Arrivés en haut des marches, Joffrey, Blanche et Louisa débouchèrent sur un palier, qui semblait être un pont entre deux couloirs. Sur la porte de gauche, étaient peints les mots « chambres de filles », et sur celle de droite « chambres des garçons ».
« Maxime essaie de faire changer les appellation des couloirs, expliqua Joffrey. Il est non-binaire, et considère que c’est réducteur d’appeler les couloirs par « filles » et « garçons ». Il veut les renommer « couloir 1 » et « couloir 2 ». Il dit que c’est certes, un symbole, et que le nom des couloirs ne changera rien à la répartition des chambres, mais il trouve ce symbole important. Il n’est pas une fille, tu comprends ? Ni un garçon. Alors, pour lui et tous les futurs pensionnaires non-binaires, il veut que les couloirs ne soient pas réduits à un genre. Son objectif final est non seulement que les couloirs ne soient pas nommés comme un genre, mais qu’ils soient mixtes, et que la répartition se fasse selon les désirs des pensionnaires.
Dans l’absolu, on est tous d’accord avec sa démarche, mais la directrice trouve que c’est idiot, et a affecté Maxime au couloir des filles, sous prétexte qu’il est de sexe féminin, qu’il a un physique de fille, et qu’il a été assigné fille à la naissance. Alors chaque semaine, il dépose devant le bureau de la directrice une pétition que l’on signe tous, pour essayer de faire renommer les couloirs, et chaque mois, on fait une manifestation. Un jour, on a même tous changé de chambres pendant la nuit. La moitié du couloir des garçons est allée dans le couloir des filles, et inversement. Après ça, on a eu droit à une leçon de trois heures sur pourquoi ce qu’on avait fait est inadmissible.
En attendant, Louisa, tu va aller dans le couloir filles.
Tu seras dans la chambre n°5 avec Maxime. Il est adorable, tu verras, n’oublie juste pas qu’il n’est pas une fille, ni un garçon. »
Joffrey se tourna vers Blanche.
« Blanche, bichette, tu pourrais amener Louisa dans sa chambre ? Je n’ai pas le droit d’aller dans ce couloir. Louisa, ne parle pas de ses parents à Maxime. Ici il y en a qui les ont perdu et d’autres qui se sont fait rejeter. La famille de Maxime a refusé d’entendre parler de lui quand il a assumé sa non-binarité et sa bissexualité. Je ne sais pas si il t’en parlera de lui même, mais après avoir été chassé de chez lui, il a vécu un ou deux mois dans la rue. Ça a été très dur, il n’en parle pas facilement. En lui parlant, accorde tous les mots au masculin. C’est ce qu’il veut. On se verra au dîner, Louisa. »
Sur ces mots, Joffrey fit vol face et s’engouffra dans le couloir d’en face. Louisa sentit la petite main de Blanche se glisser dans la sienne. La petite la tira jusqu’à jusqu’à une chambre marquée du numéro 5, sur laquelle une feuille scotchée indiquait « Chambre de Maxime ». Une deuxième feuille attachée juste en dessous, sûrement écrite de la main du dit Maxime indiquait « et de Louisa ».
Levant le point, Blanche frappa trois coups sur la porte.
« Entrez », cria une voix derrière la porte.
Blanche poussa la porte.
Maxime était installé un lit recouvert d’une couette à poids rouges et encombré de tellement d’affaire qu’il était impossible de tous les citer. Il possédait des cheveux châtains coupés au carré, teintés de mèches bleues et des yeux noirs charbons. Il était vêtu d’un pull beaucoup trop grand et d’une paire de leggings à imprimés têtes de labradors.
« Je t’amène ta colocataire, Maxime.
- Merci Bouclette. Laisses la moi, elle est entre de bonnes mains ! »
Sur les mots de Maxime, Blanche sourit à son camarade, et poussa légèrement Louisa pour la faire entrer dans la chambre.
« À tout à l’heure ! » Lança-t-elle avant de quitter la chambre, et de refermer soigneusement la porte.
Maxime se leva du lit d’un bond et se planta devant Louisa.
« Je suis ravi de te rencontrer Louisa ! Tu ne peux pas savoir comme c’est énervant d’être le seul à ne pas avoir de colocataire. Je suis Maxime! »
Il désigna un lit en face du sien.
« Tu dormiras là, si ça te convient
- Ça ira très bien, merci. Répondit Louisa. Joffrey m’a parlé de tes actions. Je peux signer la prochaine pétition ? Ou aider pour fabriquer des pancartes pour une manifestation ? »
Un grand sourire s’étala sur le visage de Maxime, qui était ravi que sa nouvelle colocataire s’intéresse à ses actions.
« La prochaine pétition sera prête à être signée demain, et la prochaine manifestation sera mercredi prochain. Je te ferais signe si j’ai besoin d’aide pour fabriquer des affiches ou des pancartes. Merci d’avoir proposé. »
« Louisa ! Viens donc t’asseoir avec nous ! Qu’est ce que tu fais toute seule à cette table ? »
Après avoir installé ses quelques affaires dans la chambre qu’elle partageait avec Maxime, Louisa avait suivit son colocataire vers le réfectoire.
Toute la journée, Louisa avait nagé dans une sorte de brouillard à travers lequel elle percevait le monde. Comme son père le lui avait toujours ordonné, elle ne pleurait pas devant les gens. Pourtant, ce n’était pas l’envie qui lui en manquait. Chaque seconde, elle avait l’impression que la tristesse allait l’engloutir…
Son père était mort.
Depuis la mort de sa mère, il était pourtant le seul à s’être occupé d’elle, à passer le plus de temps avec elle malgré son emplois du temps très chargé.
Il était son meilleur ami. Elle n’en avait pas eu beaucoup d’autre, personne de voulant être ami avec la file d’un patron d’usines d’alimentation, qu’on considérait comme une petite pourrie gâtée.
Et maintenant, il était mort. Il avait pris un balle perdue venue d’une émeute, et Louisa se sentait désespérément seule.
Mais elle ne pleurait pas. Elle ne pleurerait pas. Pas devant des gens. Son père le lui avait toujours enseigné : Toujours garder la tête haute, ne jamais pleurer devant les gens, attendre d’être seule pour laisser échapper sa tristesse.
Louisa avait toujours obéi à son père, et surtout maintenant, elle mettait un point d’honneur à respecter ce qu’il lui avait ordonné de son vivant.
Devant les autres, elle serait toujours forte. Elle l’avait promit à son père.
Après le dîner, Louisa remonta dans sa chambre, Maxime était encore dans la salle de repos, aussi la jeune fille était-elle seule. Seule avec son chagrin.
Notre héroïne se mit au lit, flottant toujours dans son drôle de brouillard. Mais une fois dans son lit, elle ne put plus faire semblant : malgré tous ses efforts pour retenir ses larmes, Louisa explosa en sanglots.
Souvent, les pleurs se calment au bout d’un certain moment et lavent la tristesse. Mais ceux de Louisa ne cessaient pas et ne lavaient rien du tout. Chacune des larmes versées lui rappelaient juste qu’elle ne reverrai plus jamais son père, et qu’elle était seule. Et à chaque fois que cette pensée lui venait, son chagrin augmentait encore. Recroquevillée sur son oreiller, Louisa sentait encore le chagrin l’emporter très loin et la terrasser.
Bientôt, ses pleurs devinrent hystériques.
Au même moment, la porte s’ouvrit sur Maxime qui entendit les pleurs de sa camarade de chambre et chuchota :
« Louisa ? »
Seul le bruit des pleurs de la jeune fille lui répondit.
Ses yeux s’accoutumant à l’ombre de la chambre,Maxime vit sa colocataire enroulée autour de son oreiller, en train de pleurer si fort que l’on entendait même plus le bruit de la pluie qui tombait dehors.
" Louisa !" Chuchota Maxime d’une voix plus pressée, cette fois.
Il se précipita vers sa camarade et grimpa sur le lit où elle était recroquevillée. Tendant les bras, il en entoura la jeune fille qui pleurait encore. Maxime sentit Louisa se serrer contre lui et poser sa tête rousse et bouclée sur son épaule.
Il ne dit rien, et se contenta de serrer Louisa contre lui. Il ne dit rien et cela suffit. Rien de ce que Maxime aurait pu dire n’aurait put consoler Louisa. Le temps était tout ce qui aurait put aider la jeune fille. Mais le temps passe très lentement quand on a du chagrin.
Maxime et Louisa restèrent longtemps serrés l’un contre l’autre. Et quand Maxime se rendit compte que Louisa était devenue plus lourde contre son épaule, et que ses larmes s’étaient taries, il se tourna discrètement vers la rousse et se rendit compte qu’elle s’était endormie sur son épaule.
Très doucement, Maxime se décala, et retenant encore Louisa dans ses bras, il la reposa doucement sur le matelas, la recouvrant de la couverture à fleurs roses qui gisait encore sur le lit, tout en faisant très attention à ne surtout pas la réveiller. Surtout pas. Il savait que quand on était aussi dévasté que Louisa l’était, le sommeil était l’un des seuls refuges existants, un refuge qu’on souhaiterai éternel. Parce que si on avait de la chance, on dormait d’un sommeil sans rêves, et on oubliait tout pendant un court moment.
A très vite,
Claire