Chapitre 4 : Quand l’absence d’ombre trahit un destin caché

Après avoir pris soin de son amie, l’aigrette. Lyk installa dans sa bibliothèque, près de l’âtre, une branche bien fournie. Celle-ci servait d’arbre dortoir pour le repos de son hôte. Les deux pygargues à tête blanche se postèrent devant l’entrée, par ordre de leur monarque. Le phénix, de son côté, continua d'échanger avec son disciple. 

Le druide lui rapporta avec précision les événements survenus dans les ruines du château de l'archimage Zaodja. Mentionnant avec exactitude la prophétie entendue, le crime odieux d’un serviteur par un usurpateur. Il relata également ses rêves prémonitoires. Tous ses souvenirs étaient encore bien ancrés dans sa mémoire.

Ensemble, ils essayèrent de décrypter cette prophétie. Le peu d’informations qu’ils avaient à ce sujet ne leur permettait pas de trouver qui étaient les différents héros. Le druide, fulminant, faisait les cent pas devant la cheminée. L’oiseau de feu regardait intensément le jeune homme déambuler. Quelque chose clochait. Les oscillations de lumière dues au feu bien nourri l’empêchaient de distinguer ce petit détail qui l’intriguait. 

— Viens, mon ami, accompagne-moi dehors afin de pouvoir étirer mes ailes, annonça le phénix, sur le point de lever un mystère. 

Une fois sortis de l’habitat troglodyte, ils firent quelques pas en direction d’une clairière se trouvant non loin. C’est le roi qui ouvrit la marche, pourtant, il ne connaissait nullement les lieux. L’oiseau souhaitait s’éloigner de toutes sources lumineuses autres que la sienne. 

— Arrête-toi ici et lève tes bras à l’horizontale, ordonna le seigneur des cieux, de façon autoritaire. Ne bouge surtout pas !

Lyk connaissait trop bien l’oiseau immortel pour lui demander pourquoi. Le temps des questionnements n’était pas encore venu. Le phénix qui suivait le jeune homme ouvrit subitement ses énormes ailes au maximum. Des gerbes de flammèches s’échappèrent du divin plumage. Venant se mêler aussitôt au ciel sombre, telles des lucioles voltigeantes. L’animal légendaire irradia le druide d’une lumière intense, comme mille feux. Il sautilla légèrement sur la gauche et observa attentivement. Puis, il sautilla vers la droite et examina son disciple de longues minutes.

— Que vois-tu, Lyk ? questionna finalement le roi du ciel, satisfait de son expérience. 

Le druide, quelque peu surpris, regarda autour de lui avant de répondre. Il voyait seulement les ténèbres de la nuit. Le décor entier se perdait dans cette noirceur. Un air salin se fit sentir, colporté par un faible vent. Le chant lointain d’un oiseau nocturne parvint à ses oreilles. 

— Rien ! avoua le jeune homme. 

Le phénix lui mit une petite bourrasque avec le revers de son aile, sur l’arrière de la tête. Il jubilait devant la réaction de son disciple. Tout se jouait sur un détail et l’oiseau était le seul à l’avoir vu. 
 

— Quelle est cette chose qui devrait exister, mais qui demeure invisible ? Regarde très attentivement, mon jeune ami ! insista le monarque altruiste.

Lyk, confus, se retourna vers son maître. La luminescence du corps du phénix lui fit instinctivement fermer ses yeux vairons. Cette lumière, quasiment aveuglante, était capable d’éclairer la clairière entière et pourtant, non. Ce fut la première idée qui germa dans l’esprit du druide. Il tourna le dos au roi des oiseaux. En jetant un regard circulaire, le jeune homme fut sidéré. Comment avait-il pu ne pas le voir ? 

— Pourquoi votre lumière ne produit pas d’ombre avec… commença le druide. 

Flambor Rubisfeu ne le laissa pas terminer sa phrase. Il récita simplement les deux premiers vers de la prophétie. 

 —Maintenant, les SEPT sont là !

— À leur éveil, l'ombre se dissipera ! 

— Lyk, mon cher ami, je viens de comprendre et tu ne vas pas aimer ! révéla triomphalement le phénix. Tu fais partie des sept héros que tu cherches !

— Quel est le rapport avec moi ? répondit sèchement le jeune homme, perplexe. 

— Quant au septième, de ces formes, il les réunira ! rajouta Flambor. De plus, j'ai souvenance de certaines de tes compétences en transformation que nul autre humain n'est capable de faire.

— C'est seulement un pur hasard.

— Ton corps absorbe toute la lumière, quelle que soit l’intensité, mais ne produit aucune ombre. Cela ne devrait pas être possible normalement. Mais, comme moi, tu l’as remarqué.  

— C’est impossible ! Il doit y avoir une autre explication ! hurla Lyk, complètement déboussolé. 

— Actuellement, je ne dispose pas d'autres réponses à te fournir… répondit calmement le souverain. Trouver comment, ne t’avancerait pas à grand-chose. 

Le druide fixait ses doigts en les faisant bouger, cherchant à comprendre pourquoi la lumière n’allait pas au-delà de son corps. Pas qu'avec ses mains, cela se produisait sur l’ensemble de son anatomie, y compris ses cheveux longs ondulants face à une brise légère.

— Je manque de réponse, certes, mais j’ai trouvé une solution pour repérer les six héros restants ! reprit le phénix. Et, c'est d’une simplicité enfantine. J’ai un réseau aviaire sillonnant la planète entière. Aucune cible ne peut nous échapper. 

— Cependant, comment peut-on repérer ce que l’on ne connaît pas ? Le monde est vaste et le temps nous manque. 

— N’oublie pas qui je suis, mon jeune ami. Être roi engendre des responsabilités, en revanche, cela s'accompagne également de privilèges. Si je demande à mes congénères de l’aide, tous répondront présent, surtout si l’avenir du monde est en jeu. Le peuple volant traquera nuit et jour. 

— Merci pour ton aide, Flambor, s'exclama Lyk, timidement. 

— Tu utilises mon prénom, toi, toujours plein de malice. L’heure est grave alors. Je dois me hâter. Je t’envoie un messager dès que leurs localisations seront trouvées. 

— J’ai mieux que ça à t’offrir. Cependant, je sollicite deux de vos plumes. Celles qui se dressent majestueusement au-dessus de votre tête, seront amplement suffisantes. 

— Tu recommences encore à te jouer de moi, non ?

Le phénix fixa les yeux du jeune homme et y vit une pointe de fourberie. Sa huppe affichait explicitement sa décrépitude. Retirer son plumage restant lui vaudrait sûrement des décennies de moquerie. L’oiseau opta plutôt pour les plumes ardentes de son poitrail. Il les humecta avec son bec et sa langue afin d’éviter les brûlures. Une fois refroidi, le monarque les tendit au druide. 

Lyk, s’arracha deux fines mèches de cheveux, puis les tressa fermement autour de chaque plume pour obtenir deux bracelets. Le jeune homme prit un bijou dans chaque main. Ensuite, il fit appel à son mana fraîchement retrouvé. De minuscules filaments blanchâtres, pleins de vie, sortirent entre les doigts repliés. Le druide, apposant sa volonté, obligea les petits tentacules blancs à rejoindre l’artefact opposé. Une passerelle de mana se créa temporairement, symbolisant le lien, le partage et la communication. 

Quand le pont éphémère disparut, les filaments retournèrent à leur source en gardant une infime partie de leur alter ego avec eux. La plume et les cheveux de chaque bijou s’étaient unis pour ne faire qu’un. Les artefacts avaient des reflets comparables à la lave d’un volcan. De fines veines dorées pulsaient tout en enlaçant la plume cristallisée.

— Mon seigneur, annonça triomphalement Lyk, le sourire aux lèvres. Ceci nous permettra de communiquer, quel que soit l’endroit où vous vous trouvez. Il suffit de le porter et j’en ferai de même. Insuffler du mana pour l’activer. 

— Une fois toutes les cibles trouvées, que feras-tu ? As-tu un plan ? questionna le phénix, sachant que la tâche sera ardue. 

— Oui, j’ai une petite idée de ce que je dois faire, mais je doute d’avoir la force nécessaire pour y arriver. Pourtant, je ne vois aucune autre possibilité. 

Le légendaire oiseau de feu prit congé auprès de Lyk puis s’envola, suivi de sa garde royale. Laissant au bon soin du druide, la jeune aigrette qui dormait à poings fermés. Le jeune homme regardait fièrement le bracelet de sa main droite. Le même artefact était accroché à la patte du roi, juste au-dessus de ses serres puissantes. Là, où personne ne pourrait le lui enlever.