Chapitre 3 : Les enfants étranges (1/2)

Nous suivîmes l’invitation du capitaine Creighton et gravîmes les marches tapissées de rouge. Égrégore se roula en boule contre moi, intriguée. Il régnait dans le bateau un sentiment de calme et de plénitude. Le capitaine se stoppa devant une porte épaisse et très ancienne. Il nous observa une dernière fois avant de murmurer :

            — Ici, la règle est la tolérance. Ne soyez pas surpris par les gens que vous allez rencontrer. Et si vous l’êtes, ne le montrez pas. La bienséance veut que la moindre remarque déplacée puisse être perçue comme une menace. Soyez naturels et gardez pour vous la moindre question. Ceci dit, vous devriez être plus que bien accepté à notre table.

            Il tapota sa canne contre ma jambe de bois et pouffa de rire. Je restai silencieux, me demandant bien où le lapin voulait en venir. Je n’eus pourtant pas le loisir de réfléchir plus longtemps. Creighton ouvrit la porte et, en baissant sa tête de lapin en signe de salutation, nous guida vers la nouvelle pièce.       

            Un feu crépitait dans une cheminée en fonte, au fond d’une large salle que je devinai être un salon, apportant une douce odeur de fumée et de bois brûlé. Un tapis surmonté d’une table en verre aux motifs bariolés rappelant l’univers du cirque était disposé au centre de la pièce. Tout autour de la table, divans, banquettes, fauteuils, coussins et canapés avaient été agencés en fer à cheval dont les pointes se tournaient en direction de la cheminée. Je décelai trois portes sur chacun des murs recouverts de draperies d’un bleu sombre. 

            Quatre personnes étaient assises et discutaient. Trois d’entre eux cessèrent de parler dès que nous arrivâmes dans la salle. La dernière, une jeune fille, était assise en tailleur sur un fauteuil et lisait un livre. Elle ne prit pas la peine de tourner son regard vers nous et resta concentrée sur sa lecture. Si nous ne l’intéressions pas, elle avait pourtant pour moi un vif intérêt. Ses cheveux étaient d’un blanc laiteux et sa peau claire, presque fantomatique. Elle fit mine de ne pas remarquer notre présence. Les trois autres, au contraire, se levèrent comme un seul homme et vinrent à notre rencontre.

            Le premier à me serrer la main fut un homme aux yeux bridés et à la fine moustache.

            — Je m’appelle Kuroko, se présenta-t-il d’un ton enjoué. Et voici Abélia et Perrick. Bienvenue sur le Cyrus.

            Il laissa la place à la femme derrière lui. Elle devait me dépasser de deux têtes au moins et passa les mains sur sa veste et sa jupe ajustées pour en éviter les plis. Son corps, ou du moins ce que j’en voyais était recouvert d’un tatouage noir et blanc qui dessinait sur sa peau l’apparence d’un squelette. Elle ressemblait à un personnage étrange, ni vraiment vivante, ni réellement morte. Ainsi que l’avait signalé Creighton, je fis mine d’être imperturbable et serrai la main qu’elle me tendit. Elle sourit en étirant les dents du crâne peint sur sa peau et fit de même avec Matthew. Perrick se présenta en effectuant une petite courbette. L’homme était voûté sur lui-même et une bosse déformait son dos. Il portait une veste de cirque et son visage triste caché par de larges mèches de cheveux comportait quelques traces d’un maquillage blanc mal effacé.

            Creighton mit la main devant sa bouche et toussa de manière peu discrète pour faire remarquer son incivilité à la jeune fille albinos qui n’avait pas bougé de son fauteuil de cuir noir.

            — Moi c'est Athalie, prononça-t-elle enfin sans quitter les yeux de son livre. Vous pouvez prendre place si vous le désirez, ou bien vous sécher près de la cheminée. Je pense que Matthew donnerait n’importe quoi pour se réchauffer.

            Je tournai la tête vers mon ami, les yeux écarquillés. Il me rendit mon regard, aussi interloqué que moi. Elle connaissait son prénom alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés. Creighton posa sa main gantée sur l’épaule de Matthew et annonça d'une voix calme :

            — Athalie est, comme qui dirait, douée du troisième œil. Ne vous inquiétez donc pas si elle connaît plus de choses sur vous que vous ne le sachiez vous-même.

            Je compris que c’était elle, la silhouette que nous avions vue sur le pont. La phrase qu’elle avait prononcée résonna à mes oreilles : « Ils sont touchés par une grande affliction ». Savait-elle comment nous nous étions retrouvés là ?

            — Kuroko est cracheur de feu, reprit Creighton en désignant l’homme à la moustache qui se pencha en avant. Il possède d’autres talents dans différents arts du spectacle. Abélia fascine les gens et son pêché mignon est de dresser les serpents avec lesquels elle danse sur scène. Elle est également une avaleuse de sabre hors pair.

Abélia pouffa de rire en retournant s’asseoir. J’aurai juré que sous son tatouage, elle avait rougi.

            — Enfin, Perrick est notre clown, d’un genre…particulier. Autant dire qu’il est un élément essentiel de la troupe. Que serait un cirque sans son clown, n’est-ce pas ?

            Je souris sans rien dire, à la fois gêné et émerveillé. Au loin, je vis Athalie me lancer un regard. Quand elle remarqua que je la fixais à mon tour, elle retourna à sa lecture, faisant mine de ne pas m’avoir vu.

            — Et bien et bien, installez-vous, pria Creighton. Je serai un hôte bien mal avisé si je vous faisais rester debout toute la nuit. Perrick, va chercher le nécessaire s’il te plaît.

            Le clown au maquillage encore visible emprunta l’une des portes en claudiquant et revint avec deux chaises qu’il plaça à côté de la cheminée, ainsi qu’une couverture qu’il déposa au pied d’une des chaises.

            — Pour la petite chienne, indiqua-t-il en désignant le drap.

            Je le remerciai en déposant Égrégore sur la couverture. Celle-ci entreprit de se laver pour se débarrasser de la boue. Matthew et moi nous assîmes à côté l'un de l’autre sur les chaises et frissonnâmes de bonheur en sentant le feu venir sécher nos vêtements trempés. 

            — Lisbeth et Mélisandre sont en train de préparer du thé, dit Abélia pendant que tout le monde s’asseyait dans les fauteuils. Pour vous faire du bien. Il nous reste encore Talim et Turim à vous présenter, mais ils sont déjà partis se coucher, ainsi que le Professeur Winston. Lui est en train de travailler sur une nouvelle machine. Et quand il est dans sa bulle, mieux vaut ne pas le déranger.

            Même assise, Abélia dépassait tout le monde de sa hauteur. Seules les oreilles métalliques du capitaine Creighton arrivaient au niveau de son front. Elle était sans aucun doute la plus grande femme que je n’avais jamais vue. 

            Matthew et moi nous regardâmes, mal à l’aise. En face de nous, la petite troupe étrange nous observait. Un magicien au masque de lapin, une femme tatouée de la tête au pied d’un motif de squelette, une voyante albinos semblant nous connaître, un clown bossu. Seul Kuroko paraissait… normal. Bien qu'il n’était pas d’ici, au vu de ses traits asiatiques. Je devinai qu’il devait provenir du pays qu’on appelait « La région du feu calme » pour une raison que j’ignorais d’ailleurs. Je savais que ce pays, une île bien loin de nos côtes faisait du commerce avec la capitale. La plupart des gens de cette contrée lointaine refusaient de se mêler à notre peuple. Leurs habitants, vivant en quasi autarcie, étaient peu connus ici. Je me demandais pourquoi Kuroko avait intégré ce groupe. 

            — Merci de nous recevoir, indiqua mon ami. C’est vraiment gentil à vous.

            — Ce n’est rien, répondit Creighton. Nous n’allions pas laisser deux jeunes hommes dehors par ce temps glacial. Vous auriez attrapé froid à coup sûr. D’où venez-vous ?

            Matthew et moi nous regardâmes. J’essayai de ne pas le montrer, pourtant j’étais mal à l’aise, pas vraiment sûr de savoir quoi dire. Devions-nous raconter la vérité ? Et si la troupe décidait de me considérer comme un assassin et Matthew comme un déserteur ? Si jamais ils décidaient de nous ramener à Wisperlow, que ferions-nous ? Je voulus bredouiller quelques mots, mais Athalie, la jeune voyante, me devança.

            — Ils viennent de Wisperlow, Creighton, et nous devons les aider. Ils sont en grand danger.

            Kuroko et Perrick penchèrent la tête sur le côté, interloqués. 

            — Nous devons aider Ézékiel et Matthew, reprit la jeune fille. Ce n’est bien sûr pas à moi d’expliquer ce qu’il s’est passé. Eux-mêmes ne sont pas prêts à nous le raconter. Ils ont beaucoup souffert cette nuit et ont besoin de repos. Emmenons-les avec nous pour un temps. Évitons Wisperlow pour le moment.

            Creighton tourna sa tête de lapin vers la jeune fille, il fit pivoter les spirales de ses yeux dans un sens, puis dans l’autre. Enfin, il ramena son regard dans notre direction et nous demanda :

            — Avez-vous besoin d’aide ?

            — Oui, répondis-je sans mentir. Nous aimerions rester ici pour cette nuit. Nous vous quitterons demain à la première heure sans vous causer de souci, j’en donne ma parole.

            — De toute façon, si nous vous causons le moindre tort, nous finirons comme nourriture pour Tikly, n’est-ce pas ? ironisa Matthew. 

            Athalie éclata d’un rire franc. Ses yeux clairs aux reflets bleus nous fixèrent d’un éclat vif.

            — Tu vois Creighton. Ils apprennent vite. Et sans doute pourront-ils nous être utiles ? 

            — Un service n’est jamais gratuit. Nous vous aiderons si vous avez besoin de nous. 

            Une porte s’ouvrit et une femme apparut. Ou plutôt deux femmes… dans un seul corps. Deux têtes rejoignaient le même buste cintré dans une magnifique robe de soirée pailletée de bleu sombre. Âgées d’une trentaine d’années, elles portaient d’une main un plateau gigantesque sur lequel étaient disposés théière, tasses et coffret à sucre. De l’autre elles maintenaient entre l’index et le majeur un porte-cigarette d’où s’échappait en un fin filet gris la fumée du tabac. Les cheveux des deux têtes étaient coiffés d’un chignon haut et gonflé ramené vers l’avant du crâne. Les deux visages avaient la même expression d’intense sérénité qui ne changea pas lorsqu’elles déposèrent le plateau à thé sur la table, au centre de la pièce.

            — Je vous présente Lisbeth et Mélisandre, annonça Creighton en se relevant. 

            — Bonjour les enfants, prononça l’une des têtes tandis que l’autre se contentait de sourire. Je suis Lisbeth. Et elle, c’est ma sœur.

            Lisbeth était la tête de gauche, reconnaissable par un grain de beauté au-dessus de la lèvre supérieure que n’avait pas sa sœur. En dehors de cette particularité physique, les deux têtes étaient identiques et possédaient le même corps, qui n’appartenait donc ni à l’une ni à l’autre. Elles ramenèrent le porte-cigarette à la bouche de Lisbeth qui aspira la fumée. Ce fut Mélisande qui la recracha, provoquant chez moi un étrange sentiment d’émerveillement.

            — Vous prendrez bien un peu de thé, n’est-ce pas ?

J’acceptai volontiers, et elles s’empressèrent de remplir les tasses. Je remerciai les deux sœurs pour leur hospitalité. Je restai pourtant étonné de voir ces êtres étranges rassemblés dans ce bateau bizarre. Creighton du déceler mon incrédulité, car il tenta de répondre à mes questions intérieures. 

            — Nous sommes tous des laissés pour compte. La plupart d’entre nous ont une particularité, vous avez bien pu vous en rendre compte. Nous avons tous en commun d’avoir souffert, d’avoir été abandonnés, délaissés. Nous provoquons autant la peur que l’étonnement autour de nous. Et je suis sûr que vous avez dû ressentir ce sentiment, comme nous tous. 

            Je baissai les yeux et regardai ma jambe. En effet, Creighton avait raison. J’avais beaucoup souffert de mon amputation. Autant physiquement que psychologiquement. J’avais subi les moqueries, j’avais été battu par d’autres garçons parce que j’étais différent. Parce qu’eux étaient valides et moi pas. Ce n’était pas juste de la moquerie, c’était de la méchanceté à l’état pur.

            — Nous sommes les enfants étranges, reprit Creighton pour changer de sujet, et nous nous produisons sur scène de manière à gagner notre vie. Et nous la gagnons bien. Nous produisons de vrais numéros artistiques en mettant en valeur les différences que la vie nous a données. 

            Les enfants étranges. Ce nom résonna dans ma tête et je me rendis compte que tous étaient jeunes, âgés d’une vingtaine d’années, y compris Creighon. Lisbeth et Mélisandre étaient les seules qui semblaient légèrement plus âgées.

            Je bus mon thé pendant que Lisbeth et Mélisandre prenaient place dans l’un des fauteuils et que Creighton nous racontait leur vie. Cela faisait quelques années que le Cyrus parcourait le pays à la recherche de gens talentueux. Creighton était à l’origine de la troupe et les enfants étranges se produisaient dans une grande portion des villes du pays. Il ne parla pas du bateau, ni de l’origine de cet étrange crabe lui permettant de marcher, ni comment il avait rencontré chaque membre de la troupe. Il indiqua cependant que nous étions les bienvenus et que nous pouvions rester autant que nous voulions, à partir du moment où nous les aidions pour leurs spectacles, ce que nous acceptâmes avec plaisir, sans vraiment savoir dans quoi nous nous engagions.

            — Puisque selon Athalie, nous ne pouvons nous rendre à Wisperlow, annonça le capitaine, nous irons à Myrthe. Nous y arriverons demain soir si nous naviguons toute la journée.

            — Allez-vous aller à Wisperlow ? demandai-je innocemment.

            — Rien n’est sûr. C’est possible. Nous avons des autorisations pour nous produire sur toute la région.

            Mon sang se figea et je fis mine de ne rien montrer. Retourner à Wisperlow signifiait que nous allions devoir nous confronter de nouveau aux forces de l’ordre, cela était une évidence. En même temps, c'était un prétexte pour nous permettre de mener notre enquête. Mon visage dut s’assombrir à la pensée de Jubilée, car Creighton reprit la parole.

            — Ne vous inquiétez pas, nous ferons en sorte qu’on ne vous trouve pas. Bien, maintenant que le thé a été bu, je vous propose que Kuroko et Perrick vous montrent vos cabines. Je dois aller m’occuper de Tikly et suis contraint de devoir vous abandonner. 

            Le capitaine se leva et effectua une petite courbette dans notre direction en retirant le chapeau de sa tête. Kuroko et Perrick se levèrent à sa suite et nous invitèrent à les suivre. Nous nous levâmes et saluâmes Abélia, Athalie, Lisbeth et Mélisandre qui nous souhaitèrent bonne nuit. Lorsque je me levai, Égrégore se réveilla d’un bond, les yeux endormis et barrés de sa frange de poils blancs. Je m’assurai que la chienne avait bien nettoyé ses pattes avant de l’autoriser à nous suivre. Elle nous emboîta le pas sans un mot, regardant à droite et à gauche.

            Elle s’arrêta un instant sur Lisbeth et Mélisandre, étonnée de voir deux têtes sur un seul corps, puis se rangea à mes côtés en bâillant. Nous empruntâmes le grand escalier pour revenir dans l’immense couloir par lequel nous étions entrés. 

            — Là c’est celle d’Athalie, indiqua Perrick en désignant l’une des portes des cabines qui longeaient le corridor. Celle d’Abélia est de l’autre côté du navire. Au bout du couloir, il y a celle de Lisbeth et Mélisandre. Nous, nous dormons là et là.

            À chaque fois, il nous indiquait le numéro de cabine, affiché par des lettres d'or gravées sur un petit écriteau rond et noir accroché sur la porte rouge.

            — Toutes les autres cabines sont vides ? demandai-je curieux.

            Kuroko nous regarda, amusé. J’avais l’impression que sa fine moustache vibrait sous l’impulsion de son rictus.

            — Oh, ça… c’est un grand mystère, répondit-il. Certaines servent de débarras pour les machines du professeur Winston. D’autres sont vides oui. Il faut dire qu’on a plus de cent cabines réparties sur deux étages. Personne n’a jamais eu le temps de vérifier tout ce qu'il y a dedans. Certaines n'ont pas été ouvertes depuis des années. 

            Il frotta sa fine moustache entre ses doigts et sourit en prenant un air mystérieux.

            — Vous êtes les bienvenus ici, reprit Perrick. N’ayez pas peur. Si Athalie vous a jugé apte d’être accepté parmi nous, c’est que nous pouvons vous faire confiance. 

            — Elle est vraiment voyante ? demanda Matthew en croisant les bras. Enfin… je sais qu’elle savait comment je m’appelais, mais je ne suis pas du genre à croire ce genre de…choses.

            — Voyante…et médium. Vous n’êtes pas au bout de vos surprises ici. Athalie est douée dans son domaine, comme nous dans le nôtre. Elle a de vrais pouvoirs. En tout cas, elle nous l'a déjà prouvé. Si elle dit qu’on peut vous faire confiance, c’est qu’on peut vous faire confiance. On a pas à chercher plus loin. En tout cas, voilà vos cabines.

            Nous tournâmes à l’angle du couloir et il nous désigna deux portes rouges en métal dont la peinture commençait à s’écailler. L’une portait le numéro quatre-vingt-un, l’autre quatre-vingt-quatre. Elles étaient séparées par deux autres portes et chacune d’entre elles s’ouvrait en tournant une manivelle en forme de roue. Je soupçonnais les murs des cabines d’être aussi fins que du papier à musique. En nous donnant des cabines qui n’étaient pas juxtaposées, cela devait nous permettre d’obtenir une forme d’intimité. Perrick fouilla dans la poche de son veston et en tira deux clés, qu’il nous offrit.

            — Vous en aurez besoin si vous voulez ouvrir vos cabines. Si vous avez un problème, il y a une poignée au-dessus de votre lit. Tirez-la et tout le monde sera au branle-bas de combat, je peux vous l’assurer. 

            Le vaisseau se mit à bouger en tremblant. Les lumières des guirlandes au-dehors s’allumèrent à nouveau. L’orgue que nous avions entendu lors de notre arrivée resta cette fois silencieux. Le bateau tangua à gauche, puis à droite. Nous avancions

            — Le capitaine a donné à manger à Tikly, indiqua Kuroko. Nous repartons pour Myrthe. Ne vous inquiétez pas, on s’habitue vite aux mouvements du Cyrus. Et je peux vous l’affirmer, je suis moi-même sujet au mal de mer. Demain, je vous présenterai à Tikly afin que vous fassiez connaissance. 

            Perrick et Kuroko nous souhaitèrent bonne nuit et nous laissèrent seuls en disparaissant au bout du couloir. Matthew et moi nous regardâmes, les clés à la main. À part le doux balancier du bateau et les grincements du bois, le couloir était silencieux. J’eus l’impression de vivre une chute émotionnelle. L’euphorie de la découverte du Cyrus laissait place désormais au vide le plus total. Matthew allait rentrer dans sa cabine et me laisserait seul. Jubilée ne serait pas avec moi.

            — Est-ce que ça va aller ? me demanda mon ami en voyant mon visage s’assombrir.

            Je hochai la tête sans un mot. Les larmes me montèrent aux yeux. Matthew posa une main sur mon épaule, comme pour me soutenir et me dire que tout irait bien. Pourtant, plus rien n’irait bien, il le savait. J’éclatai en sanglots et Matthew me prit dans ses bras.

            — Je suis désolé, Zek, murmura-t-il. Je suis vraiment désolé.

            Je le sentis désemparé, il ne savait pas comment réagir. Matthew se mit à pleurer avec moi, et s'excusa un nombre de fois incalculable. Il n'avait pas à s'excuser et continua malgré tout à le faire. Je laissai les larmes couler sans discontinuer en serrant avec force sa veste déchirée, afin de supporter un peu mieux la douleur qui me transperçait. 

            — Zek, ça va aller. Je te jure que ça va aller.

            Il mentait, et il savait que m’en rendait compte. Il avait prononcé cette phrase autant pour moi que pour lui. Égrégore se frotta à ma jambe valide en me câlinant et se mit à me lécher la peau. Elle était très attachée à Jubilée et j’étais certain qu’elle savait que quelque chose lui était arrivé. Elle n’aurait pas cherché à me retrouver si ça n’avait pas été le cas. Elle comprenait et tentait, comme Matthew de me réconforter.

            Je fermai les yeux en fronçant des sourcils et cessai de pleurer. Je me retirai de l’étreinte de Matthew et lui indiquai que j’avais besoin d’être seul et de me reposer, que j’avais honte qu’il me voie dans un tel état.

            — Il n’y a pas de honte à avoir. N’importe qui serait dévasté. Je le suis aussi, crois-moi.

            Je remerciai mon ami et décidai de le quitter. J’enfonçai la clé dans la serrure de la porte de la cabine et tournait la roue servant de poignée. Il y eut un déclic et la porte s’ouvrit dans un léger couinement métallique. Matthew me regarda une dernière fois sans un mot. Je lui souhaitai bonne nuit et m’engouffrai dans la chambre.

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