— Je sais ce que j’ai vu, Greg, ils venaient de WyattC, et je crois qu’ils étaient assez haut-placés. Elle, en tout cas.
— Et qu’est-ce qu’ils venaient foutre à ton boulot ?
— Ça, j’en sais rien.
Adhaley tira sur sa cigarette d’Eufori. Les responsables de la Fondation WyattC se montraient rarement, laissant le travail de communication aux subalternes tandis qu’ils actionnaient les ficelles. Il fallait une bonne raison pour les faire sortir de leur bureau.
— En tout cas, c’était bizarre, conclut-elle.
Elle était assise à la terrasse du Rockin’ shamrock avec son ami, qui la regardait à travers d’immenses lunettes de soleil bien que le temps ait presque tourné à l’orage. Adhaley sentait l’électricité courir sur sa peau, crisper ses muscles et lui irriter les dents. La météo était très instable, elle l’avait toujours connue comme ça.
— Alors, quand c’est que tu reprends de la caméra ? se hasarda Greg.
Adhaley prit une autre bouffée de fumée et la laissa descendre dans son corps, caresser ses poumons.
— On en a déjà parlé. Je peux pas…
— Quoi, à cause de tes parents ? T’as plus l’âge de leur obéir…
— Laisse tomber, s’agaça-t-elle. Tu me compliques les choses.
Greg sembla choisir la voie de la raison et capitula.
— Tu restes au pub ce soir ? dit-il pour changer de sujet. Va y avoir du spectacle…
— Je peux pas non plus, déclina-t-elle. Anniversaire du collègue.
Le jeune homme écarta les bras et fit une mine scandalisée.
— Quoi ! Ton collègue est plus important que nous, c’est ça ?
— Arrête-rit-elle en recrachant un nuage de drogue euphorisante. Tu vas me faire pleurer. En fait, je devrais y aller pour pas être en retard. Faut encore que je passe chez moi, histoire de me rendre présentable.
— T’es très présentable comme ça, la flatta Greg. Eh, attends, avant de partir. Tu me récites les décimales de pi ?
Adhaley était réellement agacée, maintenant. Elle avait un jour mémorisé les cent premières décimales pour gagner un pari, et ses amis lui demandaient régulièrement de les sortir. Ils admiraient sa mémoire extraordinaire ; mais elle aurait parfois voulu leur hurler qu’avoir l’esprit constamment empli de souvenirs et de choses qu’on ne pouvait oublier avait parfois quelque chose du cauchemar.
:::
Tu n’oublies pas, hein ? lui avait envoyé Thomas. Après la demande de Greg, le message ne la fit pas sourire. C’était une blague en leitmotiv entre elle et ses collègues de bureau ; ils savaient qu’elle n’oubliait jamais rien et se moquaient de sa prodigieuse mémoire en faisant référence à sa prétendue étourderie.
Adhaley habitait North Beach et avait le privilège, depuis son cube, de voir le Golden Gate tous les matins et tous les soirs, pour peu qu’elle prenne la peine de passer un œil par la fenêtre de sa chambre. Les vapeurs et les lourdes nappes brouillardeuses, phénomènes fréquents, transformaient la structure en monstre sorti des eaux, carcasse mystique digne d’un Cthulhu qui ne bougerait jamais, traversée de quelques lumières quand le soleil passait par les filins de métal.
À North Beach, on appelait les appartements des cubes à cause de leur forme et de leur empilement en colonnes. Il s’agissait à la base de vieux conteneurs recyclés en habitations dans les années 2050. Adhaley avait un des plus gros cubes, au douzième étage de sa colonne ; elle le partageait avec une colocataire, Camille, absente pour l’heure.
Adhaley déposa ses affaires dans sa chambre. Elle aimait sa chambre, petit espace à l’aspect vieillot et en désordre. Des posters numériques recouvraient les murs, des babioles sans importances s’empilaient partout – Adhaley n’aimait pas jeter, même ce qui ne lui servait à rien. C’était une manière pour elle de se décharger du poids de ses trop nombreux souvenirs, en les attachant aux objets qui y étaient reliés. Son meuble préféré était une commode où elle rangeait ses vêtements en vrac. Dénichée dans un vide-grenier. Elle avait même trouvé dans un de ses tiroirs un vieux morceau de papier – de vrai papier -, une lettre adressée à un certain W. Vu le contenu du message, Adhaley penchait pour une lettre d’amour jamais envoyée au destinataire ; par couardise ou par impossibilité. Mais le papier s’était dégradé au fil des années, ne laissant que la moitié des mots déchiffrables ; difficile de trancher, donc.
Par superstition, elle avait conservé la lettre pliée dans l’interstice entre le mur et la commode.
Son premier geste en rentrant ce soir-là fut de ranger ses croquis. Elle se rendit compte que sa dernière œuvre, celle qui représentait le Golden Gate vu depuis Sausalito, s’était déchirée dans sa course vers les bureaux. Le papiécran s’était vidé de sa couleur aux coins, comme drainé de sang. Elle se maudit à voix basse. Il était possible de réparer le papiécran, mais cela coûtait presque plus cher que l’objet en lui-même.
Elle le rangea avec les autres et partit se verser un verre d’eau, y ajouta une touche d’arôme citron et se posta devant la fenêtre pour le boire. Le ciel se chargeait d’autres nuages, plus sombres. L’upway n°6 déboula souplement et fila dans son bourdonnement caractéristique.
Le carnaval continuerait dans la nuit, mais elle pensait avoir de bonnes chances de pouvoir emprunter l’upway pour aller chez Thomas. Elle avait menti à Greg ; en fait elle aurait eu le temps de rester bavasser avec un lui un peu plus avant de se préparer pour la fête, mais il avait évoqué ses études et ça ne lui avait pas plu. Remuer le couteau dans la plaie était devenu une fâcheuse manie chez lui, en plus de l’ennuyer sur sa mémoire. Si seulement elle n’avait pas eu l’idée, certes grandiose mais aussi crétine, de tourner ce film sur la musique vampirique pour valider la fin de son cycle et obtenir le diplôme – choses qu’elle n’avait finalement pas faites -, elle n’en serait pas là. Entre son épaule et son cou, masquées par des greffes de fausse peau qu’il avait fallu adapter à sa pigmentation pour les rendre quasiment invisibles, la blessure vieille de plusieurs années se mit à la picoter.
Depuis son bracelet-terminal, elle se brancha au flux d’infos et laissa défiler les messages une dizaine de minutes.
L’heure venue, Adhaley ressortit en chemise et cravate. En grande fan de serpents, elle avait aussi mis ses boucles d’oreille et sa bague en forme de cet animal. Comme prévu, il y avait encore des costumés dehors, mais ils avaient l’air de beaucoup moins s’amuser. Le ventre des nuages se gonflait d’eau et les présages étaient au déluge imminent. Adhaley se laissa porter par l’ascenseur jusqu’à la plateforme de l’upway. Le tableau indiquait la prochaine rame dans deux minutes ; la silhouette racée de celle qui venait de partir s’amenuisait dans le vide, entre les étoiles.
Des haut-parleurs diffusaient de la neo-country sans conséquence. Les âmes patientaient en s’ignorant. Du coin de l’œil, Adhaley nota tout de même sur sa gauche un homme en manteau noir. Il avait levé la main vers son col et un objet à son doigt avait brillé d’un éclat argenté.
Elle avait vu cet homme plusieurs fois dans la rue. Certes, les blousons noirs étaient assez fréquents, n’importe qui pouvait en porter, mais elle se souvenait de lui. De cet éclat à son doigts.
Durant le trajet, Adhaley se cala debout devant une vitre. Elle laissa couler sous ses yeux le tableau de la ville et, en haut, la galaxie mêlée des luminaires accrochés aux rails, le tout se prêtant à une douce et régulière anamorphose. Elle préférait l’upway au métro : elle pouvait regarder la ville défiler sous ses yeux. Les lignes les plus récentes avaient à peine dix ans, construites pour désengorger les quais du métro et desservir d’autres itinéraires. La population de la capitale ne cessait de grimper en flèche, par arrivages des terres centrales et un peu de la côte Est, et il fallait bien faire voyager tout le monde.
La pluie semblait se retenir. Adhaley descendit à Lower Haight et continua à pied, appuya sur un bouton de son bracelet pour enclencher sa playlist favorite qui se diffusa dans son crâne. Elle ne se pressa pas pour regagner Divisadero Street, fit même un détour pour profiter de la musique plus longtemps.
Aussi pour s’assurer que l’homme au blouson la suivait.
La musique d’ambiance que Thomas avait dû pousser au maximum chez lui embaumait plus ou moins tout le quartier, se superposait à celle de son diffuseur intégré, mais ce n’était pas désagréable. Adhaley savoura encore un moment les rues dégagées, les hautes maisons en bois dont devinait la couleur dans la pénombre : blanc, vert, rouge ou bleu, le tout flanqué d’une volée de marches et d’un porche éclairé. Une odeur de simili-viande grillée et d’aromates finit par l’attirer devant la demeure de Thomas.
Adhaley ralentit le pas. L’homme marchait toujours derrière elle.
— C’est ici qu’il habite ? lança-t-il. Je n’aurais pas cru.
Adhaley éteignit sa musique et se retourna. L’homme au manteau noir se trouvait derrière elle. Ses yeux étaient lourdement cernés et il faisait une tentative de sourire, qui lui donnait plutôt l’ait épuisé.
— Je vous ai fait peur, pardon.
Il se gratta le nez, révélant sa bague argentée en forme de tête de mort.
— Non, non. J’suis pas si fragile.
— Alors je peux me permettre de vous complimenter sur votre bague. Très jolie.
— Vous êtes qui ?
Donc, il l’avait suivie. Elle l’imagina reproduire son trajet dans les rues, silencieux comme une ombre, avec ses cernes et sa bague en tête de mort. La porte s’ouvrit sur un filet de musique plus prononcé, et :
— Adha, entre ! Pourquoi tu n’as pas sonné ?
Katherine, l’épouse de Thomas, avait commencé à lui faire signe ; puis ses yeux tombèrent sur l’homme qu’elle ne semblait pas reconnaître non plus.
— Bonsoir, monsieur, dit-elle poliment.
— Bonsoir. Vous devez être Katherine. Thomas ne vous a peut-être pas parlé de moi, je m’appelle Pete Zackery. Je suis… un ancien collègue.
— Venez, entrez, je vous en prie.
Elle semblait avoir évalué qu’il ne représentait pas une menace et les fit passer dans le hall ensemble, épaule contre épaule.
— Vous écoutiez quoi ? demanda Pete Zackery à Adhaley.
— Pardon ?
— Tout à l’heure, quad je vous ai coupée. Vous écoutiez quoi ?
— Vous connaissez sans doute pas.
— Essayez tout de même ?
— Blood songs.
— Ah, Blood songs…
Son regard était perdu dans le vide comme s’il venait de tomber dans d’indicibles réminiscences. Adhaley lui avait servi le nom d’un groupe de musique vampirique, persuadée qu’il ne serait pas fervent admirateur du genre, mais il avait l’air de connaître.
On les fit passer par le salon et déboucher dans le jardin. Les cheveux teints en vert de son collègue se confondaient avec la végétation luxuriante qui l’entourait et libérait de lourdes senteurs, épicées, herbeuses et fruitées. Il y avait des tas d’espèces exotiques : ginkgo aux feuilles échancrées, honeybush jaune profond qui sentait le miel, prunier du Japon et ses petits fruits qu’un invité s’occupait à cueillir, l’air de commettre un vol abominable. Au-dessus du jardin, quasiment invisible, s’étirait une toile thermique, redoutablement efficace pour capter la chaleur du soleil et la conserver dans son cocon jour et nuit.
Thomas, en short et chemise de plage, aperçut les nouveaux venus et se dégagea de la compagnie d’un vieux monsieur en veste à fleurs. Il souriait mais ses yeux ne quittaient pas Pete Zackery.
— Tom, salua ce dernier. Content de te revoir.
— Pete ! Tu as fait bon voyage ?
— Pas trop mauvais, évalua Zackery avec une moue pincée.
— Vous venez d’où ? lança Adhaley.
— De très loin, fit-il avec un sourire en coin. De vraiment très loin.
Le roi de la soirée hocha la tête, même si la réponse de son ancien collègue avait l’air de l’agacer. Il jouait distraitement avec la paille dans son gobelet de K-fé glacé, et ne paraissait pas vouloir continuer la discussion.
— Je vois qu’il y a des cacahuètes, ça fait longtemps que je n’en ai pas mangé, lança Zackery. Excusez-moi. Passe un bon anniversaire, vieux.
Il pressa l’épaule de Thomas et partit vers le bol de cacahuètes.
— C’est qui, cet oiseau, Tom ?
— Il te l’a dit, non ? Un collègue. Je ne l’avais plus vu depuis un bail.
— Un collègue… d’avant ?
— Euh… oui. Motus, hein ? ajouta-t-il en baissant la voix.
Devant la mine déconfite d’Adhaley, le quadragénaire serra les dents et délaissa sa paille.
— C’est lui qui m’a contacté. Je ne sais pas trop comment il m’a retrouvé, mais ça ne fait rien, hein ?
— Si tu le dis… ouais, avança Adhaley.
Rares étaient les personnes à savoir que Thomas, avant d’atterrir dans cette boîte d’écolofinance, avait roulé sa bosse chez les services secrets et que quelque chose – une bourde ? une mission trop dangereuse ? une taupe ? – l’avait jeté précipitamment hors de ce monde et mis sur les rails d’une vie normale, sous une identité qui était devenue sienne par la force des choses. En réalité, c’était ce qu’il avait bien voulu lui chanter mais Adhaley n’avait pas vraiment décidé de le croire ou, au contraire, de considérer le tout comme une plaisanterie.
De cette période, elle gardait peu de souvenirs certains. Ces jours-là, passés dans un lit d’hôpital, une chambre d’hôpital, une cour d’hôpital aux parterres de fleurs qui ne sentaient rien, accrochée au bras du même infirmier boutonneux qui parlait moins vite qu’un moulin à vent sans vent, tout avait été une erreur. Elle aurait voulu leur expliquer qu’elle s’était retrouvée internée contre son gré, par le zèle d’un jeune médecin avide de faire ses preuves ; mais personne ne l’avait écoutée. Et pour cause.
Depuis qu’elle avait raté son diplôme et laissé tomber ses rêves filmiques, Adhaley était sujette à des crises de paranoïa. L’inquiétude parentale, excessive, l’avait poussée de rendez-vous en rendez-vous, et on avait fini par lui prescrire des médicaments pour apaiser les symptômes ou les contenir en cas de signes avant-coureurs. Même peu convaincue, elle s’en était accommodée et la vie avait repris son cours.
Les choses, en revanche, s’étaient corsées après trois mois de boulot en tant qu’écolofinancière. Le choc d’intégrer un nouvel environnement, peut-être, ou celui d’enterrer définitivement ses ambitions de gamine. Elle qui était d’un tempérament fougueux était passée par une drôle de déprime. Elle avait eu un mal de chien à se faire son trou dans la boîte et on l’avait plusieurs fois changée de voisin, tant elle semblait redouter ou détester le contact avec les autres. Finalement, on avait revu l’agencement de tout l’open space pour la placer près de Thomas, dont la nature calme et lunaire aiderait à son acclimatation. Oui, elle s’était sentie mieux auprès de Thomas. Elle avait commencé à lui parler. De fil en aiguille, elle lui avait confié ses craintes d’être épiée par un de leurs collègues. Un agent double, qu’elle avait cru démasquer mais contre lequel elle n’avait aucune preuve. C’était peut-être un vampire par dessus le marché.
Et puis, un jour, Thomas avait retrouvé un couteau de cuisine dans son sac. Quand il lui avait demandé ce qu’elle comptait en faire, elle lui avait répondu que c’était pour provoquer le collègue en duel.
Sans savoir comment, elle s’était retrouvée au centre psychiatrique. Thomas, par pitié pour son isolement sans doute, venait la voir tous les jours et lui apportait de la soupe et des bonbons à la carotte. Il s’était peut-être senti responsable. En fait, même si elle n’avait pas eu le cœur de le lui dire, ça empirait les choses pour elle. Devoir affronter son regard, devoir lui parler tous les jours. Devoir manger sa soupe pas assez salée. Alors elle s’était mise à se taire ; et lui, à parler.
Il lui parlait de tout. Il lui racontait son mariage qui avait eu lieu un peu avant l’arrivée d’Adhaley dans la boîte, avec une certaine Katherine. Il lui parlait des chats qu’il aurait aimé recueillir mais ne pouvait pas, en raison d’une allergie développée tardivement. Des détails sans importance.
Plus Adhaley se taisait dans sa petite chambre individuelle, payée par la fortune familiale, plus il se laissait aller. Il lui parlait d’événements plus personnels, dévoilait des secrets. Un jour, il avait longuement fixé la branche de marronnier dehors. Le soleil s’était accroché à chacun de ses cils, avait souligné chacun de ses pores et minuscules cicatrices au menton – traces de rasages peu soigneux, sans doute. Puis :
— J’ai travaillé pour les services secrets.
Adhaley, dans le gouffre en coton de sa dépression médicamentée, n’avait pas eu de réaction. Elle était assise sur le lit, bonbons à la carotte en main, et lui sur la chaise des visiteurs. Elle le regardait en coin.
— Ça n’a pas duré longtemps, mais ça compte, avait-il continué. J’étais dans la milice.
La milice, comme on l’appelait, avait acquis plus de notoriété qu’elle aurait probablement aimé en avoir : branche des services secrets qui recrutait des adolescents et jeunes adultes et les envoyait défendre le transhumanisme dans les pays où sa place était mal tolérée.
— Et puis, il s’est passé cette chose…
Thomas avait suspendu sa phrase mais les fantômes de ses mots flottaient autour d’eux. Sa voix résonnait étrangement dans la petite pièce chauffée par le soleil, aux effluves d’antiseptique mentholé.
— Bon. Ça remonte à longtemps, avait-il conclus, penaud.
Ce jour-là, il était parti plus tôt que les autres. Adhaley n’avait pas mangé les bonbons. Elle les avait mis dans le tiroir de sa table de chevet et les avait contemplés dans la lumière du jour, jusqu’à la venue du soir.
Le jour suivant, Thomas lui avait dit :
— Par rapport à ce que j’ai pu te dire… il vaut mieux oublier. Tu comprends, hein ?
Un regard appuyé, un geste éloquent de la main. Adhaley avait opiné du chef en se rongeant les ongles.
Depuis ce jour, où ils avaient vaguement mis les choses au point tous les deux avant de se goinfrer de gommes sucrées, ils n’en avaient plus reparlé. Adhaley s’était souvent demandé quelle part de son identité était inventée. Thomas Cigar, citoyen italo-japonais dont les parents venus s’installer en Californie nourrissaient une passion pour le monde anglophone ; d’où le prénom choisi pour leur rejeton, et leur changement de nom de famille pour la modique somme de trente dolls. Cigar, parce que sa mère était particulièrement fan d’une certaine marque de cigares californienne. C’était ce qu’il pépiait joyeusement à qui voulait entendre son histoire.
Et la coiffure soigneusement décoiffée ? La teinte en vert ? La brioche au bide qu’il cultivait avec amour ? Combien de ces petites choses faisaient réellement partie de lui, combien d’autres étaient inventées pour alimenter sa couverture ?
Adhaley avait fini par se soigner, sortir de l’hôpital, retrouver une vie normale. Le collègue qu’elle avait soupçonné de l’épier, dans son délire, avait été muté ailleurs.
Elle n’avait plus connu d’accès paranoïaque depuis quatre ans et s’estimait à présent guérie.
Adhaley haussa les épaules et s’approcha d’un bol rempli de noix de ginkgo. Tout n’était qu’opulence sur ces tables dressées pour l’occasion. Les couleurs se côtoyaient dans un joyeux mélange, la rondeur des fruits, l’aspect croquant des en-cas salés et les bouteilles de liquides gazeux ou somptueux, qui oscillaient aux vibrations de la musique.
Thomas papillonnait, K-fé glacé à la main et cheveux dressés comme une fougère ; Zackery mâchonnait quelque chose, l’air sombre, collé contre un tronc. Camden Rinhald, une autre collègue, discutait avec Fiddle sous le prunier. Sentant le poids de son regard, Camden tourna la tête vers elle et Adhaley lui fit un sourire charmeur, auquel elle répondit par une forte rougeur aux joues.
Fiddle finit par clore la discussion et se dirigea vers Zackery. Voilà qui était intéressant. La femme jetait des regards prudents autour d’elle pour s’assurer que la fête continuait sans se soucier de ses manigances. Adhaley comprit simplement que sa chef adressait quelques mots à Zackery. Rien de dramatique ou de spectaculaire. Aucun n’avait affiché d’émotion particulière et chacun retourna à ses occupations, qui à coller son arbre, qui à loucher vers la nourriture.
Adhaley mastiquait pensivement sa noix de gingko quand un groupe de déments en habits blancs la bouscula. Des Luministes : elle avait saisi la brillance de leurs colliers en forme de soleil. Ces énergumènes fleurissaient à San Francisco. Pas méchants, voués au soleil et pacifistes, ils vénéraient l’astre du jour comme un dieu et se montraient fort joyeux lors de beau temps, car cela devenait rare. On ne savait pas s’ils croyaient vraiment à leurs idées fantaisistes, mais pour le moment ils ne faisaient pas de mal. Adhaley ignorait que Thomas avait des connaissances luministes. Ça la faisait rire.
Elle s’approcha subrepticement de Camden, se pencha et lui dit à l’oreille :
— Sont beaux, hein ?
Camden sursauta, et sa main-prothèse en métal produisit un cliquettement.
— Quoi ?
— Les Luminsites, je veux dire.
— Oui, se força-t-elle à articuler.
— Je leur ai toujours trouvé un petit air de secte, ajouta Adhaley en s’appuyant à la table, bras croisés. Tu t’es jamais demandé comment ça se passait pendant leurs petites réunions ?
— Pas vraiment, non.
— T’es même pas un peu curieuse, Juste un peu ? Je me demande s’ils ont, tu vois, une statue de soleil et s’ils prient agenouillés devant, ou s’ils lui font des offrandes… j’sais pas, c’est intéressant.
Camden haussa les épaules, gênée, et se mit à tirer frénétiquement sur ses manches.
— J’ai, j’ai un peu faim, dit-elle brusquement. Excuse-moi.
Et elle se sauva vers l’autre bout de la table de victuailles, prétextant encore une gorge sèche et un irrépressible besoin de boire.
J'ai l'impression que tu entreprends de nous perdre un peu en semant ces éléments. Et le sujet des vampires qui revient à intervalles réguliers (y compris le scoop de la morsure de l'héroïne, quand même)...
Pour l'instant, je navigue à vue. Mais j'aime bien ça :)
Détails :
"en fait elle aurait eu le temps de rester bavasser avec un lui un peu plus avant" : il y a un "un" en trop.
"les hautes maisons en bois dont devinait la couleur dans la pénombre" : dont ON devinait ? dont ELLE devinait ?
Je suis contente si Adhaley et Thomas peuvent prendre un peu d'épaisseur ^^ c'est vrai en rervanche que ça peut perdre un peu, vu qu'on ne sait pas si c'est vrai pour Thomas notamment. Pour les vampires, huhu huhu wink wink je ne dirai rien :p
Merci pour ta lecture, et aussi pour ton relevé ♥
C'est bien le Plumest Show, ça motive la procrastineuse que je suis à aller jeter un œil (promis, je ramasse après) dans des histoires qui m'intriguent depuis longtemps :D<br /><br />
Coquillettes et suggestions :
Chapitre 1 :
"Maintenant qu’elle voyait la file d’attente grandir, les (ses ?) nerfs recommençaient de s’échauffer"
Chapitre 2 :
"S’ensuivi(ren)t un interlude musical, des pubs, d’autres pubs, puis un communiqué de la fondation WyattC"
"— Ladies, gentlemen and gentlepersons" J'adore le terme neutre ! ^^
Chapitre 3 :
"mais elle aurait parfois voulu leur hurler qu’avoir l’esprit constamment empli de souvenirs et de choses qu’on ne pouvait oublier avait parfois quelque chose du cauchemar." Repet
"Adhaley déposa ses affaires dans sa chambre. Elle aimait sa chambre" Repet
"Des babioles sans importances (importance) s’empilaient partout"
"en fait elle aurait eu le temps de rester bavasser avec un (mot en trop ^^) lui un peu plus avant de se préparer pour la fête"
"masquées (masquée) par des greffes de fausse peau qu’il avait fallu adapter à sa pigmentation pour les rendre quasiment invisibles, la blessure vieille de plusieurs années se mit à la picoter"
"Les hautes maisons en bois dont (se/on) devinait la couleur dans la pénombre"
"Il faisait une tentative de sourire, qui lui donnait plutôt l’ait (air) épuisé."
Oh, mais c'est que c'est une très belle histoire que tu nous offres là <3
L'écriture est super fluide et juste, on se laisse entraîner par l'histoire en oubliant qu'on est en train de lire ! Adhaley (ouch, j'ai du mal à l'orthographier ^^) est super attachante, et je suis très intriguée par ce que tu suggères à propos de son passé, notamment au sujet de ses études / du film...
Mais je crois que ce que je préfère, c'est le monde, tous les petits détails qui nous font comprendre que c'est bien de la S-F, et qui sont super bien trouvés !
J'ai hâte d'en découvrir plus du coup, alors je vais revenir dès que possible !
Merci pour le relevé de fautes et tes suggestions !
Pour le reste, je suis heureuse si ce début a fonctionné, et si tu apprécies Adhaley. Avec elle, j'avais envie de changer et de créer une héroïne moins "sombre" que ce dont je peux avoir l'habitude. J'espère que ce qu'on sait de son passé par la suite te plaira aussi (enfin. si j'arrive à reprendre la correction de ce texte un jour...). Aha, oui les détails, je suis contente si tu les as remarqués.
Merci beaucoup pour ta lecture et à bientôt
C'est marrant parce que même si on sait pas encore du tout où tu nous emmènes, on a l'impression de voir des indices et des pistes partout. La question du vampirisme dès le départ, cette fondation bizarre, le passé d'agent secret de Thomas, cette histoire de milice, la dépression d'Adhaley... On se demande jusqu'où tous ces éléments sont liés, si y a des recoupements, ou si tu t'amuses aussi à semer le trouble avec des fausses pistes. En tout cas ça pique laaaargement assez la curiosité pour avoir très très envie de continuer même si concrètement, l'histoire n'en est pas encore à ce que le résumé laisse deviner.
Y a quelque chose dans l'ambiance qui fait qu'on est subjugué sans être complètement tranquille. Cette vision du futur a pas l'air trop hostile ou cassée, ce qui donnerait envie de relâcher sa vigilance. Et en même temps on peut pas ignorer que c'est la suite de Memoria et qu'il a l'air de se passer encore des trucs louches. Ca m'a fait exactement le même effet avec l'arrivée de Zackery qui commence par être menaçant et puis qui réclame des cacahuètes (je te le dis, je crois que je suis tombée amoureuse de lui à cette déclaration).
Adlahey me plaît vraiment beaucoup, aussi. "Sans histoire" du coup, pas tellement... C'est d'ailleurs assez vertigineux de plonger dans son passé et forcément on se demande dans quelle mesure sa paranoïa était fondée (et puis ça en rajoute une couche à l'intrigue des vampiiires).
Honnêtement je ne sais pas quoi dire si ce n'est continuer à louer ta plume et ta capacité à faire apparaître des images fortes et claires avec une espèce de poésie rude... trop de choses qui me parlent ♥
Et rassure un peu sur ce deuxième chapitre aussi ! Les choses mettent un petit moment à se dérouler dans ce début, donc j'espère que la suite ne te paraîtra pas trop longue ou mal gérée si tu t'y lances ^^ (enfin oui. bon. pour l'instant elle est cachey.) C'est vrai que pas mal de choses sont esquissées, entre le passé de Thomas et celui d'Adhaley notamment. Quels débuts de piste sont liés et comment et pourquoi ? Bonne question, la suite et la réponse dans les prochains épisodes :D j'espère en tout cas que la curiosité va rester de la partie !
C'est vrai, ça tranche un peu avec Memoria où l'ambiance était voulue plus glauque et dystopique, pour le coup. En Californie, fin de siècle, les choses paraissent plutôt vivables :p mais bon tu as raison de flairer que des choses pas nettes se trament ici et là. Je suis absolument, positivement ravie si tu es un peu amoureuse de Zackery et de son envie de cacahuètes ! Stalker les gens, faire du mystère et manger des cacahuètes, c'est tout lui. J'espère que l'évolution de ce personnage te plaira, je l'aime beaucoup mais il m'en a fait baver (et il continue le con è.é)
Adha a peut-être un peu plus de passif que prévu ; disons que les choses ont pas toujours été très claires dans sa vie ou sa tête mais que pour l'instant, (quasi) tout a l'air de baigner. C'est pas exclu qu'il y ait eu un fondement à sa paranoïa, difficile à dire.
Mow, ça me touche beaucoup ce que tu dis sur la plume alors merci (un peu de pwésie rude pour rendre la monnaie de sa pièce à monsieur Char, oui non. d'accord. on n'en parle plus.) Je suis en tout cas vraiment contente que ça te parle <3 merci encore pour ta lecture !