Chapitre 4 - L'étincelle

Le nez dans les étoiles, et les pensées concentrées sur autrui, Mélusine n'a pas réalisé que sa propre magie a commencée à s'émousser. Pour le moment discrète, cette fatigue ne l'arrête pas dans la réalisation de ses vœux, rendre le monde merveilleux et propice à la magie.

Trois claquements de doigts plus tard, deux incantations, et une formule bizarre, elle stoppe l'action de la turbine à combustion de l'usine textile récemment installée aux abords de la ville.

Le discrédit est lancé, la machine ne pourra plus s'emballer et le destin d'elle et de ses congénères est sauvé, du moins c'est ce qu'elle croit.

Les années qui suivirent lui montreront qu'il n'en est rien, tout au plus la marche fut ralentie, son combat n'est pas fini.

Le doute distillé laissa malgré tout un appel d'air qui les revigora elle et ses frères. La population se montra quelque temps plus attentive à leur existence ainsi qu'aux traditions qu'ils portent. Ce second souffle confirme ses soupçons, ils ne peuvent coexister dans un monde savamment ordonné. Au final seul un répit leur a été accordé, pour gagner il faudra récidiver.

Mélusine prépare son coup d'éclat, l'attaque d'un colosse d'acier, un train à vapeur. Elle s'emploie immédiatement à préparer son baluchon pour qu'elle se restaure au cours de sa marche pour rejoindre les rails. Elle doit économiser ses forces pour endormir la locomotive et lui éviter de s'emboutir dans un rocher ou un arbre.

La fée range dans sa serviette fromages et cornichons aux côtés d'un pain rond. Le repas s'annonce simple, mais au goût d'une fée n'appréciant pas la charcuterie parmi ses victuailles.

« Toc, toc, toc... » quelqu'un frappe l'arbre de la fée.

Une fillette dépose un verre de lait, une tranche de pain et une rose. Elle s'incline vers le tronc et formule son désir :

« Bonjour madame la fée, je voudrais que vous m'aidiez. Mon petit frère est malade à l’hôpital. Ma maman pleure beaucoup et reste avec lui, elle ne peut pas le quitter. Mathéo m'a dit que son grand-père lui avait dit qu'une fée vivait ici, c'est pourquoi je suis là madame la fée. Aidez mon frère s'il vous plaît... ».

L'enfant part l’œil humide. Mélusine piétine un instant, mais ne peut pas laisser sans réponse la demande qui lui a été adressée. Elle quitte son tronc et profite du petit-déjeuner qui lui a été laissé en offrande.

Une fois les miettes écartées de son minois, Mélusine part rejoindre l’hospice. Elle le sait, elle va au chevet du petit Paul dans sa chambre au rez de chaussée à l'ombre du tilleul. Elle s'habille des habits de l'humble pour rendre imperceptible sa présence. Voir des êtres fantastiques est de plus en plus mal vu et elle ne voudrait pas faire de torts à ceux qu'elle pourrait croiser. Elle entre dans la cour et foule un parvis de pierre blanche puis longe les murs jusqu'à arriver à l'enfant mal en point.

Sa mère dort à côté de lui sur sa chaise d'osier, épuisée par sa veille. Il a la mine mauvaise et le regard fatigué. Il éructe et se mouche avec peine, il faut faire quelque chose. Mélusine ne peut pas faire l'économie de son intervention. Elle applique sa main sur son front et le libère de sa fièvre. Demain il sera debout, dans trois jours il courra comme il l'a toujours fait.

 

Une fois son devoir accompli, Mélusine s'attarde sur la chambrée. Dans les lits nombre de grands et moins grands occupent les draps et sur leur table de chevet des pastilles colorées traînent. Ils sont distribués à tous dans de petits pots de fer. Certains passent à l'accueil en récupérer avant de retourner chez eux avec leur pharmacopée.

Là Mélusine comprend... Elle ne peut, elle ne doit pas priver le monde du progrès qui apporte plus qu'ils ne pourront jamais offrir. La technologie permet ce qu'ils ne peuvent donner, l’infatigabilité. Fée comme ogre, lutin comme humain sont pétris d'un argile qui se fatigue et s'épuise. Il faut se méfier pourtant, ne pas perdre de vue le vivant, il est si facile de passer de l'être à la chair, de l'estime à l'objet.

Mélusine comprend que malgré sa volonté, l'ère de la magie est révolue pour ce monde. Que faire désormais ? Elle reste songeuse sur son devenir... Veut-elle être témoin du cheminement si étrange d'un monde sans magie et surtout comment mettre à profit ce qui lui reste de magie ?

La fée rejoint son arbre, elle repense à l'incroyable futur qui attend ce monde. Chacun a une porte sur le monde par son talisman personnel, rien ne leur semble inaccessible. Mélusine fixe ses orteils en se faisant la remarque que quelque chose clochait. Elle n'a toujours pas vu à l’œuvre la force qui animait les talismans qu'elle avait effacés à son arrivée dans ce monde. Il serait dommageable qu'elle n'advienne point. La fée se penche sur l'avenir et ne voit pas l’événement survenir. Les mains sur le visage, elle se frotte les joues face à tant d'étrangetés. Comment est-ce possible ? Quel est ce fourbi ?La réflexion est intense, ses tempes chauffent. Que faire ?

Rentrer à la maison ? Rejoindre le futur ? Rester ici ? Non, je ne peux pas partir sans être sûre que tout aille bien. J'ai peut-être déjà bousculé l'horizon des événements et empêché quelque chose d'advenir.

Mélusine part cueillir des champignons en même temps qu'elle cherche des pistes sur la conduite à tenir. Il n'est pas courant de voir une fée contrariée, mais celle-ci l'est bel et bien. Faisant la moue, Mélusine s'occupe et pourrait cueillir la moitié de la forêt si cela pouvait éloigner ses préoccupations. Sa cueillette la mène jusqu'au lac voisin où elle passera près d'une heure à interroger son reflet. Elle le quittera avec détermination. Elle est sûre de ce qu'elle veut et elle peut donner corps à sa volonté.

Si la magie de demain n'advient point, il n'y a qu'une solution, je vais la créer. Ceci marquera le début de ma vie d'humaine, je n'aurai pas les moyens de rentrer chez moi après cela. J'aurai tout au plus la force de me préserver quelques années des rides avant que ce qui me reste d'énergie s'évapore.

 

Habillée du manteau de la nuit, Mélusine s'en va donc sous la fenêtre d'un inventeur pour résoudre son problème. Elle dupe la bienséance en marchant à la lumière de la lune. Il faut dire que notre fée a toujours eu du mal avec les bonnes manières. Depuis sa fenêtre elle voit l'inventeur gamberger dans son sommeil, rêvant d'automates et d'autres merveilles futuristes. Mélusine anime ses doigts et leur murmure ses volontés. Un filin d'un vert absinthe quitte son index, pénètre la vitre et s'engouffre dans l'oreille de l'assoupi William. Il lui est soufflé tous les secrets nécessaires pour confectionner la si attendue et bouleversante électricité.

Mélusine est heureuse de son affaire. Il ne lui reste plus que la plus lourde des tâches, apprendre à devenir humaine. William pourrait peut-être l'y aider. Des idées que Mélusine a vues, il semble être un homme qu'elle pourrait apprécier.

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