Au troisième « bip », je raccroche. Et s’il est marié, s’il a une femme, une famille ? Si c’est elle qui répond ? Si je réveille ses trois marmots ? S’il habite chez ses parents et qu’une vieille grincheuse m’envoie paître ?
Mais maintenant que mon numéro de portable s’est affiché sur son téléphone, je ne peux plus faire marche arrière. Sauf si, par chance, Franck est un collectionneur d’antiquité et que son fixe est un téléphone à cadran, qui ne mémorise pas les appels en absence… En 2015, aucune chance. J’inspire profondément, tente de me calmer et rappelle le dernier numéro. Je tiens le coup jusqu’à la quatrième sonnerie. Alors que je m’apprête à raccrocher, une voix sourde se fait entendre :
- Mouuuaaiiiii ?
J’essaye d’articuler un « bonsoir », en vain. Aucun son ne daigne sortir de ma bouche. Je reste silencieuse pendant une dizaine de secondes, jusqu’à ce que Franck vienne à mon secours :
- Ouiiii ? Allô …?
En l’entendant, trois choses me frappent : 1- il était en train de dormir, 2- visiblement il s’impatiente et ne va pas tarder à raccrocher, 3- le téléphone déforme vraiment beaucoup les voix, je ne reconnais pas celle de Franck.
- Oui, heu bonsoir, je … je suis désolée d’appeler si tard, je …
- J’espère que c’est important ! me répond-il sèchement. C’est au sujet du travail ?
- Oui. Je viens de me blesser à la cheville, je… comment dire, je suis tombée dans l’escalier et huumm… demain je ne sais pas si vais pouvoir venir.
- Ah… et comment je vais faire moi pour récupérer les prospectus ?
- Les prospectus ? répété-je.
- D’accord, j’ai compris, vous ne voulez plus travailler avec moi finalement, ça paraissait trop beau pour être vrai. Vous savez quoi ? Allez vous faire voir !
Il ne reste plus que la tonalité au bout du fil. Assommée, j’écarte le téléphone de mon oreille et le tiens à bout de bras, pendant une demi-minute en écoutant les bips humiliants. C’était quoi ce délire ? Soit il m’a reconnue et a voulu me faire comprendre qu’un appel si tard était malvenu, soit il a trop bu. Cette deuxième hypothèse expliquerait ses propos vulgaires et le timbre étrange de sa voix. En tout cas, il est clair qu’il y a un malentendu, que je dois m’empresser de lever.
Cette fois, il décroche à la deuxième sonnerie :
- Quoi encore ?!
Bon ok, il n’est pas plus aimable ; je vais devoir user de toute ma diplomatie.
- Excuse-moi Franck si je te réveille, je crois qu’on ne s’est pas très bien compris à l’instant.
- Hola si, on s’est très bien compris et vous le prouver à l’instant même. Moi c’est Dorian, ça vous dit quelque chose ? Cela montre à quel point vous vous souciez de moi et que notre accord ne valait rien !
- Que … ? hein … ?
Cette fois, je perds mes mots et mon sang froid par la même occasion. Si c’est Franck qui me joue un tour ou qui est bourré, il mérite une bonne correction. Si ce n’est pas Franck au bout du fil, mais vraiment ce fameux « Dorian » … tant pis, un inconnu ne pourra pas m’en vouloir si je lui passe un petit savon ! Aussi, je reprends assez fermement :
- Hey, gros malin, à quoi tu joues ?
Ma réplique semble avoir fait son petit effet, je l’entends déglutir et s’en suit un blanc de plusieurs secondes.
- « gros malin, à quoi tu joues ? » répète-t-il, apparemment choqué.
- Heu, oui c’est ce que j’ai dit, effectivement.
- « g… gros malin…, à quoi tu joues ? » dit-il encore une fois.
J’ai l’impression de l’entendre à la fois rire, pleurer et suffoquer.
- Mathilde ?! Mathilde c’est bien toi ?
- …
- Maty, c’est moi, c’est Edouard ! C’est Ed, tu ne reconnais pas ma voix ? m’implore t-il.
- Désolée, vous faites erreur. Bonne soirée et excusez-moi pour le dérangement monsieur Dorian, j’ai dû composer un faux numéro.
- Attends, Maty ! s’empresse-t-il de répondre. Je sais que c’est toi ; que tu m’en veux d’être parti. Je l’ai regretté chaque jour de ma vie, crois-moi… Je t’ai cherché sœurette, toi et maman. Mais surtout toi, je te jure. Où t’es-tu cachée tout ce temps ?
- …
- Mathilde, dis quelque chose, je sais que toi… que tu es là. Mon Dieu, je suis vraiment heureux de t’avoir retrouvée… j’en perds mes mots.
- …
- S’il te plait, ne m’abandonne pas. J’ai besoin de toi Maty.
Son intonation misérable mêle tristesse et joie. Qui est cet énergumène qui me prend pour sa sœur disparue ? Edouard ? Connais pas, désolée !
Je m’apprête à raccrocher, quand il dit le mot « magique » :
- Maty, ne fais pas de moi un orphelin deux fois de suite. Je t’en supplie, parle-moi, dis quelque chose, n’importe quoi.
L’émission télévisée de l’après-midi me revient en pleine figure, le mot « orphelin » synonyme de « séparation tragique », résonne de toute part. Je ne peux pas raccrocher au nez de ce pauvre homme.
- Voilà… je vous parle, tenté-je.
- Merci, lâche-t-il à demi-mot, sincèrement soulagé d’entendre ma voix.
- Edouard, pourquoi m’avez-vous dis vous appeler Dorian juste avant ?
- Ecoute Maty, je suis désolé, je ne pensais pas que c’était toi mais cette salope de l’agence d’intérim qui annulait mon tout nouveau contrat.
- Ah heu … d’accord. Logique, me moqué-je gentiment. Mais ça ne m’explique pas pourquoi vous avez deux prénoms ?
- Tu sais quand je suis parti de la maison, j’ai utilisé un nouveau prénom, j’en avais besoin pour la scène, mais aussi pour que maman ne me retrouve pas.
- Je vois, réponds-je sans grande conviction. Donc vous avez …
- Arrête de me vouvoyer ! me coupe-t-il. C’est vraiment bizarre.
- D’accord. Mais je … d’accord.
- Tu sais Maty, malgré ma situation actuelle, je crois que c’est le plus beau jour de ma vie. Je ne pensais plus te revoir un jour, cela paraissait inespéré. Tu te souviens de ce que je vous ai dit à maman et toi, la veille de ma fugue ?
- Je ne me souviens pas non… en fait je ne suis pas… je …
Non. Je ne peux pas lui avouer que je ne suis pas Mathilde. Certainement pas ! Une petite voix me souffle « si tu lui dis la vérité, ça va le tuer », tandis qu’une autre me dicte de ne pas mentir et d’éviter les ennuis. Oui, parce qu’il faut aussi savoir reconnaitre les ennuis quand ils toquent à votre porte, et son « malgré ma situation actuelle » fait clignoter le bouton rouge Alerte. Pourtant, je m’entends répondre :
- Je ne suis pas en mesure de me souvenir Edouard, je suis désolée. Peu de temps après ton départ, j’ai fait une chute importante et j’ai perdu la majeure partie de mes souvenirs d’enfance.
Même si je ne suis pas certaine que les mathématiques soient mon plus grand allié pour le moment, un théorème que je viens d’inventer dit :
mensonge = ennuis
mensonge + mensonge = solution
Parfait. Autant pousser la tromperie à l’extrême. Plus c’est gros, plus ça passe !
- D’ailleurs, je m’appelle Fifi maintenant, bien que … « Maty » me dise vaguement quelque chose.
- Ah ?! Tu es amnésique ? C’est horrible, p’tite sœur !
- Edouard, je suis réellement heureuse moi aussi de te retrouver, je n’ai plus aucune famille hormis un monsieur âgé avec qui je vis.
- Plus aucune famille ? demande-t-il tristement. Et maman alors ?
Oups… Moi et ma spontanéité ! Que lui répondre à ça ? Bon, un de plus un de moins…
- Je suis navré Ed, elle n’a pas survécu bien longtemps, entre ton départ et mon accident… Je te raconterai tout ça à l’occasion. En attendant, je vais me coucher, je travaille tôt le matin.
A ma grande surprise, il ne me retient pas et laisse s’écouler plusieurs secondes avant de m’interroger :
- Mais, tu n’appelais pas pour prévenir que tu étais blessée et que tu n’irais pas travailler demain ?
- Je ... heu… oui en fait, c’est une longue histoire frérot. (Il m’appelle « sœurette », j’ai bien le droit d’utiliser un surnom moi aussi, non ?) Je t’appelle demain, à ce même numéro, ça ira ? Tu es disponible vers quelle heure ?
- Toute la journée ! Toute la journée, tu peux appeler à ce numéro. Quand tu veux. J’attendrai ton appel Mathilde. Ne me laisse pas, d’accord ?
- Oui c’est promis, lui assuré-je avant de raccrocher, le cœur serré.
Il y a une minute à peine j’étais persuadée d’avoir fait le bon choix, mais désormais je n’en suis plus du tout sûre. J’ai menti à un homme désemparé ; le mensonge ne pourra pas durer bien longtemps. Il sera encore plus anéanti le jour où il apprendra la triste vérité.
L’idée de l’aider à retrouver sa vraie sœur (et sa mère) me traverse furtivement l’esprit. Je pourrais essayer auprès d’un vieil ami de collège qui fait aujourd’hui partie de la médecine légiste. Non, l’idée n’est pas de chercher parmi la liste des défunts, mais de demander un petit coup de main à ses collègues de la Police. Sinon, je pourrais aussi publier une annonce dans le journal, me renseigner sur internet, l’inciter à participer des émissions de Confessions Intimes ?
Bon. Fifi, stop ! Arrête un peu, tu es encore en train de délirer. La soirée a été lourde en émotions, il est temps de te coucher et de faire le point, calmement.
Comme disait Mamy : « parfois, la vie réserve de drôles de surprises ».
- Hier matin en me réveillant, une journée tout à fait banale s’annonçait.
- Durant la journée, j’ai gagné un ticket d’or ; celui qui me permettait de pénétrer dans l’intimité de Franck.
- Dans la soirée, j’ai gagné une dispute familiale.
- La nuit dernière, j’ai gagné des nœuds au cerveau.
- Ce matin, j’ai gagné une migraine et une épouvantable journée de travail.
- Cet après-midi, j’ai gagné un bourrage de crâne télévisé.
- Cette nuit, j’ai gagné un frère.
Un frère à deux prénoms, qui a fugué de chez lui étant plus jeune, qui a perdu contact avec sa famille et semble vivre seul. Un frère impulsif, qui manque de respect et tente de bosser pour une boîte d’intérim (livreur de prospectus, ça existe encore ?)
Mais un frère sensible et sentimental.
X X X
La manie qu’a sa mère d'à appeler tard le soir insupporte Franck. Pour le coup, ça parait aussi agacer M.Rugbyman-l’impatient.
En plus de le déranger à des heures indécentes, elle appelle pour aborder le plus tabou et conflictuel des sujets : le mariage. Depuis plusieurs années, mais surtout depuis que l’avenir du restaurant est tout tracé, ses parents s’inquiètent du sien. Quand va-t-il leur présenter la future madame Garoche ? S’il a du mal à faire de nouvelles rencontres, leur cercle de connaissances est large et comprend des jeunes femmes charmantes et de bonne éducation, qui d’ailleurs organisent une sortie au lac la semaine prochaine...
Franck laisse sa mère terminer sa tirade avant de lui annoncer que justement il est en bonne compagnie et souhaite remettre cette passionnante conversation à plus tard.
Avant tout, je dois dire que ce début est très entrainant et intrigant. Le ton est dynamique et ton personnage principal plutôt attachant. J’aime bien l’univers de la pâtisserie et la complicité qui l’unit au petit apprenti ^^ J’ai enchainé les trois premiers chapitres sans m’arrêter!
Concernant « l’affaire du numéro de téléphone », je suis un peu embêtée par deux points : d’abord le fait que Fifi ne réalise que bien plus tard qu’il s’agit d’un numéro de fixe et non d’un portable. Je dois dire que, même si je ne m’attache pas outre mesure aux détails, l’indicatif « 01 » m’a tout de suite fait tiquer. Du coup, et là je laisse peut-être mon imagination s’emballer un peu, est-il vraiment nécessaire que ce soit un numéro de portable? En tant que patron d’un restaurant, il serait tout à fait normal que Franck ait un téléphone pro (pour qu’on puisse l’alerter en cas d’urgence) mais qu’il ne veuille pas donner son numéro fixe perso. Ce qui rendrait sa valeur à la découverte de Joachim.
Le deuxième point, c’est la façon dont elle pense justifier son coup de fil : prévenir qu’elle s’est blessée et qu’elle ne peut pas venir travailler est - en soi - une bonne excuse mais ça n’explique pas du tout comment elle peut être entrée en possession du numéro… Dans mon cerveau d’obsédée de la logique, ça coince >< Pour moi, il faudrait soit qu’elle prétende au moins avoir cherché dans l’annuaire ( mais bon, vu la discrétion du monsieur, il y aurait toutes les chances pour qu’il soit sur liste rouge), soit - et je pencherais pour ça - elle pourrait dire qu’elle a trouvé ce numéro inscrit sur un bout de papier par terre au restaurant et qu’elle appelle pour savoir qui c’est…? (ce qui peut être un peu bancal aussi à la réflexion…)
J’espère que mes pinaillages de folle de la logique ne vont pas trop t’embêter. En tout cas, ils n’enlèvent rien à la qualité du début de ton histoire, au punch de ton texte et à l’humour qui s’en détache ^^ J’aime beaucoup notamment les petites tranches de vie de Franck qui expliquent bien son envie de discrétion et donnent envie de tapoter avec compassion sur l’épaule de Fifi… :)
À bientôt!
Hola
=> Holà
Vous le prouver
=> Vous le prouvez
La manie qu’a sa mère d'à appeler
=> La manie qu’a sa mère d'appeler
Il manque le point final après :
=> encore ?).
Les chapitres ne se suivent pas dans l’ordre, il faudrait que tu les nommes avec la même forme donc soit avec un (-) soit avec (:)
Chapitre 2 - Crois-moi Papy, t'es né à la bonne époque !
Chapitre 1 : il lit vraiment dans mes pensées ?
Chapitre 3 : Luke... je suis ta sœur
Par ailleurs :
Chapitre 1 : il lit vraiment dans mes pensées ?
=> Chapitre 1 : Il lit vraiment dans mes pensées ?
Ou mieux :
Chapitre 1 : Lit-il vraiment dans mes pensées ?
Mensonge + mensonge = solution
Lol ! C’est ce qu’on appelle un mensonge blanc !
Ça peut marcher, je suis d'accord avec Fifi sur ce point.
Alors déjà, mon prénom, c'est Mathilde, donc ton choix m'a fait un clin d'oeil.
Et ensuite, ça fait tellement soap opéra, le coup du frère disparu, que je trouve ça très sympa d'avoir choisi un truc si gros. Je sens que ça nous réserve de belles surprises. Et la réaction de Fifi, c'est pile ce qu'il faut pour du grand n'importe quoi, mais en même temps c'est cohérent par rapport au côté fantasque que tu as dépeint dans le premier chapitre.
Bref, je m'amuse bien en te lisant !
A bientôt pour la suite !
Quand ça commencera à être trop, faudra me le dire, héhé !