Les jours s’écoulèrent, et la colère du Baroudeur aussi. Un peu.
Kotla venait souvent le voir, pour lui donner à manger où lui parler. Il lui racontait sa vie dans la Communauté, vantant l’organisation et l’entraide de ses membres. Le captif restait muet dans ces moments-là, il avait appris que ce n’était pas la peine de railler le Pokla sur ce sujet qui lui tenait beaucoup trop à cœur.
S’il arrivait à côtoyer Kotla sans le submerger d’un flot d’insultes, il n’en était pas de même pour Chiara. Elle prenait un malin plaisir à le considérer de haut et à s’afficher sur Liberté, faisant tout pour le mettre hors de lui. Puis elle l’observait s’égosiller, un sourire aux lèvres. Il tentait de se retenir tant bien que mal mais n’arrivait jamais rester de marbre face à ces moqueries. Kotla s’amusait beaucoup à les regarder.
Le cinquième jour, il reçut la visite d’enfants qui jusque là s’étaient tenus à l’écart. Trois petits barbares et deux Estiens entourèrent sa cage et commencèrent à babiller autour de lui. Ils le touchaient avec des bâtons et lui posaient une multitude de questions, riant en cœur quand ils le faisaient sursauter. Il tenta d’en étrangler un ou deux mais les enfants glissaient dans ses mains comme des anguilles. À bouts de nerfs, il se mit à hurler pour rameuter une matrone susceptible d’éloigner ces foutus marmots. Ce fut Kotla qui accourut et qui chassa gentiment les insupportables mouflets.
- Vous avez prévu de me rendre barjo, c’est ça ? Enfermé et harcelé, je vais vite devenir dingue.
- Ce n’est pas le but, mais je vois que ta santé mentale se dégrade, un peu d’air frais ne te ferait pas de mal.
Les yeux du Baroudeur scintillèrent d’espoir.
- Tu vas me faire sortir ?
- Je reviens.
Le prisonnier le regarda s’éloigner, le visage collé aux barreaux.
Kotla revint en compagnie de l’irritante Chiara.
- Tu as de la chance, fit-il, elle est d’accord.
- D’accord pour me laisser sortir ?
- D’accord pour te servir de nounou.
- Que…
La jeune femme lui tendit une paire de menottes munies d’une longue chaîne.
- Tu seras accroché à moi.
- QUOI ? s’étrangla le Baroudeur.
Elle grimaça.
- Tu peux pas arrêter de crier, tout le temps, c’est pénible.
- C’est hors de question !
- Comme tu veux, mais tu ne sortiras pas, dans ce cas.
Ils se défièrent du regard.
- C’est d’accord, lâcha-t-il finalement avec une moue boudeuse.
- Super.
Elle déverrouilla la cage d’un geste souple.
- Tends ton poignet.
Le Baroudeur était en train d’analyser l’ouverture qu’elle lui laissait.
- Bon, tu te grouilles ou tu t’endors ? C’est pas la peine d’essayer de sortir, moi ou Kotla, on te rattraperait directe.
Dépité, le prisonnier tendit la main. C’était des menottes vieux modèle, à clés. Leur fer froid lui rappela son séjour chez la Compagnie et il ne put empêcher un frison de lui remonter l’échine.
- Allez, en avant toutou, fit Chiara en tirant sur la chaîne.
Le Baroudeur la foudroya du regard.
- Bon, je vous laisse, lança Kotla en s’éloignant. Amusez-vous bien.
- Compte sur nous ! minauda sa sœur adoptive en agitant exagérément la main. On va s’éclater comme des petits fous, n’est-ce pas mon chien-chien ?
Son prisonnier ne répondit pas et fonça sur elle. Il la chargea sur son épaule comme un sac de patates et commença à courir vers la forêt en la tenant fermement. Elle était plus lourde qu’elle n’y paraissait, mais ce n’était pas ça qui allait l’arrêter.
- Idiot, entendit-il dire dans son dos.
Avant de comprendre ce qui lui arrivait, il se retrouva étalé par terre, les mains pressées sur ses bourses endolories.
- Je suis la meilleure combattante de la Communauté, tu espérais quoi ? Maintenant tu vas arrêter de jouer les fiers si tu ne veux pas que je te castre.
Retenant tant bien que mal ses gémissements, le Baroudeur se releva, le visage rouge de douleur et de honte. Son ressentiment envers cette jeune femme insupportable s’accentua. Mais il avait retenu la leçon et ne tenta rien de nouveau. Il décida de jouer le jeu et de faire semblant de vouloir rejoindre leur tribu d’idéalistes afin de s’échapper au dernier moment.
- Bon, je vais te faire faire une petite visite.
Elle l’attira à l’intérieur du campement, au milieu des larges tentes de peau animale et des gamins braillards. Elle saluait tous ceux qu’elle croisait et tout le monde la saluait. Il y avait ici presque autant d’Estiens que de barbares, deux peuples opposés réunis pour lutter face à une menace commune. Ç’aurait été touchant si le Baroudeur n’avait pas eu envie de coller les baffes à tous ces maudits gamins qui tiraient sur ses vêtements. Par égard pour son entre-jambe meurtrie, il s’abstint de lever la main sur les marmots aussi pénibles que sa guide.
- Tiens, Chiara, tu promènes ton prisonnier ? fit une mère qui confectionnait un bouclier de bois et de tissu.
- Exactement, je lui fais prendre l’air avant que sa caboche n’explose. C’est qu’il supporte mal l’enfermement, le bichou.
Le bichou grogna.
- Allons, ne sois pas si blessante, rappelle-toi que tu l’as emprisonné quand même.
- C’est même pas mon idée, c’est celle de Kotla.
- Mais qui le tient enchaîné à cette heure ?
- … Certes. Mais je m’amuse bien.
La mère eut un léger rire.
- Ça ne m’étonne pas de toi. Cependant je ne pense pas que ton prisonnier considère les choses de la même manière.
Elle tourna son regard vers ledit prisonnier, il était empli de douceur et de sagesse.
- Quel est votre nom ? s’enquit-elle.
- Le Baroudeur.
- Lé Barou… excusez-moi, c’est assez difficile à prononcer.
- Pas de problèmes.
- Moi je m’appelle Poma, et voici ma fille Ona, dit-elle en désignant une enfant de deux ans endormie sur ses genoux. Bienvenu dans notre Communauté.
- Allez, on a pas le temps, on s’active, j’ai plein de choses à te faire visiter ! s’exclama Chiara en tirant sur la chaîne. À plus !
Poma leur fit un signe de la main lorsqu’ils repartirent, et pour une fois le Baroudeur, poli, le lui rendit.
Ils avancèrent jusqu’à un promontoire rocheux qui permettait de se dresser plus haut que les tentes.
- Regarde, ordonna la jeune femme en pointant l’horizon du doigt.
Le captif balaya le paysage du Pageant du regard. Une étendu de forêt luxuriante percée de larges colonnes de pierre rousse. Il l’avait déjà traversé plusieurs fois, bien plus au nord. Il aimait bien ce territoire au climat clément regorgeant de ressources. À l’est, il put voir l’immense plaine herbeuse, la Teppiante, où paissaient d’innombrables troupeaux d’aurochs et de bisons. Il savait que derrière lui, au sud, la bande ocre du Désert Fourvien était visible.
- Eh bien quoi ?
- Regarde le pas-de-géant le plus proche, tu ne distingue rien sur sa falaise ?
La Baroudeur dut plisser les yeux pour apercevoir sur une large corniche un canon articulé.
- C’est ici que vous planquez vos canons rotuliers ? C’est vrai que ça fait une bonne vue.
- Il y en a seulement un, ici. Un réseau de galeries a été creusé dans ce pas-de-géant, il nous sert de château fort en cas d’attaque. Il se nomme Kôa.
- Le « giron » ? Vous placez de grands espoirs en lui.
- C’est parce que c’est bien foutu. Nous passons trois mois de l’année ici, nous avons besoin d’un refuge. Allez, viens.
Elle sauta souplement du promontoire, manquant d’entraîner son prisonnier dans une chute.
- Tu pourrais faire attention !
- Oups, désolée.
Le Baroudeur cligna des yeux. Avait-il rêvé ? Elle s’était excusée !
Ne remarquant pas sa surprise, elle le mena au centre du campement en continuant ses explications.
- La Communauté est divisée en trois parties : les guerriers, les artisans, et ceux qui ne font plus grand chose, principalement des personnes âgées et des enfants. Les guerriers et les artisans ont chacun chef, placé sous l’autorité de Mâ, qui est aussi la représentante des anciens.
- La vieille sorcière quoi. D’habitude c’est plutôt un Pâ.
- Mâ préside toutes les cérémonies, sert d’intermédiaire avec les Esprits et guérit les malades et les blessés.
- Comme un Pâ, quoi.
- Mâ est spéciale, elle est bien plus proche des Esprits que n’importe quel Pâ d’une autre tribu. C’est elle qui a attiré Leur regard sur nous et nous permet de bénéficier d’une partie de Leur pouvoir.
- Classique, quoi.
- Encore un « quoi » et ce sera mon poing dans ta gueule. Ou dans tes couilles.
- Excuse-moi mais tout ce que tu me dis n’a rien de nouveau.
- Ah oui ? Même l’histoire des pouvoirs ?
- Je ne crois pas aux Esprits, alors aux pouvoirs…
Elle sourit, et cela n’augurait rien de bon.
- Je vois que tu as déjà oublié la tempête qui t’a sorti des griffes de la Compagnie.
Il haussa un sourcil.
- Parce que tu vas me dire que l’as créée, cette tempête ?
- Je ne l’ai pas créée, mais je l’ai ralentie et orientée sur vous pour qu’elle soit au bon endroit, au bon moment.
- C’est ça.
Ils arrivèrent face à la tente des cérémonies, plus grande que les autres et décorée de bois d’aurochs. Chiara l’entraînait avec son petit sourire agaçant dans la pénombre ouatée de l’intérieure.
- Esprits, merci de m’accueillir en votre demeure, déclara-t-elle selon la formule d’usage.
Le Baroudeur répéta cette phrase, il avait appris à force de couteaux sous la gorge qu’il était nécéssaire de s’adapter aux coutumes locales, surtout lorsqu’on parlait de religion.
- Bienvenue dans la maison des Grands, siffla une voix éraillée dans l’obscurité.
Il perçut des mouvements en face de lui. Un être s’avança vers la lumière du jour et il put enfin le voir. Mâ croulait sous une tignasse poivre sombre de cheveux emmêlés, aléatoirement noués et décorés et perles blanches, qui lui faisait comme une carapace broussailleuse. Elle camouflait son corps maigre et parcheminé sous une large robe de peau tannée alourdie de colliers et bracelets divers. Son visage à peine visible offrait la vue d’un nez proéminent qui plongeait vers le sol à son extrémité, surmonté de deux yeux ambrés perçants malgré l’obstacle de sa chevelure. Elle complétait sa panoplie de sorcière avec un bâton gravé de symboles indéchiffrables sur lequel elle s’appuyait lourdement.
- Je vois que tu m’amènes un curieux visiteur, fit-elle en vrillant un regard inquisiteur sur lui.
Il ne put s’empêcher de reculer imperceptiblement face à son intensité. Il émanait de cette vieille femme rachitique une aura de force mystique qu’il ne pouvait ignorer.
- Le curieux visiteur se pliera sous peu à la cérémonie d’Initiation, je me suis dit qu’il était bien de te le présenter.
- Moui, moui.
Sans plus s’occuper de Chiara, Mâ s’avança d’une démarche large qui rappela au Baroudeur les crabes de Mervieille et plaça son visage aussi près que son dos courbé le lui permettait. Elle le renifla comme un chien de chasse et le disséqua de ses yeux au fond desquels luisaient des braise. Surpris, il retint un cri fort peu digne quand qu’il sentit un de ses cheveux les plus longs être arraché par la main brune. Il était bien court à cause de sa tonte récente, mais cela n’empêcha pas Mâ de l’avaler. Le Baroudeur eut très envie de courir hors de la tente. Près de lui, Chiara semblait se délecter de la situation.
- Hmmm, fit la vieille après un temps de réflexion, ce petit est prometteur. Il a une affinité avec Hôs, l’Esprit du vent, mais aussi Ghas, celui du sable. En revanche son âme n’est pas ouverte à la spiritualité.
- Hôs ? s’enquit Chiara. Le frère Rhôs, quel hasard.
- Rhôs c’est l’Esprit de quoi ?
- De l’orage, Celui avec lequel j’ai le plus d’affinité, et qui me donne Son pouvoir.
- Peuh.
- Je te le prouverai bientôt, ne t’en fais pas. Allez, il est temps de partir. Au revoir, chère Mâ, et au revoir, chers Esprits. Que Vos yeux avisés guident nos pas.
- Que Votre sagesse nous éclaire, marmonna le Baroudeur en regardant d’un œil inquiet Mâ, craignant qu’elle ne le suive.
- Aaaah, le crépuscule, fit Chiara en s’étirant. Une balade à cheval, ça te dit ?
Il ne put empêcher son cœur de s’emballer.
- Bien sûr.
Elle sourit, et cette fois son expression était presque dénuée de malice. Elle le mena jusqu’au troupeau qui paissait non du village, à la frontière de la plaine Teppiante. Liberté les rejoignit aussitôt qu’elle les aperçut.
- Tiens ma belle, fit sa nouvelle maîtresse en lui tendant une carotte qu’elle croqua avec plaisir.
La jeune femme agrippa son encolure pour y monter.
- Hep hep hep ! s’écria le Baroudeur.
- Quoi ?
- C’est mon cheval, alors bas les pattes !
- Vu qu’on est enchaînés, faut bien qu’on monte à deux !
- …
- Allez, boude pas.
Elle lui tendit une main qu’il hésita un instant à prendre. Chiara lança la jument au galop vers la grande plaine que le soleil rougeoyant rasait de près.
- C’est magnifique, n’est-ce pas ? s’exclama-t-elle, ravie.
- Oui, c’est vrai, mais d’autres paysages sont encore plus beaux. La grotte de cristal, illuminée par la lumière de l’aube, scintille comme un ciel étoilé. Et je ne parle même pas du Pic Cabalin qui se détache sur le soleil couchant ! Et as-tu déjà vu les Cascades des Dentelles ? Le boucan qu’elles font égale leur beauté !
- T’as fini de frimer ?
- Excuse-moi de te voler la vedette. Tu ne supportes pas de ne pas être la meilleure dans un domaine visiblement.
- C’est toi qui dit ça, fit-elle en lui tirant la langue.
- Quelle gamine.
- Nous sommes deux.
Un souffle de vent interrompit leurs chamailleries. Quelques brins d’herbe sèche voltigèrent autour d’eux. Ils se perdirent dans un silence contemplatif.
- Tiens, tu ne tentes pas de t’enfuir ? s’enquit malicieusement au bout d’un moment.
- Non.
Il fixait l’horizon qui l’appelait, noyé dans la lumière flamboyante de l’astre déclinant.
- C’est vrai qu’un poulain, c’est pas facile à trimballer.
- Hein ?
- Tu n’étais pas au courant ? Ta jument a une brioche au four.
- Quoi ?! Comment peux-tu en être aussi sûre ?!
- Bah depuis qu’elle est là elle se fait saillir toutes les nuits par mon étalon. À mon avis elle est déjà pleine, résigne-toi.
- Liberté, je t’ordonne d’avorter ! cria le Baroudeur à son cheval qui renâcla.
- Ça te rend furax, hein ?
- Arrête de te foutre de moi, c’est énervant !
- Oh non, au contraire, c’est tordant.
Il eut une méchante envie de la faire tomber du dos de sa monture, mais il savait qu’il serait entraîné avec et s’abstint, fulminant. De son côté, ladite monture fatiguait.
- On rentre ! annonça Chiara.
Le Baroudeur retrouva l’étroitesse de sa cage, mais au moins était-il débarrassé de cet insupportable chaperon. Kotla vint très vite lui apporter son repas.
- Alors, comment ça s’est passé ?
- Bien. Mais je crois que je vais finir par l’étrangler, mon self-control a ses limites.
Le Pokla eut un rire rafraichissant.
- Elle est comme ça, tu ne peux rien y faire. Ne prends pas trop au sérieux ses piques, ce n’est pas la peine d’entrer dans son jeu. Ignore-les tout simplement.
- Facile à dire.
Kotla souriait et ses fossettes se faisaient plus visibles.
- Je sais, mais tu y arriveras, j’en suis sûr. Bonne nuit et à demain.
- Mouais c’est ça. À demain.
- pour lui donner à manger où (ou) pour parler
- Il lui racontait a (sa) vie dans la Communauté
- qui jusque là s’étaient tenu (tenus) à l’écart.
- À bouts (sans « s ») de nerfs
- un peu d’air fraic (mais arrête de mettre un « c », frai ou frais) ne te ferais (ferait) pas de mal.
- de coller les (des ?) baffes à tous ces maudits gamins
- Les guerriers et les artisans ont chacun (un) chef
- Il émanait (de) cette vieille femme rachitique
- desquels luisaient des braise (s)
- qui paissait non (loin ?) du village,
Remarques
- Poma leur fit un signe de la main lorsqu’ils repartirent, et pour une fois le Baroudeur, poli, le lui rendit. (Il rendit quoi ? Les signe de main ? Mais il était pas menotté ? Ou alors il faut préciser qu’il est attaché qu’à une main)
- et ceux qui ne font plus grand chose, principalement des personnes âgées et des enfants. (Ceux qui ne font pas, parce que les enfants feront quelque chose plus tard ou sinon)
- La grotte de cristal, illuminée par la lumière de l’aube, scintille comme un ciel étoilé. Et je ne parle même pas du Pic Cabalin qui se détache sur le soleil couchant ! Et as-tu déjà vu les Cascades des Dentelles ? Le boucan qu’elles font égale leur beauté ! (Je trouve que pour le baroudeur c’est trop de vocabulaire, ou au moins enlevé le « as-tu » par « t’as »)
Je vois trooooooooooop la romance entre lui et la belle Chiara !
Oui x) ça n'a pas vocation à être discret
Le prochain chapitre aussi est plutôt joyeux, mais je ne garantie rien pour la suite.
Merci pour ta lectrue et ton commentaire !