Chapitre 4 : Famille décomposée, relations funestes et destin tragique.

[ 1 ]

Mme Kim avait été prévenue par le secrétaire de son mari. Il ne s'était pas donné la peine d'annoncer la nouvelle à sa femme lui-même. Cet homme n'avait pas de cœur. Il n'avait d'amour que pour l'argent.

Elle se tenait dans le hall d'entrée en se tordant nerveusement les mains. Elle attendait le retour des enfants avec impatience et appréhension. Jong-goo avait tant souffert à cause de son mari, et elle n'avait rien pu faire pour le protéger. Comment pouvait-elle se faire pardonner ? Comment pouvait-elle se racheter pour les fautes commises par son époux ? Et si elle le perdait à nouveau ? Non. Elle ne pouvait pas laisser cela se produire. Pas une nouvelle fois.

La porte s'ouvrit pour laisser entrer Yerin, suivie de Jong-goo et du secrétaire Park. Ce dernier salua respectueusement la maîtresse de maison.

— Madame Kim, si vous n'avez plus besoin de moi, je vais retourner au bureau.

— Oui, oui. Excusez-moi de vous avoir appelé pour ça. Vous devez être suffisamment occupé comme ça.

— Ce n'est rien. Je suis à votre service autant qu'à celui de M. Kim. N'hésitez pas à m'appeler si vous avez besoin.

— Merci. C'est gentil.

Que ferait-elle sans M. Park ? Son mari était en voyage d'affaires, il ne répondait même pas à ses appels. Quand il était là, il ne faisait que parler de sa société et de ses projets de développement. Il se fichait de ce qu'elle traversait. Il ne se souciait pas de ce que faisait leur fille. Elle ne pouvait compter que sur son secrétaire.

M. Park s'inclina une nouvelle fois avant de quitter la maison. Mme Kim se tourna alors vers Jong-goo. Elle lui adressa un sourire à la fois triste et coupable.

— Jong-goo, tu as bien grandi. Je ne t'aurais pas reconnu. Tu permets que je te prenne dans mes bras ?

Il hocha la tête. Elle l'enlaça tendrement en réprimant ses larmes. Personne ne l'avait traité avec autant de tendresse que Mme Kim. Que ce soit il y a six ans ou maintenant, elle était la seule à ne voir en lui qu'un jeune garçon vulnérable. Même Yerin n'était pas aussi naïve. Jong-goo ne comprenait pas pourquoi cette femme était si gentille avec lui. Il n'avait rien fait pour mériter tant d'attention.

— Qu'est-ce qui t'es arrivé ? fit alors Mme Kim en le regardant de plus près. C'est quoi tous ces bleus ?

— Ce n'est rien, madame. Je me suis un peu bagarré avec des garçons. Vous savez, ça arrive, à notre âge.

La mère de Yerin poussa un soupir attristé.

— Tu ne devrais pas te battre avec tes camarades, lui dit-elle avec douceur. Si tu as des problèmes à l'école, tu peux m'en parler. Je suis présidente de l'association des parents d'élèves de l'école, je pourrai intervenir auprès du principal.

Telle mère, telle fille.

— J'y penserai, mais je vous assure que ce n'est rien de grave. On a réglé notre désaccord, tout va bien maintenant.

— D'accord. Tant mieux alors. Et toi, Yerin !

Elle se tourna vers sa fille, les poings sur les hanches et les sourcils froncés.

— Est-ce que tu sais à quel point j'étais inquiète ? Quand j'ai reçu cet appel du commissariat, j'ai cru que quelque chose de terrible était arrivé ! J'ai failli faire une crise cardiaque ! Aujourd'hui, c'était un pervers dans le métro. L'autre jour, c'était un pickpocket. Quand est-ce que tu vas arrêter de te mettre en danger comme ça ? Tu passes plus de temps au commissariat qu'une délinquante !

— Au moins, j'y vais pour la bonne cause ! Tu préférerais que j'y aille pour avoir commis un délit ?

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, mais tu n'as que treize ans. Tu n'es pas agent de police. Ce n'est pas à toi de courir après les malfrats et de porter secours à tous les malheureux que tu croises. Laisse les adultes s'occuper de ça. Tu as juste besoin de te concentrer sur tes études, te faire des amis et profiter de ta vie d'adolescente. N'est-ce pas Jong-goo ?

— Hein ? Ah... Oui, tout à fait. Vous avez raison. Ça ne sert à rien de courir après les malfrats.

Il faut les tabasser à mort.

Tu vois ? Même Jong-goo est d'accord avec moi. C'est beaucoup trop dangereux. Promets-moi que tu ne recommenceras pas ? Sinon je serai obligée d'engager un chauffeur pour qu'il te dépose à l'école et te récupère dès la sortie. Et tu auras interdiction formelle de quitter la maison en dehors des heures de cours.

Yerin se mordit la lèvre. Elle savait que sa mère avait raison, mais c'était plus fort qu'elle. Elle avait essayé de fermer les yeux sur certaines choses, mais à chaque fois qu'elle avait fait semblant de ne rien voir, elle avait été rongée par le remords et la culpabilité. Cette sensation était insupportable. Elle ne pouvait même plus se regarder dans le miroir sans ressentir un profond dégoût pour elle-même. Elle préférait mille fois se mettre en danger pour faire ce qu'elle savait être juste qu'être la complice silencieuse d'un acte impardonnable.

— Je serai plus prudente.

— Promis ?

— Promis.

— Jong-goo, j'espère que tu pourras faire en sorte qu'elle tienne sa promesse. S'il lui arrivait quoi que ce soit, je ne m'en remettrais jamais. Je crois que je mourrais de chagrin.

— Ne dis pas ça, maman ! protesta Yerin qui reconnaissait bien là la sensibilité à fleur de peau de sa mère. Tu vas me faire pleurer.

C'était donc pour ça que M. Kim voulait qu'il veille sur Yerin. Elle trouvait les ennuis plus vite qu'ils ne la cherchaient, et ça n'avait pas l'air de s'arranger avec l'âge. Plus elle aurait d'autonomie et de liberté, plus elle risquait de fourrer son nez là où il ne fallait pas. Garder un œil sur elle ne serait peut-être pas aussi simple que prévu.

[ 2 ]

Mme Kim avait conduit Jong-goo à sa chambre. Située au premier étage, elle se trouvait juste en face de celle de Yerin.

— Tes affaires sont arrivées ce matin. Je n'ai touché à rien, tout est encore dans les cartons. Je te laisse t'installer. Je vous appellerai pour le dîner.

Jong-goo n'avait pas grand-chose en sa possession. Il n'était pas – encore – devenu un adepte du shopping.

— Tu veux que je t'aide ? demanda Yerin alors qu'il ouvrait un des cartons.

— Si tu veux. Ça ira plus vite comme ça.

Elle l'aidait à vider les cartons et ranger ses vêtements dans le dressing, lorsqu'elle découvrit un contenu pour le moins étonnant en ouvrant un autre des cartons.

— C'est quoi tout ça ? Du parfum, de la lotion pour le corps, un soin gommant, du gel douche à l'aloé vera... T'as plus de cosmétiques que ma mère et moi réunies !

Le carton était plein à craquer de produits de beauté en tout genre. Et pas n'importe lesquels. Ce n'était que des grandes marques de luxe.

— Quoi ? Ça t'étonne tant que ça ? Je suis très à cheval sur l'hygiène et j'aime avoir la peau douce.

— Ben oui ça m'étonne. D'habitude les garçons de ton âge sont de gros crados qui se lavent une fois par semaine, et encore... Ils ne prennent même pas de douche après les cours de sport et après ils empestent la sueur.

— Ben si je croise un mec qui pue à ce point, je me ferai un plaisir de lui passer un savon.

Plutôt fier de son jeu de mot, Jong-goo souriait à pleines dents.

— T'es trop bête ! fit Yerin en pouffant de rire. Allez, je crois qu'on a fini.

Elle plia soigneusement le dernier carton qu'elle plaça dans le couloir, près de la porte, avec le reste des cartons empilés.

— Viens, dit-elle alors. J'ai un truc à te montrer.

Yerin l'entraîna dans sa propre chambre. Elle ouvrit le dernier tiroir de sa commode. Il était rempli de coffrets à montres, mais à la place de montres, ces coffrets contenaient une impressionnante collection de yo-yos.

— C'est quoi tout ça ? Pourquoi t'en as autant ?

— Je les collectionne. Il y a des éditions limitées et certains modèles très rares.

— C'est dingue. On peut vraiment collectionner tout et n'importe quoi...

Le seul truc que je collectionne, moi, c'est les billets de banque et les fractures.

— Attends, je vais te montrer ce que je sais faire maintenant.

Yerin hésita un moment avant de choisir un yo-yo. Il était bleu et faisait de la lumière. Elle lui fit une démonstration de ses talents, mais Jong-goo n'était pas très impressionné. Le yo-yo ça avait l'air sacrément chiant.

Pourtant, il ne pouvait pas détacher ses yeux de sa camarade. Bien que concentrée sur sa performance, elle souriait avec joie. Il avait fini par se laisser prendre au jeu. Ses yeux suivaient ses gestes rapides et agiles. Il fallait une certaine dextérité pour réaliser toutes ces figures. Finalement, c'était pas si chiant que ça.

— Alors ?

Jong-goo l'applaudit avec sincérité.

— C'est plutôt cool ! T'as appris ça toute seule ?

— J'ai regardé quelques vidéos sur YouTube, mais sinon oui, je me suis entraînée toute seule. J'aimerais bien participer à des compétitions.

— Y a des compétitions de yo-yo ? Vraiment ?

— Oui, tu ne savais pas ?

— Non.

— Tu veux essayer ?

— Pourquoi pas.

Jong-goo n'avait pas la maîtrise de Yerin. Il avait perdu le contrôle du yo-yo qui lui avait échappé des mains et avait frappé sa camarade en plein front.

— Aïe ! s'exclama-t-elle en frottant son front. Tu l'as fait exprès, avoue ?! T'essayes de te venger, c'est ça ?

— Oups... Non, je te jure j'ai pas fait exprès. Puis me venger de quoi ? De ce que tu m'as dit ce matin ? Je ne suis pas si rancunier... Ça va ton front ?

— Oui, ça va... C'est pas à ce matin que je pensais. Tu as oublié ? Quand on était petit, tu t'es énervé parce que je t'ai tapé dans le genou avec mon yo-yo. Tu m'as même menacée avec un cou-

Jong-goo lui plaqua la main sur la bouche. Il venait de se souvenir de cet incident.

— Chut ! Tu as oublié ce que je t'ai dit, toi aussi ?! Tu ne dois pas parler de ça. Si ta mère nous entend, je vais avoir des ennuis.

— Ah, donc tu t'en souviens !

— J'avais oublié, mais tu viens de me le rappeler.

— Tu as toujours le yo-yo que je t'ai offert ? Je ne l'ai pas vu dans tes affaires.

— Je l'ai toujours, mais il n'est pas là.

— Tu l'as perdu, avoue.

— Non, pas du tout. Puisque je te dis que je l'ai toujours.

— Il est où alors ?

— Dans un coffre fort à la banque.

— Dans un coffre à la banque ?!

Yerin le dévisagea avec suspicion. Elle n'avait pas l'air de gober son histoire.

— Je te jure que c'est vrai ! Si tu ne me crois pas, on pourra y aller ensemble demain. Je te montrerai.

— Pourquoi tu as mis ça là-bas ? C'est juste un yo-yo.

— Parce que c'est un souvenir précieux. Je ne voulais pas le perdre.

C'était le premier cadeau qu'on lui avait offert. Un cadeau de Yerin qui plus est. C'était aussi le premier objet qu'il avait détourné en arme et avec lequel il avait essayé de tuer quelqu'un. Il ne pouvait plus se permettre de prendre un tel risque. Ce yo-yo lui rappelait la limite à ne pas franchir.

[ 3 ]

Après le dîner en compagnie de Madame Kim, Jong-goo et Yerin s'étaient installés dans le salon pour remplir les papiers pour l'école.

— Tu vas prendre quoi comme options ? demanda-t-elle.

— Rien. J'ai d'autres choses à faire après les cours.

— Comme quoi ?

— Des choses. Et je prends déjà des cours de Haidong Gumdo. Et toi ?

— Je vais m'inscrire à la gym et aux cours d'anglais.

— La gym ? Tu veux soulever de la fonte ?

— Mais non, idiot ! Pas cette gym là. La gymnastique artistique. J'en fait depuis le primaire. Les barres asymétriques, c'est ce que je préfère. J'ai déjà remporté quelques compétitions.

— Et avec tout ça, tu trouves le temps de courir après les pervers dans le métro ?

— Oh, tu ne vas pas t'y mettre aussi ! Je ne fais pas ça tous les jours non plus. Ma mère exagère. Bref... Mon coach voudrait que je participe aux championnats régionaux cette année, mais je ne sais pas trop.

— Pourquoi ? T'as peur de ne plus avoir assez de temps pour courir après les pervers dans le métro ?

— Oh, mais tu me soûles avec ça ! Arrête de te moquer de moi, c'est pas drôle !

C'est ce qu'elle disait, mais elle riait quand même.

— J'ai encore le temps d'y réfléchir, les sélections ne commencent pas avant le mois d'avril. T'as mis quoi sur la fiche d'orientation professionnelle ?

Jong-goo avait réfléchi un moment à ce qu'il pourrait remettre comme projet professionnel. Quelque chose de crédible, qui n'était pas tout à fait la vérité, mais pas vraiment un mensonge non plus.

— Directeur des ressources humaines.

— Hm... C'est étonnamment normal venant de toi. Je suis presque déçue.

— Tu t'attendais à quoi ? Tueur en série ? T'as mis quoi toi ? Laisse-moi voir.

Elle avait inscrit ses aspirations futures par ordre de priorité : inspectrice dans la police nationale, procureur de la République ou avocate. Il n'était pas étonné. Ils étaient comme l'ombre et la lumière. Comment pouvaient-ils concilier deux destins si diamétralement opposés ?

— T'as vraiment ça dans le sang hein ? C'est vraiment ton rêve d'envoyer tous les criminels en prison.

— Ce n'est pas les criminels que je tiens absolument à arrêter, je veux surtout protéger les innocents.

— Dans ce cas, tu devrais devenir avocate. C'est mieux. Et comme ça, si je m'attire des ennuis, tu pourras me sortir de là. Les avocats défendent même les criminels, non ?

— Je ne veux pas défendre les criminels !

— Même pas si c'était moi ?

— T'es pas un criminel.

— Pas encore... Fais pas cette tête ! Je rigole. Et tu penses quoi des méchants qui tapent sur d'autres méchants ?

Yerin haussa les épaules.

— Ils peuvent se taper dessus entre eux, je m'en fous, mais je ne peux pas accepter qu'ils fassent souffrir des innocents qui n'ont rien demandé. Pourquoi ? Tu comptes taper qui ? Ceux avec qui tu t'es battu aujourd'hui ?

— C'est possible... Et puisqu'on en parle... Min-jun, c'est ton ami ?

Yerin ne s'attendait pas à cette question. Elle baissa les yeux, l'air gêné.

— C'est... compliqué.

— Raconte. J'ai tout mon temps.

[ 4 ]

Après l'incident de son septième anniversaire, la première rentrée scolaire de Yerin avait été difficile. Perturbée par les derniers événements, elle avait eu du mal à s'adapter à ce changement d'environnement et à s'intégrer dans la classe. Mais ce n'était pas tout. L'incident avait fait jaser les parents présents ce jour-là. Et leurs enfants, qui ne rataient pas une miette du discours des adultes, n'étaient pas en reste non plus.

Bientôt, toute la classe de Yerin, mais aussi celle de Min-jun, était au courant. On leur rappelait constamment ce qu'il s'était passé à travers des moqueries et des plaisanteries de mauvais goût. Ces enfants ne savaient pas vraiment ce qu'ils faisaient, ils reprenaient les mots de leurs parents et leur donnaient vie à travers leur prisme d'enfant innocemment cruel, mais pour Yerin et Min-jun, cette situation était vite devenue invivable.

En l'absence du véritable coupable, c'était Yerin qui avait été choisie comme bouc émissaire. On lui reprochait d'être la sœur d'un monstre. À travers elle, c'était Jong-goo qu'on insultait. "La sœur du sale orphelin". "La sœur du tueur." "À ta place, j'aurais honte." "C'est bien fait pour lui s'il a été renvoyé à l'orphelinat." On la traitait comme si elle avait étranglé Min-jun de ses propres mains.

Un jour on la prenait en pitié, un autre on l'évitait comme la peste, comme si les tendances meurtrières de son frère adoptif étaient contagieuses. Le jour suivant on lui faisait la misère. Elle se faisait bousculer dans la cour, on lui tirait les cheveux, on mettait des punaises dans ses chaussures, on découpait ses affaires avec des ciseaux, on gribouillait dans ses cahiers, on jetait son goûter à la poubelle.

Les adultes de l'école avaient fini par comprendre ce qu'il se passait, ses camarades avaient été punis, et elle avait eu la paix pendant quelque temps. Ils ne lui parlaient pas et la laissaient toute seule dans son coin, mais au moins ils ne s'en prenaient plus à elle comme au début.

En troisième année, elle s'était retrouvée dans la même classe que Min-jun. Il ne lui avait pas parlé de l'incident, ni de Jong-goo, il voulait juste s'asseoir à côté d'elle et travailler avec elle. Personne ne comprenait pourquoi Min-jun traînait avec la sœur de celui qui avait essayé de l'étrangler. C'était à cause d'elle qu'il avait failli mourir. Elle ne méritait pas qu'on s'intéresse à elle.

Quand les autres élèves avaient demandé à Min-jun pourquoi il voulait être ami avec elle, il avait pris sa défense. Elle n'y était pour rien et elle n'avait fait de mal à personne, donc pourquoi devrait-elle être puni pour les crimes d'un autre ? Certains étaient assez matures pour comprendre, d'autres non. Et certains étaient tout simplement méchants. Ils aimaient torturer les autres, ils cherchaient juste une excuse pour justifier leur cruauté.

La cible avait changé et Min-jun était devenu le nouveau souffre-douleur des tyrans de l'école. Yerin ne l'avait pas remarqué tout de suite. Ce qu'elle avait remarqué, en revanche, c'est que certains élèves de la classe, encouragés par l'exemple de Min-jun, avaient commencé à lui parler, eux aussi. Certains s'étaient même excusés. Ils avaient fait la paix et ils étaient prêts à repartir sur de bonnes bases.

[ 5 ]

Alors que Yerin commençait enfin à vivre une scolarité normale, Min-jun se faisait régulièrement harceler par ses camarades d'école, en particulier par les garçons plus âgés. Yerin l'avait découvert par hasard, alors qu'elle le cherchait dans la cour de récré. Dans un coin isolé de la cour, au fond du préau, elle avait vu ce qu'ils lui faisaient subir.

Ils le frappaient, ils le menaçaient, ils l'insultaient, mais ce n'était pas tout. Après l'incident avec Jong-goo, Min-jun avait développé une phobie de la strangulation et il angoissait à la simple vue d'une corde ou d'une cordelette. Il portait des chaussures à scratch, car il ne pouvait même pas supporter la vue d'une paire de lacets.

Quand ses bourreaux avaient découvert son point faible, ils s'en étaient servi contre lui. Ils étaient sans pitié. Ils se mettaient à quatre contre lui pour l'immobiliser et lui passer des lacets autour du cou. Ils lui faisaient revivre son traumatisme sans aucune pitié et ils en rigolaient. Sous le coup d'une violente crise d'angoisse, Min-jun était tombé à genoux. Sa vision brouillée par les larmes, la main crispée contre sa poitrine, il cherchait désespérément à retrouver son souffle.

— Regardez-moi cette tafiole. On dirait qu'il va mourir... Hé ! Arrête ton cinéma ! On a même pas serré si fort que ça. C'était que le niveau un du jeu. Comment tu vas faire quand ce sera le niveau dix ? Peut-être que tu vas vraiment mourir... Mais si tu meurs, c'est pas grave. On pourra toujours faire croire que tu t'es pendu. Ha ha !

— Arrête Do-yun, c'est trop flippant ce que tu dis.

— Quoi ? Tu crois que je plaisante ? Ce petit con ne mérite pas qu'on le traite comme un être humain, c'est qu'un sale cafard. Il a failli se faire tuer par un orphelin de sept ans à cause de Yerin, et maintenant il lui lèche les bottes ? Aucune dignité. À sa place, je me serais pendu.

— Quand même... Merde ! Y a le surveillant qu'arrive ! Vite, on se casse !

— Toi, la tafiole ! T'as pas intérêt à cafter, sinon t'es vraiment mort, c'est compris ?!

Les agresseurs prirent la fuite. Min-jun avait également repris ses esprits et s'était caché dans un coin. Il ne voulait pas que le surveillant le trouve dans cet état.

Yerin avait tout vu. Elle avait tout entendu. Elle savait tout et elle n'avait rien dit. Elle avait fait comme si tout cela n'était qu'un mauvais cauchemar. Et des cauchemars, elle en avait fait presque toutes les nuits après cela.

Elle avait peur. Elle avait peur d'être à nouveau prise pour cible si elle dénonçait ces élèves et révélait ce qu'ils faisaient à Min-jun. Elle avait peur de replonger dans l'enfer des trois premières années d'école.

[ 6 ]

Min-jun n'était pas revenu à l'école le jour suivant ni ceux d'après. Au bout d'une semaine, Yerin avait demandé à sa mère d'appeler sa famille pour savoir ce qu'il se passait. La mère de Min-jun lui avait simplement dit que son fils était malade, mais Yerin savait que ce n'était pas vrai.

Elle ne voulait pas parler de ce qu'elle savait à ses parents, alors elle avait demandé à M. Park de l'emmener chez Min-jun. Elle avait sonné à la porte et c'est Mme Cha qui lui avait ouvert.

— Toi... Tu es Yerin. La fille de M. Kim

— Oui. Bonjour Madame Cha. Excusez-moi de vous déranger, mais ça fait plus d'une semaine que Min-jun est absent. Est-ce qu'il va bien ?

Le regard de Mme Cha s'assombrit.

— Il va bien. Il est juste un peu malade en ce moment.

— Est-ce que je peux le voir ?

— Non. Il ne veut voir personne pour le moment.

— Alors est-ce que vous pourriez lui dire que je suis passée ? Et lui dire que je viendrai le voir quand il ira mieux ?

— Je lui en parlerai. Tu devrais rentrer chez toi.

Elle lui avait presque claqué la porte au nez et Yerin avait senti son coeur se serrer. Elle était rongée par la culpabilité et le remords. Et si Min-jun ne revenait plus jamais à l'école ? Et si elle ne le revoyait plus jamais, comme Jong-goo ? Et s'il tentait de se suicider ? Ce serait de sa faute. Elle ne pouvait plus rester silencieuse.

Yerin avait fini par tout avouer à sa mère. Sa mère l'avait dit à M. Park, M. Park l'avait dit à M. Kim, et une tempête avait éclaté dans le bureau du directeur de l'école.

Cette fois-ci, le PDG de Blue Sky ne comptait pas régler le conflit à l'amiable. Pas plus que les parents de Min-jun. M. et Mme Cha étaient tous deux avocats. Ils étaient à la tête de J&H Law Firm, un cabinet assez réputé de Séoul qui ne traitait qu'avec les personnalités les plus influentes et les plus riches de Corée du Sud. Ils avaient porté plainte contre l'école, mais aussi contre les familles des enfants qui avaient torturé leur fils physiquement et psychologiquement. L'école subissait aussi les pressions de l'association des parents d'élèves, sous la présidence de Mme Kim.

L'école avait été contrainte de se plier aux exigences des parents des victimes. Les élèves responsables des actes les plus graves avaient été renvoyés, ainsi que tous les surveillants dont l'incompétence était flagrante. Le professeur responsable de la classe de Yerin et Min-jun s'était fait virer et le directeur avait été démis de ses fonctions après décision du conseil d'administration.

L'incident clos, les deux enfants avaient pu reprendre une vie à peu près normale. Min-jun avait commencé à prendre des cours de taekwondo pour devenir plus fort. Yerin s'était juré de ne plus jamais fermer les yeux sur un acte de violence. Elle s'était faite la justicière de l'école qui détestait l'injustice et ne tolérait pas qu'on s'attaque aux plus faibles. Pour beaucoup, c'était une sale fouineuse et une cafteuse. À cause de son attitude moralisatrice et sa témérité, elle avait autant d'admirateurs que de détracteurs, mais personne n'osait s'en prendre à elle. Ils avaient trop peur de se faire renvoyer.

[ 7 ]

— C'est pour ça que tu rentres tes lacets dans tes chaussures ? demanda Jong-goo. À cause de Min-jun ?

Elle acquiesça.

— Au début, je lui en voulais un peu. Je m'en voulais aussi. À cause de nous, tu as été puni par mon père et tu as été envoyé ailleurs. Mais après ce qu'il s'est passé à mon anniversaire, il s'est excusé et il n'a plus jamais été méchant avec moi. Il ne méritait pas tout ça... Min-jun est vraiment très gentil, dans le fond.

— Tu es sûre de le connaître si bien que ça ?

— Pourquoi tu dis ça ?

— Pour rien. Juste une impression. Peut-être que je devrais lui dire qui je suis, non ? Il n'a pas l'air de m'avoir reconnu.

— Il vaut mieux que je lui en parle d'abord. Je ne sais pas comment il va réagir s'il l'apprend directement de toi. Puis vu ton attitude avec lui ce matin, à sa place, je ne réagirais pas bien non plus. Tu devrais t'excuser. Pour ce matin et pour il y a six ans.

— Si c'est ce que tu veux, c'est ce que je ferai.

Jong-goo ne regrettait pas ce qu'il avait fait. Ni ce matin, ni il y a six ans. S'il était prêt à présenter ses excuses, c'était pour s'éviter une épine dans le pied. Il avait des choses plus importantes à faire que gérer les traumatismes de Min-jun, mais Yerin tenait à lui et s'il ne faisait pas un effort pour apaiser les tensions, cela compliquerait leurs relations.

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