Chapitre 4 - L’avatar

Le jeune adolescent était pétrifié. Le sang se répandait rapidement sur le parquet.

- Éloigne-toi ! cria sa mère mais le garçon ne pouvait plus bouger.

Sa mère prit son courage à deux mains et se releva de sa cachette, derrière le comptoir, pour attraper son fils et l'emmener dans l'arrière-boutique. La serrure claqua au moment où la cloche d'entrée du magasin retentissait.

- Ils sont entrés ! murmura Emma. Il faut… s'enfuir.

Le garçon ne répondit rien. Son visage se couvrait de larmes. Il ne comprenait pas. Quelques secondes plus tôt, il riait avec son père. Puis il y avait eu des crissements de pneus et des explosions. Il avait reconnu le bruit d'une arme automatique et avait vu son père s'écrouler tandis que sa mère, qui avait eu la vivacité d'esprit de se coucher, était protégée par le comptoir. Le garçon n'avait dû sa survie qu'à son père, entre lui et la vitrine.

- Tu saignes ! s'exclama Emma.

Le garçon regarda son bras. Du sang s'écoulait mais étrangement, il ne souffrait pas. Sa mère regarda la blessure.

- La balle a traversé, ce n'est pas trop grave. Attends, je vais te faire un bandage.

Emma se dirigeait vers le mur lorsque la poignée de la porte bougea rapidement.

- Ils vont entrer !

Elle emmena son fils dans les étages et ensemble, ils s'enfermèrent dans la chambre des parents. Ils venaient d'y entrer lorsqu'un coup de feu retentit.

- Ils ont fait sauter la serrure, comprit Emma.

- M’man, j'ai peur, pleura le garçon.

Emma n'avait aucune idée de quoi répondre à ça. Comment pouvait-elle réconforter son enfant alors qu'elle était elle-même morte de peur ?

- Il faut prier. Prier très fort.

- M’man, murmura le garçon qui savait très bien l'inutilité d'un tel acte.

- Il faut y croire ! Viens, prie avec moi ! Si tu crois, il te sauvera !

- Et p’pa ?

- Papa n'était pas croyant, tu le sais bien. Viens, prie !

Le garçon hocha la tête. Ensemble, mère et fils s'agenouillèrent devant l'autel et prièrent, unis face à la mort. Un coup de feu retentit, très proche et la porte s'ouvrit. Le garçon s'était retourné mais ce fut seulement pour voir un revolver pointé sur sa mère. Le coup de feu résonna dans ses oreilles et il vit, impuissant, la femme qu'il aimait le plus au monde, tomber. La moquette grise sombra au rouge. Lorsque le garçon leva les yeux sur le meurtrier, il ne vit que le revolver, désormais pointé sur lui. Sa seule réaction fut de prier, plus fort encore, comme si cela pouvait le sauver.

Le garçon vit, comme au ralenti, l'index presser la détente. L'horrible détonation se fit entendre une nouvelle fois et le miracle tant attendu se produisit. Le porteur de l'arme s'écroula. Le garçon regarda l'assassin sans comprendre. Que venait-il de se passer ? Deux hommes passèrent la porte en criant. L'un d'eux retourna son collègue à terre et s'écria :

- Il s'est pris une balle. Le môme est armé. Fais gaffe !

Le garçon se vit de nouveau sous la menace d'une arme. Il pria avec plus de ferveur que jamais, répétant sans arrêt et désormais à voix haute le nom du dieu de sa mère, maintenant le sien. Une nouvelle déflagration et un nouveau mort. Le garçon ouvrit les yeux et rit de bon cœur. Il était toujours en vie et son agresseur était étendu mort. L'autre se leva en hurlant :

- C'est impossible ! C'est…

Il ne finit jamais sa phrase. Cet homme, membre d'une des mafias les plus puissantes de la ville, s'enfuit sans demander son reste. Le garçon n'en revenait pas et il riait toujours, sous le choc. Brutalement, il se mit à pleurer et s'écroula sur sa mère. Tout en sanglotant, il pria son dieu. S'il avait pu le sauver, il pourrait sûrement lui rendre sa mère !

L'explosion qui suivit lui déchira les tympans. Sous ses yeux ahuris, il vit le feu ronger la moquette, monter le long des murs et s'attaquer aux rideaux. Le sol trembla et il se retrouva dans le magasin, à l'étage en dessous. La vitrine avait explosé laissant le sol couvert de morceaux de verre. Le garçon vit le corps de sa mère brûler et l'odeur lui donna la nausée. Il vomit sur le parquet mais vit tout de même les cadavres de ses parents être recouverts par des monceaux de débris.

Le garçon se redressa et toussa. La fumée rendait l'air irrespirable. Il sortit par la vitrine détruite pour se retrouver sur le trottoir. De l'autre côté de la rue se tenaient trois hommes à côté d'une voiture noire. L'un d'eux tenait dans sa main un détonateur. Nul doute qu'il venait de faire exploser la maison de l'adolescent.

La haine remplaça la tristesse. Sans cesser de murmurer le nom de son dieu et sous les yeux horrifiés des membres de la mafia, l'enfant s'avança dans la rue. Au loin, on entendait des sirènes. La police et les pompiers avaient été prévenus mais le garçon n'en avait cure. Ses hommes allaient payer.

Il tendit la main et l'un des hommes tomba à genoux en hurlant. Il se tenait la tête. Rapidement, il se mit à convulser avant de s'écrouler, du sang s'écoulant par sa bouche, son nez et ses oreilles. Le garçon n'en éprouva que du plaisir. Il désigna l'homme suivant, gardant volontairement le porteur du détonateur pour la fin.

Alors que son compagnon hurlait à son tour, le dernier agresseur tenta de s'enfuir. Il se prit les pieds dans un objet, tomba et lorsqu'il se retourna, il constata que le trottoir était lisse et propre. Le silence lui glaça le sang. Son compagnon venait de mourir, emportant ses cris avec lui. Il vit ce gamin se dresser fièrement devant lui. Sa terreur monta d'un cran et il se rendit compte que l'enfant bougeait les lèvres. L'homme tenta de comprendre mais le sens de ses paroles lui échappa.

- Je n'ai fait qu'appliquer les ordres ! s'écria l'homme. Marco nous a envoyés.

Il avait espéré que cela le sauverait. Lorsqu'il eut l'impression que son cerveau fondait, comme rongé de l'intérieur par de l'acide, il comprit son erreur. Ses hurlements emplirent la rue puis le silence se fit. L'endroit était vide. Les quelques passants et témoins s'étaient vite éclipsés en voyant la scène. Les sirènes se firent plus pressantes. Le garçon plissa les yeux de haine puis demanda à son dieu de l'emmener auprès de ce Marco.

Le monde changea autour de lui et cela lui donna la nausée. Il vomit sur un magnifique tapis oriental brodé à la main. L'enfant entendit le grincement d'une porte dans son dos et se retourna.

- Qu'est-ce que… ? s'exclama l'homme dans l'encadrement. Ça, tu vas me le payer mon garçon !

L'homme s'avança en relevant ses manches.

- Marco ? interrogea l'enfant d'une petite voix tremblante.

- En personne ! Tu vas regretter de t'être introduit ainsi dans mon bureau, tu peux en…

Les paroles du chef de la mafia se changèrent en cris, puis en hurlements. Le garçon s'essuya la bouche et se releva. Il se sentait fatigué. Il avait très envie de dormir. Une fois debout, la tête lui tourna et lorsque l'homme mourut, l'adolescent perdit l'équilibre et tomba la tête la première dans son propre vomi. Dégoûté, il roula sur le côté pour vomir de nouveau. Il s'assit difficilement et entendit des bruits de pas et des voix venant vers lui. Il était trop fatigué. Il pria son dieu de lui donner la force.

Son corps se déchira. Ses os explosèrent, tous en même temps. Son sang se mit à bouillir tandis que ses poumons se transformaient en glaçon. Était-ce cela, mourir ? Son cœur battait pourtant toujours mais tellement vite.

Il sentit les muscles de ses jambes se contracter et se décontracter. Son oreille interne l'informa qu'il bougeait. Ses pieds répondirent aux ordres que son cerveau leur envoyait. L'enfant fut debout sans comprendre comment cela était possible avec les os brisés. Une violente migraine lui traversa le crâne lorsque les nouveaux venus dans la pièce tombèrent morts. Ils n'avaient pas souffert. La mort avait été tellement rapide qu'ils ne l'avaient pas vue venir. Le garçon ne comprenait pas.

Son corps lui envoya une information étrange et un cadre ovale multicolore apparut devant lui. Il sentit ses muscles se contracter et se vit avancer puis traverser la substance colorée.

Il apparut dans un jardin. La pelouse était verte et très bien taillée, sans la moindre mauvaise herbe. L'endroit était totalement silencieux et inodore. Dans un jardin, on aurait dû entendre le chant des oiseaux et des insectes, être touché par une légère brise et sentir l'odeur de l'herbe fraîchement coupée. Il n'en était rien. Le jardin sonnait horriblement faux.

Il se sentit profondément heureux mais en y réfléchissant bien, ce sentiment ne venait pas de lui. Il était en lui tout en étant extérieur. Il souriait sans l'avoir demandé. Vu la douleur qu'il ressentait, il aurait plutôt hurlé. Son sang bouillait toujours, ses poumons n'avaient pas dégelé et ses os ne s'étaient pas ressoudés.

- Ça passera.

Qui avait dit cela ? Lui-même ? Oui, c'était bien sa voix. C'était bien ses cordes vocales qui s'étaient contractées pour prononcer ces mots. Pourtant, il n'avait rien demandé.

- Avec le temps, tu lutteras moins et la douleur diminuera.

L'enfant sentit une profonde terreur monter en lui. Que lui arrivait-il ? Il essaya de bouger le bras et une violente douleur explosa. Pourtant, il ne hurla ni ne bougea.

- Je contrôle ton corps. À chaque fois que tu essayeras de t'opposer à moi, tu souffriras, pour mon plus grand plaisir.

Qui êtes-vous ? pensa le garçon sans espérer une seule seconde obtenir une réponse, puisqu'il ne pouvait pas parler.

- Je suis celui à qui tu n'as eu de cesse de demander de l'aide alors que tu n'avais visiblement pas besoin de moi.

Baal ? s'exclama l'enfant. C'est impossible !

- Tu es désormais mon avatar. Grâce à toi, je vais pouvoir aller sur les mondes des humains et répandre mon culte.

Le garçon sentit que son esprit s'échappait. La folie le guettait.

- Ce que tu ressens est normal, assura le dieu. C'est difficile à assimiler en une fois mais tu n'es pas en train de perdre la raison. La prise de possession sera plus agréable si tu te laisses faire, crois-moi. Essaye simplement de lâcher prise. Commence par la main.

J’veux pas mourir ! s'écria le garçon.

- Oh tu ne mourras pas ! Je vais m'en assurer. Tu es bien trop précieux. En lâchant ton contrôle sur ton corps, tu vas simplement moins souffrir mais tu ne mourras pas.

J’veux être libre, se plaignit l'enfant.

- C'est impossible quand je suis en toi. Parfois, je te lâcherai mais ça ne durera jamais bien longtemps.

J’vous crois pas, pensa l'enfant et un sourire se peignit sur son visage. La douleur cessa d'un coup et il s'écroula. Il remua les doigts et ils bougèrent. Il se leva puis observa l'endroit où il se trouvait. C'était un grand carré de pelouse, terminé par un haut mur en pierre. Le ciel était bleu sans qu'aucun soleil ne soit visible. L'enfant sentit une présence maléfique près de lui et bondit de côté en criant.

Il comprit que le dieu venait de le lâcher mais que cette liberté n'allait pas durer. La sensation que ses os se brisaient, que son sang bouillait, que ses poumons se frigorifiaient se fit de nouveau sentir et il perdit le contrôle de son corps.

- Je t'assure que si tu te laissais faire, ça serait moins douloureux.

J’veux pas m’laisser faire. Comment pouvez-vous m’faire ça alors que j’suis votr’ sujet ?

- Je t'en prie ! Ce matin encore, tu ne croyais pas en mon existence et tu te moquais silencieusement de ta mère que tu considérais comme une folle alors pas de ça. De plus, tu serais réellement mon sujet, tu serais ravi de me servir, tu te laisserais faire et donc, tu ne subirais aucune souffrance.

Je lutterai chaque seconde.

- Tu souffriras chaque seconde. Ça me convient totalement.

Pourquoi vous m’avez aidé si vous m’considérez pas comme l'un d’vos sujets ?

- Je ne t'ai pas aidé ! répliqua le dieu. Ton envie de survivre t'a fait puiser dans des ressources dont tu ignorais l'existence. Tu es un très puissant magicien et c'est ça qui t'a sauvé. Pas moi…

Magicien ? répéta mentalement le garçon. La magie, ça existe pas.

- Les dieux non plus, hein ?

L'enfant se sentit soudain très bête. Il se détendit et la douleur fut moins forte. Il tenta de reprendre le contrôle et la douleur se démultiplia. Il sentit une vague de joie le traverser.

- Comme j'aime quand un mortel souffre, murmura-t-il. Un véritable nectar !

L'adolescent était perdu. S'il lâchait le contrôle, il obéissait à son tortionnaire. S'il luttait, il souffrait, lui offrant un plaisir immense. Quelle était la meilleure solution ?

- Au fait, comment t'appelles-tu ?

Esteban, répondit l'enfant. Pourquoi ma douleur vous fait-elle autant plaisir ?

- Parce que ta mère n'avait pas totalement raison, répondit le dieu. Je suis le dieu de la destruction, certes, mais pas seulement. Je suis aussi le dieu de la mort et de la souffrance.

Esteban comprit que lutter était inutile. Il se soumit et la douleur décrut lui offrant enfin un peu de répit. Le dieu n'avait pas menti. Débarrassé de ses tourments physiques, il put penser sereinement et une grande tristesse l'envahit. Ne pas pouvoir la montrer, être incapable de pleurer lui fit mal. La souffrance physique revint quand l'envie de sangloter devint plus grande.

- Tes parents sont en paix désormais, dans le royaume des morts, assura le dieu.

Vous êtes le dieu de la mort. Est-ce que vous pourriez pas m’laisser les revoir ?

- J'en ai la capacité, mais je ne le ferai pas. Tu dois faire ton deuil. Si tu voyais tes parents, cela ne ferait qu'empirer ta douleur en reportant l'acceptation de leur décès.

Ils sont bien ?

- Oui, répondit simplement le dieu et cela aida énormément le garçon. Je vais te laisser pendant un moment. J'ai à faire ailleurs et sans toi.

Esteban retrouva l'usage de son corps avec joie. L'ambiance brillait par sa pureté. Le dieu était parti. Esteban perdit son sourire en réalisant qu'il se trouvait dans un terrain vague vide. Pas de quoi se réjouir.

- Euh… Excusez-moi mais...

Le manque de bruit était étouffant. Il regarda en l'air. Le ciel était pur, sans le moindre nuage.

- Franchement, c’est pas réaliste. Quelques nuages, le soleil, un peu de vent… Vous êtes pas doué.

À ce moment, quelques nuages apparurent depuis l'horizon, poussés par un vent doux et frais. Un nuage vint légèrement masquer le soleil, qui brillait désormais dans le ciel. Esteban sourit pleinement.

- Trop cool ! Alors, euh… J’crois que ça s’rait mieux avec… des arbres !

Un petit bois apparut à droite du garçon. Il était composé de plusieurs essences d'arbres. C'était joli, même s'il manquait quelque chose.

- C'est bizarre, ça fait quand même pas vrai, remarqua Esteban.

Il s'approcha. Quelque chose clochait, mais quoi ? Il décida d'y réfléchir plus tard. Pour le moment, il avait des vœux à réaliser.

- Alors, j’crois que… une villa serait super, avec plusieurs chambres, des salles de bain, un jacuzzi, une immense piscine avec toboggan, une salle vidéo avec un écran gigantesque et des milliers de jeux vidéo.

L'endroit apparut, identique à ce qu'il imaginait. Il entra pour découvrir des espaces ouverts, un aménagement confortable et moderne, des baies vitrées laissant pénétrer la lumière du jour. Esteban se rendit à la salle vidéo, alluma l'écran et la console de jeux. Il ouvrit un placard et en choisit un au hasard. Il l'enclencha, se saisit d'une manette et commença une partie tout en avalant des bonbons. Il était aux anges.

Il était tellement dans le jeu qu'il ne sentit pas le dieu arriver. La possession n'en fut que plus douloureuse.

Non ! hurla Esteban dans sa tête. J’veux continuer !

Sa rébellion lui coûta une douleur supplémentaire. Il maudit le sourire qui se peignit sur son visage et la sensation de plaisir, intérieure mais qui venait en fait du dieu, qui l'accompagnait. Esteban se calma et se soumit. La souffrance disparut.

- Tu comprends vite. C'est bien, approuva le dieu.

J’croyais que vous appréciiez quand j’souffre.

- C'est le cas mais te soumettre à moi me convient également et c'est plus facile de te contrôler quand tu ne luttes pas, lui avoua le dieu.

Esteban eut envie de se rebeller juste pour l'embêter mais le souvenir de la souffrance l'en empêcha. Il ne voulait plus avoir mal. Il choisit la soumission plutôt que la torture.

Le dieu utilisa une partie de lui qu'il ne connaissait qu'à peine et dont il ne reconnaissait pas l'utilité. La seconde suivante, le décor changeait. Esteban sentit d'abord l'odeur fétide puis l'eau envahir ses bottes. Il fut submergé par le bruit des insectes bourdonnant autour de lui, des croassements de grenouilles.

C'est ça qui manque, comprit Esteban. Le bois dans l’jardin a l'air mort parce qu'il est dénué d’vie.

- Et il en sera toujours ainsi, répondit le dieu. Ce jardin se trouve dans mon royaume des morts. Je ne peux pas y apporter la vie.

Ça signifie que j’suis mort ?

- Non. Si tu étais mort, tu ne pourrais pas arpenter le monde des vivants comme c'est le cas actuellement.

J’comprends pas.

- Je dépense énormément d'énergie juste pour te permettre d'être dans le royaume des morts. La création d'une villa n'est rien en comparaison de ce que ta simple présence me coûte.

Pourquoi m'avoir amené là-bas en ce cas ? Pourquoi pas simplement m’laisser sur un des mondes des vivants ?

- Parce que mon culte n'est pas le seul, sur aucun monde.

Et alors ?

- Ça signifie que d'autres dieux ont du pouvoir sur ces mondes. Ils pourraient te voler. Mon royaume, en revanche, leur est inaccessible.

J’me croyais pas si important, pensa l'enfant.

Le dieu ne prit pas la peine de répondre à ça. Le garçon sentait l'agacement grandissant de l'être divin face à ses questions. Il choisit de garder le silence et de laisser le dieu tranquille… pour le moment. Esteban se sentit avancer sans avoir rien demandé. Il se relaxa et laissa faire. Il n'en souffrit pas. Simple observateur, il se regardait agir.

C'était très étrange car il ne sentait pas sa jambe avancer. Non, c'était très différent. Il entendait les messages nerveux envoyés par son cerveau à ses muscles et la réponse de ceux-ci. Jamais jusque-là il ne s'était demandé comment avancer sa jambe. Elle le faisait, tout simplement. Il lui fallut un moment pour comprendre, en associant les informations reçues à ce qu'il voyait et ressentait, à quoi correspondait quel mouvement.

Il déboucha dans un village monté sur pilotis. Une femme – ou plutôt une créature qui semblait féminine – se tourna dans leur direction et ouvrit de grands yeux. Exactement ce qu'aurait fait Esteban s'il avait eu le contrôle de son corps. La femme ressemblait à une grenouille géante mais n'en était pour autant pas laide. Comment expliquer une telle chose ?

Esteban se vit lever la main et la désigner. Une partie de son moi profond fut appelée. Esteban reconnut là le centre de ses pouvoirs magiques. Il reconnut un sort déjà lancé… sur les hommes de la mafia.

Non ! hurla Esteban en tentant de reprendre le contrôle.

La douleur fut immédiate et elle le transperça. Il crut qu'il allait perdre connaissance tant c'était violent mais il ne pouvait pas s'évanouir car le dieu contrôlait son corps. Esteban ne put que subir la souffrance. Les cris de la femme résonnaient dans ses oreilles. Comme Esteban aurait voulu pouvoir, lui aussi, hurler sa douleur ! Le pire était l'intense joie, le pur plaisir qu'il ressentait à travers le dieu. Sa propre souffrance lui apportait du plaisir. Il ne se calma que quand la femme fut morte.

Vous êtes un monstre ! pensa Esteban.

- Je suis le dieu de la destruction, de la souffrance et de la mort, répondit simplement l'entité.

Esteban eut la nausée mais là encore, son corps n'obéit pas. Au contraire, son envie de le contrôler lui amena une douleur supplémentaire.

- Si tu réagis toujours ainsi, ça va être d'une jouissance inespérée !

Des hommes grenouilles sortirent des maisons et avancèrent, menaçants, vers le dieu. Sa seule réponse fut de sourire. L'un des agresseurs tomba à genoux en hurlant. Le croassement exprimait une profonde et intense douleur. Les autres hésitèrent avant de se reprendre sans s'occuper de leur compagnon tombé.

Pourquoi faites-vous ça ? Qu'est-ce que ces gens vous ont fait ?

- Rien. Je cherche simplement à recruter des sujets.

En tuant des gens, vous pensez obtenir des adorateurs ?

- Bien évidemment…

Un autre homme grenouille s'écroula. La volonté de certains vacilla et ils tentèrent de s'enfuir. À peine avaient-ils tourné le dos pour courir qu'ils chutaient à leur tour en hurlant.

Plusieurs hommes tombèrent à genoux et croassèrent. Bien qu'ils ne parlassent pas la langue d'Esteban, il comprit, à travers le dieu, les phrases. Ces hommes imploraient qu'on leur laisse la vie sauve. Ils furent tués.

J’comprends pas. Ne s'étaient-ils pas soumis ?

- Ce n'est pas la soumission que je veux, mais l'adoration. Je veux qu'ils me suivent de leur plein gré, pas en y étant forcés.

J’comprends vraiment pas.

- Pourquoi t'es-tu mis à dire mon nom ? À prier en ma direction ? demanda le dieu alors que les derniers hommes tombaient.

Parce que face à tant de destruction, prier l’dieu de la destruction qu'il m'épargne m'a semblé une bonne chose.

- Exactement. Je ne veux pas qu'ils me supplient, moi, de les épargner.

Vous voulez qu'ils prient le dieu de la mort d’les épargner. Mais c'est vous !

- Oui, mais c'est moi en tant que dieu qu'ils doivent appeler. Pas moi en tant qu'être humain dans ton corps, Esteban.

Le garçon sut immédiatement qu'il n'aimait pas que le dieu l'appelle par son prénom. Sans trop savoir pourquoi, cet acte le répugnait.

Le dieu entra dans l'une des maisons. Il y trouva une femme, entourée de ses trois petits. Ils étaient mignons, avec leur grande pupille fendue, leur longue langue pendante et leur peau souple et humide. Le dieu regarda la femme droit dans les yeux puis sortit sans un mot. La femme soupira d'aise et prit ses enfants dans ses bras en pleurant.

Esteban embrassa le reste du village des yeux puis claqua des doigts. L'ensemble s'embrasa en un instant. Les cris des femmes et des enfants brûlés vifs résonnèrent quelques minutes avant de cesser. Seule une maison restait intacte.

Pourquoi l'avoir épargnée ?

- Elle priait le bon dieu. Nul doute qu'elle va répandre sa religion, annonçant comment elle a été sauvée, criant le miracle qu'elle vient de vivre.

Les autres priaient, mais pas vers vous. Les dieux en question seront-ils pas en colère ?

- Bien évidemment mais ça fait partie du jeu. Ils me prennent des sujets, je leur prends des sujets. Ça marche comme ça.

Le coût est-il toujours une vie ?

- Pour le dieu de la mort, oui. Pour le dieu de la vie, non. Lui, au contraire, s'amuse à guérir des malades ou à enrailler des épidémies.

Pourquoi ces dieux viennent-ils pas ici, maintenant, pour reprendre possession des gens que vous leur avez pris ?

- Parce qu'ils n'ont pas d'avatar, répondit le dieu et son bonheur était transparent. Ils sont impuissants. Un dieu ne peut arpenter une terre et agir dessus que s'il a un avatar et qu'il a déjà des croyants sur ce monde.

Comment gagnez-vous d’nouveaux mondes ?

- Il n'existe pas une seule créature vivante dans l'univers qui ne croit pas, à un moment ou à un autre de son existence, à une entité supérieure toute puissante.

Je connais plein d’gens qui ne croient pas en dieu.

- Je parle d'une espèce. Chaque espèce développe sa propre croyance et se donne ainsi à un dieu, quel qu'il soit. Chaque individu est ensuite libre de croire ou non.

Ceux qui croient pas meurent, fit remarquer Esteban.

- Je ne tue pas seulement ceux qui ne croient pas. Je tue tous ceux qui ne me vénèrent pas. C'est très différent !

Esteban ne répondit pas à cette remarque sombre du dieu maléfique. Le dieu reprit la route et quelques heures plus tard, ils arrivèrent à un autre village. Cette marche permit à Esteban de mieux comprendre les mouvements de son corps mais également de profiter un peu de la vie environnante.

Vous haïssez la vie qui nous entoure, fit remarquer Esteban qui savait que ce ressenti ne venait pas de lui. Pourquoi pas nous téléporter directement à notre destination ?

- Pour ne pas gaspiller tes pouvoirs. Tu es moins que débutant. Tu as encore très peu de magie.

Esteban ne fut pas en mesure de continuer à poser des questions car un hurlement le fit sursauter. Enfin, il aurait eu le réflexe de sursauter s'il avait été au contrôle de son corps. Sauf que ne l'ayant pas, cette volonté ne lui apporta que de la douleur.

- Maîtrise-toi, et ça n'arrivera plus, promit le dieu.

Esteban reconnut un village de batraciens.

Vous allez l’refaire ? Pourquoi ?

- Un seul croyant ne suffit pas. Je dois en recruter beaucoup. La femelle du village précédent passera pour une folle quand elle racontera son histoire… sauf si d'autres personnes confirment ses dires. Alors le recrutement sera facile et rapide.

Esteban fut le témoin impuissant de la mort de milliers de grenouilles innocentes. Le dieu procédait toujours de la même manière. Esteban finit par trouver cela lassant. Voir ces créatures mourir ne le toucha rapidement plus.

Il venait de quitter le cinquante-deuxième village – pour s'occuper, Esteban comptait les villages, les morts ainsi que les croyants – lorsqu'une pensée le traversa. Comme d'habitude, le dieu avait réduit en cendres le village après avoir tué certains habitants, non sans les avoir fait souffrir au préalable.

Vous avez dit que j’suis débutant et pourtant, avec mes pouvoirs, vous êtes en mesure de tuer des milliers de gens et d’réduire plusieurs dizaines de villages en cendres.

- Ne sois pas ridicule ! Tes pouvoirs ne sont pas la cause de toute cette destruction.

Esteban resta un instant muet, tentant d'assembler tout ce que le dieu lui avait dit.

Vous avez besoin d'un avatar pour arpenter l’monde des vivants mais une fois que c'est fait, vous pouvez utiliser vos pouvoirs sans limite. Pourquoi avez-vous besoin qu’votre avatar soit un puissant magicien en ce cas ?

- D'abord parce que si tu n'étais pas magicien, tu serais mort. La possession tue l'avatar très rapidement. J'utilise ta magie pour te guérir. Comme tu le sais, si l'avatar se laisse faire, la mort est plus lente et donc, il souffre moins.

Esteban frémit et la souffrance répondit.

- Difficile de perdre le contrôle de son corps, hein ? Ne t'inquiète pas. Ça viendra en son temps.

Quelle est l'autre raison pour laquelle vous avez besoin d'un avatar puissant ?

- Une autre raison est que si un autre dieu a lui aussi un avatar et décide de venir m'attaquer, le plus puissant gagnera le combat alors…

Vous pouvez utiliser vos propres pouvoirs. En quoi les miens sont-ils importants ?

Le dieu ne prit aucunement ombrage du fait que son avatar lui ait coupé la parole. Esteban ne ressentit ni animosité, ni amertume. Il sentit seulement que le dieu se contenait.

Vous faites preuve d'une patience incroyable envers moi. Pourquoi ? interrogea Esteban.

- Tu poses quinze questions à la fois. J'ai à peine fini de répondre à la première que tu m'en poses quinze de plus. Tais-toi donc un peu.

Esteban fit la moue – et en souffrit – mais se tut.

- Quand je réduis un village en cendres, j'utilise tes pouvoirs pour lancer une routine que j'ai créée au préalable.

Une routine ? répéta Esteban avant de se rendre compte qu'il venait de poser une nouvelle question sans avoir attendu la fin de la réponse à sa précédente.

- Si tu avais été dans une école de magie, ça aurait été plus simple pour moi car tu saurais ce qu'est une routine et comment ça fonctionne.

En quoi l’fait que j’sache ce que c'est est important puisque c'est vous qui vous servez d’mes pouvoirs ?

Esteban se sentit las et amusé en même temps. Cela ne venait pas de lui mais du dieu. Son avatar venait encore de poser une question.

Pardon. Je… J’vais essayer de m’taire et d’vous écouter.

- Il y a deux grandes sortes de sorts. Tout d'abord, les sorts directs. Pour modeler la magie sur le moment, il faut énormément d'énergie ainsi qu'une grande concentration. C'est cette magie que j'utilise quand je fais souffrir et que je tue un à un les habitants de ce monde. J'utilise tes pouvoirs pour le faire. C'est facile pour moi parce que tu l'as déjà fait. Ton corps sait ce que je fais. Il comprend. L'exécution est plus aisée. Rien ne s'oppose à moi parce que ton esprit sait que ce que je fais n'est pas dangereux pour lui.

Le dieu se tut mais Esteban conservant le silence, il continua, non sans féliciter silencieusement son avatar, qui apprécia.

- Ensuite, il y a les routines. Créer une routine prend du temps. Il s'agit de modeler la magie à l'avance. On prend son temps, on utilise de la magie, mais sur du long terme. On a accès à davantage de magie puisqu'on peut en mettre régulièrement sur une période aussi longue qu'on veut. Le sort est également plus complexe car on a le temps d'organiser la magie à notre goût. On ne réalise pas une routine pour un sort de base. Cela demanderait beaucoup de temps pour rien puisqu'une routine est complexe à créer. Ceci dit, dans mon cas, la création n'a été ni longue, ni difficile, puisque je suis un dieu. Là, je t'explique surtout comment ça marche chez un magicien classique. Bref… une fois le sort terminé, il faut l'ancrer. Dans le cas présent, je l'ai ancré sur toi.

Vous voulez dire qu’vous avez créé un sort en utilisant les pouvoirs à votre disposition, ceux d'un dieu, puis vous l'avez lié à moi ?

- On peut ancrer sur n'importe quoi, précisa le dieu. Un être vivant mais également une chose, peu importe. Ceci dit, ancrer est un pouvoir. Donc, le point de fixation doit se trouver dans une zone où on a du pouvoir. Tu te trouvais dans mon royaume alors tu étais disponible.

Un dieu peut pas ancrer d’sort sur un monde où il a pas de partisan, comprit Esteban.

- Non, non, c'est pire que ça. Un dieu ne peut pas ancrer un sort sur quoi que ce soit qui ne se trouve pas dans son royaume. Pour ancrer un sort sur un monde réel, il lui faut un avatar. De préférence un qui sache ancrer un sort. Un magicien confirmé, par exemple.

J’suis pas un super avatar, maugréa Esteban.

- Tu apprendras. Tu verras. Tu te sentiras mieux quand tu sauras utiliser la magie parce que les sorts que je te ferai lancer te sembleront naturel.

Vous comptez m'apprendre ?

- Moi, personnellement, non. Mais je ferai en sorte que tu apprennes, oui.

Vous allez m'envoyer dans une école de magie ? s'enthousiasma Esteban.

- Je ne peux pas te laisser libre dans un monde. Le risque qu'un autre dieu s'empare de toi est trop grand, rappela le dieu.

La déception d'Esteban fut immense.

- Une fois le sort ancré, il faut déterminer une condition de lancement et une condition d'arrêt. Dans le cas présent, une simple étincelle de magie lance le sort ou l'arrête.

J'ai, lié à moi, un sort d'une puissance extraordinaire qu'une simple étincelle de magie suffit à activer, comprit Esteban.

- Dommage que tu ne puisses pas le lancer à volonté, n'est-ce-pas ?

Esteban se sentit humilié par cette simple remarque. Il était surpuissant. Il disposait littéralement des pouvoirs d'un dieu mais ne serait jamais en mesure de les utiliser.

Ceci dit, j'ai guère envie d’réduire en cendres des villages.

- Ce ne sont pas les seules routines que j'ai créées et je compte bien en faire d'autres. Entre autre, un dôme protecteur t'entoure. Ceci dit, il n'est pas parfait. Je l'améliorerai.

Esteban ne sentait pas la présence du dôme. Pendant la discussion, deux autres villages avaient été détruits et nul batracien ne fut épargné.

Quatre mille deux cent vingt-trois morts plus tard, Esteban se retrouva dans le jardin. Il se sentait faible.

- Tu dois apprendre à te téléporter. Tu perds davantage d'énergie à une téléportation qu'à tuer mille personnes !

Vous pouvez pas créer une routine pour ça ?

- Une routine est un sort précis. Si je créais une routine, le point de départ de la téléportation et son point d'arrivée ne pourraient jamais changer.

Créez les routines sur place, proposa Esteban.

- Je ne peux pas, quand je suis en toi, utiliser mes pouvoirs personnels. Uniquement les tiens.

Créez les routines à l'avance, continua Esteban.

- Je ne peux pas prévoir l'endroit où nous serons quand ta fatigue me forcera à te ramener ici. Or, une routine de téléportation nécessite un lieu très précis. Non, tu dois apprendre à te téléporter. Et puis, gaspiller du temps et de l'énergie pour un sort aussi basique est inutile. Tu vas apprendre et c'est tout.

Esteban sentit qu'il n'avait pas son mot à dire. Toujours sous le contrôle du dieu, il se rendit dans une pièce de la villa. Cet endroit n'existait pas à la dernière venue du garçon. C'était sûr car jamais Esteban n'aurait demandé une bibliothèque.

C'est là qu'il reprit le contrôle de son corps. Il regarda autour de lui et sentit la présence du dieu maléfique s'estomper. Il était parti créer de nouvelles routines. Esteban se sut seul pour un petit moment. Il ne comptait pas le moins du monde passer son temps libre dans une bibliothèque. Il se dirigea vers la porte… qui s'avéra être fermée à clef et Esteban eut beau demander qu'elle s'ouvre, rien ne se produisit. Il n'avait pas la moindre idée de la manière d'utiliser ses pouvoirs pour ouvrir les portes closes.

Il se retourna vers la table, en plein centre de la bibliothèque, sur laquelle se trouvait un livre. Il s'approcha, s'en saisit et déchiffra le titre : La magie pour les nuls.

- Super ! Ça, c'est drôle ! Merci ! ironisa-t-il à voix haute.

Il jeta le livre, dégoûté.

- C'est naze, continua-t-il. Déjà que j'ai jamais aimé aller à l'école mais apprendre uniquement dans un livre… N'importe quoi. J'ai besoin d'un prof, d'un vrai. Vous avez qu'à faire venir un maître en magie puisque vous avez pas envie d’le faire vous-même.

Esteban se souvint que le dieu de la mort avait toutes les peines du monde à permettre à un être vivant d'être présent dans son royaume. L'imaginer y amener un maître en magie était stupide.

- Ok, alors, j’veux un hologramme, créé par un programme informatique ayant les connaissances contenues dans cette bibliothèque. Un truc interactif, avec lequel j’puisse discuter et qui puisse me répondre.

L'objet demandé apparu. Le professeur était un vieux monsieur avec une longue barbe blanche.

- Dumbledore ? Sans rire ! s'exclama Esteban en reconnaissant le directeur de l'école de magie du film Harry Potter.

Il allait se moquer du dieu lorsqu'il se souvint que cet endroit puisait dans son esprit ce qu'il voulait. C'était Esteban qui avait imaginé le maître en magie ainsi. S'il voulait se moquer, son inconscient pouvait être la seule cible.

- On s’croirait dans Stargate, dit Esteban en passant sa main à travers l'hologramme. C'est trop cool.

Dumbledore se tourna vers lui, attendant qu'on l'interroge.

- J’voudrais savoir comment utiliser mes pouvoirs pour ouvrir une porte fermée à clef, annonça Esteban, très fier de lui.

- C'est impossible tant que tu ne maîtrises pas la base. Nous allons tout reprendre depuis le début.

- Non, non, répéta Esteban. J’veux juste apprendre à ouvrir une porte.

- C'est impossible tant que tu ne maîtrises pas la base. Nous allons tout reprendre depuis le début.

- Écoute-moi bien, vieux machin. Tu vas faire c’que j’te demande. J’veux apprendre à ouvrir une porte.

- C'est impossible tant que tu ne maîtrises pas la base. Nous allons tout reprendre depuis le début.

- Saleté d’machine de merde, s'énerva Esteban avant d'aller prendre le livre qu'il avait jeté et de rechercher dans le sommaire comment ouvrir une porte.

Il trouva rapidement. La page correspondante contenait énormément d'informations, apparemment très détaillées. Esteban plissa les yeux et commença à déchiffrer.

- Pour… ouvrir… une porte. Com… Commencez… par lancer le sort… d'an… crage.

- Tu ne sais pas lire ? interrogea Dumbledore.

- J’sais lire, répliqua Esteban, vexé. C'est juste difficile. J'ai jamais… vraiment écouté à l'école. Et alors ?

- Alors ça risque d'être plus long pour toi de lire cette page et de la comprendre que de m'écouter et de suivre mes conseils.

- J’veux uniquement ouvrir une porte. Pourquoi vous voulez pas me l'apprendre directement ?

- Parce que c'est impossible tant que tu ne maîtrises pas la base. Il faut tout reprendre depuis le début.

- T’sais dire que ça, toi ! Ok, vieux débris, t'as gagné, maugréa Esteban en jetant une nouvelle fois le livre. J’t’écoute.

Une dizaine d'heures furent nécessaires pour qu'Esteban puisse enfin sortir. Il rejoignit immédiatement la salle de jeux vidéo et s'amusa sans s'arrêter jusqu'à ce qu'une sensation de mal-être, au fond de son ventre, le prévienne de la proximité du dieu de la mort, de la souffrance et de la destruction. Il se détendit et se prépara à la possession. Celle-ci fut douloureuse mais moins que d'habitude.

Esteban se téléporta dans un autre monde – du moins le supposait-il – car là vivaient des créatures éthérées, sans réalité physique. Esteban ne pouvait vivre dans ce monde sans oxygène que grâce à sa magie et cela lui en prenait beaucoup. La créature disparut sans qu'Esteban l'ait entendue crier. Il sut qu'elle avait souffert puis qu'elle était morte au contentement du dieu mais ce fut tout.

Ils revinrent rapidement car cette forte utilisation de magie avait exténué Esteban.

- Pas de routine pour ça ? demanda-t-il une fois libre.

Il s'écroula avant d'avoir eu une réponse.

Un chant d'oiseau près de lui l'éveilla. Il n'y avait pas d'oiseau, juste son chant, mais il était très beau. Le garçon était étendu dans un lit, au beau milieu d'une forêt aux arbres majestueux. Cela ressemblait à la forêt amazonienne, sans l'humidité et la chaleur étouffante, sans les araignées gigantesques, les moustiques et les serpents… mais également sans les splendides papillons, les oiseaux multicolores, les fruits juteux. Esteban se leva. Il se sentait bien, reposé. Il se rendit dans la bibliothèque, où l'attendait l'hologramme.

- J'ai pas dormi depuis des jours, ni mangé d'ailleurs. Pas depuis que j'ai été possédé. Comment se fait-il que tout d'un coup, j'ai eu sommeil ?

- La magie réclame beaucoup d'énergie. Le dieu de la mort ne peut pas indéfiniment te priver de tes besoins fondamentaux. Il doit obéir à certaines règles imposées par la vie. Parfois, il te faudra dormir… peut-être même manger. Il repousse l'échéance pour pouvoir davantage se servir de toi mais à un moment ou à un autre, la vie exigera son dû.

- J'ai pas faim.

- Ce besoin est plus facile à éliminer que le sommeil. Un jour, peut-être, tu n'auras plus besoin de dormir. Plus tes pouvoirs augmenteront et plus ça sera le cas. En parlant de ça, leçon suivante, annonça Dumbledore.

- Non, merci, répondit Esteban. J’vais aller jouer.

La porte de la bibliothèque étant de nouveau close, Esteban dut utiliser le sort appris la veille pour l'ouvrir. Il lança un regard vainqueur à Dumbledore avant de… se prendre un mur en pleine tête. La porte n'ouvrait que sur de la brique.

- Ce mur est incassable. La seule façon de passer est d'y créer une porte, lui apprit Dumbledore. Ce qui est le but ultime de la leçon d'aujourd'hui.

Esteban était dégoûté. Il se tourna vers l'hologramme et écouta la leçon, sans perdre sa mauvaise humeur. Lorsqu'il put enfin se rendre dans la salle vidéo, il demanda à regarder des dessins animés et fut exaucé.

 

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Le temps passa. Les jours se ressemblaient. Les mondes moins mais Esteban finit par s'y faire. Les créatures étaient étranges, différentes et à la fois semblables. Parfois, elles ne correspondaient pas le moins du monde à la définition du vivant tel qu'il se l'imaginait.

Le garçon apprit la magie et constata que le dieu n'avait pas menti : la possession fut plus agréable. Un jour, la seule manière de sortir de la pièce fut de se téléporter en dehors. Ce fut difficile mais finalement, Esteban y parvint.

Une fois sorti de la bibliothèque, il se rendit en marchant à la salle vidéo avant de se stopper. Il se concentra et tenta de se téléporter chez lui, sur son monde. Ses pouvoirs se heurtèrent à un véritable mur. Esteban réessaya, sans plus de succès. Il eut l'impression d'entendre un rire. On se moquait de lui. Esteban ravala sa rage. Son geôlier n'était pas stupide. Il ne comptait pas lui donner un pouvoir lui permettant de lui échapper.

Quelques heures plus tard, Esteban perdait le contrôle de son corps.

- Tu me croyais vraiment idiot à ce point ? interrogea le dieu.

J'avais espéré…

- Espéré quoi ? Si tu étais retourné sur ton monde, il m'aurait suffi d'y retourner et de reprendre possession de ton corps avant de te ramener ici.

Esteban sut qu'il ne pourrait jamais s'échapper. Il serait prisonnier, jusqu'à… Le garçon comprit à ce moment-là que la seule échappatoire serait la mort.

- Je ne te laisserai pas te suicider non plus, assura le dieu.

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Honey41
Posté le 07/10/2023
que va-t-il advenir d'Esteban ? va-t-il réussir à échapper à la possession avec l'aide de Lise ? ces deux-là vont-ils se rencontrer un jour ?
quel est le but véritable du Dieu ?
Nathalie
Posté le 07/10/2023
Merci de me partager tes questionnements. Cela me permet de suivre les pensées de mes lecteurs et de savoir si je les amène où je veux et si je dois changer des trucs.

Bonne lecture !
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