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Lorsqu’un nouveau jour se leva pour elle, le 24 décembre, elle se rendit compte, en vue de la faible luminosité extérieure, qu’elle avait dormit une grande partie de la journée en plus de la nuit. Le froid qui lui avait brulé le visage durant son sommeil se transforma peu à peu en douloureuses piqures tandis qu’elle se couvrait entièrement à l’aide de sa couverture. Après quelques minutes passées sous son cocon de tissu, elle entendit de la musique. De vieilles chansons de Noël tournaient en boucle depuis l’intérieur de la grange, mêlées à un strident son qu’elle reconnaissait ; celui d’une scie mécanique. Elle sortit de nouveau la tête de sa cellule et tomba cette fois le nez contre la truffe froide et humide d’un renne qui s’était éloigné de la bâtisse et du terrain qui lui était accordé. Elle reçut par la même occasion un visqueux et nauséabond coup de langue de la part de l’animal. Sa langue sèche et râpeuse fut tout aussi désagréable à Iris que sa putride haleine semblable à l’odeur de la mort. Alors qu’elle tentait de lentement se reculer pour retourner dans sa cellule sans effrayer l’animal, lui mordit la joue jusqu’au sang. Iris lâcha la grille qu’elle avait entre les mains et tomba de tout son corps au fond du trou en criant. Le renne entra dans un tel état de folie, tentant de s’introduire dans l’antre de la femme, qu’il l’aurait probablement dévoré si elle n’avait pas eu la chance d’être protégée par la grille qui la privait de sa liberté. L’immense homme fut interpellé par le raffut causé par la scène et, après avoir jeté un rapide coup d’œil à Iris qui se maintenait la joue ensanglantée, récupéra le renne devenu hystérique qu’il calma d’une violente poignée de main pour maintenir sa gueule fermée pendant qu’il le guidait jusqu’à la grange de l’autre main par son collier en cuir.
Bien que traumatisant il sembla à Iris, quelques minutes plus tard, que cet angoissant accident lui fut plus bénéfique qu’attentatoire. Lorsqu’elle osa de nouveau se hisser hors de la grille, elle trouva sous les traces de neige piétinée par les lourds pas de l’homme et à sa portée un vieux clou qui, bien que tordu et rouillé, allait devenir sa clé. Heureusement pour elle et par le fruit du hasard, elle avait suivi les traces de son frère lorsqu’elle était enfant et s’était longuement intéressée aux nombreux moyens et objets insolites permettant de crocheter serrures et cadenas. Jusqu’ici, les poches vides et piégée au fond d’un trou, rien de ce qu’elle portait sur elle ne lui avait permis d’appliquer ce qu’elle avait appris pour en sortir. Ainsi, après s’être acharnée sur les deux cadenas maintenant la grille de son piège fermée, elle en vint à bout peu avant que la nuit tombe et attendit patiemment que les lumières de la maisonnée se soient éteintes pour s’y introduire.
Éclairée par les guirlandes lumineuses du chalet endormi, elle se faufila dans la grange par la petite porte qui, à son grand étonnement, n’était munie que d’un simple loquet. L’ambiance à l’intérieur était semblable à une chambre de développement de photographies. Elle tomba face à de grandes bottes de paille empilées et longea le seul et unique couloir central qui se présentait à elle. Dans ce sombre et lugubre environnement, les rennes dormaient de part et d’autre du chemin dans lequel elle avançait ; silencieuses ombres parmi l’écarlate lumière émise par les ampoules chauffantes de leurs box. Près des paillasses des rennes se trouvaient de larges gamelles débordantes d’un étrange et puant pâté rougeâtre dont l’odeur donnait la nausée à Iris. Elle continua de s’avancer d’un pas léger pour ne pas réveiller les bêtes dans le but de gagner la fin du couloir. S’offrirent à elle deux options de progresser dans ses recherches : à sa gauche se trouvait une porte qui lui semblait être l’entrée du chalet attenant à la grange alors qu’à sa droite se situait une pièce sans fenêtres fermée par une autre porte qui, cette fois, comportait un verrou.
En pénétrant dans la grange avant d’en venir au chalet, Iris espérait trouver quelques outils pour se défendre face à l’homme, elle décida donc d’entrer dans la mystérieuse pièce afin de trouver ce qu’elle était venue chercher. Si elle avait à cet instant su ce qui l’attendait une fois le verrou de la porte tiré, Iris n’y serait probablement jamais entrée et cela même si elle avait su que l’expérience vécue à l’intérieur de cette sinistre pièce close lui aurait apporté de plus amples réponses. Dans l’obscurité éclairée par la lumière extérieure de la porte ouverte, Iris discerna de nombreux outils accrochés aux murs. Ce qu’elle vit ensuite dans la petite pièce lorsqu’elle appuya sur l’interrupteur la frappa aussi fort que l’effroyable odeur qui s’en dégageait. Devant elle, se trouvait une longue table métallique sur laquelle était posée une scie mécanique ; celle qu’elle avait entendu plus tôt dans la journée. On pouvait encore discerner le sang fraîchement nettoyé qui s’était écoulé le long de la table pour progresser sur le carrelage jauni avant de terminer sa chute dans l’étroit siphon d’évacuation. Iris se cacha le nez à l’aide de son écharpe ; l’odeur lui était insupportable. Celle du détergeant se mêlait à celle de la mort.
Elle décida de rapidement passer son chemin et de partir à la recherche des outils qui, une fois qu’elle serait face à l’homme, lui offriraient les meilleures chances de mettre fin à son sordide périple. Ce fut sans compter sur ce qu’elle découvrit dans l’énorme poubelle ronde noire au fond de la pièce. Alors qu’après avoir trouvé une vieille lampe de poche elle se hissait sur la pointe des pieds afin d’empoigner le plus gros tournevis accroché au mur, elle fit maladroitement tomber celui du dessous. Elle rattrapa ce dernier tel un éclair ; l’empêchant alors de produire assez de bruit pour réveiller les rennes qui assurément auraient réveillés à leur tour le foyer, et remarqua en se relevant, au travers du couvercle de la poubelle mal fermée, quelque chose qui la transperça. Il y avait dans cette poubelle de la peau, et pas n’importe laquelle ; une peau tatouée d’œuvres qu’elle aurait pu reconnaître entre mille ; celle de Luc. Sans réfléchir elle posa les outils qu’elle avait en main et souleva le couvercle pour y faire la plus macabre des découvertes. Sous ses yeux emplis de larmes, parmi la peau et les viscères, gisait l’inexpressive et blafarde tête de son mari. Le souffle coupé, elle reposa immédiatement le couvercle du morbide contenant avant de s’effondrer de tristesse, se cachant encore et toujours le visage pour ne pas émettre plus de bruit qu’elle n’en avait déjà fait. Elle devait vivre. Pour sauver Zack, pour sauver Rosie, mais aussi pour que cet homme qu’elle qualifiait maintenant de monstre soit puni.
Iris se releva alors plus déterminée que jamais et entra dans le chalet d’un pas décidé, accompagnée de sa triste lampe de poche et du tournevis qu’elle enfourna dans l’épaisse manche de son manteau. La jeune femme arpenta silencieusement le rez-de-chaussée du chalet à la recherche de ses enfants. A l’image de la devanture de la demeure, tout était aussi vieux et d’une autre époque. En vue des nombreuses décorations lumineuses ornant l’immense et odorant sapin provenant de ce qu’Iris en déduisait être le salon mais aussi de la quasi-totalité des autres pièces, il lui sembla que l’homme avait un goût très prononcé pour Noël. Siégeant sur la cheminée, un cadre blanc attira l’attention d’Iris ; elle le prit en mains. Dans ce cadre se trouvait une vieille photographie immortalisant une petite fille de cinq ans tout au plus, aux yeux et aux longs cheveux bouclés si clairs que l’on aurait pu entièrement la confondre au paysage enneigé à l’arrière-plan si elle n’avait pas été vêtue d’une vieille combinaison de neige de couleur rose et moutarde. Iris reposa le cadre sur la cheminée et scruta les autres cadres présents à ses côtés. Parmi d’autres portraits de la petite fille, l’on pouvait la retrouver accompagnée parfois d’un chien, d’autres d’une femme et d’un homme. En dépit des années que semblaient avoir les photographies, Iris reconnu l’homme qui siégeait aux côtés de la blonde fillette ; il s’agissait du monstre qui vivait dans le chalet.
Elle continua sa route et monta les escaliers pour arriver devant une première porte fermée. La porte était ornée d’une vieille guirlande rouge et rose faite en papier crépon en forme de cœur au centre de laquelle se trouvait un prénom écrit à la main ; Olivia. Elle ouvrit doucement la porte et fut soulagée d’y trouver sa fille, Rosie. Elle était endormie au creux d’un l’immense lit couvert d’une épaisse couette sur laquelle reposait un couvre lit beige en dentelle ancienne. La chambre était elle aussi ancienne et Olivia, la petite fille qui avait un jour dormi dans ce même lit, devait probablement être adulte à ce jour. Iris réveilla calmement Rosie qui à la vue de sa mère cria qu’on lui vienne en aide ; « Hedga ». Iris ne compris d’abord pas ce que cela signifiait mais le compris bien assez tôt, quand Rosie pointa du doigt en direction de la porte, dos à sa mère en répétant la même phrase.
- Méchante ! Tu vas devenir du pâté pour rennes !
Du pâté pour rennes ; Iris avait déjà entendu cela de la bouche de son fils alors qu’elle était encore piégée la veille. Bien qu’elle tentât de faire taire Rosie, la malheureuse n’y parvint pas et bientôt une vieille femme, aussi grande qu’elle était maigre, se dévoila à elle venant tout droit de l’ombre. Elle l’attrapa par le bras avant de la traîner hors de la chambre avec une force qu’on n’aurait soupçonnée à première vue. Nul doute qu’il s’agissait là de la présumée Hedga.
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