Cela faisait un peu plus de deux semaines que l'inconnu inattendu avait fait irruption dans la vie de la pré-adulte perdue. Un quotidien s'était installé mais aussi quelques ré-orgnisations.
Déjà par le fait que Léon ne pouvait pas continuer à dormir sur les chaises, il dû aller acheter un matelas gonflable en priant pour qu'Emy ne tente rien de dangereux pendant ce temps puisque, bien évidemment, ce jour était un "jour sans" - comme ils décidèrent de les appeler. Mais à son retour, la jeune fille était toujours allongée, immobile et fascinée par son plafond. L'installation du matelas força Emy à aider Léon, leurs efforts menèrent à bien leur travail bien qu'ils passèrent pas mal de temps à comprendre le fonctionnement du gonflage automatique fournit. En parallèle, et lors d'un "jour avec", Léon avait enfin entreprit de s'acheter des vêtements et des draps.
L'autre changement : l'inaptitude d'Emy à pouvoir aller en cours ou continuer à travailler dans le bar, avait conduit à des discordes entre eux. Elle refusait de joindre ses parents pour des raisons personnelles sachant qu'il ne finançait rien de sa vie et l'autre sujet était qu'elle ne souhaitait pas que Léon travaille à sa place, pas pour "une fille comme moi" comme elle lui dit. Elle savait qu'il ne faisait pas ça pour elle à proprement parlé puisque c'était une nécessité elle le savait et se sentait misérable. Elle dû céder pour éviter les problèmes de loyer mais elle ne pouvait pas se résoudre à appeler ses parents, elle ne le supportait pas. Si ils s'inquiétaient, ils auraient dû appeler depuis bien longtemps, tout simplement.
Mars pointa la bout de son nez laissant paraître une surprise pour eux : tout s'étaient enchaînés très vite et ils habitaient littéralement ensemble.
Léon travaillait de onze heure à dix-neuf heure dans une supérette bien fréquentée et ce cinq jours sur sept, lui faisant gagner 1.678,95 euros soit un SMIC tout à fait respectable. Les "jours sans" l'inquiétaient lorsqu'il partait au travail en la laissant seule huit heures par jour. De son côté, Emy ne savait pas quoi faire. Les "jours avec", quand elle sentait relativement bien, elle se demandait pourquoi elle avait tout abandonné puis moins de vingt-quatre heure après, elle perdait l'appétit, l'envie de se lever ou même se laver. Entre eux deux, une bagarre pouvait s'installer pour stimuler Emy, ne pas la laisser sombrer. Les heures de travail de Léon lui permettait une flexibilité non-négligeable pour sa vie de colocataire et de "protecteur" mais il devait aussi pallier à ses envies de crier sur Emy. Il la savait non-responsable de ses actes mais c'était parfois dur de la voir se morfondre, plaider que tout va bien et ne voir personne s'inquiéter pour elle, à part lui, l'inconnu.
Les premiers jours de mars furent venteux et pluvieux, ce qui n'arrangeait pas l'état mental de la jeune fille. Par ailleurs, même physiquement elle était toujours aussi maigre malgré la surveillance constante du garçon en matière d'alimentation. Lors des jours "sans" il n'insistait pas mais les jours "avec" il était plus ferme. Sa présence mais aussi sa sympathie envers Emy avait tout simplement laissé une brèche pour créer leur amitié, cela permettait à Emy de garder contact avec quelqu'un même si c'était toujours la même personne. Parfois leurs échanges étaient pauvres, ils ne se parlaient pas forcément tout le temps mais ce n'était pas un silence pesant mais plutôt adéquat. Mais vers la quinzaine de mars, Emy avait entamé un sujet délicat.
— Dis Léon...
— Hm ?
— C'était quoi ta vie avant ? Enfin, je veux dire, on ne sait rien l'un de l'autre alors avant de te préoccuper de moi, que faisais-tu ?
La question fut si inattendue qu'elle alourdie l'ambiance et Léon ne semblait pas du tout prêt à répondre, il n'en avait clairement pas envie et Emy le lisait clairement dans son regard.
— Ce n'est pas encore le moment d'en parler, le ton était froid et recroquevilla intérieurement Emy.
— Je..Je vois...
— Et toi ? Ton corps maigre ? Tes jambes remplies de bleus et cicatrices ? Je ne te demande pas d'où ça vient alors ne me pose pas de questions non plus.
Sèche et violente était la réponse, elle blessa Emy qui réalisa encore qu'il resterait un simple inconnu. Qu'il l'est, techniquement, sauvé il n'en demeure pas moins un simple étranger.
Il mangea ce qu'il y avait dans son assiette et s'empressa d'aller tout laver dans l'évier dans un silence maintenant pesant.
— Je n'aurai jamais dû dire ça...Quel con...Je suis désolé Emy..., il posa l'éponge sur le rebord tête baissée.
— Tu n'as pas à t'en vouloir, si ça aurai été un jour "sans" je ne t'aurai même pas posée la question. Nous avons été indélicat tous les deux. elle lui adressa un faible sourire.
Elle se tenait debout, dans la lumière de la pièce, ses courbes amaigries se dessinaient malgré son sweat large et son jogging qui l'était tout autant.
Quand les jours "avec" sont là, ils essaient d'en profiter et c'est ce que réalisa Léon. Il se leva et se posta devatnt elle.
— Je t'en prie, ne deviens pas une ombre, déclara-t-il.
— Je crois que tu as assez souffert pour ne pas t'attacher à moi, Léon.
Sans aucune autre émotion, elle le repoussa et s'emmitoufla dans son lit sous le regarde de Léon. Au fond de lui, il venait d'être blessé une nouvelle fois, par elle mais aussi par son propre passé.
Il fit sa vaisselle, passa dans la salle de bain le temps de se brosser les dents et passer au toilette. Il s'allongea simplement sur son matelas gonflable en glissant sa couverture sur lui et réalisa pourquoi Emy eu une réaction si las : il ne parlait d'elle quand il évoquait l'ombre mais bien de quelque chose qu'il refoulaitn une part de lui.
Inévitablement, il cherchait à savoir pourquoi il s'accrochait à elle. Une raison de vivre ? Une raison pour se sentir utile ? Y'avait-il même une raison ? Ce qui fait de lui l'être obstiné qu'il est, c'est sa propre histoire. Le problème est là, il était déterminé à fuir, s'en aller, oublier mais Emy a débarqué. Quand il l'a vu au bord du quai il se doutait de quelque chose, comme si lui seul avait remarqué sa présence. À ce moment là, elle était étrangement calme et c'est ce qui était le plus effrayant. Faire comme si de rien n'était, comme si il ne la voyait pas, si il l'aurait fait ? Et si il l'aurai conduite à l'hôpital de suite ? Et si... ? On referait le monde avec des "Si". Il avait stoppé sa fuite pour aider quelqu'un qui fuyait aussi, à chacun sa manière. Ce n'était pas un combo parfait, au contraire pourtant à l'heure actuelle, ils s'en sortent mutuellement grâce à cette cohabitation forcée.
Lui n'a plus de raison de fuir et elle cherche à aller de l'avant.
— Léon, commença-t-elle, on ne sait pas de quoi est fait demain mais sache juste que tu es quelqu'un de bien.
— Peut-être à tes yeux mais pas pour tous.
— Tu m'as sauvé.
Ce furent ces derniers mots avant qu'elle n'éteigne la lumière. Il médita longtemps sur les dernières paroles. Emy n'acceptait pas le fait d'avoir été "sauvé", pour elle le terme ne convenait pas du tout, elle estimait plutôt avoir été condamnée. Alors cette amélioration était un signe d'évolution, n'est-ce-pas ? Mais pour continuer dans cette voie, que faut-il faire ? Laisser de la liberté, encadrer ou contrôler ? Ces réflexions tournèrent un long moment dans sa tête avant qu'il ne cède au sommeil.
Au matin, Léon se réveilla en premier une fois de plus, Emy quant à elle, sommeillait toujours. Il était sept heure trente ce qui le poussa à la laisser dormir encore un peu, il ne savait pas de quoi serait faite la journée pour elle. Il prépara simplement son bol et se mit à manger en lui jetant quelques regards furtifs en voulant simplement veiller sur elle. La situation était totalement hors de portée, leur colocation, leur entente, les disputes mais aussi l'état d'Emy.
Son instabilité était d'autant plus inquiétante que complexe, était-ce donc un bon point de ne pas être encore au bout ?
Léon finis sont lait en étant perplexe : comment faire ? Ils étaient proches même si la discussion d'hier avait laissé une sensation amer mais Emy pourrait-elle continuer comme ça ? Garder son instabilité stable ? L'objectif était simple : éviter d'empirer son état.
Son bol vide, posé sur la table, il l'observa. Elle se retourna laissant paraître sa tête. Elle était profondément endormie, sa nuit semblait continuer comme si rien ne se passait autour d'elle. Les minutes passaient et il ne pouvait se détacher d'elle. Elle le fascinait, pour lui Emy dégageait fragilité et force mais de manière incontrôlable, comme sa santé au final. Elle n'avait aucune possession sur son corps.
Lorsque neuf heure apparu sur le réveil, Léon eu la réaction d'une décharge électrique et se mit en mouvement immédiatement. Il fit sa vaisselle et se glissa dans la salle de bain pour se changer et se laver les dents. Le programme avant d'entamer sa journée de travail était simple : aller chercher une baguette. Il laissa un mot sur la table et s'en alla. Même si la boulangerie n'était pas loin le court trajet fut une nouvelle fois envahis par Emy et par l'obsession de trouver une solution mais il n'avait finalement aucune idée de comment faire pour la soutenir. Rien ne paraissait durer dans le temps. Du temporaire qui ne durera pas. Tout comme elle. Il se doutait qu'Emy ne pourrait pas aller mieux soudainement et que le processus serait long. Léon pris sa baguette et pris le chemin dans le sens inverse en ayant un autre constat : il se concentre de plus en plus sur elle mais pas à son propre détriment. Au contraire, Emy est devenue une réelle raison de s'accrocher quelque part et d'enfin avoir un but.
Pour une fois, quelqu'un n'avait ni pitié ni faux-semblant avec lui, cette fois c'est lui qui devait soutenir quelqu'un et ne pas faire transparaître de pitié. Il connaît la fierté et à quel point montrer sa fragilité à quelqu'un pouvait rendre encore plus sensible.
Il rentra dans l'appartement et il vit que la jeune fille prenait son petit-déjeuner et adressait un sourire à Léon.
— Jeune homme, vous êtes serviable mais votre matelas fait un horrible bruit.
— Excusez-moi, demoiselle, il s'inclina légèrement tout en posant la baguette, mais je n'ai aucun pouvoir là-dessus.
— Je suis fort déçue, répondit-elle avec regard en coin en portant son bol à ses lèvres.
Léon ricana et enleva ses chaussures. Il s'installa en face d'elle pour parler tout en grignotant quelques céréales.
— Comment tu te sens ? Demanda Léon, aussi sincèrement que pouvait l'être.
— Emplie d'un besoin profond d'aller mieux sur du long terme, d'être sûre de mon état, et toi ?
— T'es trop courageuse, moi... J'aime bien notre quotidien bancal.
— Moi aussi, j'apprécie.
Emy avait de suite relevé qu'il avait subtilement évité de répondre directement à sa question mais en même temps c'est très personnel comme sentiment, elle-même se trouvait égoïste de lui avoir fait part de ces sentiments mais elle avait le besoin de le dire, pour aller mieux ne fallait-il pas parler de ses problèmes ?
Le garçon grignota quelques céréales pendant qu'Emy finissait son bol chocolat chaud. Il ne restait plus beaucoup de temps avant que Léon ne doive partir travailler mais ils ne savaient pas vraiment quoi faire du temps restant.
La jeune fille fit simplement sa vaisselle et ouvrit la fenêtre de l'appartement, aussitôt l'air frais pénétra, comme pour chasser toute impureté présente. Léon savait qu'elle n'aurai rien tenté pour autant, au moindre signe il aurai accouru la rattraper, comme ce jour-là.
— L'air est bon, souffla-t-elle, Il l'a toujours été...
Elle se tut.
— J'aimerai qu'il ait la même saveur qu'avant, pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi je n'arrive pas à voir le bon côté ?
Des larmes apparurent et coulèrent doucement sur ses joues, elle fixait le ciel dans lequel passait quelques pigeons.
— J'aimerai voler et m'enfuir.
Léon se plaça à ses côtés et regarda le ciel en demi-teinte.
— Le ciel lui-même a ses aléas : la tempête, le soleil, la canicule, tout ça, ce sont juste des étapes, il tendit un mouchoir à Emy, et parfois il pleut.
Elle essuya ses larmes et alla dans la pièce centrale.
— J'aimerai t'accompagner aujourd'hui, juste pour sortir un peu, en théorie ça peu me faire du bien non ? Profitons du jour "avec".
— Je n'y vois pas d'objections mais tu penses que ça ira ?
— Sortir oui, mais c'est le "pendant" qui m'effraie un peu mais pour aller de l'avant je dois le faire.
Léon s'en alla et griffonna quelque chose sur un bout de papier qu'il tendit ensuite à Emy.
— Ca peut servir, dit il en clignant son œil.
Elle déplia le bout de papier et y découvrit le numéro de Léon. Pour réponse elle sourit.
Ils sortirent ensemble, le garçon était un peu effrayé de la laisser seule une fois arrivé à son travail mais son instinct lui disait de lui faire confiance. C'est ainsi que devant le supérette et lui ré-expliqua ses demandes.
— Dis moi quand tu es rentrée, une photo si il faut. Au moindre problème, tu m'appelles.
— Oui, oui et encore oui", répondit-elle un sourire innocent se dessinant.
Il posa son index sur le nez de la jeune fille.
— J'espère bien revoir ta tête en rentrant.
Léon rentra et Emy regarda la porte encore quelque instants.
Heureusement, il n'y avait pas encore trop de monde. Elle en profita pour regarder la grande place derrière, elle y vit un enfant avec son père (enfin cela y ressemblait), une vieille dame tenant sa baguette et plus loin, un chat gris trottinant. Le plus beau restait cette cathédrale, figée dans le décors, elle a subi de nombreux assauts, détruite et reconstruite maintes fois. Pourtant cet édifice Normand semblait défier n'importe qui de le toucher, fièrement posée ici c'est elle qui dominait. C'est dommage de passer à côté sans prendre le temps de voir ce qu'elle est, son histoire, comment et pourquoi elle a connu destructions et reconstructions. Instinctivement, Emy s'en approcha, par curiosité, peut-être découvrirait-elle son secret pour garder prestance malgré tout. Un certain passa et elles se fixaient mutuellement. Quiconque passerait, se dirait que la jeune fille est étrange, fixer un bâtiment dans le vide en voulant y trouver des réponses c'est ... Idiot ? Ou bien, est-ce juger la personne qui est idiot ?
— Mademoiselle ? Une jeune femme de la trentaine environ selon les rapides analyses d'Emy interrompit ses songes, désolée de vous importuner mais auriez-vous vu un garçon d'environ huit ans ? Petit, brun et des vêtement gris et rouge.
Emy eut un temps de réflexion comme pour trier toutes les informations et ce qu'elle avait vu.
— J'ai aperçu quelqu'un entrer dans la cathédrale, je ne pourrai rien dire en détail mais la taille correspond à un enfant il me semble.
— Merci beaucoup ! le regard de la jeune mère sembla s'emplir d'espoir et immédiatement elle couru dans la magnifique bâtisse.
Durant quelque minutes, rien ne se passa et Emy attendait le dénouement de cette histoire. Au bout du compte, la mère ressortit l'enfant accroché à sa main, la crainte qu'il ne parte de nouveau. Elle voulait être en colère mais son visage ne faisait transparaître que du soulagement.
Alors Emy partie, fière d'elle.
Parfois sortir n'est pas si mal, ça peut aider.
Elle retourna dans l'appartement et s'assit sur le lit l'esprit apaisé. Cela faisait une heure quarante qu'elle était dehors. Elle se sentait bien.
Si bien.
Beaucoup trop bien.
Fin chapitre 3