Une tempête.
Des bourrasques puissantes s’étreignaient. Des nuages secoués de tremblements crachaient sur la terre un déluge de glace. Des flocons hurlaient en coeur, formaient d’immenses vagues qui déferlaient sur le sol, lui arrachant son manteau neigeux, s’engouffrant dans la terre, tuant les êtres vivants qui s’y cachaient.
Elle était là. Au coeur de la tempête.
Elle se frayait un chemin dans la neige épaisse qui lui arrivait jusqu’aux cuisses, derrière elle ses empreintes s’effaçaient déjà. Recroquevillée, elle tentait en vain de retenir la flamme de son corps, de repousser les assauts furieux de la mort par des soubresauts incessants. Ses cheveux étaient tordus en tous sens, tandis que sur son visage s’abattait une pluie glaciale acérée. Ses yeux réduits à deux fentes scrutaient le sol à la recherche d’un espoir, les paupières alourdies de parasites blancs.
Elle avançait. Au coeur de la tempêtes.
Ses larmes gelés dévoraient ses joues.
Soudain, elle s’affaissa à genoux. Elle voulut pousser un cri mais seul un râle sortit de sa gorge, dans laquelle s’engouffra le froid triomphant. Elle releva faiblement la tête, fixant l’horizon incertain, et la promesse d’une délivrance improbable. Alors, au milieu des tourbillons furieux, une grande silhouette apparut. C’était un caribou aux bois immenses, droit et fière malgré la tourmente, dont le pelage recouvert de neige semblait être immaculé.
Son regard souverain se posa sur la jeune fille. Pendant un instant le silence sembla emplir la tempête.
Viens, White Lucy, tonna une voix puissante, semblant sortir de partout et nul part à la fois.
La jeune fille tenta de faire un geste en avant, mais son corps se déroba et elle tomba à plat ventre.
- À l’aide ! cria-t-elle en sentant le froid grignoter sa vie.
Viens, répondit la voix.
- À l’aide !
Ses tremblement avaient cessés, elle sentait une langueur douloureuse s’emparer d’elle, conquérir ses membres, assujettir son coeur, tarir son souffle.
Viens à moi, White Lucy, continua la voix imperturbable.
- À l’aide…
Sa voix était réduite à un murmure.
Des larmes de glace se mêlaient aux larmes de sang, elle sentit sa joue fondre dans la neige. Au-dessus d’elle, raide et solide comme un pilier de pierre, le caribou la fixait de son regard impénétrable. Les yeux de la jeune fille lancèrent leur désespoir le plus immense dans ceux de l’animal, mais ne reçurent en retour que leur propre reflet, saisissant de détresse. Alors l’espoir la délaissa.
Des paupières lourdes engloutirent le paysage livide telles deux tombeaux de marbre. Tout se figea.
Un vertige pâle emportant White Lucy, secouant comme une brindille son esprit inanimé.
Lucy ouvrit les yeux. Son regard croisa celui de Wolfheim.
- Ça va ? Tu t’es mise à transpirer et murmurer dans ton sommeil… tu as fait un cauchemar ?
- O… oui… mais ça va mieux maintenant, merci.
Sans trop savoir pourquoi, elle avait l’impression que ce n’était pas qu’un simple cauchemar. Ces sensations, cette horreur, tout était bien trop réel. Elle déglutit et se tassa sous ses fourrures. Qu’avait-elle vécu pour rêver de cela ? Cette question la taraudait. À chaque fois qu’elle tentait de se souvenir de quelque chose, sa mémoire semblait reculer et lui filer entre les doigts. Elle était pourtant si proche… La jeune fille serra les dents de frustration. Autour d’elle résonnait les ronflements de toute la troupe groupée près du foyer, à l’exception de Curtis qui entretenait le feu. Comme elle n’arrivait pas à dormir, Lucy se leva et contourna les corps endormis de ses camarades pour rejoindre le veilleur qui la salua d’un sourire bienveillant.
Curtis, après Wolfheim, était celui qui attirait le plus l’affection de Lucy. Tout en lui inspirait la douceur : ses boucles blondes, son sourire chaleureux, la courbe harmonieuse de son visage, ou ses yeux ambrés rappelant les flammes du foyer. Foyer qu’il couvait d’un regard attentif pour repérer la moindre de ses faiblesses. Chacun dans le refuge savait que leur survie dépendait de lui.
- Tu fais souvent des cauchemars, remarqua Curtis d’une voix paisible. Depuis une semaine que tu es là, je t’ai plusieurs fois vu dans cet état.
- Ah bon ? Je ne m’en était pas rendu compte…
- Il vaut mieux non ? Les cauchemars sont des rêves que l’on est content d’oublier.
- Oui, sauf quand on se réveille en plein milieu… Ça… ça m’angoisse…
- Mmmmh, il y a un remède à l’angoisse.
- Ah oui, lequel ?
Curtis lui jeta un regard mi-malicieux mi-sérieux.
- L’amour, déclara-t-il solennellement.
Lucy rougit.
- Cela fait peu de temps pour toi que tu vis, mais n’ai crainte, un jour tu aimeras et tu seras aimée. Alors tes cauchemars feront pâle figure. Quant à moi, je te transmets toute mon amitié.
Son regard était franc, Lucy sentit son coeur se réchauffer.
- Merci, souffla-t-elle.
- Je t’en pris.
Elle se laissa hypnotiser par la danse des flammes, le temps parut s’effacer. À côté d’elle, Curtis en faisait autant. Bercée par la chaleur du feu, ses yeux dérivèrent jusqu’aux volutes de fumée qui s’engouffraient dans la cheminée au-dessus d’eux.
- Il y a une cheminée, réalisa-t-elle soudain.
Curtis eut un petit rire.
- Tu n’avais pas remarqué ?
Elle s’empourpra de honte et baissa vivement la tête.
- Allons, ne réagis pas comme ça… Tu es tout le temps dans la lune, ça ne m’étonne pas de toi.
Comme cela ne semblait pas du tout la rassurer, il changea de sujet.
- Il y a une cheminée, oui. C’est parce que le refuge, nous l’avons construit la dernière fois.
- Vous êtes déjà venus ?
- Oui, il y a deux ans. Mais nous nous sommes perdu une fois arrivés ici. Grâce à Philip (il désigna un des endormis), qui est maçon, nous avons pu construire le refuge, qui nous a accueillis tout l’été. Puis, au hasard de nos recherches, nous avons fini par retrouver notre chemin. Et nous sommes rentrés.
- Klein voulait déjà trouver la Maät ?
- Oui, mais nous avons décidé de rentrer au lieu de continuer, car l’hiver approchait.
- Mais… l’hiver approche maintenant aussi…
Le sourire doux de Curtis sembla se figer un peu.
- Klein a mis du temps à réunir les fonds et les personnes nécessaires, et il pensait pouvoir revenir avant l’hiver, mais le mauvais temps nous a retardé à l’allée, et maintenant aussi comme tu le vois.
- Je vois… donc c’est la deuxième tentative de Klein…
- La troisième en fait, mais je n’étais pas là la première fois. Apparemment ils auraient cherché trois mois en vain, la Maät se cachait. Mais cette fois-ci nous avons toutes nos chances : Ajaruk nous a promis de nous guider jusqu’à elle.
La jeune fille sourit. Elle était revenue voir Ajaruk et avait discuté avec lui. Il n’était pas très bavard, mais accueillant et plein de sagesse. Et Oka, même si effrayante, n’en était pas moins affectueuse.
- Il est gentil, Ajaruk, pensa tout haut Lucy.
Curtis eut un regard amusé.
- Avec toi peut-être. Mais ce n’est pas le cas avec tout le monde. Son ours est très agressif avec nous, seul Wolfheim, et maintenant toi, peuvent l’approcher. Ce n’est pas pour rien qu’il est cantonné dans cette grotte étroite.
- Ah bon ?
Cette affirmation la laissa pensive. Elle avait trouvé Ajaruk sec au premier abord, mais il avait assez vite changé d’attitude à son égard.
- Je ne sais pas comment tu fais, d’ailleurs, continua Curtis, moi j’aurais trop peur de ce fauve.
- Elle n’est pas si méchante que ça.
Curtis eut un petit rire.
- Si tu le dis, je te crois. C’est vrai qu’avec Ajaruk et son ours, non seulement nous allons trouver la Maät, mais en plus nous sommes protégés en cas d’attaque. Uu ours, tu sais, ça dissuade les hommes comme les animaux.
Lucy opina. Effectivement, voir un monstre pareil prêt à charger devait être assez dissuasif.
- Écoute, fit soudain le jeune homme en pointant la cheminée du doigt.
La jeune fille tendit l’oreille, elle percevait les lointains hurlements du vent ainsi que les grincements de la charpente, mais rien d’autre.
- Tu ne trouves pas que la tempête fait moins de bruit ? fit Curtis en avisant son regard interrogateur.
- Maintenant que tu le dis…
Lucy se souvint de la prédiction d’Ajaruk, deux jours auparavant. Elle sourit.
- On va enfin pouvoir trouver la Maät, déclara son compagnon d’un air déterminé.
- Tu y tiens tant que ça ?
Il se remit à fixer les flammes.
- Oui. Si l’on trouve la Maät, je recevrai ma solde.
- Mais tu risques ta vie ici… l’argent t’importe tant ?
Il ne répondit pas tout de suite, ses yeux semblaient absorbés par le feu.
- Vois-tu, je suis né dans une famille pauvre, déclara-t-il soudain. Famille qui a été emportée par le typhus il y a quelques années. Moi et ma petite soeur Mary sommes les à avoir survécu. Mais Mary a une maladie. Cela fait trois ans qu’elle lutte contre, cependant l’issue ne fait pas de doute. Seule une opération pourrait la sauver. Mais cette opération coûte cher. C’est pour ça que je me suis embarqué dans cette expédition. La dernière fois était un échec, et nous n’avons reçu que le quart de ce qui était prévu, parce que Klein n’avait pas assez d’argent. Mais cette fois c’est la bonne, j’en suis sûr. Je n’ai pas le choix de toute façon, Mary est en phase terminale, reprendre un autre métier maintenant serait vain.
Rien dans son expression n’avait changé, pourtant son sourire s’était figé imperceptiblement.
- Je… je suis désolée…
Il lui répondit par des yeux pétillants.
- Bah ne t’en fais pas ! Je te l’ai dit : cette fois c’est la bonne, j’en suis sûr.
Il avait beau dire ça avec la plus profonde conviction, dans son regard subsistait une étincelle de doute.
On en apprend ici un peu plus sur le personnage de Curtis qui semble a priori très gentil, bien que déterminé. Il est aussi possible que Lucy lui fasse penser à sa petite soeur.
Et le cauchemar de Lucy entretien le mystère de son origine et de ce qu'elle est.
Ah oui tu as vu juste ^^ Mais ce ne sera jamais clairement dit
Merci pour ta lecture et ton commentaire :3
Je n'avais pas appelé ça "écho" mais c'est un peu l'idée, une répétition qui amène une impression de fatalité.
Tu commentes et lis vachement vite, dis donc ! En tout cas merci^^
Le rêve ne m'a pas beaucoup parlé (j'aime pas trop les rêves dans les histoires, même s'ils ont leur importance, et là dans le cas de Lucy j'imagine que c'est lié à son passé), mais on en apprend encore sur le groupe. Hello Curtis ! Ravie de mieux te connaitre !
Alors c'est leur 3eme tentative pour trouver la Maat ? Intéressant ! J'espère que ça va marcher cette fois, au moins pour la petite Mary.
Juste un truc : quand Curtis dit "l'amour", ça ressemble a une tentative de drague minable XD ! Il se rattrappe après en parlant d'amitié mais le mal est fait ! à la place de Lucy je me méfierai !
On a le droit de s'attacher dans cette hisstoire ? Merde je crois que c'est déjà un peu trop tard #teamAjaruk !
Oui. Au moins pour la petite Mary. JEDISRIEN.
Aaaaah je savais que tu allais me faire la remarque XD j'avais peur que ce soit mal interprété, parce que pour le coup il la drague pas du tout. Mais dans tous les cas Lucy ne peut pas se méfier, elle n'a pas assez d'expérience pour ça. Elle un peu trop naïve pour la drague XD
Bah attache-toi si tu veux... JEDISRIEN. (moi aussi je suis team Ajaruk !)