Charlie ne s’était jamais sentie si heureuse de retrouver les bancs de l’Université.
Elle avait tenté de profiter du week-end en retrouvant Gwen, sa plus proche amie, mais comme toujours celle-ci n’avait pas pu s’empêcher de lui faire part de ses hypothèses quant à l’appel de l’Elu.
Les deux jeunes filles se connaissaient depuis l’école primaire et se trouvaient séparées pour la première fois. Bien que n’ayant pas démérité, il aurait fallu que Gwen décroche une bourse d’étude tant convoitée pour espérer suivre Charlie. Sans surprise, elle avait essuyé un refus et s’était inscrite dans un des établissements de la capitale.
Aucune des deux ne parlait jamais ouvertement du coup de piston évident dont Charlie avait bénéficié, la propulsant d’élève moyenne à étudiante dans une des Universités les plus convoitées du monde.
Gwen était incollable au sujet de la prophétie des Henley. En grande admiratrice d’ouvrages de littérature fantastique, elle avait une imagination débordante et s’était immédiatement passionnée pour les récits familiaux de Charlie. Il s’agissait là d’un sujet de dispute récurrent entre les deux amies. L’une cherchait à glaner de nouvelles informations et l’autre, à l’inverse, faisait tout son possible pour éviter d’en parler.
Ce week-end là ne fit pas exception et elles se quittèrent sur des mots que ni l’une ni l’autre ne pensaient.
En deux jour, Charlie s’était mis à dos les deux tiers de sa famille ainsi que sa meilleure amie.
— Triste record, pensa-t-elle.
Elle était rentrée tard la veille et en ce lundi matin, il ne s’agissait pas d’améliorer sa cote de popularité. Elle décida de se lever à l’aube dans l’espoir de ne pas croiser ses colocataires et, à peine sortie de la salle de bain, elle se rua vers la bibliothèque.
Ce n’était habituellement pas le lieu dans lequel il fallait aller si on voulait être seul. Avec ses milliers d’ouvrages et ses centaines de places assises, ce site de la bibliothèque de l’Université était également une attraction touristique très prisée. Charlie avait donc pris l’habitude de s’y rendre dès l’ouverture et appréciait profiter de ses moments de quiétude dans ce bâtiment historique.
Elle aimait se promener dans les longues allées tapissées de dos anciens et s’amusait toujours à en choisir un au hasard. Malgré l’inconfort évident du mobilier, elle s’installait au pupitre le plus proche et avalait avec gourmandise ces sucreries calligraphiées.
Alors qu’elle flânait dans la section scientifique, un ouvrage attira son attention. Il se différenciait des autres par sa taille similaire à celle d’un livre de poche et ne comportait ni titre ni nom d’auteur. Son corps de cuir ébène semblait avoir traversé les siècles et sa tranche de tête était jaunie.
En l’attrapant, Charlie sentit l’excitation qui l’animait chaque fois qu’elle entamait une lecture passionnante. Avant même de découvrir sa couverture, elle savait que ce livre la captiverait.
La lueur qui brilla soudainement sur la première de couverture la fit sursauter. Prise par surprise, elle abandonna l’ouvrage qui s’écrasa au sol et interrompit le silence de mort qui régnait dans le bâtiment.
Si un des employés de la bibliothèque la surprenait, elle serait très certainement bannie des lieux sans autre forme de procès.
Elle se pencha en direction de l’objet et remarqua que la couverture se parait d’une pierre couleur rubis. Elle faisait la taille de deux poings et était taillée en oval de sorte à recouvrir la quasi totalité de la surface.
Charlie se dit qu’il s’agissait encore d’une mauvaise blague de son esprit, conditionné à voir la magie apparaître en toute circonstance. Ce n’était pas la première fois qu’un évènement pouvant être qualifié d’inexplicable dans un premier temps, trouvait une explication dans un second temps. Encore fallait-il la chercher !
Charlie n’eut pas de mal à se convaincre qu’il s’agissait simplement des rayons du soleil qui se frayaient un chemin à travers les meurtrières en direction de la pierre.
En secouant la tête comme pour se réveiller d’un mauvais rêve, elle attrapa à nouveau l’ouvrage et plongea son regard dans le rubis. Pendant une seconde, elle vit son propre reflet qui s’estompa rapidement à la faveur d’un éclair de lumière aveuglant teinté de pourpre. En hâte, elle plaqua l’objet contre sa poitrine de façon a étouffer la lumière et retourna à son pupitre. D’un geste rapide et discret, elle l’ouvrit et le feuilleta avec attention.
La page de garde débordait de noms suivis de prénoms, alignés les uns après les autres puis les uns au dessus des autres. Certains étaient partiellement effacés par le temps, d’autres barrés ou encore soulignés. Charlie pensa qu’il s’agissait des différents propriétaires ou, de la même façon qu’en bibliothèque, de l’identité des emprunteurs du livre. La page de titre n’était qu’une feuille à moitié détachée du tranchefile et laissait apparaître en transparence les écrits de la page suivante.
Le première moitié de l’ouvrage présentait une même construction : un titre calligraphié, une lettrine plus ou moins travaillée et enfin, un corps de texte noir écrit à la main, se concluant par ce qui semblait être des initiales. La seconde partie ne comportait que des feuilles blanches, à l’image d’une histoire inachevée.
Charlie pensa aux vieux bouquins de botanique que son grand-père avait présenté au dernier dîner. Celui qu’elle tenait entre les mains s’en différenciait par sa couverture extravagante mais elle se rappelait avoir également été surprise par leur corps dépourvu de toute information.
Elle décida de chasser toutes pensées qui pourraient parasiter sa lecture et revint aux prémices de l’ouvrage.
Le titre « Tempête de feu » ornait la première page et se distinguait des lignes de texte qui suivaient par son épaisse calligraphie. Il lui fallu se concentrer pour déchiffrer la suite qu’elle pensa d’abord être un poème.
« Puisse le feu envelopper de son brasier
L’objet de ma contrariété.
Puisse le vent l’aider à se propager,
Dans un souffle il brûlera à jamais. »
Un crépitement lui fit lever la tête. Elle n’arrivait pas à distinguer la provenance du son qui s’amplifiait un peu plus à mesure que les secondes passaient. Ce fut l’odeur de bois brûlé, semblable à celle d’un feu de cheminée, qui lui indiqua la direction.
La vieille étagère de livres sur laquelle reposait, il y a encore quelques minutes, l’ouvrage qu’elle avait entre les mains était en train de brûler, emportant avec elle tous ses locataires.
Charlie se leva d’un bond, le livre collé contre sa poitrine, mais resta figée sur place. Il lui était impossible de détacher les yeux de ce spectacle terrifiant.
Elle entendit des bruits de pas pressants.
— Qu’avez-vous fait ? lui adjura un homme qu’elle n’avait jamais vu.
— Au feu ! s’époumona-t-il.
Il eut à peine le temps de finir sa phrase qu’une bourrasque de vent les plaqua au sol avec une violence fulgurante. Incapable de se relever, elle pivota la tête à la recherche de l’homme qu’elle vit ramper vers elle. Il lui attrapa le col du sweat et la traina vers lui pour l’enlacer de ses bras.
De là où elle était, elle pouvait voir le feu s’étendre. Attisé par le souffle du vent, il avait déjà atteint une troisième étagère et leurs précieux ouvrages se transformaient peu à peu en cendres.
Irrémédiablement, la fumée les atteignit et son souffle se fit court. Il lui semblait que des éclats de verre s’étaient logés dans sa trachée et lui lacéraient la gorge à chaque inspiration. L’homme sembla lire dans ses pensées et la poussa à ramper vers l’entrée de la bibliothèque.
Chacun de ses mouvements, aussi brefs et saccadés étaient-ils, lui demandaient un effort considérable. Le livre toujours plaqué contre sa poitrine, elle avançait par la force de ses abdominaux et de l’un de ses bras.
Sentant la présence de l’homme à ses pieds, elle s’autorisa une courte pause pour tenter de reprendre ce souffle qui lui manquait cruellement.
A cet instant, un grondement grave se fit entendre. Elle pivota d’un quart de tour sur le sol brûlant et aperçut une des poutres de bois qui composait le plafond du bâtiment se diriger dangereusement vers elle. Vidée de toute énergie et à bout de souffle, elle ferma les yeux et se prépara à l’impact.
Un nouvelle fois, son sauveur fut plus rapide que les éléments et, par un mouvement désespéré, lui agrippa le pied et la tira vers lui. La lourde poutre enflammée s’écrasa dans un fracas assourdissant à quelques centimètres de son visage.
Ce fut à ce moment que le vent choisit d’apaiser sa colère. Le feu continuait de s’étendre dangereusement mais la pression qui pesait sur son corps n’était plus.
Contrairement à Charlie, l’homme ne réfléchit pas et se releva en une fraction de seconde. Il enroula ses bras sous les aisselles de l’étudiante et la souleva sans difficulté. Dans ce qui lui semblait être un rêve, elle se vit contourner la poutre puis courir main dans la main avec l’homme vers la lumière qui représentait leur échappatoire.
Une bouffée d’air frais envahit ses poumons à l’instant où ils sortaient du bâtiment. Haletante et éblouie par les rayons du soleil, elle chercha l’homme des yeux dans l’espoir de se blottir contre lui. Elle venait de vivre un cauchemars et il lui avait sauvé la vie.
Elle l’aperçut quelques mètres plus loin. Il se tenait accompagné d’une dame d’un âge avancé portant des lunettes en forme de demie-lune.
— Cette jeune fille a mis le feu à la bibliothèque, s’exclama-t-il en pointant Charlie du doigt.
Plus sérieusement, quelle incursion de la magie dans le monde de Charlie, et surtout, que de problèmes à venir. Je crois qu'on ne fait pas mieux qu'un bon petit incendie comme premier contact avec le monde du surnaturel. Reste à espérer que même si elle a été dénoncée, ça ne lui portera pas trop préjudice...
PS : c'est terrible mais à chaque fois que je lis le nom de ton héroïne, ça fait "Candy Mountain Charliiiiiie" dans ma tête. Internet m'a bousillé le cerveau xD
On ne sait pas encore comment fonctionne la magie à ce stade. Dans le prologue, Ezra parait marmonner le sort. Et il semblerait qu’ici, ce soit après lecture que ce malencontreux incendie se déclare. Du coup, faut-il prononcer une incantation pour y recourir ? Faut-il être spécifiquement « doté » pour que ça marche ? Mystère. Mais ça donne envie d’en découvrir plus ^^
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de lire ce troisième chapitres :)
cette fois j’ai été encore plus captivé par le récit. la longueur est parfaite, on est dedans de A à Z sans jamais perdre le fil, et les descriptions aident beaucoup.
j’ai comme l’impression qu’on entre enfin dans le feu (si j’ose dire !) de l’action, et ce n’est pas pour me déplaire ;)
bravo pour ce chapitre qui tient en haleine, je te laisse sur mes quelques suggestions :
« Elle faisait la taille de deux poings et était taillée en oval de sorte à recouvrir la quasi totalité de la surface »
j’aurais plutôt dit « de sorte qu’elle recouvrait », personnellement ! mais je suis pas sûr de mon coup, je trouve juste que ça sonne mieux
« — Triste record, pensa-t-elle »
le verbe « songe » est peut-être un peu plus riche et servirait mieux ton intérêt je pense, mais c’est toi qui vois.
autre remarque, plutôt sur le plan de la présentation cette fois : je serais pas revenu à la ligne et j’aurais pas mis le tiret. je pense que si tu colles ça au paragraphe précédent tout en gardant l’italique, on comprend très bien aussi !
sinon, pour le dernier monologue, je pense aussi que t’es pas obligée de faire deux tirets vu que c’est la même personne qui parle (après j’y connais rien, c’est juste un avis comme ça hihi)
bon courage pour la suite !!
Il est vrai que j’ai commencé à me « décoincer » à partir de ce chapitre. Je ne sais pas si la suite va être plus qualitative mais en tous je me suis découvert une passion pour les scènes d’action ahah.
Comme toujours, tu vises juste ! Je ne savais pas du tout comment formuler la pensée et encore moins le mini monologue. En le séparant en deux pensais imager le temps de pause entre les 2 mais tu as raison, c’est plus fluide et compréhensible en un seul tiret.
Merci encore, à très vite :)
et je vois ce que tu veux dire par "décoincer", c'est vrai ! même si ça implique que tu étais coincée avant, ce qui n'était manifestement pas le cas ;)
Je voulais aussi me sortir un peu du côté très enfantin qui ressort des premiers chapitres. J’espère que la transition n’est pas trop brutale...