Chapitre 3 : Premier jour d'école, coup de sang et embuscade.

[ 1 ]

Premier jour d'école. Pour beaucoup, c'était une rentrée de plus. Ils changeaient d'environnement, d'établissement et de camarades de classe, mais l'école leur était familière. Pour Jong-goo, c'était tout nouveau. Pendant six ans, il avait reçu des cours particuliers, mais l'enseignement académique n'était que secondaire dans sa formation. Il savait lire, écrire et compter. C'était l'essentiel.

M. Kim l'avait réquisitionné pour une mission spéciale. Il voulait qu'il entre au collège pour veiller sur sa fille et s'assurer que sa scolarité se déroule sans problèmes. Le collège était bien différent du primaire. Les adolescents pouvaient être cruels et sournois. M. Choi voulait également qu'il obtienne son diplôme de fin d'études et qu'il en profite pour tâter le terrain.

Jong-goo savait que tôt ou tard il devrait renouer avec son passé. Il s'y était préparé. Il parcourut la classe du regard, mais aucune des filles ne ressemblaient à Yerin. Avait-elle tant changé qu'il était incapable de la reconnaître ? Il faudrait attendre l'appel pour en avoir le cœur net.

Leur professeur principal venait d'entrer dans la salle. Tous les élèves retournèrent aussitôt à leur place.

— Bonjour à tous ! Bienvenue au collège de la KGS. Je suis M. Lee. Je serai votre professeur principal et votre professeur d'histoire coréenne cette année.

— Bonjour M. Lee ! chantèrent tous les élèves à l'unisson.

— Bien. Bien. Merci ! Je vais faire l'appel. Levez la main et parlez bien fort.

Alors que le professeur appelait les élèves par ordre alphabétique, un nom familier fit frémir les oreilles de Jong-goo.

— Cha Min-jun.

— Présent !

Le garçon qui venait de lever la main se trouvait au dernier rang, comme lui. Un bureau vide les séparait. Jong-goo ne l'aurait probablement pas reconnu immédiatement, mais il n'avait pas oublié son prénom. Ni cette tête de con.

— Kim Jong-goo.

— Présent ! répondit-il en levant la main.

— Kim Yerin. Kim Yerin ? Kim Yerin n'est pas là ?

Le professeur consigna l'absence dans son cahier d'appel. Jong-goo se demandait où elle était passée. M. Park lui avait assuré qu'elle serait là.

— Bien. Je vais vous distribuer vos emplois du temps et vous présenter le fonctionnement de l'école. Le collège est différent du primaire, donc soyez attentifs.

La vie au collège ne pouvait pas être plus dure que la vie dans la rue. C'est ce que pensait Jong-goo lorsque la porte de la classe coulissa. C'était Yerin. Elle devait avoir piqué un sacré sprint car elle avait les joues en feu et le front en sueur.

— Mademoiselle Kim, je présume ? C'est votre premier jour, et vous avez presque une heure de retard. J'espère que vous avez une bonne excuse.

— Oui, monsieur. Excusez-moi. J'étais au commissariat. Il y a eu un incident dans le métro.

— Je vois. Vous en avez informé le principal ?

Yerin hocha la tête.

— Très bien alors. Allez vous asseoir. Il y a une place libre au dernier rang.

Yerin prit place entre Jong-goo et Min-jun. Ce dernier se pencha vers elle.

— Hé, Yerin ! l'interpella-t-il à voix basse. Je t'ai gardé une place. Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi t'es en retard ?

— Je t'expliquerai plus tard, lui répondit-elle en sortant ses affaires.

L'heure suivante fut dédiée aux formalités administratives. Fiche de renseignement, fiche d'options, fiche d'orientation professionnelle.

— Ces documents sont à rendre, dûment remplis et signés par vos représentants légaux, pour lundi prochain.

[ 2 ]

La sonnerie retentit. Ils avaient quinze minutes de pause. La plupart des élèves étaient restés dans la salle pour discuter entre eux. Quelques-uns étaient sortis pour explorer le campus.

— Yerin ! Je suis trop content qu'on soit dans la même classe !

Appuyé contre le bureau de Jong-goo, Min-jun lui tournait le dos. Depuis quand était-il si proche de Yerin ? C'était la question que Jong-goo se posait.

— Hein ? Oui, c'est cool !

Son sourire avait l'air forcé. Peut-être qu'ils n'étaient pas si proches que ça, finalement. Peut-être qu'il n'était qu'un parasite qui lui collait aux basques.

— Tiens, c'est pour toi.

Il déposa une brique de jus de fruit et un paquet de biscuit sur le bureau de Yerin. Elle le remercia avec un sourire un peu gêné.

— Alors, raconte ! Il s'est passé quoi ? Pourquoi t'étais au commissariat ?

— Ah, ça. Y avait un pervers dans le métro qui filmait sous les jupes des filles. Je l'ai vu et je l'ai filmé aussi, pour pouvoir le dénoncer à la police. Il m'a vu faire et il a essayé de me prendre mon téléphone, mais j'ai réussi à m'enfuir en descendant à l'arrêt suivant. J'ai jamais couru aussi vite de ma vie...

— La vache... Pourquoi t'as fait ça ? C'est dangereux. S'il t'avait attrapée...

— Je sais, mais je ne pouvais pas ignorer ce qu'il se passait juste sous mon nez. Je suis allée porter plainte à la police, je leur ai donné la vidéo. Ils ont dit qu'ils essayeraient de l'attraper, mais que ça allait être difficile.

— Pourquoi ça ?

— Il portait un masque et une casquette, on ne voyait pas bien son visage, donc ils vont avoir du mal à l'identifier. Mais ils ont dit qu'ils vérifieraient les caméras de sécurité du métro et qu'ils renforceraient la surveillance sur la ligne.

— Ah, ok. Si tu veux, je peux te raccompagner chez toi après les cours. Les pervers méritent de se faire tabasser. Je suis sûr que c'est qu'un gros lard qui sait même pas se battre. Ces mecs sont des losers qu'ont pas de vie. En plus, tu sais que je suis fort. J'ai fini deuxième aux championnats régionaux de taekwondo l'année dernière. Je te protégerai.

— Il n'avait pas l'air gros, il avait même l'air plutôt normal. Enfin, merci, mais ça ira. M. Park a dit qu'il viendrait me chercher après l'école.

— Oh, d'accord. C'est pas grave alors. Mais si t'as un problème, hésite pas à m'appeler. T'as mon numéro ?

— Je ne crois pas...

— Attends, je vais te le donner.

Alors qu'ils s'échangeaient leurs numéros de téléphone, Jong-goo perdait patience. Un : ce connard avait le cul sur son bureau. Deux : il lui tournait le dos et l'ignorait totalement. Trois : il prétendait être fort et savoir se battre. C'était de la provocation.

— Hé, toi ! Bouge. T'es assis sur mon bureau.

— Hein ? Oh, excuse... j'avais pas vu.

Jong-goo se leva en repoussant violemment sa chaise. Technique numéro un : l'intimidation. Il abattit la main sur son bureau, son regard hostile fixé sur Min-jun. Les élèves se retournèrent, alertés par le bruit dans le fond de la salle.

— Tu m'as pas vu ? Tu te fous de ma gueule ? J'ai l'air d'un clown ?

— Euh... N-non. Je suis désolé, j'ai vraiment pas fait exprès. Y a pas de quoi s'énerver.

Trop tard. Jong-goo était déjà énervé. Il était énervé depuis le moment où il avait reconnu Min-jun.

— Paraît que tu fais du taekwondo. Tu veux qu'on aille régler ça dehors ?

Yerin s'interposa.

— Mais ça va pas, non ?! Vous allez pas vous battre pour ça ! C'est n'importe quoi. Min-jun a dit qu'il avait pas vu. Il s'est excusé, c'est bon. Laisse-le tranquille.

Min-jun avait baissé les yeux et fuyait son regard. Il avait l'air intimidé, mais pas Yerin. Elle le regardait droit dans les yeux avec un air sévère de mère courroucée. Jong-goo l'ignora et attrapa Min-jun par la nuque pour lui glisser quelques mots menaçants à l'oreille.

— C'est ta dernière erreur. Si tu me prends encore de haut, je te défonce.

Il le poussa sur le côté. D'un coup de pied, il envoya valser son bureau, puis quitta la salle les mains dans les poches.

— C'est quoi son problème ? dit Yerin avec irritation en aidant Min-jun à remettre son bureau et sa chaise en place.

L'incident avait également suscité l'inquiétude et la curiosité des autres élèves.

— Vous croyez que c'est un délinquant ? demanda une des filles. Il a les cheveux teints en blond...

— Mais il porte des lunettes.

— Et alors ? Les délinquants ne peuvent pas être myopes ?

— C'est peut-être juste un intello frustré.

— Il me fait peur.

— Moi aussi.

— Moi je le trouve plutôt beau gosse. Il a l'air cool. Je devrais lui demander son numéro.

— Qu'est-ce que tu racontes ?! T'as vu ce qu'il a fait ? On devrait l'éviter. Et ne pas le contrarier.

Les commérages allaient bon train. Chacun avait son opinion sur la situation. Yerin aussi et son verdict était sans appel : elle n'aimait pas ce garçon. Il avait l'air méchant et violent.

— Il s'appelle comment ? demanda-t-elle à Min-jun. On devrait garder un œil sur lui et le dénoncer à la direction s'il s'en prend à nouveau à toi ou à d'autres élèves.

— Je ne sais pas, j'ai pas fait attention quand le prof faisait l'appel, j'ai pas retenu son nom. Mais il n'était pas avec nous au primaire, ça c'est sûr. Sa tête me dit rien du tout. Il doit venir d'une autre école, ou peut-être qu'il était à l'étranger avant. Mais t'inquiète pas pour moi, j'ai pas peur des gars comme lui.

[ 3 ]

Tout le monde se tut un instant lorsque Jong-goo entra dans la salle de classe, quelques minutes avant la sonnerie. Tous les regards étaient tournés vers lui. Dès qu'il fut assis, les bavardages reprirent.

Une des filles fut assez brave – ou assez inconsciente – pour l'aborder.

— Hi ! Je m'appelle Song Hye-ji. And you ?

"And you", mon cul.

Il l'aurait bien envoyée chier, mais on lui avait dit de faire profil bas et de s'intégrer. Ou du moins essayer.

— Dis, t'as Kakao ? Tu peux m'ajouter, s'te plaît ?

— Non. Dégage.

La fille ne se laissa pas démonter face à ce mur d'hostilité.

— Non, tu n'as pas Kakao, ou non, tu ne veux pas m'ajouter ?

— Les deux. Casse-toi. Tu me soûles.

On ne pourrait pas dire qu'il n'avait pas essayé. Il avait essayé et il avait échoué. Fin de l'histoire. La fille esquissa une moue boudeuse. Elle claqua la langue puis tourna les talons, l'air vexé. Bon débarras.

— Hé ! Ça te tuerait d'être un peu plus sympa ? T'étais pas obligé de l'envoyer bouler comme ça.

Yerin s'était promis de l'ignorer, mais c'était plus fort qu'elle. Elle trouvait son attitude exécrable. Il fallait que quelqu'un le remette à sa place.

Jong-goo tourna sa chaise vers elle. Maintenant qu'il n'avait plus les fesses de ce crétin de Min-jun dans son champ de vision, il pouvait la regarder plus en détail. Elle avait changé. Il fallait s'y attendre après six ans de séparation.

Elle avait une coupe au carré et une frange qui lui tombait au-dessus des sourcils. Pas de maquillage ni de bijoux. Juste un bracelet brésilien au poignet. Elle était assez mince, et plutôt grande pour son âge. Elle devait faire une tête de moins que lui. Un mètre soixante peut-être. Elle portait un legging noir sous sa jupe grise. Elle avait des Converse rouges aux pieds. Elle rentrait ses lacets dans la doublure de ses chaussures.

Il devait l'avouer, il ne l'aurait probablement pas reconnue s'il l'avait croisée dans la rue. La seule chose qui lui confirmait qu'il s'agissait bien de Yerin, c'était le fil qui dépassait de la poche de son blouson. Un fils de yo-yo.

— Kim Yerin, c'est ça ?

— Oui, quoi ? Tu vas m'envoyer chier, moi aussi ?

— Si je suis obligé, oui. Je ne suis pas là pour me faire des amis. Je suis là pour obtenir mon diplôme. C'est tout. Donc j'aimerais qu'on me fiche la paix.

— D'accord. Je peux comprendre, mais c'est pas une raison pour être grossier et insultant. Tu peux faire comprendre aux autres que tu veux qu'on te laisse tranquille sans être aussi agressif.

Il y avait deux types de gens seuls dans le monde : ceux qui choisissaient la solitude et ceux qui la subissaient. La vérité était que Jong-goo n'était pas très sociable, mais il ne voulait pas paraître faible. Il jouait les durs pour se forger une image de loup solitaire. Il ne voulait pas qu'on le prenne pour un marginal rejeté de tous.

— Je ferai un effort.

C'était une promesse qu'il n'avait pas l'intention de tenir, mais il n'avait pas envie de se prendre la tête avec Yerin. Il aurait pu lui révéler son identité, mais elle finirait par le découvrir avant la fin de la journée de toute façon, puisqu'il avait prévu de retourner vivre dans la résidence familiale. Il valait mieux qu'ils enterrent la hache de guerre maintenant, avant que les choses se compliquent.

[ 4 ]

La deuxième moitié de la matinée était dédiée à la visite de l'établissement. Située à Gangnam, la KGS, ou Korean Global School, était répartie sur deux campus. Le premier regroupait le jardin d'enfant et l'école primaire, et le deuxième combinait collège et lycée.

Les collégiens et les lycéens utilisaient deux bâtiments différents. Il y avait trois niveaux au collège, du grade 7 au grade 9, et trois niveaux au lycée du grade 10 au grade 12. Jong-goon était en 7e3. Il y avait six classes par niveau, d'environ vingt-cinq élèves chacune, ce qui faisait pas loin de mille élèves dans l'établissement.

Les collégiens portaient un blouson, façon veste de baseball, de couleur verte. Les manches étaient grises, le logo de la KGS était brodée sur le devant du blouson, et le nom complet de l'école était inscrit en toutes lettres dans le dos. Ils portaient aussi un insigne en métal sur lequel était gravé leur nom, ainsi que leur classe. La tenue était complétée par une chemise blanche, et une jupe grise pour fille ou un pantalon gris pour les garçons. Les lycéens, eux, portaient un blouson rouge bordeaux.

Les règles concernant la tenue vestimentaire était moins strictes que dans d'autres établissements, probablement car l'école accueillait beaucoup d'enfants d'expatriés ou de coréens qui avaient vécu à l'étranger. Le choix des chaussures et du sac étaient libres, et il n'y avait pas d'interdiction particulière concernant la couleur ou la coupe de cheveux, les accessoires ou le maquillage, ce qui permettait tout de même aux élèves d'exprimer leurs goûts personnels et de créer une certaine variété.

Si collégiens et lycéens étudiaient dans deux bâtiments séparés, ils partageaient tout de même certains espaces communs. La cafétéria, les terrains de sport, les gymnases, ainsi que les cours extérieures. Ils utilisaient aussi la même entrée. De ce fait, grands et petits se côtoyaient assez souvent, ce qui pouvait engendrer des rapports de force inégaux. Autrement dit, cette école, comme toutes les autres, n'était pas exempte de problèmes de violence et de harcèlement scolaire. Ça, Jong-goo l'avait compris dès le premier jour.

[ 5 ]

Quinze heures trente. C'était la fin des cours. Les activités extrascolaires ne commenceraient que la semaine suivante. Tous les élèves se dirigeaient donc vers la sortie pour rentrer chez eux ou se balader en ville avec leurs amis.

Jong-goo avait fait un crochet par les WC. Alors qu'il se lavait les mains, un groupe de garçons entrèrent dans la pièce. Ils portaient tous un blouson rouge. Des lycéens, donc. Le dernier ferma la porte derrière lui avant de se poster près de l'entrée, pour s'assurer que personne n'essaye de rentrer.

— Hé ! Le blondinet à binocles ! C'est toi le p'tit con qui emmerde Min-jun ?

— Qui demande ?

— Fait pas le malin, trouduc, gronda son interlocuteur en le saisissant par le col. On va te refaire le portrait.

— Il vous a payé ?

— Quoi ?

— À votre place, je me serais fait payer. Ou alors vous êtes ses potes ? Vous avez l'air un peu vieux pour être potes avec un élève de 7e année.

— Ouais, il nous a payé pour qu'on te casse la gueule. Ça te pose un problème ?

— Non. Je viens juste d'avoir une idée...

Alors comme ça, on peut se faire payer pour tabasser des gens ? Intéressant.

— Tu te fous de nous ? Kang-ho, montre lui ce qui se passe quand on nous prend pour des cons.

Le dénommé Kang-ho s'avança, poing en arrière, prêt à frapper. Il était plus grand, et assez costaud, il avait de la force, mais il était lent. Il devait avoir l'habitude de frapper des chiffes molles qui ne se défendaient pas. Il tapait fort, mais il n'avait aucune technique. Jong-goo esquiva d'un simple pas sur le côté.

Il allait répliquer, mais il se souvint qu'il devait faire profil bas. Pas de vague. Obtenir son diplôme. Assurer la protection de Yerin. S'il se battait à l'école, il se ferait virer. Et s'il se faisait virer, M. Choi et M. Kim seraient désappointés. Très désappointés. Et s'il se faisait lâcher, il ne pourrait pas atteindre son but. Jong-goo baissa le poing et relâcha sa posture.

— Allez-y, frappez-moi, qu'on en finisse.

— Vous l'avez entendu, les gars ? ricana le chef de la bande. Il veut qu'on le frappe, alors ne vous retenez surtout pas !

Jong-goo savait encaisser. Ce n'était rien, comparé à ce qu'il avait subi avec Baek Chul-sang et Lee Do-gyu. Rien comparé à la survie dans la rue et aux adultes mal intentionnés qui voulaient lui faire la peau. Il s'était même pris une voiture, un jour. Enfin, il s'était jeté sous une voiture plus exactement. Arnaque à l'assurance. Le conducteur payait les frais médicaux, Jong-goo se faisait soigner au rabais dans une clinique douteuse, et Lee Do-gyu empochait le reste de l'argent.

Il ne comptait plus le nombre de fractures et de commotions cérébrales qu'il avait subi. En comparaison, les coups de poings et coups de pieds qui pleuvaient lui faisaient l'effet d'une séance d'acupuncture.

— C'est bon, il a eu son compte. On a trop traîné, faut pas qu'on se fasse prendre.

Jong-goo se redressa en grimaçant. Son corps était endolori, mais ses blessures étaient superficielles. Il aurait des bleus, une lèvre fendue peut-être et un oeil au beurre noir. Risible.

[ 6 ]

M. Park s'était garé devant l'entrée principale. Yerin l'avait salué puis elle était montée à l'arrière de la voiture, mais le secrétaire n'avait pas démarré aussitôt, comme il le faisait d'habitude.

— On attend quelqu'un ?

— Vous ne l'avez pas rencontré ? demanda M. Park en se tournant vers elle, étonné.

— Qui ça ?

Le secrétaire poussa un soupir angoissé. Il avait l'air très embêté.

— Je ne sais pas si c'est à moi de vous le dire...

— Me dire quoi ?

— Kim Jong-goo, votre frère adoptif... Il est revenu. Il est dans votre classe.

— Quoi ?! Comment ça ? Je croyais que... Je croyais que Père l'avait renvoyé à l'orphelinat. C'est ce qu'il m'a dit !

— Je sais. Il vous a menti pour que vous cessiez d'attendre son retour. Je ne peux pas vous en dire plus, mais sachez que Jong-goo est toujours légalement son fils, et donc votre frère. Et que votre père l'a inscrit dans votre école car il se fait du souci pour vous.

Yerin avait l'impression d'avoir reçu un coup de poing dans le ventre. Elle avait envie de vomir. Et de pleurer. Comment son père avait-il pu lui mentir ainsi ?

Elle savait que ce Jong-goo avait fait à Min-jun était mal et qu'il serait puni, mais elle ne pensait pas que cela signifiait que son adoption serait révoquée et qu'il serait renvoyé à l'orphelinat. Elle avait supplié son père de le faire revenir, elle avait pleuré, crié et tapé des pieds. Elle avait refusé de sortir de sa chambre et de manger. Cela avait duré une semaine, puis son père avait perdu patience et il avait mis fin à son caprice. Elle ne l'avait jamais vu aussi en colère et il avait eu des mots très durs envers elle.

Ce jour-là, elle avait vu le vrai visage de son père et elle l'avait haï de tout son cœur. Elle lui en voulait de lui avoir enlevé son seul ami. Et elle lui en voulait de faire pleurer sa mère qui agonisait à l'idée d'avoir perdu ce fils dont elle rêvait tant et qu'elle avait été prête à chérir de tout son cœur.

Pendant toute ces années, elle s'était blâmée. Elle pensait que c'était de sa faute, qu'à cause d'elle, son père avait renvoyé Jong-goo à l'orphelinat. Qu'elle l'avait privé du bonheur d'avoir une famille.

Après ça, les choses avaient changé. Pour le pire. Sa mère souffrait de dépression, même si elle essayait de le cacher, et Yerin ne parlait plus à son père. Et elle se sentait seule, terriblement seule.

[ 7 ]

— Le voilà, dit M. Park en baissant la vitre.

Yerin ouvrit la portière et se précipita dehors. Elle s'arrêta à quelques pas de lui, mais lorsque leurs regards se croisèrent, ses pensées furent tout à coup extrêmement confuses.

Elle ne savait pas ce qui était le plus choquant. Le fait qu'il se tienne là, devant elle, après toutes ces années à penser qu'elle ne le reverrait jamais. Ou bien le fait que Jong-goo n'était autre que le camarade de classe exécrable qu'elle s'était promis d'éviter à tout prix. Ou encore que ce camarade exécrable avait l'air de s'être fait tabasser.

— Qu'est-ce qui t'est arrivé ? demanda Yerin en s'approchant de lui. Qui t'a fait ça ?

— Personne. Je suis tombé dans les escaliers.

— Tu mens. Viens, on va voir le principal.

— Lâche-moi. C'est rien. C'est pas grave. Tu me faisais la morale ce matin, pourquoi tu te soucies de moi, tout à coup ?

— Parce que tu te comportais comme un gros débile. C'est pas pour ça que je veux que tu te fasses frapper. La violence c'est mal, peu importe la raison. Personne ne mérite de subir ça.

— Tu sais qui je suis, au moins ?

— Oui, M. Park me l'a dit... C'est vraiment toi, hein ?

— Oui, c'est moi.

Yerin en avait oublié son indignation. Elle se sentait à la fois triste et soulagée. Elle se jeta à son cou et éclata en sanglots. Jong-goo, raide comme un piquet, lui tapotait maladroitement le dos.

— Arrête de pleurer. Tout le monde nous regarde.

— Je m'en fiche, dit-elle en reniflant. Je pensais que je te reverrai jamais.

— Je pensais pas que je te manquerais tant que ça.

— Je t'ai manqué, moi aussi ?

— Un peu.

Jong-goo pensait parfois à elle. Il se demandait ce qu'elle faisait, si elle avait des amis, si elle s'amusait à l'école. Il était parfois envieux de cette vie qu'il ne connaissait pas. Ce n'était pas tant Yerin qui lui manquait, mais la vie qu'il menait quand il était avec elle.

Puis le temps était passé, il avait grandi, il avait acquis de nouvelles expériences, ses souvenirs s'étaient estompés, et il avait arrêté de penser à elle. Ce n'est que maintenant qu'il se rendait compte qu'il ne l'avait jamais vraiment oubliée.

— Mademoiselle Yerin, excusez-moi de vous interrompre, mais nous devrions y aller. Vous pourrez continuer votre conversation dans la voiture.

Les deux ados montèrent à l'arrière tandis que M. Park démarrait le moteur.

— Où est-ce que t'étais pendant tout ce temps ? Je croyais que mon père t'avait renvoyé à l'orphelinat.

— J'étais... dans une école spéciale. Un pensionnat pour enfants difficiles.

— Je vois... Mais si tu étais juste dans une autre école, je ne comprends pas pourquoi mon père m'a menti et qu'il ne t'a pas laissé revenir à la maison.

— Parce que je n'étais pas à la hauteur de ses attentes. Je devais faire mes preuves et ça a pris un peu de temps.

— Est-ce que mon père t'a vraiment envoyé dans mon école pour que tu me surveilles ?

— Oui. On peut dire que je suis ton garde du corps.

— Donc au final, tu travailles juste pour lui...

— On peut dire ça.

— Tu vas revenir vivre à la maison ?

— Oui, pour le moment.

Yerin était partagée entre joie et déception. Elle sentait de la froideur et de la distance entre elle et Jong-goo. Est-ce qu'ils pourraient redevenir amis comme avant ? Rien n'était moins sûr.

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