— C’est trop marrant Solène de manger avec les yeux !
— Oui, moi aussi je fais pareil ! Je ferme les yeux et je les sens s’enfoncer dans leurs orbites pour pousser la nourriture de l’autre côté, c’est assez surprenant.
— Et puis, je crois que je viens de manger un cafard, je lui annonce également, curieusement fier.
— Beurk !
— Ah ah ah ! Ce n’est pas beurk du tout, et ça me remplit bien l’estomac, c’est vraiment très agréable !
— Je plaisante, je sais bien que ce n’est pas beurk ! Je viens de manger une bestiole non identifiée perso.
C’est vrai qu’on ne voit pas grand-chose sous cette forme. J’ai deviné que je mangeais un cafard uniquement à cause de ceux que j’avais vus se promener au moment où j’appuyais sur le bouton du casque magique.
Ceci dit, c’est vrai qu’il faudrait qu’on se renseigne un peu sur les insectes avant nos expéditions. Enfin, qu’on se renseigne juste hein ? Pas qu’on aille à l’intérieur d’un insecte avec le casque magique, ce serait carrément trop dangereux.
Je fais quelques pas puis m’immobilise, attendant tranquillement que d’autres insectes passent devant moi. Les anoures, ils sont marrants, ils ne voient rien si ça ne bouge pas.
Je me demande si tonton m’observe également sans bouger. Probablement. C’est trop bizarre que je sache qu’il est là, certainement dans mon champ de vision, mais que je ne le remarque pas pour autant.
Et hop ! Je gobe[1] ce que je suppose être un moucheron, parce que c’est tout petit. Puis après quelques minutes, autre chose de long et indéterminé, un petit ver peut-être ?
En tous les cas, j’ai beau ne rien faire, je ne m’ennuie pas le moins du monde, et puis vraiment, qu’est-ce que c’est agréable de rester comme ça au soleil ! Même si je sens bien que ça ne va pas durer longtemps, vu que la nuit tombe.
Et là, il y a un truc entre la fourmi et le scarabée d’après ses dimensions. Hop ! Peu importe ce que c’est, car après tout, je ne risque rien non ? Alors je gobe !
Quelques instants plus tard, j’entends du bruit, mais un bruit que je n’arrive pas à identifier. Ce n’est pas tonton qui bouge, puisque je ne le vois toujours pas. Alors c’est quoi ?
Je vois alors s’approcher rapidement de moi quelque chose de bien plus gros qu’un cafard ! Je me fige, mon crapaud se gonflant et se dressant autant qu’il le peut pour faire peur au nouvel intrus. Puis j’entends la voix de tonton dire « va-t’en toi ! ».
C’est à moi qu’il parle comme ça ? Aucune idée, mais je préfère ne pas prendre de risques. Avec Solène, on a décidé d’être moins rigides que la dernière fois lorsqu’on utilise les casques magiques, mais ça reste compliqué de savoir quand on peut se permettre d’intervenir.
Finalement, après une série de petits bonds (oui bon, je vais aussi vite que je peux quoi), je plonge dans l’eau. Moi qui pensais faire des bonds de géant lors de cette expédition, c’est un peu raté !
— Solène !
— Oui ? Qu’est-ce qu’il y a Hélios ?
J’ai juste envie de lui dire « c’est trop injuste que tu sois dans une grenouille et pas moi », mais elle risque de se moquer encore plus.
— Rien. Juste, je crois qu’heureusement que tonton était là. J’ai vu un gros truc s’approcher de moi qui faisait un barouf d’enfer ! Et puis- Oh.
— Oh quoi ?
— Bah, je crois bien que c’était un hérisson en fait.
— Ah ah ah ! Tu as eu peur d’un hérisson, c’est trop drôle !
— C’est pas drôle du tout, il aurait pu me manger ! je crie après Solène, indigné.
— Oui oui, bon, tonton était là, alors tout va bien.
Ça, c’est sûr. Mais n’empêche, elle pourrait s’inquiéter un peu plus pour moi.
Tout en grommelant sur mon insensible de sœur, je profite d’être de nouveau dans l’eau pour nager un peu histoire de voir comment ça fait. J’ai bien envie de manger encore un peu plus, mais il y a quelque chose qui me gêne. C’est bizarre, j’ai comme l’impression qu’il y a quelque chose qui me reste sur l’estomac. Quelque chose que j’ai mangé ?
Ça me brûle un peu.
Peut-être que si je me force à manger autre chose ça passera ? Tiens, justement, me voilà au milieu de plein de petites choses grouillantes, peut-être que si j’en gobe quelques-unes…
— Ah !
Je n’ai pas pu m’empêcher de pousser un cri mental.
*** Informations documentaires ***
Les anoures, puisqu’ils ne peuvent pas mâcher, écrasent la nourriture sur le haut de leur palais avec leur langue. Et ensuite ils ferment et enfoncent leurs globes oculaires dans leurs orbites afin de pousser la nourriture vers le fond de leur gosier.
Pourquoi faire aussi compliqué ? Et bien tout simplement parce que leur langue est tellement collante que sinon ils n’arriveraient pas à avaler !
Contrairement à la plupart des grenouilles, le crapaud préfère souvent marcher (ses pattes arrière sont plus courtes), sauf lorsqu’il y a un prédateur dans le coin, il peut alors faire de petits bonds, mais rien à voir avec les bonds de plusieurs mètres que peuvent faire certaines grenouilles comme les grenouilles agiles !
Les anoures peuvent se gonfler et se faire « plus gros » pour tenter de faire peur à certains prédateurs.
[1] Gober = avaler sans mâcher