrêmement plaisir ( je ne me plains pas loin de là ^^) j'adore que l'on pointe vraiment des détails qui me passent un peu sous le nez car je suis totalement plongée dans mon récit et que j'ai donc moins de recul ^^).
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