Chapitre 30

Allongée sur sa paillasse, Lyne contemplait le plafond humide de sa cellule. C’était la première fois qu’elle se retrouvait du mauvais côté des barreaux, mais elle ne le regrettait pas. Du moins, elle regrettait de s’être fait attraper, pas les charges qu’on lui reprochait.

Elle avait essayé d’échapper aux soldats en les semant dans les champs du sud. Hélas, ils connaissaient mieux le terrain qu’elle et avaient profité de ses erreurs pour l’encercler. Une fois prise au piège par une dizaine de gardes elle n’avait plus eu d’autre choix que de se rendre. Elle se voyait déjà conduite devant Jarrett, avec qui un accident serait vite arrivé, lorsque plusieurs militaires avaient réclamé son arrestation pour le quartier est. Il s’en était suivi une violente dispute entre les cavaliers pour déterminer où irait la prisonnière, jusqu’à ce que l’une des combattantes de l’est rappelle que l’enquête qui la concernait était attribuée à la capitaine Morgane et que s’opposer à son transfert c’était s’opposer à elle. Le silence était retombé dans la plaine, puis ceux du secteur sud avaient maugrée quelques imprécations avant de retourner à leurs patrouilles. Soulagée de ne pas finir entre les mains d’un agent avéré de Mascarade, Lyne avait souri, au grand étonnement de ses nouveaux geôliers. Ils ne l’avaient toutefois pas interrogé, se contentant de l’emmener dans le sous-sol de leur forteresse principale. Elle y avait dormi d’un sommeil de plomb durant plusieurs heures, trop épuisée pour lutter contre la fatigue. Maintenant, elle se demandait si Soreth avait accompli leur mission et, accessoirement, comment elle allait sortir d’ici.

Des bruits de pas la tirèrent de ses réflexions, et elle se redressa sur son lit pour voir arriver deux gardes. La première portait un lourd gourdin, le second un seau fumant et un paquet de vêtements pliés.

— Voilà de quoi vous changer, déclara le soldat tandis que sa partenaire ouvrait la porte. La capitaine veut vous rencontrer.

Lyne les remercia d’un hochement de tête, elle avait bien besoin de se laver, et recula prudemment dans le fond de sa cellule pendant qu’ils entraient. Elle préférait avoir de l’espace s’ils tentaient de l’attaquer. Ils n’en firent toutefois rien, se contentant de poser l’eau et les affaires avant de ressortir promptement, l’air aussi inquiets qu’elle. La prétorienne éprouva une soudaine pointe de culpabilité, c’était elle qui avait agressé leur patrouille, et se força à les saluer poliment. Ils répondirent par un sourire gêné puis s’éloignèrent tandis qu’elle retirait son armure de cuir malodorante.

Les habits de laine grisâtres n’étaient pas particulièrement beaux, mais plus chauds et agréables que son gambison boueux et humide. Ce qui ne serait pas de trop pour faire face à Morgane. L’idée de rencontrer son héroïne d’enfance intimidait autant Lyne qu’elle l’enthousiasmait, mais elle n’en demeurait pas moins consciente que la capitaine risquait de travailler pour Mascarade. Dans ce cas, elle se préparait à la déception qui s’ensuivrait et à ce qu’elle devrait faire pour sortir de la forteresse en vie. Elle s’efforçait néanmoins de rester optimiste. Les gardes avaient évoqué un entretien, pas une exécution.

Peu de temps après que la prétorienne se soit changée, les soldats revinrent, lui enchaînèrent les poignets, et l’amenèrent dans une petite pièce sans fenêtres où une table ronde tenait compagnie à deux bancs de pierre. La capitaine du quartier est l’attendait sur l’un d’eux, les mains croisées et les sourcils froncés dans une position de mauvais augure. Elle était vêtue d’une épaisse cotte de mailles, sur laquelle était passé un tabard bleu et noir, ainsi que d’épaulières et d’avant-bras de plates. Ses cheveux sombres étaient coupés bien plus court que ceux de sa sœur, et leurs regards verts n’avaient en commun que la couleur. Là où les yeux d’Isyse se voulaient toujours amicaux, ceux de Morgane luisaient d’une honnêteté brute qui ne retiendrait ni compliments ni sarcasmes. Lyne les apprécia pour cela, mais ne put s’empêcher de frissonner en y lisant la suspicion qu’elle nourrissait à son égard. Ce n’était pas idéal pour une première rencontre.

La capitaine laissa ses soldats attacher leur prisonnière sans un mot, puis hocha la tête à leur intention et leur fit signe de sortir. Elle dévisagea ensuite la jeune femme et déclara froidement.

— Je n’aime pas que l’on se moque de moi. J’ai accepté de vous accorder le bénéfice du doute lorsque Harien s’est fait assassiner et que vous vous êtes retrouvée nez à nez avec son meurtrier. Seulement, plutôt que de faire profil bas, vous avez violé le couvre-feu, malmené les gardes qui vous ont vu, et kidnappé l’un de nos habitants. Cela fait beaucoup, même pour une Erellienne.

Elle marqua une pause pour plonger ses yeux dans ceux de la prétorienne et demanda.

— Qu’êtes-vous venu faire à Hauteroche, dame Lyne ?

La guerrière déglutit. Elle n’avait pas envie de mentir à quelqu’un qui avait autant risqué pour sa cité, et le ton de Morgane était on ne peut plus clair sur ce qu’elle pensait de la malhonnêteté. Hélas, elle ne lui laissait guère le choix.

— Je suis là pour protéger Son Altesse Soreth durant sa visite de soutien.

— Et n’est-il ici que pour apporter son appui ?

— Absolument. Vous avez toujours été de précieux alliés pour nous. La tragédie que vous vivez mérite notre déplacement.

La capitaine hocha la tête, semblant légèrement s’adoucir.

— Il est vrai que nous devons beaucoup à votre royaume. Sans vous Hauteroche ne serait qu’un avant-poste, ou, pire, une province d’Ostrate.

Elles échangèrent un sourire railleur, puis Lyne répondit aussi calmement qu’elle le pouvait.

— Cela ne risque pas d’arriver. Je suis sûr que l’Erellie continuera de vous soutenir tant qu’il le faudra.

— Tant mieux, je n’aimerais pas avoir à m’incliner devant leur impératrice. Le prince était-il avec vous lorsque vous avez rencontré notre patrouille ?

— Non, il dormait à l’ambassade.

Plus Lyne mentait et plus cela lui venait facilement. Rassurée par l’amélioration de l’humeur de la capitaine quand elles avaient évoqué Ostrate, elle espérait pouvoir l’apaiser, ou au moins détourner sa colère de Soreth et de l’Erellie. Celle qu’elle était quelques mois plus tôt n’aurait pas approuvé cette imposture, mais c’était avant Brevois, avant Mascarade.

— Donc, poursuivit Morgane en retrouvant subitement son impassibilité, vous n’avez pour ordre que de le protéger et pourtant vous lui avez faussé compagnie pour kidnapper un marchand.

Un rictus narquois se dessina sur ses lèvres.

— Auriez-vous trahi votre royaume, sergente ?

— Jamais !

Un bruit de chaîne ponctua la réponse indignée de Lyne, à demi dressée. Elle refusait d’être comparée à Solveg ou Jarrett. Elle ne vendrait pas les siens. Hélas, le sourire de son interlocutrice lui indiqua qu’elle venait de le faire.

— Merde, commenta-t-elle en se rasseyant.

— Vous ne devriez pas le prendre comme cela. Il paraît que la vérité est libératrice.

— Allez vous jeter dans le Limes ! Vous n’obtiendrez plus rien de moi.

Les lèvres de Morgane se retroussèrent, puis elle se leva en ajoutant.

— C’est une bonne chose que je n’ai pas besoin de plus alors.

Elle se dirigea vers la porte et l’entrouvrit pour interpeller les gardes.

— Vous pouvez aller le chercher.

Il y eut un claquement de talons suivi d’un bruit de course, puis la capitaine revint s’asseoir.

— Ne vous inquiétez pas. Vous vous faites tous avoir comme ça. Au début vous êtes persuadés que vous ne parlerez pas, que vous n’êtes pas assez bête. Puis vous vous retrouvez à raconter sa vie, sans trop comprendre comment.

Lyne croisa les bras, muette comme une tombe. Elle était curieuse de savoir qui son interlocutrice avait mandé, mais refusait de le demander. Elle s’en voulait assez de sa gaffe et, plus encore, de son admiration grandissante pour l’héroïne. Charismatique, rusée, sûre d’elle, elle était telle que la prétorienne l’avait imaginée. Il ne lui restait qu’à espérer qu’elle soit honnête, sans quoi Hauteroche était perdue, et elle avec.


 

Les deux militaires se jaugèrent durant un long moment, Morgane soutenant le regard de Lyne tandis que celle-ci essayait de déterminer si ses questions en faisaient une alliée de Mascarade ou de la cité, puis la porte de la pièce grinça pour laisser entrer Soreth.

En plus de s’être nettoyé et débarrassé de son armure, le prince avait revêtu une veste noire aux broderies argentées, sur laquelle étaient représentés à la fois le Kraken erellien et le vieux chêne des seigneurs de Lonvois. Sa partenaire se serait normalement moquée d’autant d’esbroufe, mais, dans la situation actuelle, elle s’en sentit rassurée. Le prétorien referma la porte derrière lui, puis s’approcha en adressant un sourire agacé à Morgane.

— Merci d’enfin daigner me recevoir.

— Bonjour, Votre Altesse, le salua celle-ci sans se lever. Je m’excuse pour l’attente, mais votre protectrice et moi n’en avions pas fini.

— Êtes-vous satisfaite maintenant ?

— Plus ou moins. Cela sera encore mieux lorsque vous aurez répondu à mes questions.

Soreth acquiesça, s’assit à côté de son amie et, ignorant Morgane, demanda avec inquiétude.

— Comment vas-tu ?

— Pas trop mal. Ils m’ont laissé me reposer et m’ont donné des vêtements propres.

Un sourire traversa le visage du prince, et Lyne eut toutes les peines du monde à ne pas le lui rendre. Elle était toujours prisonnière, mais les choses semblaient moins sombres maintenant qu’ils étaient réunis.

— Penses-tu que nous puissions lui faire confiance ? continua son partenaire sans prêter attention au regard de plus en plus furieux de la capitaine.

— Je crois. Elle essaye moins de savoir où nous en sommes que de comprendre si nous sommes coupables de quelque chose. À mon avis, elle veut faire son travail mais n’a aucune idée de ce qu’il se passe.

Cette fois contrariée, Morgane fronça les sourcils et ouvrit la bouche pour protester. Elle la referma toutefois sans un mot lorsque Soreth se tourna vers elle et déclara.

— Comme Lyne vous fait confiance, je vais en faire de même. Si vous la libérez, nous vous remettrons le marchand Rampegral, ainsi que les livres de comptes dans lesquels sont répertoriées les transactions illégales qu’il a effectuées pour Mascarade. Notamment la vente du poison qui a servi à tuer le conseiller Harien.

D’énervé, le visage de la capitaine passa à curieux et intéressé pendant la tirade, avant de s’arrêter sur surpris lorsque le pseudonyme de leur ennemi fut prononcé.

— Mascarade ? Qu’est-ce que cette ordure à a voir avec tout cela ?

— Nos troupes le poursuivent depuis des semaines, expliqua Lyne, confortée par la colère qu’elle lisait chez son interlocutrice. Au début c’était pour la destruction d’un village dans les monts d’Argents, mais les choses se sont compliquées. Comment le connaissez-vous ?

Morgane esquissa un demi-sourire.

— Vos espions m’ont prévenue de son arrivée il y a longtemps. J’ai eu quelques doutes, mais j’ai fini par trouver mes propres preuves. Je ne vois toutefois pas ce qu’il ferait dans un hameau et encore moins de l’assassinat d’Harien. Le chaos que tout cela provoque, il n’en tirera rien.

— Nous ne comprenons pas tout non plus, reprit Soreth, mais il a utilisé le village pour s’enrichir, et il est certain que son prochain objectif réside à l’intérieur de vos murs. Il prévoit d’attaquer la ville.

— C’est impossible ! Cela serait…

— Lorsque vous regarderez les livres de comptes de Rampegral, vous constaterez qu’il a déjà exporté de quoi équiper une petite armée. Celle-ci est regroupée dans les montagnes, sous le commandement de la brigande Joyce. Vous devez avoir entendu parler d’elle.

Le silence retomba un instant, puis Morgane fronça les sourcils en réfléchissant.

— D’accord, mettons que vous ayez raison. L’idée d’une armée de bandits ne me plaît pas, mais nous avons résisté à l’empire. Ils ne franchiront jamais nos murailles.

— Le danger n’est pas que cette armée, acquiesça Lyne sans savoir comment la capitaine réagirait à la prochaine information, mais ceux qui la feront entrer. Jarrett et Solveg travaillent pour lui. Ils ne sont probablement pas les seuls.

La prétorienne s’attendait à une explosion de fureur chez son interlocutrice, mais la colère froide qui brilla dans ses yeux lui glaça plus le sang que n’importe quel éclat de voix.

— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?

Son ton était aussi tranchant qu’un sabre et la question sans équivoque. Si les Erelliens se jouaient d’elle, ils le regretteraient. Loin de se laisser décontenancer, Soreth sortit un morceau de papier de sa poche.

— Nous disposons de cette missive que Solveg a adressée à Rampegral. Elle semble travailler contre son gré, mais le danger n’en est pas moins réel. Quant à Jarrett, il faudra nous faire confiance. Vous avez capturé Lyne alors qu’elle le pistait, juste après l’avoir vu inspecter les troupes ennemies.

Morgane attrapa le pli et le parcourut d’un regard impassible. Du moins, jusqu’à ce que ses yeux se posent sur la signature qui l’accompagnait et qu’un juron silencieux se forme sur ses lèvres. Elle replia alors le papier, le rangea dans sa bourse, et sortit une clef qu’elle tendit à la garde royale.

— J’accepte votre marché. Je me porterai garante de vous et j’oublierai les charges que nous avons à votre encontre.

Lyne acquiesça avec soulagement, la discussion se déroulait mieux qu’elle ne l’espérait, et se débarrassa de ses fers sous le regard satisfait de Soreth. Elle gardait une certaine réserve vis-à-vis de son héroïne, la méfiance de son partenaire était contagieuse, mais Morgane serait un atout incomparable pour les aider à protéger Hauteroche.


 

Quand les chaînes eurent disparu sous la table, la capitaine récupéra sa clef et reprit.

— Harien a demandé à me rencontrer la veille de sa mort. Il m’a dit qu’il avait des informations importantes au sujet des autres capitaines. Je pense qu’il a été éliminé pour cela, mais je croyais qu’il voulait me prévenir de tentatives d’assassinats ou d’attaques, pas d’une trahison.

Le cœur de Lyne se serra, il était facile d’imaginer la détresse du marchand, seul devant la conspiration.

— Pourriez-vous porter cette affaire devant le conseil ?

— Non, il n’est plus qu’une parodie de ce qu’il a été. Les votes et les propos ne coïncident pas. Je ne comprends rien à ce qu’il s’y trame. Nous n’aurions dû accepter ni les récents recrutements ni la répression de Jarrett, mais tous sont passés à une faible majorité. Si je dénonce quoi que ce soit et que Mascarade a plus de voix, ou que l’on doute de moi, je n’obtiendrai rien de plus qu’une prime sur ma tête.

Morgane marqua une pause pour dévisager tour à tour ses interlocuteurs, puis grimaça avant de déclarer.

— Je n’aime pas cela, mais il semblerait que, pour une fois, la manière de faire des Erelliens soit la meilleure. Nous ne gagnerons pas en nous battant dans la lumière. Pas pour le moment en tout cas. Savez-vous si nous pouvons compter sur Tolvan et Yllan ?

— Nous n’avons rien trouvé pour les incriminer ou les innocenter, répondit Soreth. Pour l’instant, il serait plus sage de les considérer comme des ennemis. À l’instar des autres conseillers et, au moins, des militaires que vous venez de recruter.

— Cela ne nous laisse pas beaucoup d’alliés…

La capitaine soupira tandis que chacun réfléchissait à ce qu’il pouvait faire, puis elle reprit.

— Nous devrions commencer nos investigations par Solveg. Si elle n’apprécie pas Mascarade, elle sera plus simple à faire plier. Ma seule crainte, c’est qu’elle se méfie si je la convoque après vous avoir parlé.

— Dans ce cas, proposa Soreth, il se trouve que j’ai justement une discussion à terminer avec elle. Je devrais pouvoir l’amener dans mon bureau sans difficulté.

— Ce n’est pas prudent, Votre Altesse. C’est une capitaine de Hauteroche. Elle pourrait être dangereuse si elle se sent acculée.

Un sourire traversa le visage du prétorien, et il abandonna le sérieux dont il faisait jusqu’alors preuve pour retrouver son extravagance coutumière.

— Je suis sûr qu’il ne m’arrivera rien. Vous serez là avec Lyne. On ne peut rêver de meilleures gardes du corps.

En voyant Morgane froncer les sourcils, incapable de savoir si son interlocuteur était inconscient ou se moquait d’elle, Lyne eut du mal à se retenir de rire. Elle comprenait la capitaine, et s’inquiétait elle aussi pour son ami, mais il était impossible de trouver un appât plus à même de se défendre dans toute la ville.

— Son Altesse a été formé à l’escrime par Ecyne, plaida-t-elle en faveur du prince, en cas de danger il devrait pouvoir se débrouiller jusqu’à ce que nous intervenions.

— Vous ne devriez pas l’encourager, Lyne, vous êtes chargée de le protéger. Enfin, si vous le souhaitez tous les deux vraiment…

Morgane laissa planer un long silence pour permettre à ses interlocuteurs de se rétracter, puis leva les yeux au ciel lorsqu’elle comprit qu’ils ne le feraient pas et ajouta d’un ton qui n’était pas exactement un reproche.

— J’avais oublié à quel point les Erelliens étaient butés.

Hochant la tête d’un air satisfait, et ignorant toujours royalement les inquiétudes de la militaire, Soreth sortit un second papier de sa poche et le fit glisser vers elle.

— Nous soupçonnons cette échoppe d’être une cachette de Mascarade. Si vous disposez de troupes de confiance, elles pourraient s’y rendre utiles.

La capitaine acquiesça et rangea l’adresse à côté de la missive de Solveg.

— Je vais aller m’occuper de votre libération de ce pas, Lyne. Vous êtes clairement plus profitable à Hauteroche dans ses rues que dans ses cellules. Évitez juste de frapper à nouveau mes soldats. Je vais en avoir besoin.

La prétorienne baissa les yeux en sentant la chaleur lui monter aux joues.

— Je suis désolé… nous n’étions pas sûrs de votre allégeance et…

— Bah, l’interrompit Morgane avec un fin sourire sur les lèvres, les jeunes recrues sont souvent imprudentes. Cela leur servira de leçon. Je préfère qu’elles se fassent rosser que tuer.

Concluant là leur conversation, la capitaine quitta la pièce en les priant d’attendre son retour. Ce fut l’occasion pour Lyne de raconter sa cavalcade à Soreth, tandis que celui-ci évoquait l’herboristerie à laquelle l’avait amené Jarrett. L’apparition chez son ami de symptômes similaire à ceux de Brevois inquiéta la prétorienne, mais l’arrivée de Morgane ne lui permit pas d’approfondir le sujet. Chargée d’un sauf-conduit et des possessions de Lyne, celle-ci les raccompagna à la porte de la caserne en les enjoignant à se montrer prudent puis retourna à ses occupations, abandonnant derrière elle une garde royale encore ahurie d’avoir rencontré son héroïne et un prince qui ne manquerait pas de la taquiner à ce sujet.


 

Le soleil disparaissait derrière la muraille ouest lorsque les prétoriens atteignirent l’ambassade. Pressée de manger un vrai repas et de retrouver son lit, Lyne découvrit avec peu d’enthousiasme que Trisron les attendait dans le grand hall. Elle supporta néanmoins patiemment son interrogatoire, elle n’avait pas la force de se battre, puis laissa Soreth résumer leur alliance avec la capitaine Morgane, sans toutefois évoquer Mascarade. Le diplomate leur expliqua ensuite que, tirant quelques ficelles et rappelant certaines faveurs, il avait réussi à ce que les nations voisines enterrent l’histoire. Cela lui valut un sourire de la prétorienne, soulagée de savoir que son erreur n’impacterait pas le royaume. En dépit de l’antipathie qu’elle avait pour le politicien, elle devait reconnaître son efficacité.

Une fois l’entretien terminé, le duo fit porter de la nourriture dans la chambre du prince et s’y dirigea à son tour. Ils croisèrent en chemin le lieutenant Kakeru, qui se montra rassuré que Lyne ne soit plus considérée comme une criminelle. Il s’imaginait déjà soudoyer les gardes pour lui envoyer du jus de mangue en prison et craignait d’y passer toute sa solde. L’idée amusa les soldats, pendant que Soreth se tenait en retrait, puis Kakeru leur expliqua qu’il était en retard à un repas de famille et les quitta au pas de course.

Lyne entra la première dans la chambre du prince, plus vigilante encore qu’à son habitude. Elle n’avait pas oublié les propos de Jarrett. Mascarade savait qu’ils détenaient son fournisseur. Elle inspecta d’abord la pièce du regard, sans y trouver quoi que ce soit d’inquiétant, puis se dirigea directement vers le lit. Malgré leur accord tacite, Soreth lui emboîta presque aussitôt le pas. Elle l’en réprimanda tout en glissant la lame de son épée sous le sommier.

— Tu devrais rester dans le couloir. Cela pourrait être dangereux.

— Justement, nous ne serons pas trop de deux.

Elle laissa échapper un soupir, elle pensait en avoir fini avec cette discussion, puis s’approcha des fenêtres.

— Très bien, fais comme tu veux. Tant que je peux te protéger.

— Il me semble que tu l’as suffisamment fait aujourd’hui.

Une pointe d’agacement serra la mâchoire de Lyne, elle n’avait pas la patience d’entendre son ami lui expliquer que sa vie n’importait pas, et elle répliqua plus sèchement qu’elle ne l’aurait souhaité.

— Moi, il ne me semble pas qu’il y ait de quota pour cela.

Comme les rideaux ne dissimulaient aucune menace, la garde royale marcha jusqu’à l’armoire à vêtements tandis que Soreth protestait pour défendre ses idées idiotes.

— Ce n’est pas ce que j’essayais dire. C’est juste que…

— Tu ne veux pas que je risque ma vie pour toi, l’interrompit-elle avec exaspération, je sais.

Elle marqua une pause, hésitant à poursuivre, et décida en fin de compte de laisser éclater sa colère.

— Eh bien, commença-t-elle en planta son regard dans celui de son ami, figure-toi que moi j’ai envie de risquer ma vie pour toi ! Pas parce que c’est mon devoir, mais parce que je désire voir ton visage le matin, entendre ta voix durant la journée et m’endormir en contemplant tes yeux. Ce qui n’arrivera pas si un crétin d’assassin te tue alors que je pourrais l’éviter.

Le silence retomba dans la pièce. Le jeune homme passa une main gênée dans ses cheveux crépus. Finalement, parce qu’ils ne pouvaient pas se regarder sans que cela se produise, ils échangèrent un sourire idiot et Soreth s’approcha d’elle. Son irritation en partie dissipée, Lyne se blottit contre lui tandis qu’il lui caressait la joue.

— Je ne dirais pas que je n’ai rien fait pour mériter ton ire, mais si les gardes n’avaient pas négocié, ou si Morgane travaillait pour notre ennemi, c’est toi qui serais morte à l’heure qu’il est. Moi aussi, je ne veux pas me réveiller sans toi.

La jeune femme ferma les yeux et se serra un peu plus contre son partenaire. Cette fois, elle ne pouvait pas lui donner tort.

— Je suis désolé pour cet après-midi. J’aurais souhaité t’en parler, mais les soldats sont arrivés tellement vite.

— Je ne critique pas ton choix. Seulement… je me suis trompé en disant que la mission passait avant tout. On peut perdre plusieurs batailles avant de remporter la guerre, mais on ne peut mourir qu’une fois. Alors, pour nous, et parce que nous avons encore beaucoup chose à accomplir, j’aimerai qu’on sorte de là ensemble.

Lyne releva la tête, fit courir ses doigts sur la barbe naissante du prince, et leva un sourcil interrogateur.

— Cela signifie que tu vas me laisser te protéger autant que je le veux ?

— Uniquement si je peux en faire de même.

Elle sourit à nouveau.

— Je suppose que pour de beaux yeux comme les tiens je peux accepter cela.

Elle emmena délicatement son visage vers celui de Soreth et l’embrassa tendrement, comme pour sceller leur pacte.

Lorsqu’ils finirent par détacher leurs lèvres, elle colla sa tête contre celle de son ami et déclara d’un ton qu’elle espérait nonchalant.

— Je crois qu’il serait mieux pour ta protection que je passe la nuit ici.

— Tu as raison, répondit le jeune homme avec malice, on n’est jamais trop prudent. Et puis, il serait temps que tu testes ce tunnel.

Leurs cœurs battant à l’unisson, ils échangèrent un dernier baiser avant de se séparer. Tout en s’éloignant vers la porte de la chambre, Lyne se rendit compte qu’en dépit des dangers qui les entouraient elle n’avait qu’une seule préoccupation : retrouver Soreth et oublier pour quelques heures Hauteroche et ses problèmes.

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Camille Octavie
Posté le 24/02/2023
Bonsoir :)

Fidèle au poste ;)

Ici je trouve pour le coup sympa la fin romantique qui fait descendre un peu la tension, ça ponctue le début qui lui est un peu tendu. Je suis pas une grande fan des scènes trop romantiques, mais là c'est plutôt court donc je n'ai pas zappé XD

Je trouve le séjour en prison de Lyne plutôt gentil quand même, je me suis demandée si tu aurais été aussi "gentil" avec le personnage si ça avait été un homme... mais je me dis aussi que comme elle est Erellienne, et officiellement en mission pour le prince, ils pouvaient pas trop l'amocher non plus.

Quelques détails :
> "Il s’en était suivi une violente dispute entre les cavaliers (...), jusqu’à ce que l’une des combattantes de l’est avait rappelé que (...). "
>> Je pense que tu as un souci de concordance des temps.

> "Elle semble travailler contre son grée, mais le danger n’en est pas moins réel"
>> contre son gré ?

> " Son Altesse a été formé par Ecyne "
>> Je suis surprise, je ne m'attendais pas à ce que Ecyne soit "célèbre" pour ses talents liés à l'espionnage...

Au prochain chapitre ! :D
Vincent Meriel
Posté le 25/02/2023
Bonjour !

Merci pour ton retour ! J'essaye de garder les scènes romantiques un peu courtes (je me contient beaucoup pour cela ^^ ) c'est bien si tu ne craques pas.

Pour la remarque sur la prison, je comprends que ça ne corresponde pas aux attentes vis à vis du "moyen-âge", et c'est un peu l'objectif. La fantasy nous offre la possibilité d'inventer des mondes différents, j'avais envie de quelques choses de plus lumineux que le cynisme et la crasse habituelle. À partir du moment où Morgane sait tenir ses troupes et qu'elle semble réglo, elle n'a aucun intérêt à maltraiter une prisonnière (et encore moins une garde royale erellienne effectivement ^^).

Quand à Ecyne, elle n'est pas mentionné pour l'espionnage mais pour l'escrime. Elle sert de garantit sur le fait que Soreth ne se fera pas découper en morceaux par Solveg. Je vais regarder si je peux expliciter un peu cela.

À bientôt et bon week-end
Vous lisez