Planète : Terre Date : 20 mai 2094.
Localisation : Ex-Canada
Université de Calgary Laboratoire de recherche géologique et paléontologique
Calgary Province d'Alberta
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"— Il est parfois étrange de voir comme les choses changent à cause d'une guerre. Il y a encore cinquante ans, il aurait été impossible d'obtenir un scanner propre à la recherche universitaire pour une petite université comme la nôtre" pense Liame en regardant l'écran qui restituait lentement les coupes au micron d'un fossile.
Une discrète sonnerie tire l’homme de ses pensées, l’homme, surpris, tourne vivement la tête vers la porte, faisant virevolter sa queue de cheval noire.
— Merde, qui peut venir me déranger à une heure pareille ! grommelle-t-il, en dépliant péniblement malgré sa jeune trentaine, sa longue stature, du tabouret inconfortable sur lequel il est collé depuis plusieurs heures, il jette un regard torve vers le siège, pour se massacrer le dos, pas mieux que ces instruments de torture.
Traversant la salle en quelques pas lents, au passage, il se saisit d’une pomme, dernier relief de son repas. Et tout en la croquant, ouvre la porte d'un geste vif. Ses yeux bleu-gris brillent d'énervement en pensant au précieux temps perdu, pour une futilité probablement, rage-t-il !
La porte s’ouvre sur un homme d'une quarantaine d’années. Il porte un uniforme devenu synonyme du mot "gouvernement", depuis quelques années.
« — Monsieur Liame Xerwake ?
— Oui
— Né à Lougarbakki, dans l’ex-République d'Islande ?
— Oui ! mais... qu'est-ce que… ?
L’homme l’interrompt
— Veuillez poser votre pouce sur ce terminal s'il vous plait.
— Voilà… Mais, bordel, que se passe-t-il ?
— Conformément à l'article 5 ligne 32 de la Constitution mondiale, vous avez été réquisitionné pour une mission urgente de sécurité planétaire. Veuillez me suivre.
— Faites chier ! Vous voulez que je laisse tout en plan, comme ça… tout de suite… que je laisse tout tomber parce que vous avez besoin de moi, pour je ne sais quoi ?!
— Nous vous informerons de ce que l’on attend de vous au QG. Je vous signale que, conformément à l'article 5, je suis également habilité à utiliser la contrainte par corps pour vous ramener avec moi.
Les traits de Liam se figent instantanément. Ses mains se crispent lentement dans un léger tremblement d’énervement. Sa voix devient sourde et il fixe son interlocuteur d’un œil noir.
— Utiliser la force ? J’aimerais bien voir cela ! Sachez, cher Monsieur, que j’exècre la violence sous toutes ses formes, mais qu’à l’occasion…
L’homme en uniforme lève la main en signe d’apaisement.
— Monsieur Xerwake, si cela peut nous éviter d'en arriver à cette extrémité, sachez je suis en mesure de vous indiquer que notre invitation à un rapport avec l'expédition du Gobie.
— Je vois que l’on passe de réquisition à invitation. C’est mieux ! Vous dites que cela à un rapport avec l'expédition du Gobie ?
— Oui, monsieur.
— Bien, vous auriez dû commencer par là… OK, je viens ! Mode de locomotion ?
— Voiture.
— Dites, vous n’avez pas mieux dans vos moyens ? Un avion par exemple ? Vous appartenez à l’Armée spatiale, donc à notre gouvernement. Vous venez me déranger à minuit passé, pour, selon vos propres dires, une chose urgente et vous prenez… une voiture ! De nuit, avec une partie du trajet en montagne, pour rejoindre la grotte, nous allons en avoir pour au moins cinq heures ! Je pense que pour les choses moins urgentes vous ne vous déplacez qu’en bicyclette ?
— Non, monsieur.
Liame dévisage son interlocuteur d’un air pensif : « Soit, il se fiche de moi ; soit, c’est de l’humour ; soit, il est naturellement comme ça ? C’est un militaire… Il est naturellement comme ça ! »
— J'espère que je ne vais pas devoir supporter votre attitude de robot, pendant les cinq heures de trajet ?
— Attitude de robot, monsieur ? J’en suis désolé, monsieur ! Mais, j'ai reçu l’ordre de ne pas vous communiquer plus de renseignements qu’il n’est nécessaire de porter à votre connaissance. L’interprétation du mot « nécessaire » étant laissée à ma propre appréciation. Cette interdiction durera tant que vous n'aurez pas signé les formulaires de non-divulgation que l'on vous remettra à la base. Pour ce qui est du temps de trajet, je peux vous informer que ce voyage durera plus de cinq heures, car vous n'êtes pas la seule personne que je suis chargé de ramener à la « grotte ».
— OK, OK, on y va ! Si tous vos invités ont autant envie que moi de vous suivre, ce voyage va s’accomplir dans une ambiance radieuse.
— Si vous voulez bien me suivre jusqu’à mon véhicule. »
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Depuis déjà quatre heures, la limousine avait quitté Calgary, pourtant elle entamait à peine l’ascension des contreforts des Rocheuses. À bord, l’atmosphère n’était pas aussi sinistre que l’avait craint Liame. Une discussion passionnée, entre Liame, une jeune femme d'une trentaine d'années et un homme approchant la cinquantaine, animait l’habitacle.
« — ... mais, puisque je te dis que je n'en sais rien, Helena !
— Liame, ton équipe est partie prospecter dans le Gobi, et tu me racontes que tu n’as pas la moindre idée de « sur quoi elle a pu tomber » pour intéresser à ce point l'armée spatiale ? rage-t-elle, jouant avec une boucle de ses cheveux roux pour calmer son irritation.
Le fait d'avoir eu à peine le temps de prendre une douche et une légère collation, avant d’être embarqué, presque de force, pour ce voyage impromptu, n’arrangeant pas son humeur.
Tentant de pacifier le débat, le troisième interlocuteur qui jusque-là était demeuré silencieux, intervient.
— Bon, résumons : tout d’abord, ils semblent que pour « eux » le temps presse ; qu’ils doivent réunir une équipe pour travailler sur un sujet qui est en lien avec l’expédition géologique du Gobie. En revanche, je n'ai aucune idée du pourquoi. Au fait, personnellement, je suis mathématicien, et vous ?
— Géologue et paléontologue, répond Liame. Désignant de l’index Helena, il précise, archéologue et anthropologue. Se rappelant brusquement qu'il n'avait pas encore fait les présentations, il rajoute, elle, c’est Helena, moi, Liame ; et vous, monsieur ?
— Derek, enchanté ! Alors là, je sèche complètement ! un mathématicien, un paléontologue et une archéologue, réveillés au cœur de la nuit par une mystérieuse convocation effectuée de manière quasi-manu militari. Alors là je m’interroge ! Passe pour assembler un géologue et une archéologue ensemble. Cela, je peux le comprendre. Mais y adjoindre un mathématicien, je ne vois pas. Si au moins nous savions ce que font les cinq autres.
— Quels cinq autres, Derek, si je peux vous appeler par votre prénom ?
— N’avez-vous pas posé la question, mademoiselle, du nombre de personnes réquisitionnées en même temps que nous ?
— Franchement, quand on vous énerve pour un voyage sans but précis, alors que vous avez déjà passé presque deux heures, bringuebalée dans un tout-terrain chinois ; puis que l'on vous transbahute d’avions inconfortables en véhicules tout aussi inconfortables durant plus d’une vingtaine heures, pour rentrer d’Asie et tout cela sans vous laisser une minute pour souffler… Non, je n’ai pas pensé à demander le nombre de participants à notre petite sauterie ! Je pense qu’il en est de même pour monsieur Liame, extirpé de son travail. Car, il devait être très probablement en train de bosser au labo de la fac, et dans ces cas-là, il est d'une humeur de chien. Je pense, honnêtement, que lui, non plus, n’a pas demandé le nombre des convives. La question n’a pas effleuré notre cervelle, ni à l’un ni à l’autre.
— Permettez-moi de vous demander, à tous les deux, quels sont vos domaines actuels de recherche. Peut-être que cela nous permettra de trouver un rapport avec notre balade forcée ? interrogea Derek
— Peut-être ! s’exclama Liame. Personnellement, je travaille en ce moment sur les structures sédimentaires du crétacé terminal. Quant à Helena, heu…, cela change tellement souvent, que je n'en ai aucune idée. !
À ces mots, Helena lance un regard glacial à Liame et laisse échapper un profond soupir, puis d'une voix tout aussi chaude que son regard, l’interpelle.
— Si tu levais un peu la tête de tes coupes au labo et de ton ordinateur, tu saurais, au moins, que je suis en cours de travail sur la transmission des faits historiques par le biais des contes et légendes, et ce pour la région Asie -Pacifique. Monsieur saurait également que j’étais à Calgary en coup de vent.
— Quoi ? Sais-tu que mon équipe était aussi dans cette zone-là, justement !
— Si tu crois que je sais où se trouve ton équipe quand tu n'es pas avec eux, tu te plantes complètement mon pauvre vieux ! Je te laisse cette joie-là.
— Helena ! Cesse de dire que c’est mon équipe, je te signale que tu pars presque aussi souvent avec eux que moi, donc, c'est autant la tienne que la mienne.
— Oh que oui ! bien sûr mon cher Liame… C’est mon équipe ! Quand ce n’est pas la tienne ! Disons que c’est plutôt la tienne, avant d’être la mienne. Le fait est que l’on ne nous attribue pas assez de ressources pour que je puisse monter la mienne, avec mes propres choix et ....
Derek, amusé, interrompt la querelle en passant la main entre les visages des deux protagonistes.
— On se calme les enfants ! Vous êtes toujours comme ça ?
— Non ! répondent Liame et Helena dans un chœur parfait.
Un instant de silence passe. Puis Helena de s’excuser :
— Non, c'est juste que, lorsque je manque de sommeil, je suis extrêmement irritable. Quant à Liame, monsieur est un grand adorateur des journées sans surprise. Pas vrai, mon grand ?
Liame se tasse sur son siège en grommelant une phrase dans laquelle, à peine perceptible, on peut percevoir les mots : sauterelle, rousse et Terre de Baffin…
Helena regarde Liame avec un léger sourire, puis reprend en le désignant du menton
— Le connaissant comme je le connais, en ce moment, il doit être extrêmement angoissé parce que l'on a besoin de nous pour une question de sécurité planétaire. Il faut dire que je le suis aussi, mais je dois l'être un peu moins que lui, car, à sa décharge, il a quelques bonnes raisons de ne pas aimer l'armée spatiale.
— OK ! Et si nous en revenions à nos moutons ? Personnellement, mon champ de recherche n'a rien à voir avec l’Asie. Je travaille sur l'évolution des systèmes mathématiques.
— Et bien, il est clair que cela n'a rien à voir avec nos champs de recherche à tous les deux. Donc, on en revient à la case départ avec juste un point d’interrogation à peine plus gros, grogna Liame, en se laissant couler sur son siège de pur faux cuir.
— Étant donné le confort de ces fauteuils et étant donné que sans nul doute la journée prochaine sera exténuante, je vous propose de que l'on prenne tous un peu de repos, dit Helena bâillant et posant sa tête sur l'épaule de Liame.
— Excellente idée, rajouta Derek. Je pense que le "robot " nous réveillera quand nous serons arrivés en vue de la grotte.
Une voix grave et passablement énervée se fait alors entendre de l'avant de la voiture.
— Oui, je vous réveillerais, mais, en échange, cessez de me traiter de robot. Je vous signale que je suis à quatre-vingt-cinq pour cent humain et pour les dix pour cent restants, lieutenant dans l’armée spatiale. Donc pour parler de moi, utilisez mon grade, à défaut de pouvoir utiliser mon prénom comme le veut le règlement militaire.
— OK ! répond Liame, à tout à l'heure, cher lieutenant robot !
— Non, mais ce n’est pas vrai ! Ça m'apprendra à accepter le convoyage de civils !
Une voix inconnue s’élève alors dans l'habitacle !
— De plus, la route est encore longue et j’aimerais arriver en entier, si c’était possible !
Jusqu’alors dissimulé par le dossier de son siège et le mini-bar, un homme se redresse. Une soixantaine d’années, barbe courte, yeux bleu délavé, un léger sourire aux lèvres.
— Bonjour. Je m’excuse de ne pas vous avoir accueilli, mais j’ai le sommeil profond et j’avais donné l’ordre au lieutenant de ne pas me réveiller. Ce sont vos chamailleries qui m’ont sorti de ma torpeur.
Je vais essayer de vous nommer. Le plus facile d’abord : vous, c’est Helena ; pour la voix un peu fatiguée d’un homme qui a vécu, vous, c’est Derek. Donc, le dernier est Liame. Moi, c’est Sigmund Ayling.
D’abord interloqué, Liame se reprend et salue, à son tour l’apparition.
— Bonjour ! Quelle spécialisation nous vaut le plaisir de votre compagnie, dans cette randonnée nocturne ?
— Aucune en particulier, toutes en général. Je suis un des nombreux consultants dont s’entoure l’Armée spatiale. Disons que je suis, grâce à ma mémoire et à mon éclectisme tous azimuts, tout à la fois une sorte de catalyseur, de synthétiseur et de filtre. On me soumet un problème, j’y réfléchis et je donne une ou plusieurs solutions possibles. Aux pontes de l’Armée spatiale de décider à laquelle de cette, ou de ces solutions, ils adhèrent. J’étais à Calgary pour des raisons personnelles et j’ai profité d’une place vacante dans la limousine pour remonter à la base.
— Alors, vous devez bien connaitre les lieux !? demanda Helena.
— Si c’est une affirmation, ma réponse est non ! Si c’est une question, ma réponse est également non ! Je ne connais de cette base que cinq endroits : le duplex mis à ma disposition, le restaurant, la piscine, un peu moins la salle de gym et une salle de réunion et évidemment les couloirs et ascenseurs qui conduisent à ces divers endroits. Vous y êtes déjà allée ?
— Non !
— Alors, sachez, Mademoiselle, que cette base est immense. On s’y déplace en train et en voiture sur les grands axes, à vélo et en trottinette sur les axes intermédiaires. Des pédalos sont à disposition pour traverser le lac. De plus, c’est un gigantesque labyrinthe. Malheur à celui qui se déplace sans plans ni boussole. Beaucoup de personnes ont fait cette folie, personne n’est jamais revenu. On ne les a plus jamais revus. Tout du moins sous leur forme originelle… Cette base est hantée, pas vrai lieutenant ?
— Sûr, monsieur ! Il faut surtout se méfier du lac, il est noir et profond. D’énormes bestioles inconnues y nagent. On a retrouvé le corps d’une d’entre elles sur le rivage. Au moins huit mètres de long et quatre rangées de dents pointues. Pas vrai, monsieur ?
— Sûr, lieutenant.
Helena reste bouche bée. Liame et Derek fournissent des efforts pour ne pas éclater de rire.
Liame est le premier à pouvoir reprendre la parole
— Helena, pour ce que j’en sais, le labyrinthe, c’est presque vrai ! Pour le reste… Chauffeur, nous allons essayer de dormir, veuillez éviter les nids de poule ! lance Liame d’une voix narquoise. »
« — Attendez seulement que j’en repère un sur ce tapis et, parole de lieutenant, vous allez l’apprécier…, commente silencieusement leur convoyeur.
Les pneus de la voiture crissent sur un chemin caillouteux. Depuis, presque une demi-heure, le véhicule a quitté la route principale et après avoir emprunté des routes de plus en plus étroites, il roule maintenant sur un chemin perdu dans une nature sauvage : À sa droite, en contrebas une canopée de grands arbres verts et venant du fond de la gorge, bien plus bas, le grondement d’un torrent de montagne et de ses chutes d’eau ; à sa gauche, une falaise abrupte. La voie est juste assez large pour que deux véhicules puissent se croiser. Le chauffeur n’a guère besoin de ralentir pour franchir la lourde grille qui s’ouvre lentement devant lui. Le temps d’apercevoir des panneaux rédigés en plusieurs langues et accompagnés d’idéogrammes portant tous les mêmes messages "Danger, Zone interdite, Espace militaire, Mines". La voiture s’arrête dans un tunnel de quelques mètres. Une barrière est abaissée, un feu rouge clignote, une succession de flashs lumineux, un temps d'attente, puis le feu passe de rouge à vert et la barrière se relève. À la sortie du tunnel, la voix du lieutenant s’élève au milieu des ronflements plus ou moins forts des passagers.
« — Madame, messieurs, nous venons de passer un des points de contrôles, visible celui-ci… Pour ceux d’entre vous qui ont déjà eu l’occasion de fréquenter la grotte, je réponds par avance à vos deux questions : oui, vous allez bien au siège général ! Non, nous n’y rentrerons pas par l’entrée principale. J’ai ordre de vous introduire dans le complexe d’une manière discrète et par une des entrées secondaires.
Sans ouvrir l’œil, et d’une voix endormie, Liame bougonne.
— C’est bien un truc de l’armée spatiale ça !
— Si vous voulez monsieur !... Au fait, que savez-vous de l'armée spatiale ?
Un bref silence. Puis Liame riposte, avec un brin d’énervement.
— Heu, si ma mémoire est bonne, ils ont arrêté la guerre mondiale et depuis dominent la Terre. Ils ont instauré un régime répressif et depuis, presque tout est sous le contrôle de leur gouvernement. Un gouvernement qui d'ailleurs n’a jamais été élu.
Un soupir se fait entendre. Puis le lieutenant, d'une voix calme, mais dans laquelle pointe une nuance d'irritation, rétorque :
— Voilà pourquoi je déteste discuter avec des civils ! Même les plus informés n'ont qu'une vision partielle et partiale de ce que nous faisons et du pourquoi nous le faisons !
Je reconnais qu’il est vrai que nous sommes discrets sur le pourquoi et que vous ne connaissez qu’une partie du comment.
Mais comme je soupçonne que vous allez devoir rester avec nous un petit moment et que les autres résidents de la base auront d'autres choses à faire que de jouer les bornes de renseignement, que j’ai encore quelques kilomètres à effectuer sur ce chemin qui peut très vite devenir dangereux. Ralentissant, mais, sans quitter la route du regard, le lieutenant tourne légèrement la tête vers l'homme qui avait surgi de derrière le siège.
Je me permets de demander à monsieur Ayling de faire un petit topo sur ce que nous sommes et ce que nous faisons.
Par vos fonctions au sein de la base vous connaissez suffisamment le fonctionnement de l’armée spatial en ce qui concerne sa partie historique. De plus, vous avez connu presque intégralement le déroulement des événements.
Tout en se redressant sur son siège, Sigmund approuve la proposition
— Pourquoi pas ! En préliminaire, je dirais que contrairement à ce que ce jeune homme sous-entend, je trouve que l'armée spatiale nous a sortis d’une sacrée panade !
— Si seulement nous en étions sortis de ‘’la panade’’ comme vous le dites… fait le lieutenant d'une voix sombre et à peine audible.
— Fruit de la volonté de plusieurs pays ayant le leadership sur la scène internationale, l'armée spatiale fut créée de façon ultra secrète juste avant la troisième guerre mondiale. Son rôle déclaré était d’assurer la protection de la planète de tout risque venant de l’espace, de surveiller et protéger l’ensemble des engins gravitant en basse et haute orbite et de surveiller les espaces aériens de la planète. Elle devait être également une force d’intervention rapide en cas de conflit armé entre pays. Dans ce dernier cas, elle avait pour prérogative de se substituer aux pouvoirs politiques en place et d’appliquer la loi martiale sur les pays belligérants.
Profitant de capitaux faramineux, alors même que presque tous les pays du monde subissaient en domino, un total effondrement économique directement lié aux conséquences catastrophiques de l’emballement climatique, la base de l’armée spatiale fut érigée et dotée de tout son matériel en un temps record.
Quelque part dans la chaine des Rocheuses canadienne, Black Phantom, surnommée la grotte, allait connaitre un curieux destin. Base d’une armée dédiée au spatial, elle n’a jamais accueilli autre chose qu’un petit hélicoptère civil sur lequel était inscrit : Moutain guide. Base militaire, elle comportait plus de civils que de militaires. Les civils provenaient de toutes les parties du monde. Ils étaient, essentiellement des chercheurs, des ingénieurs, des ouvriers hautement qualifiés, comme l’était également la majorité des militaires qui y étaient affectés. En bref ; cette structure réunissait une partie de l’élite mondiale, et ce dans tous les domaines.
Au début de la troisième guerre mondiale, elle joua un rôle décisif dans celle-ci. Mais pas celui que les dirigeants de l'époque avaient pu imaginer.
Tout commença par une découverte des services de renseignements de la base. Creusant au-delà des objectifs officiels qui justifiaient l’installation de Black Phantom, une autre vérité fut mise à jour. De nombreux documents, immédiatement classés « confidentiel-défense », démontraient, sans aucune ambigüité possible, que le seul et réel but fixé, lors de l’érection de la base, était tout autre que celui annoncé.
Il s’agissait de la prise en main complète des pays ayant le leadership sur le reste du globe. Tous les pouvoirs : économiques, politiques et religieux devaient rapidement être concentrés entre les mains d’un seul pouvoir. En remontant l’organigramme des sphères du pouvoir de ces pays leadership, les services de renseignements découvrirent que ce complot était dirigé, exclusivement, par les membres des vingt plus puissantes entreprises du monde, celles-ci ayant noyauté, par avance les gouvernements des dits pays. Finalement, les agents de renseignements de la base s’aperçurent que ces entreprises, malgré le marasme économique mondial, avaient dégagé des bénéfices nets suivant une courbe exponentielle.
Devant cette réalité, les dirigeants et une très grande majorité des membres de cette base rompirent les liens avec les Nations qui avaient créé la base. Puis, dans les jours qui suivirent cette décision, les mêmes annoncèrent la création d'un État souverain appelé "Hope1" dont le territoire n'était composé que de la surface de cette base et de ses alentours. Ce faisant, ils révélaient ainsi l'existence de la base à la face du monde.
Derek intervient
— Je m'en souviens, cela avait fait grand bruit à l'époque. On apprenait, pratiquement en même temps, non seulement l’existence de cette base, mais également sa décision de devenir un État souverain. De plus, on apprenait également que les États qui l'avaient créé voulaient instaurer un nouvel ordre mondial entièrement dédié à leurs seuls profits et que dans le ciel flottait la menace d’armes géostationnaires et ceci en complète violation des traités de non-militarisation de l'espace. Un petit scandale ! Je pense même que ce sont ces deux derniers points qui ont dû précipiter le début de la guerre de quelques mois.
— C’est ce que je pense aussi, confirma Sigmund, après avoir étudié le contexte social et économique de l’époque : émeutes de la faim, déplacement massif de populations armées fuyant des conditions de vie intenables, conflits à répétition autour de l’eau, des énergies, etc. les guerres étaient inéluctables.
Cette scission, sans doute gênante pour les États sur le point de partir en guerre, n'avait pas, à l'époque, été jugée, par eux, comme dommageable pour l'effort de guerre. En effet, qui se souciait, du moins pour les États non incriminés par les révélations venues de Hope1, de l’indépendance de cette petite enclave qui ne devait gérer que quelques missions spatiales et quelques satellites météo, alors que le bruit des canons allait sous peu retentir. Pour les autres États, ceux qui avaient été incriminés, se posaient la question de savoir si Hope1 n'allait pas prendre part aux conflits, mais du mauvais côté pour eux. Une question cruciale pour ces États, car ils connaissaient avec précision la force de nuisance d’Hope1 dans l’immédiat, et son énorme potentiel technologique pour l’avenir.
C’est eux qui avaient créé cette force et le monstre s’était soustrait à l’emprise de son maitre. De plus, tous ces États, sans exception, avaient à gérer des populations armées, devenues en grande partie incontrôlables du fait de ces révélations. Et, il en était de même pour les armées régulières. Dans nombre d'endroits, les membres des tribunaux militaires qui devaient juger les exactions commises étaient massacrés par leur propre troupe. Les guerres n’étaient pas encore déclarées, que déjà le chaos s’était installé comme Maitre de la planète. Et le pire était à venir…
Tous ces pays pensaient pouvoir guider, depuis leurs centres de contrôle, les armements nucléaires et cinétiques déjà placés, et depuis longtemps, en orbite haute. Point sur lequel ils se trompaient lourdement. Les sécessionnistes de Hope1 avaient déjà pris les devants. En effet, dès l’annonce confirmée de la première déclaration de guerre, toutes ces armes devinrent incontrôlables par ceux mêmes qui les avaient lancées. Ce fut d’ailleurs le même régime pour tous les pays, même s'ils n'avaient pas participé à la création de la base des Rocheuses. Plus aucune arme en orbite haute ne répondait aux ordres de leur maitre étatique.
Seul demeurait l’épineux problème des armements nucléaires terrestre. À ce niveau, Hope1 n'avait pas la possibilité de les arrêter. Du moins pas avant quelques progrès demandant encore quelques mois. Or, malgré les nombreux traités signés de non-prolifération des armes nucléaires, les soi-disant démantèlements de structures impliquées dans la construction de ce type d’armes, les signes ostentatoires de bonne volonté d’une dénucléarisation militaire de la part des États possesseurs de cette arme, les États leadership étant les premiers à manifester une approbation « sans réserve » d’une dénucléarisation militaire, nul ne pouvait dire, réellement, combien il existait encore de lanceurs d’ogives nucléaires. Combien pouvaient être mis en œuvre lors des conflits ? Et le principal obstacle auquel Hope1 se heurtait était qu’une fois programmé et lancé, le missile hypersonique est entièrement autonome. Se déplaçant à plus de 33 000 Km, avec un apogée de 100 Km. Équipé d’un radar, il peut rapidement effectuer des manœuvres d’évitements. Une fois lancé, le missile devient alors insaisissable. Je n’ai pas dit de bêtises à ce sujet Lieutenant ? Mes connaissances datent un peu…
— Dans l’ensemble, c’est bon. Juste au sujet des performances, elles ont quelque peu évolué. Celles que vous avez évoquées datent d’environ quatre-vingts ans. Pour ce qui est de son insaisissabilité, ce n’est plus tellement le cas… Des satellites en orbites basses peuvent les suivre et les lasériser. Mais faute de moyen financier, comme toujours, le développement de cette technologie avait pris quelques années de retard.
Savez-vous ce que l’on dit à ce propos au sein de l’organisation ? Non ? Quand ça va très bien, c’est que ça va bien. Quand ça va bien, c’est que ça va. Quand ça va, c’est que ça ne va pas trop mal. Quand ça ne va pas trop mal, c’est que ça va mal. Et quand ça va mal : où est le budget que l’on attend depuis quatre ans ?
— Au nom de tous les universitaires et de tous les chercheurs, je vous dis : bienvenue au club... mais soudain, Liame est interrompu.
Devant la voiture, un éclair fulgurant a zébré le ciel. Il a presque immédiatement été suivi d’un craquement, comme si le ciel se déchirait, puis d'un grondement de tonnerre.
— Il ne manquait plus que ça ! jure le lieutenant, heureusement on va pouvoir se mettre à l’abri. Un abri tout à fait relatif, je vous l'accorde, là, sur le dégagement juste devant nous. Si vous ne connaissez pas les orages de montagne, préparez-vous à goûter la mixture du chaudron du diable. À la vue de ce qui nous arrive sur le nez, je peux déjà vous dire que ça va être violent et rapide, une quinzaine de minutes, au plus vingt. Inutile de vouloir se parler, dans moins de cinq minutes, entre le vent, la pluie, la grêle et la foudre, on ne va plus s’entendre.
Comme pour lui donner raison, la foudre s’abat sur un arbre à une dizaine de mètres d’eux. — N’ayez crainte, les rassure le lieutenant, tant que l’on reste dans la voiture, le principe de la cage de Faraday fait son office. Il ne reste plus qu’à attendre. »
En regardant un gros conifère surplombant la voiture, il fait une grimace en pensant
« Heureusement que la foudre n’a pas choisi celui-là ! La cage de Faraday n’aurait été d’aucun secours. »
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