Chapitre 3 : Les signes du ciel annonçant l’inattendu

À la suite de son réveil, le druide ne cessa de penser qu'à une seule idée. Il devait manger. Son estomac, totalement vide, réclamait sa pitance. Malgré les complaintes lancinantes de son ventre, il dut se faire violence. 

Sortir de sa chambre, traverser le couloir, ouvrir la porte, Lyk comptait mentalement ses pas. 

— Plus que dix-sept ! compta le jeune homme exténué. 

Le soleil, à son zénith, garantit une clarté saisissante, créant une lumière douce devant la grotte. Pourtant, ses yeux se plissèrent. Les oiseaux environnants chantaient, ravis de revoir leur ami. Tous ces chants et ces piaillements venaient heurter la sensibilité de ses oreilles. 

— Treize pas, je dois continuer d’avancer. 

Ses jambes musclées peinaient à le faire avancer. Au sol, quelques planches faisaient office de remparts pour garder la fraîcheur de la cave. Il tenta de les pousser du bout des pieds. Malheureusement pour lui, elles étaient bien trop lourdes. 

— Encore six pas et ce maudit obstacle ! maugréa-t-il. 

Le druide s’agenouilla et écarta les planches, laissant apparaître une petite ouverture. Un halo de lumière triangulaire illumina la moitié de son garde-manger. Il se laissa glisser sur les marches. La pénombre était présente, mais Lyk connaissait bien les lieux. 

Il distinguait vaguement le positionnement des jarres restantes. Au fond de l’une d’entre elles, le jeune homme avait caché un fromage dont il était friand. En haut ? En bas ? Son cerveau ne le savait plus. Lyk saisit le récipient devant ses yeux. Sa main plongea avidement dans le fond de la jarre. Alors, il poussa le gros sel du bout des doigts puis palpa. Trouvé ! 

Fier de sa prise, le druide sortit un énorme morceau de Cantal. Un fromage à pâte maillée et friable avec le temps. Sa croûte, boutonnée, aux couleurs dorées, donnait un goût fruité et de subtiles notes de noisette. Impossible d’attendre plus longuement, le jeune homme le mordit à pleines dents. 

Son second repas de Lyk fut tout aussi copieux. Une soupe de légumes, pommes de terre, poireaux, oignons rouges et choux. Il y ajouta des graines de coriandre et de gros morceaux de pain dur. Au quatrième bol englouti, son estomac était rempli. 

Le jeune homme alla chercher sa blague à tabac. Allongé à même le sol, repu, face au feu de camp. Son corps et son mental avaient été mis à rude épreuve les jours précédents. De ses doigts habiles, il roula un bâtonnet rempli de feuilles brunâtres et y saupoudra une fleur de rêve broyée. En fumant paisiblement, savourant le moment présent. Il se perdit dans les oscillations des flammes dansantes. 

Le druide laissa son esprit s’ouvrir. Dans la fumée montante, il vit les personnes apparues dans ses rêves, cherchant le détail qui lui avait échappé. Des formes prenaient vie dans le brouillard volatile puis disparaissaient. 

Le regard perdu dans le néant de ses pensées. Lyk crut apercevoir, au loin, une forme incandescente dans le ciel de fin de journée, aux teintes bleu orangé. S’obligeant à sortir de cette léthargie, il fixa de longues minutes cette chose qui se rapprochait. Quatre silhouettes ailées sortirent d’un nuage flânant au-dessus de l’horizon. Dans le firmament devenu à présent rougeoyant, ils entamèrent leurs descentes. 

— Se pourrait-il que… s’interrogea-t-il en se mettant à courir pour rejoindre la falaise. 

Ce furent deux aigles imposants à têtes blanches qui se posèrent en premier. Leur atterrissage parfait fit voltiger un amas de poussière. Instinctivement, ils scrutèrent les environs avec leurs yeux perçants, puis émirent un cri strident puissant. Le jeune homme n’en comprit pas le sens. 

Le druide reconnut sur le champ le troisième arrivant. Son amie, Makeow, qui peinait à garder sa stabilité. De façon chaotique, elle posa ses frêles pattes anthracite au sol, tenta quelques pas et tomba sur le côté, le souffle court. L’aigrette au plumage blanc et doré avait accompli un exploit en faisant l’aller-retour, d’ici jusqu’à l'île Plume. 

Lyk se précipita et prit l’oiseau exténué dans les bras. Il lui caressa les plumes tout en fouillant dans ses poches, puis en sortit quelques miettes de pain dur. Le jeune homme avait acquis ce réflexe depuis qu’il vivait ici. Toujours avoir du pain sur soi lui permettait de pouvoir nourrir l’ensemble des animaux vivants sur cette île. 

Subitement, l’air ambiant se réchauffa. Une douce chaleur bienfaitrice vint les envelopper. Le druide connaissait une seule chose capable de faire ça. Le roi des oiseaux, Flambor Rubisfeu. 

Un oiseau majestueux fit son apparition. Monarque absolu de la faune aviaire. Cet animal mystique était tel un brasier perpétuel. Son plumage bleuté proche du corps, tel un feu naissant, devenait orangé puis jaune incandescent aux extrémités des ailes et de sa traîne. Sur son poitrail, ses plumes ressemblaient à une coulée de lave en mouvement continuel, variant du grisâtre au rougeâtre. Sa huppe en pagaille, son regard azur et son bec charbon donnaient une idée de son âge avancé. La chaleur qu’il dégageait donnait naissance à des effets de mirage. De petites flammèches s’échappaient par-ci par-là de son corps.

Le phénix se posa délicatement sur la corniche puis s’avança vers Lyk. À chaque pas du roi, le sol noircissait instantanément. Une odeur de terre brûlée donna l’alerte au souverain. Celui-ci fit descendre sa température corporelle au plus bas niveau. L’oiseau de feu fit une légère révérence devant le jeune homme. 

— Salutations, mon jeune ami. prononça le phénix, aucunement fatigué par ce long voyage. 

— Salutations, Ô roi des oiseaux ! répondit le druide, en posant un genou à terre. 

— Veux-tu bien cesser tes enfantillages ? avertit l’oiseau agacé. 

— Pardonnez-moi, votre seigneurie ! s'excusa Lyk, en grimant une courbette au ras du sol, le sourire mutin. 

L’animal légendaire poussa un soupir.