CHAPITRE 4: Le Réveillon

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     L’homme qui se tenait à présent devant la porte n’avait rien manqué du spectacle et la referma aussi vite qu’il attrapa Iris ; tel un vulgaire sac de farine que l’on transporte sur le dos. Une fois le rez-de-chaussée atteint, alors qu’il tentait de relever sa prisonnière qui été presque parvenue à se glisser hors de ses bras tant elle gesticulait, l’homme fut surpris de recevoir un violent coup de tournevis à l’arrière du bras gauche. Il lâcha instantanément sa proie qui, n’ayant de son côté pas lâché son arme, la planta dans la gorge d’Hedga avant de s’enfuir par la même entrée qu’elle avait prise. C’est ainsi que par le long couloir de la mort et sous les brâmes des rennes déchainés dans la grange, Iris quitta le chalet hurlant. Elle s’en voulait d’avoir laissé ses enfants et plus particulièrement son fils qui contrairement à sa fille ne semblait pas vouloir rester mais elle savait que si elle ne fuyait pas elle-même pour trouver de l’aide et avoir une chance de récupérer ses enfants, personne ne viendrait les sauver.

      Après plusieurs heures de fuite dans la sombre et froide forêt où tout avait commencé, Iris pris la décision de se cacher pour reprendre son souffle et se reposer. Il faisait nuit et dans ces conditions tout se ressemblait. Le repos et le calme furent de courte durée pour la pauvre femme puisqu’à peine eut-elle le temps de se reposer de sa folle course qu’elle entendit au loin le son qu’elle redoutait maintenant le plus ; celui des grelots. Iris monta dans un arbre. Elle l’avait fait quelques jours plus tôt, lorsqu’elle avait vu le monstre pour la première fois ; lui, ne l’avait pas vue. Accompagnées du brâmes des rennes, le son des grelots se rapprocha d’Iris à une incroyable vitesse. Elle resta cachée, écoutant rennes et grelots s’éloigner et se rapprocher sans cesses de l’arbre dans lequel elle était perchée, jusqu’à ce que le calme revienne. Quand plus un seul bruit ne se fit entendre, elle prit finalement la décision de descendre de son arbre pour continuer de fuir, mais à peine posa-elle le pieds dans l’épaisse couche de neige qu’elle fut happée d’un coup sec et se retrouva au fond d’un épais sac en toile de jute. Tiré par ses six hideux rennes, l’homme sur son traineau avait attrapé Iris sur son passage et l’avait ainsi faite prisonnière de sa hotte qu’il lança à l’arrière de son traineau après l’avoir solidement fermé. La hotte ainsi trainée jusqu’au chalet depuis le sombre traineau, Iris perdit à nouveau connaissance.

      Elle s’éveilla sonnée, contusionnée, pieds et mains liées à une chaise. Sa vue était semblable à un épais brouillard au travers duquel elle peinait à discerner les lieux. De vieilles chansons de Noël semblables à celles qu’elle avait entendu en provenance de la grange se mêlaient à une incompréhensible conversation entre Hedga, Rosie et le grand homme. Elle pouvait sentir l’odeur du repas fraîchement sorti du four et posé au centre de la table ; la même abominable odeur que celle qui lui avait donné la nausée dans la grange, dans le couloir des box des rennes. Iris expulsa alors le peu de forces et de nourriture qu’il lui restait dans l’estomac après ces derniers jours passés. Hegda lui passa grossièrement un linge gorgé d’eau froide sur le visage qui la sortie peu à peu du flou dans lequel elle était jusqu’à présent. Elle se trouvait assise face à une sublime et scintillante tablée de Noël. A sa gauche, siégeait l’homme, « papa », comme l’appelait Rosie lorsqu’elle s’adressait à lui. A sa droite, Hegda, qui commençait à couper le visqueux rôti grillé d’où provenait l’insupportable odeur qui l’avait rendue malade. Face à elle, se trouvait Rosie qui était apprêtée comme pour un jour de fête. Elle avait les cheveux lâchés, bouclés et sa petite frange était couronnée d’un serre tête en ruban de soie rouge. Ses petites joues avaient été rehaussées de rose et faisaient ressortir la dentelle du col de l’antique robe blanche qu’elle portait. La petite fille était émerveillée par la tablée mais son grand frère ne semblait pas partager ce sentiment. Il se tenait debout, tremblant et tête baissée entre l’homme et la petite fille qui lui mettait de petits coups de pieds pour l’embêter en répétant sans cesses le même mot pour le désigner, « Brax ».

     Dans une langue qu’Iris ne comprenait toujours pas mais que les enfants semblaient comprendre, Hedga ordonna à Zack de nourrir sa mère pendant qu’elle protégeait avec douceur le col de la petite Rosie à l’aide d’une serviette brodée. Puisqu’il refusa de s’exécuter, Hedga le frappa à l’aide de son torchon pour le forcer. Bien qu’elle fût consciente, Iris était encore trop confuse pour réussir à communiquer autrement que par des plaintes et des gémissements. Ce n’est que lorsque le petit garçon s’approcha de sa mère qu’elle constata l’horreur sur son visage. Les extrémités de ses lèvres avaient été cousues entre elles, ne laissant plus qu’un étroit trou au milieu lui permettant de se nourrir mais plus de parler. Tel un chien apeuré, couinant quelques seuls bruits qu’il n’était plus que capable de sortir à cause de ses sanglants points de suture, Zack dirigea la fourchette piquée dans un morceau de rôti grillé jusqu’à la bouche de sa mère. Iris se mit à pleurer à son tour, réalisant à cet instant la situation dans laquelle elle et ses enfants se trouvaient.

- Mange ! s’impatienta la petite fille. Maman Noël a passé beaucoup de temps à cuisiner pour nous.

     Refusant de manger, Iris ignora la petite fille ; plaignant son fils et demandant des comptes au couple qui l’avait mutilé de la sorte, elle questionna finalement la petite fille lorsqu’elle ne reçut pas la moindre réponse de quiconque.

- Rosie n’existe plus ! rétorqua la petite fille qui descendit de sa chaise et se mit alors à tourner sur elle-même comme pour narguer sa mère et son frère, je suis O-li-via, l’enfant de Noël ! Quand Maman Noël ne sera plus là, c’est moi qui prendrais sa place, papa me l’a promis ! Rétorqua-t-elle ensuite d’un air joyeux.

     Iris fut prise de terreur et commença à se débattre. Sous le regard terrifié et suppliant de son fils, elle le vit se faire battre une première fois par Helga.

- Nourris-la ! Lui ordonna à son tour Rosie. Les enfants méchants deviennent du pâté pour rennes et toi, Zack, tu l’as déjà assez été !

     Iris demanda alors à Rosie ce qu’il avait fait pour mériter un tel châtiment, rassurant par la même occasion son petit garçon sur le fait qu’aucun acte ne devait le laisser penser qu’il avait mérité de subir un tel supplice. Elle ne comprenait pas comment sa fille pourtant si habile et rusée en était arrivée à agir de la sorte. Et bien qu’elle n’eût jamais montré quelconque signe d’affection envers son grand frère avec qui elle se voulait sans cesses en compétition, rien n’aurait laissé penser qu’elle aurait un jour pu cautionner le fait qu’il subisse de telles atrocités ni même qu’elle ne se laisse aussi facilement manipuler. Mais Iris, comme bien des personnes de leur entourage, avaient peut-être malheureusement trop vite oublié que Rosie restait avant tout une petite fille et qu’elle pouvait être naïve, comme les enfants de son âge.

- C’est un menteur ! Il dit que Papa et Maman Noël ne sont pas nos parents ! S’agaça la capricieuse petite fille. Mais Maman Noël a dit que, comme c’est Noël, il faut savoir pardonner et être gentil sur la punition.

     Une punition, voilà ce qui justifiait l’état du pauvre Zack. Hegda tapota le bras de ce dernier, lui faisant alors signe et geste de nourrir Iris. Elle dit quelques mots au petit garçon qui, à leur entente, s’exécuta dans la seconde. L’immonde rôti entra dans la bouche d’Iris qui, en dépit du dégoût et de la nausée que cela lui procura, le mangea ; afin d’éviter que son fils ne soit à nouveau la cible de la vieille femme.

     Après avoir nourrit sa mère de plusieurs bouchées de l’infâme repas, la femme siffla à Zack de quitter la table et lui pointa du doigt la direction à prendre ; un triste et sale paillasson à peine plus grand que lui sur lequel il fut contraint de s’asseoir afin de recevoir à la volée quelques morceaux du rôti lancés par Rosie et par l’homme. Zack s’empressa de fourrer son repas dans sa minuscule bouche à demi cousue. Hedga servit ensuite un lait chaud à Iris qui, après avoir été contraint de le boire, somnola quelques instants sur le son des grelots de l’homme revêtant ses bottes auxquelles ils étaient accrochés, et s’endormit ensuite.

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