Hans et moi nous jetons un regard en biais en même temps. À l’évidence comme moi, il ne s’attendait pas à ce message de la part de Louis. Il faut dire que les dernières nouvelles concernant le chef des rebelles n’annonçaient pas son retour imminent. Il a probablement dû régler ses affaires plus rapidement que prévu. La nervosité me gagne quelque peu. Je me demande bien qui est cet homme qui dirige ce camp. J’ai bien tenté de me renseigner auprès des autres rebelles, mais mis à part le fait qu’il les a sauvés de la section médicale et qui s’appelle Tim, je n’ai pas appris grand-chose sur lui. Sans un mot, nous emboitons le pas à Louis qui s’est mis en route pour rejoindre le camp principal. Nous cheminons en silence. J’aurais bien aimé échanger avec Hans, mais depuis l’annonce de Louis, celui-ci s’est refermé dans son esprit. Mieux vaut éviter de l’en sortir. Je l’ai déjà fait une fois tout à l’heure et j’ai bien vu que cela ne lui avait pas spécialement plu. Toutefois, je ne regrette rien. Lui comme moi, avions besoin de cette discussion. Une dizaine de minutes plus tard, j’aperçois les premières tentes du camp.
Avant de devenir le centre d’action des rebelles, le site était un ancien sanatorium qui a été abandonné il y a une soixantaine d’années. Celui-ci est divisé en plusieurs parties. D’un côté, on trouve tout ce qui touche à la maintenance du lieu, comme l’intendance, les réserves de nourriture ou encore l’armurerie. Il n’existe que deux bâtiments en pierre occupés par l’infirmerie et pour les stocks d’armes et de munitions. De l’autre se dressent les tentes où logent les différents membres. Je partage la mienne avec Madeleine. Un ancien cobaye qui est arrivé il y a quelques mois au camp. Grâce à elle, j’ai rapidement pu m’intégrer au groupe, même si j’ai parfois l’impression d’attirer une curiosité malsaine. Pour eux, je suis une sorte d’exception. Le cobaye devenu aide de camp qui a échappé à « l’enfer d’Assic » comme il l’appelle. De plus, ils ont du mal à accepter le fait que je dois ma survie essentiellement à Elena. Il m’a fallu un moment avant que je comprenne qu’ici on la détestait. D’un côté comme leur en vouloir, moi-même j’ai réagi de la sorte quand j’ai eu connaissance de la mission qu’elle accomplissait régulièrement. Encore maintenant, je reste dans le doute la concernant.
Nous arrivons relativement vite près de la tente qui sert d’espace pour les dirigeants du camp. Je remarque tout de suite l’agitation qui règne ici. Plusieurs personnes se sont regroupées pour discuter des dernières nouvelles. Si nombreux sont ceux qui affichent des mines graves, beaucoup semblent soulagés. Sans ménagement et en ignorant les regards noirs de certains, Louis joue des coudes pour se frayer un chemin parmi la foule qui s’est tassé devant l’entrée. D’un geste, celui-ci écarte un tissu et nous fait pénétrer dans la tente. Je remarque directement Anna qui discute avec animation avec quelqu’un. À notre arrivée, tous les deux se taisent pour porter leur attention sur nous. Mes yeux quittent la silhouette d’Anna pour se poser sur son interlocuteur. Il n’a pourtant rien d’exceptionnel, large d’épaules, cheveux bruns tirant sur le gris, probablement la cinquantaine, mais je me sens terriblement mal à l’aise face à lui. Son regard croise le mien. Il me semble si familier, mais impossible de comprendre pourquoi. Il glisse quelque chose à l’oreille d’Anna. Celle-ci opine avant de quitter les lieux. Le temps que la sœur d’Hans disparaisse, l’homme s’est déjà rapproché de nous et un sourire chaleureux se dessine sur ses lèvres.
- C’est donc vous les deux nouveaux, s’exclame-t-il. Anna vient de me faire le rapport.
En deux enjambées, il est devant moi. Il m’empoigne la main et la secoue vigoureusement.
- Je me présente Timothé, chef des rebelles, mais ici tout le monde m’appelle Tim. N’hésitez pas à faire de même. Enchanté, Isis.
Étant surprise par ce flot de paroles, je ne parviens qu’à baragouiner quelques mots. Remarquant mon trouble, il reprend plus calmement :
- S’il y a le moindre problème, viens me trouver. Ma porte est ouverte à tout le monde.
L’instant d’après, il a porté son attention sur Hans. Je note tout de suite au regard de l’ancien soldat qu’il y a quelque chose chez Tim qui le dérange. Comme pour moi, le chef rebelle lui tend la main. Hans reste de marbre un moment avant d’empoigner la paume et de déclarer d’un ton neutre :
- Enchanté, Hans Wolfgard.
- Moi de même, Hans, rétorque-t-il avant de rajouter en remarquant que son interlocuteur ouvre la bouche. Si cela ne te dérange pas, je désirerais que nous poursuivions cette discussion en privé.
Avant qu’Hans ne puisse répondre quoi que ce soit, Tim revient vers moi.
- Ne va pas croire que je te chasse, Isis, mais cela ne concerne que notre ami.
J’ignore pourquoi, mais Tim me fait de plus en plus penser à un militaire que ce soit dans sa manière d’agir ou de parler. J’ai bien entendu au son de sa voix l’ordre qu’il venait de me donner. Mes yeux se posent sur Hans qui ne s’est toujours pas détendu. Au contraire, sa méfiance vis-à-vis de notre interlocuteur semble s’être accrue.
- Toutefois, avant que je te laisse partir, poursuit Tim en frappant dans ses mains. Je souhaiterais mettre les choses au clair avec toi, Isis.
- De quoi, m’étonné-je.
- De ce que tu veux.
Je le fixe, septique.
- Je ne vais pas te cacher que tu ne pourras pas retrouver ta famille. En tout cas pour le moment. L’armée les surveille et ce serait beaucoup trop dangereux.
Bien qu’Anna me l’eût déjà appris et que je n’aspire pas spécialement retourner dans mon village, mon cœur se serre douloureusement. Je repense aux propos que j’ai dits à Hans avant de venir ici et il était on ne peut plus vrai. J’envie Hans d’avoir pu se disputer avec Anna. Je désirais tellement faire la même chose avec James. Je relève la tête et plante mes yeux dans ceux de mon interlocuteur en espérant qu’il ne remarque pas les doutes qui m’assaillissent.
- Que m’offrez-vous alors ?
- Deux solutions. Soit, tu rejoins nos rangs pour continuer la lutte contre le Projet. Soit, nous t’amenons dans un de nos camps à l’arrière des lignes à l’écart du conflit. La vie là-bas ne sera pas des plus confortable, mais je te garantis que tu seras en sécurité. Quel que soit ton choix, nous le respecterons.
Qu’il me le propose ou non, j’avais déjà décidé.
- J’ignore ce qu’Anna vous a raconté sur moi, mais il est hors de question que je reste sans rien faire. J’ai juré à Liam de le revoir, je compte bien tenir cette promesse. Je suis des vôtres.
Le sourire de Tim s’élargit. Je garde des doutes le concernant, mais j’ai décidé de lui faire confiance.
- Bienvenue parmi nous, Isis. George, enfin Liam, nous a beaucoup parlé de toi et honnêtement j’espérais sincèrement que tu nous rejoignes. Anna est d’accord de te former. Elle te contactera très vite.
Je comprends à cette phrase que la discussion est close et que silencieusement, il m’invite à partir. Après l’avoir salué, je sors de la tente, le laissant seul avec Hans. Je me demande bien de quoi, ils vont bien pouvoir dialoguer, même si je pense que cela tournera vraisemblablement autour de l’ancienne fonction d’Hans. Ayant été un colonel, il a surement de nombreuses informations qui doivent intéresser les rebelles. À ma sortie, je remarque que la foule s’est quelque peu dispersée. Une main se pose sur mon épaule. Je me retourne. Louis me domine de sa grande taille.
- Madeleine te cherchait. Elle doit être dans votre logement.
- Entendu, merci, Louis.
Je m’apprête à m’éloigner, mais celui-ci me retient.
- Au fait, Isis. Félicitations pour ton enrôlement. Tu vas faire des merveilles.
Je rougis sous le compliment.
- Je l’espère.
Après un dernier salut, je le quitte pour de bon. Un courage nouveau s’est emparé de moi. Je serre les poings. Je suis certaine d’avoir fait le bon choix.