Chapitre 3 : Prophétie

Notes de l’auteur : Par Solamades

Edna releva les yeux et vacilla. Elle retira aussitôt les épaisses lunettes gravées de runes qui lui permettaient de déceler les pièges magiques dans les écrits du grimoire.

 

— J’ai faim, murmura-t-elle.

 

Elle massa ses tempes. Elle était fatiguée et sentait monter un début de migraine. C’était long, c’était lent, c’était pénible… Ainsi en était-il du Norne. Elle avait déjà eu affaire à ce langage. Il datait d’un autre temps, d’une époque oubliée de tous. C’était si vieux que plus personne n’avait d’indices relatant comment on vivait en ce temps-là, et cela participait à aiguiser son envie de savoir.

 

Dans un précédent ouvrage, elle avait découvert que les Nornes se prétendaient les fondateurs du clan des sorcières. Elles n’existaient pas avant eux. (Du moins, c’était ce qu’elle avait traduit.) Le récit qu’elle avait étudié lui avait retracé l’arrivée des vampires sur Terre, infiltrés dans ce monde par un portail qui n’aurait jamais dû voir le jour, ou du moins la nuit. Et ces parasites s’étaient aussitôt jetés sur les humains pour les dévorer. Les Nornes avaient alors doté les sorcières de l’époque, des guérisseuses et des religieuses, de véritables pouvoirs, afin d’assurer la survie des peuples envahis. Pourquoi ? Comment ? Elle espérait bien le découvrir.

 

Elle bâilla longuement et comprit qu’il était plus que temps de faire une pause. Elle déposa son matériel et quitta l’atelier pour monter en cuisine. Elle avait même un peu trop tardé. Elle regarda le panier à récoltes. Vide.

 

— Oh non, pitié… J’ai faim !  Je suis fatiguée… Qu’on me laisse bouquiner tranquille !

 

Avec un soupir, elle descendit dans le jardin et commença un rituel de fertilité. Voilà ce qui arrivait quand on lisait jusqu’à pas d’heure.

 

Une fois les fruits poussés, elle enchaina d’autres sortilèges sur le plan de travail de la cuisine. Edna ne jardinait pas. Elle faisait de la magie. Edna ne cuisinait pas. Elle faisait de la magie. Edna ne faisait pas le ménage. Elle faisait de la magie. Les préceptes disant qu’il faut se ménager, elle n’en avait rien à faire. Elle devait gagner en puissance. Le reste, c’était des hobbies, et elle n’avait pas le temps pour ça. Plus depuis qu’elle avait compris combien ses ennemis étaient forts.

 

La fève de cacao noircit entre ses mains, fermentait à vue d’œil.

 

— Allez, souffla-t-elle en se sentant vaciller. Un petit effort.

 

Encore quelques sortilèges et la pâte de chocolat coulait dans la tasse de lait. Elle gémit. Il lui fallait son breuvage pour s’en remettre.

 

— Un tout petit effort ! 

 

Elle referma ses mains autour de la tasse. Pas le courage de mettre du sucre, tant pis, mais si seulement il pouvait être chaud…

 

Elle ferma les yeux pour se concentrer, et s’évanouit.  

 

Quand elle se réveilla, il faisait jour. Allongée sur le sol de sa cuisine, elle donna un petit coup de poing frustré sur les dalles en pierre. Elle était faible… Trop faible. On ne vainc pas un vampire millénaire en se pâmant pour un en-cas.

 

Frustrée, elle se releva et se sentit un peu mieux à l’idée que sa tasse l’attendait toujours. Elle allait pouvoir regagner un peu d’énergie. Pour ne pas s’infliger une nouvelle syncope, elle la réchauffa sur l’œuf de dragon. Le liquide brûlant la réveilla doucement, s’écoulant en elle, déversant sa chaleur, sa puissance, son énergie dans ses membres engourdis. Elle se sentait revivre. Elle laissa l’élixir de vie faire effet en prenant quelques minutes de repos sur la méridienne près du feu. Et quand elle fut à nouveau sur pied, elle se prépara une nouvelle tasse. Hors de question de faire la même erreur deux fois.

 

De retour dans l’atelier, elle reprit sa traduction. Les Nornes étaient pervers. Leurs textes étaient truffés de complexité et de sortilèges. Comment un peuple aussi puissant avait-il pu disparaitre au point qu’il n’en restait rien aujourd’hui ? Et s’ils étaient si forts, pourquoi avaient-ils créé les sorcières d’aujourd’hui ? Pourquoi ne s’étaient-ils pas chargés des vampires eux-mêmes ?

 

Sa théorie, c’était qu’ils n’avaient été que de passage. Qu’ils étaient arrivés, avaient aidé les humains, puis avaient continué leur route. Mais rien ne le prouvait. Si elle s’était procuré ce livre, c’était pour en savoir plus. Mais sa lecture la rendait perplexe. Ça ne se dirigeait pas du tout, mais alors pas du tout dans ce sens. Ça parlait d’objets. Et… d’épreuves.

 

Elle chaussa ses lunettes, reprit ses outils, et patiemment, encercla chaque caractère entre ses cristaux pour les décharger de leur énergie et les apprivoiser.

 

Le soleil continuait sa course. Elle vida une tasse de plus.

Une nuit lui échappa. Elle s’endormit sur le livre.

Retour du soleil. Il fallait qu’elle lâche ce bouquin ou elle allait bêtement mourir de faim.

Elle persista en se nourrissant de légumes crus. Nouveau chocolat chaud.

Nuit, jour ? Elle s’y était perdue à force.

 

Elle referma brusquement le grimoire.

 

Les deux mains sur le visage pour apaiser ses yeux, elle fit des allées et retours dans l’atelier pour réfléchir à ce qu’elle venait de lire. Elle se cogna une ou deux fois, sans y prendre garde.

 

— Bon sang !  cria-t-elle.

 

Non, pas cette expression, c’était trop vulgaire. Sa mère l’aurait sévèrement punie pour une réflexion pareille.

 

— Impossible… Je me suis trompée quelque part.

 

Elle rouvrit le grimoire, mais le referma aussitôt et recommença à tourner en rond. Nouveau retour vers ses notes. Elle hésita, se tendit… Puis elle fonça en courant vers sa chambre.

 

Non, elle ne s’était pas trompée. Elle avait été méticuleuse. Elle avait découvert quelque chose d’incroyable, voilà tout.

 

Le texte parlait d’un artefact que les Nornes avaient scellé, afin de le mettre hors de portée des vampires, mais aussi des sorcières. Trop dangereux. Un artefact qui a lui seul ferait pencher le cours de la guerre. Un objet qui procurait une telle puissance qu’il valait mieux le cacher tant qu’aucune sorcière ne serait devenue assez puissante pour en faire usage. Mais quand elle l’obtiendrait, alors… plus aucun vampire ne serait en sécurité.

 

Elle avait la chair de poule. Ces simples mots la transportaient. Sauver le monde de ces prédateurs. Vivre libre, ne plus craindre la lune et les ombres. Oh comme elle en rêvait ! 

 

Elle doutait toujours de sa traduction, mais ça valait la peine d’essayer. Le livre la guidait vers une épreuve. Il indiquait même où la trouver pour obtenir l’un des nombreux artefacts nécessaires à l’ouverture du scellé final.

 

Elle prit un bain dans lequel elle déversa tout un tas de sortilèges régénérants enchâssés dans le sel. Elle se força à faire un vrai repas, bien que rapide, puis elle se harnacha de pied en cape. Un long voyage s’annonçait..

 

À la faveur du petit jour, boostée par ses enchantements, Edna fila à travers les bois. Elle quittait peu Silent Host. Elle aimait ses arbres, ses villages discrets et silencieux peuplés d’amis, d’hommes et de femmes qui la connaissaient depuis toute petite et qui avaient jadis aimé sa mère. Elle les avait libérés des vampires du secteur, leur avait appris à se protéger des monstres, leur livrait soins et fortifiants en échange de ce qu’elle ne pouvait obtenir toute seule. Oui, les monstres y étaient nombreux, mais… comme partout ailleurs.

 

L’un de ces villages était sur sa route, un petit bourg entouré de hauts murs. Elle se présenta aux portes et frappa. Un garde ouvrit une trappe.

 

— Oh c’est vous Madame, salua-t-il avec respect. J’espère que tout va bien.

 

Elle sentait sa peur. Pourquoi avait-il peur d’elle ?

 

— Tout va bien, dit-elle. Je dois partir un moment. Est-ce que vous pouvez faire passer un message à Trével, le chasseur ?

— Mais… c’est qu’il n’est jamais rentré, Madame.

— Quoi ?

 

Elle le revit, quittant leur point de rencontre à toute vitesse après avoir profané l’endroit de juste un murmure. Elle aurait dû le suivre, elle aurait dû le protéger.

 

— Est-ce que vous pouvez au moins ouvrir la porte afin que nous parlions face à face ? demanda-t-elle. J’aimerais m’adresser à sa famille…

— Madame, nous avons tous un immense respect pour vous, vous faites tant pour nous. Mais c’est jour de fête aujourd’hui, deux jeunes gens se marient et votre présence les effraierait, vous comprenez ?

 

Elle pâlit.

 

— Les effraierait ?

— Vous êtes si puissante… et si pâle…

 

Elle hoqueta de surprise. Déjà le garde refermait la lucarne, conscient de sa bévue.

 

— C’est une plaisanterie ? s’insurgea-t-elle. Vous vous moquez de moi, c’est ça ?

 

Elle donna quelques petits coups de poing contre la porte, vexée, mais décida de passer son chemin. De toute évidence, elle aurait dû un peu plus entretenir ses relations avec ses voisins. Depuis quand n’était elle pas revenue… cinq ans peut-être ? Une broutille.

 

Elle frémissait d’indignation tandis qu’elle reprenait sa route. On lui avait déjà fait ce genre de remarques et ça la blessait à chaque fois. Alors oui, elle était puissante, très, même s’il lui arrivait encore de s’évanouir dans sa cuisine. Oui, elle ne voyait pas beaucoup le soleil, la lune étant la meilleure source de pouvoir pour une sorcière. Oui, elle vivait dans un château en ruine qui était réputé pour avoir été le repaire d’une horde de vampires sanguinaires. Oui, on l’avait vue plus d’une fois rentrant chez elle couverte de sang après un terrible combat contre des créatures maléfiques… mais quand même !

 

Elle fulminait encore à la nuit tombée lorsqu’elle atteignait la rivière Ara. Elle se choisit un large morceau d’écorce qu’elle déposa sur l’eau, l’enchanta et monta dessus pieds nus pour se laisser emporter par le courant, rassemblant ses jupes pour ne pas les tremper dans l’eau vive et froide. Elle était exposée, ainsi, sa cape volait trop pour la dissimuler, mais quel plaisir ! Du moins les premières minutes. Quand au bout de près d’une journée de glisse elle déboucha sur la berge du lac Tucsan, elle avait des crampes dans tout le corps. Elle fit une halte sur la berge, chercha des racines et des fruits comestibles. Il y avait du poisson à foison dans les parages, mais elle n’aimait pas prendre la vie de quoi que ce soit, ça donnait une teinte désagréable à son pouvoir.

 

Elle passa la nuit en haut d’un arbre, protégée par son feuillage, puis longea le lac sans s’approcher de l’eau. Les créatures qui vivaient là étaient bien trop dangereuses.

 

Elle n’arriva aux pieds des montagnes Sandtide que le lendemain, au crépuscule, malgré la rapidité de sa progression. Les hautes falaises affaissées par le temps étaient tapissées d’une végétation dense. Les golems de pierre gardaient l’endroit. S’ils effrayaient les humains, ils craignaient les sorcières, ils n’allaient pas lui opposer une grande résistance…  

 

Elle grimpait depuis un moment quand elle sentit quelque chose de dangereux dans les parages. Une créature avec une aura capable d’effrayer les rats des environs. Elle commença à marcher dans ses pas. Ça tombait mal, l’endroit n’était pas idéal pour une escarmouche.

 

Discrètement, elle tira de son sac une paire de lunettes en argent qui l’aiderait à résister à une tentative de manipulation. Elle parfuma aussi sa gorge et ses poignets d’une solution à l’ail… pas une partie de plaisir de voyager avec ce genre d’odeur, mais toujours plus sympa qu’une morsure de sangsue cadavérique. L’autre gagnait du terrain. Sentant qu’elle faiblissait, elle consentit à avaler l’un de ses fortifiants et commença à escalader la partie la plus abrupte, plutôt que de prendre le chemin qui avançait en lacets. Elle serait exposée, mais hors de portée des vilaines dents et gagnerait un peu de temps. Le fortifiant donnait des forces à ses membres qu’elle n’aurait pas en temps normal. Les yeux fermés sur ses sens magiques, elle progressa le plus vite possible. Quand elle sentit son poursuivant tenter de la contourner, elle comprit que le combat était inévitable. Il ne comptait pas lâcher l’affaire, et elle n’allait sûrement pas l’attirer vers le lieu de pouvoir qu’elle convoitait. Alors elle changea de tactique et continua par un chemin, cherchant l’endroit plus large possible.

 

— Tiens ! Des champignons !

 

Liant l’utile à l’agréable, elle se fit une petite récolte. L’aura se rapprochait dans la nuit, dans son dos, évidemment.

 

— Bonsoir, belle enfant, susurra une voix rauque et terne.

 

Elle se redressa avec un cri de surprise pas vraiment convaincant. Elle jouait mal les faibles victimes. Elle était forte et elle le savait.

 

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle d’un air innocent. Vous êtes perdu ?

 

Toujours pas crédible. Il faudrait qu’elle s’entraîne.

 

— Non, mais toi oui…

 

Elle le laissa approcher, une main sur la poignée de sa dague numéro deux. La créature, un homme d’une trentaine d’années, maigre et décharné, fondit sur elle. Il hoqueta d’horreur en approchant de sa gorge. Elle sourit, satisfaite. Elle adorait voir ce dégoût sur leurs lèvres sèches et répugnantes. D’une main, elle l’attrapa par la nuque. Il força pour se dégager, s’agrippant à elle, tentant de l’hypnotiser. De l’autre elle sortit sa dague et la lui planta dans le cœur. Toutes les veines asséchées de la créature bleuirent de douleur. Elle creusa la plaie d’un mouvement de poignet impitoyable. Il hoqueta et s’effondra par terre avant de disparaître en un amas de poussière. Elle inspira profondément et rangea sa dague.

 

— J’ai fait une bonne action aujourd’hui, minauda-t-elle satisfaite.


 

Le monastère de Sandtide était abandonné. La quête que le grimoire lui avait décrite ne le précisait pas, elle le découvrit au silence qui entourait l’endroit.

 

Il avait été creusé à même la roche, si bien qu’il se fondait dans le creux d’un sommet des montagnes. Vivre ici avait dû être agréable. Le ciel veillait sur la cour centrale, large et décorée de statues burinées par le temps. Chaque pilier de granit était sculpté, bien que grossièrement. Des effigies grimaçantes apparaissaient sur ces murs gris à intervalles réguliers et les veines de quartz blanc les ornaient de motifs naturels. Les moines avaient aimé l’art…

 

Une odeur de poussière et de fumée l’assaillit tandis qu’elle avançait sous le porche d’entrée du sanctuaire intérieur. Elle entendit au milieu du silence comme un ruissellement et avisa le salpêtre sur les linteaux. L’ambiance sereine du sanctuaire s’effaçait dès qu’elle entrait à l’intérieur de son temple.

 

Elle cria et cette fois pour de vrai, quand une forme blanchâtre jaillit d’un mur et se jeta sur elle. Elle recula à l’extérieur, le cœur battant. Le fantôme ne la suivit pas. Elle reprit son souffle et changea de lunettes. Elle possédait une paire spéciale ectoplasme, heureusement qu’elle l’avait toujours sur elle.

 

Elle avança encore une fois, plus prudente, mais cette fois, elle voyait où elle allait. Les fantômes… il y en avait plus d’une centaine dans cette immense salle puant l’humidité. D’ailleurs, c’était le salpêtre sur les murs qui les retenait prisonniers à l’intérieur. Les résidus d’humanité erraient d’un côté à l’autre, prisonniers de leur lieu de culte, scellés dans une vie éternelle de souffrance. Certains avaient l’air de hurler et de se tordre, d’autre pleuraient et s’arrachaient les cheveux.

 

— Charmant, murmura-t-elle.

 

L’activité fantomatique lui permettait de voir les contours de la salle, plutôt grande, mais aussi la porte de l’autre côté. Scellée d’ectoplasme maudit. Bien évidemment.

 

— Allez, souffla-t-elle pour se donner du courage. Au travail ! 

 

L’un de ses premiers travaux de sorcellerie avec sa mère avait été la création d’une fiole de sel infinie. Une vraie merveille. Sa mère avait été une créatrice d’exception. Elle lui avait légué sa besace, bien plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur, et surtout bien moins lourde qu’elle ne devrait… bref. Elle n’était pas là pour ressasser le passé.

 

Elle déboucha la fiole et répandit une bonne rasade de son contenu d’un grand geste de la main. Les fantômes hurlèrent et reculèrent suffisamment pour qu’elle puisse entrer et se réfugier dans un cercle de sel. Méthodiquement, elle l’agrandit du bout du pied pour en faire un espace assez confortable pour pouvoir bouger sans faire dépasser par mégarde ses rondeurs féminines.

 

— Écoutez-moi ! cria-t-elle.

 

Pour l’instant, elle n’avait pas beaucoup de succès. Ils hurlaient à lui casser les oreilles, se jetaient sur sa protection, se déchainaient comme des furies.

 

Elle savait faire. Elle avait appris, mais peu eu l’occasion de pratiquer. Elle ferma les yeux et écarta les bras, mais pas trop, pour ne pas sortir du cercle.

 

— Écoutez-moi, répéta-t-elle un ton plus bas.

 

Et encore et encore, comme un écho.

 

— Terre d’âmes tourmentées. Ondes de souffrances d’un lointain passé. Approchez, écoutez, sentez. Je m’offre à vous pour que vous puissiez vous exprimer… et vous libérer.

 

Il existait différentes manières de se charger d’un fantôme. La façon la plus simple restait de le détruire. Mais une protectrice des humains ne pouvait s’y résoudre. Sa magie s’en retrouverait affectée et avilie. Son cœur ne s’en remettrait probablement jamais non plus. Non, elle pouvait aussi… absorber leur souffrance. Une sorcière avec un niveau correct pouvait y parvenir… du moins avec un seul adversaire fantomatique en face d’elle. Il valait mieux éviter avec toute une salle. Elle se prépara mentalement et écarta les bras encore un peu plus. Ses doigts dépassèrent du cercle. Les créatures fondirent sur l’ouverture. Les yeux clos, elle serra des dents et se prépara à transformer la souffrance en énergie. Déjà le flot l’envahissait. Ce n’était pas une rivière, ni même un torrent, c’était un tsunami. La violence du rituel la souleva du sol, mais elle garda les yeux clos, concentrée. Des déflagrations de lumières traversaient ses paupières et parvenaient à l’éblouir. Le son des hurlements atteignait un stade atroce. Elle ouvrit plus fort son cœur. Elle les aimait, tous autant qu’ils étaient. Elle les protègerait tous. Elle serait toujours de leur côté, mort ou vivants. L’énergie enfla, enfla encore, le chaos menaçait, mais elle tenait bon.

 

— Allez ! hurla-t-elle pour se donner du courage. Venez ! Entrez ! Le spectacle ne fait que commencer !

 

Dents serrées, elle se sentit submergée. S’ils parvenaient à l’atteindre plus fort qu’elle ne les gérait, elle deviendrait l’un des leurs, pour un tourment infini. Elle errerait, protégeant la porte qu’elle avait voulu ouvrir… et peut-être qu’un jour, elle serait terrassée par un vampire qui s’emparerait de l’artefact…

 

— Non ! Jamais !

 

Elle redoubla d’efforts, prête à tout, et brusquement, le silence se fit et elle retoucha terre. Elle haleta, épuisée, et rouvrit les yeux. La salle était vide. En face d’elle, le sceau se rompit dans un petit bruit métallique. Elle tomba à genou et massa ses épaules.

 

— Je suis la meilleure, se répéta-t-elle avec un petit sourire. Je suis vraiment trop forte.

 

Elle rit et se leva, mais ses jambes tremblaient. L’énergie trop abondante qu’elle avait absorbée la rendait ivre, elle menaçait de déborder et de s’échapper, emportant avec elle sa force vitale.

 

— Et j’anéantirai tous ces suceurs de sang !  gronda-t-elle dans un effort.

 

La colère lui donna la force d’avancer. Elle fit quelques pas chancelants, mais se força à garder la tête haute.

 

— Je les anéantirai, tous… tous ensemble, je les broierais… Je les massacrerai ! Ils imploreront… ha… ma pitié ! 

 

Elle posa la main sur la poignée ouvragée. Les battants étaient en pierre sculptée. Les dessins représentaient la mort et la souffrance éternelle. Le temple avait été conçu pour cette épreuve. Cela lui donna du courage. Le grimoire disait vrai, jusque là.

 

Elle rassembla plus de force encore pour tirer les lourdes portes. Elles cédèrent dans un nuage de poussière et de spores de mérule. À l’intérieur, un sanctuaire de bois entièrement rongé par l’humidité et les champignons réapprit à recevoir la lumière. Au centre, un coffret de pierre renversé. Ouvert. Vide… Elle crut qu’elle allait se mettre à pleurer.

 

Elle s’approcha, le poussa du pied. Il était bien vide. Elle échappa un cri de rage. Sa puissance rehaussée par l’énergie fantomatique abondante dont elle débordait provoqua un souffle d’air qui balaya les toiles d’araignée et les filaments corrosifs. Elle le vit alors, un amas de perles sur une résille solide. Ça avait l’air épais, lourd, sale, mais intact. Elle le prit, le frotta pour le dégager des spores orangées. Il avait survécu au temps. Elle trouva sa charnière et l’ouvrit. C’était bien un collier, ou plutôt, le col d’une armure. L’ouvrage était magnifique. C’était une dentelle d’un métal sombre et mat serti de perles noires et brillantes, dessiné pour le cou gracieux d’une femme. Elle le passa, le froid tendit sa peau nue et brûlante d’effort. Il épousait sa gorge et se refermait sur elle comme un corset sinistre. Il suivait les contours de sa nuque avec grâce, s’enfonçait dans son décolleté, débordait sur ses épaules, comme un morceau d’armure conçu pour tenir les mordeurs à distance. À l’instant où elle le referma, il épousa son corps à tel point qu’il devint tel un tatouage. Elle tourna la tête, écarta les bras… elle le sentait, mais à peine, il s’était fondu en elle. Quant à la puissance fantomatique qu’elle contenait avec peine jusque là, elle se tenait calme, comme si ce n’était qu’une broutille, un peu d’eau au fond d’une jarre immense.

 

— Il amplifie ma capacité à stocker de l’énergie, comprit-elle émerveillée. Oh maman… C’est le plus beau jour de vie !

 

S’imaginer la remplir lui donnait le tournis.

 

Elle caressa son cou, voluptueuse, ravie. Elle avait tellement hâte de remplir tout ce nouveau potentiel magique, et puis… aussi… hâte d’admirer son nouveau bijou préféré devant le miroir.

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