Chapitre 31

— Bonjour, mon prince.

Confortablement allongé dans son lit, Soreth ouvrit lentement les yeux.

— Bonjour, ma bien-aimée.

Il y eut un bref rire, des bruits de draps, puis des lèvres se posèrent tendrement sur les siennes. Il sentit son cœur s’emballer. Il n’avait pas aussi bien dormi depuis des années.

— Es-tu réveillée depuis longtemps ? demanda-t-il lorsque le visage de Lyne s’écarta du sien.

— Je ne sais pas. J’étais trop occupée à te regarder… je crois que je deviens idiote.

Il caressa la joue de son amie et se blottit contre elle.

— Je crains de ne pas être beaucoup plus malin.

— Penses-tu que ça va passer ?

— Je ne l’espère pas.

Ils rirent de bon cœur, puis restèrent lovés l’un contre l’autre plusieurs minutes avant de finalement décider de se lever.

— Vas-tu faire un discours ? l’interrogea sa protectrice tandis qu’ils s’habillaient.

— Non. Wynna ne m’a rien demandé et Trisron en a déjà écrit un. En plus, l’enterrement va être assez long comme ça.

— C’est vrai qu’ils doivent être beaucoup à vouloir lui rendre hommage.

Lyne marqua une pause pour réfléchir, puis ajouta avec amertume.

— Jarrett et Solveg devraient aussi être là. Dommage que nous ne puissions pas nous occuper d’eux, ou au moins leur filer le train.

Soreth esquissa un sourire en maquillant les contusions que lui avait laissées Shallia. Il comprenait l’impatience de sa partenaire, mais il avait besoin d’elle à ses côtés. Attaquer la cérémonie serait idéale pour quiconque souhaitait terrifier la ville. Si cela arrivait, une prétorienne ne serait pas de trop pour aider les gardes.

— Ne t’inquiète pas, les espions d’Annelle ne les lâchent pas. Je suis sûr qu’elle nous résumera la situation cet après-midi.

— Pourvu qu’ils trouvent quelque chose. Qu’on puisse les envoyer dans le trou qu’ils méritent.

Pendant que son amie maugréait contre les capitaines, elle n’avait toujours pas digéré leur trahison, le prince s’éloigna de la coiffeuse et s’avança vers la commode afin d’y dénicher une tenue adéquate. En dépit de tous les cadavres qu’il avait croisés ces dernières années, il n’était pas allé à un enterrement depuis longtemps. Derrière lui, Lyne termina de lasser ses bottes et vint poser sa tête sur son épaule.

— Je vais enfiler mon armure. Je te retrouve de l’autre côté.

— À tout de suite, alors. Enfin… si j’arrive à trouver un costume.

Elle s’esclaffa, lui vola un baiser et disparu dans le tunnel qui reliait leurs chambres. Soreth la regarda partir d’un air rêveur, puis se concentra et reprit ses recherches. Il ne voulait pas faire honte au royaume.

Il opta finalement pour une tunique aux couleurs de Hauteroche, bleue et noire, à laquelle il ajouta son manteau brodé d’un kraken argenté. Milford aurait sûrement trouvé à y redire, mais il n’était pas là. Heureusement d’ailleurs, sans quoi il l’aurait vertement sermonné en le voyant fourrer une dague dans sa botte et une autre dans son dos. Mascarade risquait de vouloir se débarrasser des Erelliens, et Soreth n’avait aucune envie de lui faciliter la tâche.


 

Les occupants de l’ambassade ne se rendaient habituellement pas aux cuisines. Pourtant, une dizaine d’entre eux patientaient devant la pièce aux portes closes en ce début de matinée, cessant de converser lorsque les prétoriens arrivèrent. Bien qu’intrigué, Soreth se contenta de les saluer en avançant vers l’entrée. « Agis toujours comme si tu savais ce qu’il passe », lui disait sa mère. « Tu le découvriras de toute façon bien assez tôt » rajoutait son père en souriant. Alors que le prince allait poser la main sur la poignée de la porte, Lyne le devança pour s’engouffrer dans la salle à sa place. Il hésita à la retenir, ennuyé qu’elle prenne ce risque pour lui, mais se remémora leur discussion de la veille et n’en fit rien. C’était elle qui portait l’armure après tout.

Dans le grand tohu-bohu à l’odeur alléchante qu’étaient les cuisines, personne ne remarqua l’entrée des prétoriens. Rassurés de constater qu’elles n’avaient pas changé, et que rien ne les y menaçait, ceux-ci se dirigèrent vers l’unique table qui échappait à l’agitation ambiante. Deux personnes y étaient assises : un jeune homme noir, la main droite posée à plat devant lui, et un vieillard à la barbe grisonnante, qui palpait minutieusement son poignet à la recherche d’un os déboîté. Soreth esquissa un sourire en le reconnaissant. Beorthne ne prenait jamais de repos.

Un coup d’œil intrigué de Lyne lui indiqua qu’elle avait aussi identifié le galweid. Il n’eut rien d’autre à y répondre qu’un haussement d’épaules dubitatif. Il n’était pas plus au courant qu’elle de ce que son maître faisait ici. Il le connaissait toutefois suffisamment pour savoir qu’il ne parlerait pas tant qu’il n’aurait pas fini son travail. Il prit donc son mal en patience, et se dirigea vers un panier rempli d’oublies d’avoine tandis que Lyne allait chercher une cruche d’eau.

Lorsqu’ils revinrent, le jeune homme était parti et le Beorthne les attendait, son bâton appuyé à côté de sa chaise, une mine bougonne sur le visage.

— Vous devriez vous lever plus tôt.

Les lèvres de Lyne se plissèrent avec amusement. Soreth secoua négligemment la tête ; il était content de revoir son maître.

— Bonjour, articula-t-il avec insistance, as-tu fait bon voyage ?

Il posa son chargement sur la table, puis s’assit entre le guérisseur et son équipière, qui commença à manger.

— J’ai connu pire, marmonna son le galweid en guise de réponse, mais je ne suis pas fâché d’être arrivé. Je chevauche depuis que nous avons reçu ton message.

Soreth acquiesça, c’était le seul moyen pour que Beorthne soit déjà là, puis interrogea son maître pendant qu’il dévorait une oublie.

— Es-tu ici en tant que soigneur ? Je doute que vienne pour voir le conseil et tu ne te mêles jamais de mes activités.

— En général, tu es suffisamment bien formé pour ne pas avoir besoin de moi. Hélas, celui que vous poursuivez joue avec des forces qui le dépassent… et dont je ne t’ai jamais parlé.

Le silence retomba tandis que le prince fronçait les sourcils. Beorthne était censé lui avoir enseigné tout ce dont il pourrait nécessiter, et il n’était pas du genre à oublier une partie de son entraînement. Tout aussi curieuse, mais moins certaine de ses connaissances que lui, Lyne demanda.

— Est-ce en rapport avec les lignes corrompues ?

Les lèvres du vieux conseiller se retroussèrent et ses yeux gris dévisagèrent la guerrière avec sympathie.

— C’est bien, la présence du gamin ne vous a pas trop ramollie.

Il balaya la pièce du regard.

— Cette affaire est trop sérieuse pour que nous en parlions en public. Laissez-moi m’occuper de ceux qui en ont besoin pour l’instant. Je vous expliquerai tout après l’enterrement.

— Nous devons justement rencontrer Annelle, opina Soreth, tu n’auras qu’à te joindre à nous. Elle en sera ravie.

— J’espère bien ! C’est tout de même moi qui lui ai appris à faire des boortsog.

Lyne pouffa en terminant sa troisième oublie et s’enquit d’une voix curieuse.

— La connaissez-vous bien ?

— Évidemment, cela fait trente ans que nous servons Thescianne ensemble. C’est une femme passionnante et une excellente amie.

— Elle arrive même à le faire sourire, ricana Soreth.

Beorthne leva les yeux au plafond, puis les redescendit sur les prétoriens qui rangeaient leur repas. Ils le saluèrent d’un signe de tête et se dirigèrent vers la sortie, quelques provisions sous les bras. Il restait à peine plus d’une heure avant les funérailles d’Harien, ils avaient intérêt à le laisser travailler s’ils ne voulaient pas être en retard.


 

L’ambiance du coche royale ne correspondait guère à celle d’un enterrement. Trisron essayait d’expliquer à Lyne qu’elle devait faire profil bas après son arrestation, Beorthne se moquait ouvertement de lui dès qu’il le pouvait, et la jeune femme, plus polie, s’efforçait de ne pas rire et de prêter attention aux propos ennuyeux du diplomate. Soreth regardait pour sa part le trio d’un œil amusé, satisfait de ne pas être inclus dans la conversation. Du moins, jusqu’à ce que Trisron le prenne à partie.

— … et je suis sûr que Son Altesse sera d’accord avec moi.

— Vous rêvez si vous pensez que le gamin va vous confirmer qu’il vaut mieux manipuler le peuple que de répondre à ses attentes !

— Ce n’est absolument pas ce que j’ai dit !

— Allons, personne n’est assez idiot pour croire que la situation va s’améliorer si la petite ne fait pas de vagues. Elle fait ce qu’elle peut pour notre royaume. Vous devriez la soutenir, même si cela froisse quelques bureaucrates.

Soreth s’efforça de garder un visage impassible alors que le diplomate s’empourprait. Même s’il n’était pas d’accord avec lui, il lui était gré du travail qu’il fournissait avec le peu d’informations dont ils disposaient. Pour Trisron, la ville ne craignait que la famine et la révolte, car c’était là-dessus que le prince voulait qu’il se concentre. Mascarade étant l’affaire des prétoriens, il était inutile qu’il en sache trop à ce sujet.

— Sire Trisron s’est arrangé pour faciliter la libération de Lyne, finit par déclarer Soreth pour apaiser la situation, et faire en sorte qu’elle soit acceptée par tous. Je crois que nous pouvons admettre qu’il connaît mieux que nous les ficelles avec lesquelles il joue.

— Merci, Votre Altesse.

— Cependant, servir le peuple plutôt que le manipuler est l’une des premières règles d’Erell. Si nous allions à son encontre, nous aurions non seulement failli devant nos ancêtres, mais aussi notre nation. Si pour l’éviter nous avons besoin de quelques remous, nous l’assumerons comme nous l’avons toujours fait.

Ses trois interlocuteurs le dévisagèrent un moment, durant lequel il se demanda s’il n’en avait pas trop fait, puis chacun se renfonça silencieusement contre les parois du véhicule. Au moins, ils avaient cessé de se quereller. En entrouvrant le volet à sa gauche, afin de voir défiler les larges rues du centre, Soreth remarqua le sourire que lui adressait sa partenaire alors que ses lèvres murmuraient un merci muet. Il sentit la chaleur lui monter aux joues. Il avait bien fait de s’interposer.


 

Le coche s’arrêta à une centaine de mètres de la chambre du conseil, bloqué par la foule rassemblée pour la cérémonie. Lyne descendit la première pour vérifier qu’il n’y avait aucune menace. Les autres la suivirent à son signal.

La place était noire de monde et baignait dans un brouhaha sinistre. Même si chacun avait remisé ses problèmes pour rendre hommage au défunt, tous savaient que l’hiver n’en avait pas fini avec eux. Sur l’ordre d’une officière, six gardes encerclèrent les arrivants pour les escorter à travers les badauds. De nombreux visages se retournèrent en les voyant passer. La plupart les prenaient pour de hauts dignitaires, mais certains reconnurent le prince et s’empressèrent d’avertir voisins et voisines. Soreth les salua à chaque fois d’un sourire et d’un signe de la main, tout en s’efforçant de ne pas laisser son inquiétude transparaître. Les citoyens de Hauteroche n’avaient pas besoin d’être plus effrayés qu’ils ne l’étaient déjà.

À l’inverse des Erelliens, leur escorte ne reçut pas un très bon accueil pendant qu’ils avançaient au milieu des habitants. La plupart venaient du quartier sud et ne décoléraient pas des exactions qui y étaient perpétrées. Aucun n’osa toutefois adresser davantage qu’un regard noir aux militaires. Ils étaient ici pour pleurer Harien, pas pour déclencher une émeute.


 

La chambre du conseil était un vaste bâtiment de marbre en forme de « T ». À l’extrémité de sa pointe la plus longue, un balcon richement sculpté permettait à ses membres de se rassembler pour échanger avec les citoyens. Aujourd’hui, il servait à exposer le cercueil d’Harien à la vue de tous, ainsi qu’à accueillir sa famille, ses pairs, et des individus importants.

Lorsque les Erelliens atteignirent la terrasse, où l’odeur d’encens était omniprésente, la plupart des invités étaient déjà arrivés. Soreth remercia leur escorte, qui repartait chercher d’autres personnalités, et entraîna son groupe en direction de Wynna et Meilisse. Il leur adressa une fois de plus ses condoléances, non sans noter le regard noir que la seconde posait sur Darsham, puis les assura du soutien de son royaume et se dirigea vers les sièges que la marchande leur indiquait.

Tout en s’asseyant, Lyne prenant place derrière lui et Trisron à sa gauche, le prince jeta un coup d’œil aux invités. Sur la droite du balcon, à côté de l’un des braseros, les cinq capitaines de Hauteroche patientaient en conversant. Seule Morgane ne participait pas. Elle se contentait de fixer intensément le cercueil de chêne, retenant au fond d’elle autant de colère que de culpabilité. Ce n’était pas très discret, mais la militaire n’était pas connue pour son affabilité, et les circonstances assez dramatiques pour qu’on ne s’étonne pas de la rage qui bouillait en elle.

Détournant ses yeux de l’héroïne, le prétorien détailla Yllan et Tolvan en se demandant s’ils étaient compromis. Rien n’indiquait que Mascarade ait ce pouvoir, car les capitaines n’étaient pas de la trempe de leurs homologues. Toutefois, si c’était avéré, la situation en serait d’autant plus délicate. On ne se confrontait pas impunément aux sauveurs de Hauteroche. Soreth murmura une prière à ses ancêtres pour échapper à ce conflit, puis porta son regard sur le conseiller suivant.

Habillé d’un magnifique costume de velours sombre, Darsham discutait avec une jeune femme noire à la robe plus modeste, probablement Keyne. Le marchand, dont les doigts tapotaient nerveusement le parapet bleuté du balcon, semblait bien trop riche pour être acheté. D’autant plus si c’était pour provoquer une crise qui allait lui coûter très cher. Ce n’était pas le cas de la conseillère, ancienne paysanne, dont la fortune des parents n’était rien à côté de l’opulence du quartier centre. On la décrivait cependant comme humble, bienveillante et volontaire, ce qui ne collait guère avec l’image d’une comploteuse cupide. Hélas, l’argent n’était pas la seule source de pression de Mascarade. Il disposait d’une armée de trois mille têtes, de quoi menacer n’importe qui, même un richissime bourgeois ou un héros. Soreth grimaça à cette idée et se tourna vers le cercueil. Il était possible qu’Harien ait servi d’exemple. Peu de conseillers s’opposeraient à Mascarade après une telle démonstration de force. Au final, la chose dont il était sûr, c’était que quelle que soit la vérité, elle allait au mieux ébranler la ville et au pire la détruire.

Le prétorien fut tiré de ses pensées par l’arrivée des délégations d’Ostrate et de la confédération Valéenne. Les deux groupes saluèrent la femme d’Harien, puis s’approchèrent des Erelliens. Comme ils l’avaient discuté précédemment, le responsable de la confédération, Eloïs d’Élancourt, s’installa en boitant à côté de Trisron, tandis que Soreth se levait pour accueillir Kalinda, qu’accompagnait une délicate odeur de rose.

— Bonjour, ambassadrice, déclara-t-il en serrant sa main gantée.

— Votre Altesse, répondit-elle en inclinant la tête, merci de m’accepter à vos côtés.

Il la gratifia d’un franc sourire, c’était rassurant de ne pas être seul à vouloir préserver la ville, puis ils s’assirent côte à côte et tous les yeux se tournèrent vers eux. Les lèvres du prince se retroussèrent tandis qu’il se redressait, dévisageant fièrement chaque invité. Où que soit Mascarade, il pouvait être sûr que l’Ostrate et l’Erellie œuvreraient ensemble pour le faire tomber.

Lorsque les curieux furent satisfaits, et retournés à leurs occupations, Kalinda posa un regard malicieux sur Lyne.

— Je ne doutais pas de réentendre parler de vous après votre combat dans les jardins, mais je ne pensais pas que ce serait si tôt. Enfin, « tard » serait plus approprié. Vous semblez aimer la nuit.

— Eh bien, bafouilla la prétorienne en baissant légèrement les yeux, parfois nécessité fait loi…

Soreth retint un sourire. Son équipière n’était encore pas prête pour la diplomatie. Il hésita entre lui venir en aide et la laisser se débrouiller un peu plus longtemps, mais elle remarqua son amusement et posa sur lui un regard lourd de menaces. Soucieux de sa future intégrité physique, il se résigna aussitôt à la seule option qu’elle ne lui ferait pas payer.

— J’ai demandé à Lyne de me ramener des papiers dont j’avais besoin pour des négociations. Elle n’avait pas prévu de violer le couvre-feu, mais elle s’est, hélas, perdue en chemin. Je suis gré à la capitaine Morgane d’avoir accepté nos plus plates excuses.

— Je vois, opina lentement Kalinda, heureusement que cette affaire n’a pas fait trop de bruit. Les documents vous ont-ils aidé au moins ?

— Absolument ! Un certain marchand n’a pas été assez méticuleux avec ses comptes. Maintenant qu’il a été corrigé, je suis sûr qu’il ne recommencera pas.

Un éclat brilla dans les yeux de la diplomate, et elle hocha la tête en direction de la garde royale.

— Merci pour ce que vous faites. Vos ancêtres doivent être fières de vous.

Un sourire apparut sur les lèvres de Lyne, qu’elle s’empressa de dissimuler alors que son interlocutrice se retournait vers le cercueil d’Harien.

Annelle et sa famille arrivèrent peu après. Le prince échangea un regard avec elle, il n’avait pas eu l’occasion de la revoir depuis qu’il était parti pour la mine, puis s’aperçut que Meilisse en faisait de même avec Ewan. Moins difficile à lire que celui de la maîtresse-espionne, le visage de son cadet arbora tour à tour empathie, confiance, impatience, preuve que le plan de protection fonctionnait. Soreth s’en sentit soulagé. Personne n’empêcherait l’adolescente de rechercher le meurtrier de son père, mais Ewan pourrait prévenir Annelle si les choses se compliquaient.


 

Lorsque tous les sièges furent remplis, Wynna s’approcha du balcon, sa fille derrière elle, et leva la main en direction des habitants en contrebas. Un murmure parcouru la foule, puis les clairons sonnèrent trois fois pour indiquer le début de la cérémonie. Un silence respectueux s’imposa alors autour du bâtiment, uniquement troublé par des sanglots étouffés et les bruits de pas des patrouilles. Le visage grave, la marchande prit la parole d’une voix solennelle.

— Maintenant que le conseiller Harien a rejoint ses ancêtres, d’où il continuera toujours de veiller sur nous, nous pouvons procéder à son enterrement.

Une larme perla sur sa joue. Elle la chassa d’une main tremblante.

— Il aimait cette ville et ses habitants. Il aurait été heureux de vous voir rassemblé pour lui rendre hommage. Merci à tous et à toutes.

Elle se tut pour reprendre son souffle, grelottant aussi bien à cause du froid que de l’émotion, puis une demi-douzaine de ménestrels commencèrent à jouer une ode funèbre au pied du balcon.

À travers la musique des cornets à bouquin, Soreth entendit Trisron hoqueter derrière lui. Il se retourna pour le soutenir, mais constata que Lyne l’avait devancé en posant une main rassurante sur son épaule. Un sourire triste sur le visage, elle se pencha vers l’ambassadeur aux yeux rougis et lui chuchota quelques mots à l’oreille. Celui-ci hocha sombrement la tête, puis, le regard brillant d’une volonté nouvelle, essuya ses larmes pendant qu’un vent glacial emportait les dernières notes de la mélodie.

— Ma mari, reprit Wynna avec toute la force qu’il lui restait, ne se contentait pas d’aimer notre cité. Il travaillait chaque jour à la protéger. Vous qui êtes ici pour honorer sa mémoire, rappelez-vous plus que jamais sa bonté, sa ténacité et son dévouement.

Elle baissa les yeux en terminant sa phrase et serra la main de sa fille contre elle. Le silence envahit rapidement les lieux, et chacun commença à prier pour le défunt. Le calme dura quelques minutes sans que rien vienne le troubler, puis un cri résonna au milieu de la foule.

— Vive Harien !

Les gens relevèrent la tête, légèrement surpris, puis une seconde exclamation s’éleva au milieu d’eux.

— Vive le conseiller !

Elle fut suivie par une troisième, une quatrième, et bientôt toute la place se mit à scander le disparu. En larmes, un sourire triste sur le visage, Wynna serra sa fille dans ses bras. Ce pour quoi son époux s’était battu ne s’achèverait pas avec lui.

Lorsque les citoyens n’eurent plus assez de souffle pour crier, la veuve s’inclina devant eux et retourna à sa chaise.

— Il faut que nous trouvions ces ordures, murmura Kalinda, la gorge nouée par l’émotion.

Soreth acquiesça. Elle n’avait que trop raison.

Quand les deux femmes se furent assises, Tolvan et Darsham se levèrent. Cela valut au marchand un énième regard noir de Meilisse, mais il n’y prêta pas attention et s’approcha sereinement de la rambarde pour déclarer.

— Merci à vous tous d’être venu rendre un dernier hommage au conseiller. Il a brillamment servi Hauteroche durant des années. Sa perte est une grande tristesse pour nous.

Il marqua une pause, le temps de laisser son public tendre l’oreille, puis reprit d’un ton plus grave.

— Cette cérémonie ne doit toutefois pas nous faire oublier les menaces qui pèsent sur nous. Chaque jour le conseil fait l’impossible pour les surmonter et nous l’emporterons. Néanmoins, nous devons pour cela non seulement continuer nos efforts, mais aussi en accepter plus.

— Moi qui me demandais où il voulait en venir, grommela Kalinda avec amertume, j’aurais dû m’en douter.

— On peut toujours compter sur Darsham pour exiger que les autres portent ce qu’il n’oserait toucher.

L’ambassadrice opina à la remarque de Soreth, un sourire narquois sur les lèvres, puis ils se recentrèrent sur le discours du marchand.

— Si certains préfèrent se contenter du minimum, réclamer au lieu de trouver par eux même, ou refuser d’écoper le bateau dans lequel nous sommes tous, nous nous noierons. Soyez sûr que ces gens-là sont la honte de Hauteroche. S’il vous plaît, soyons unis dans les épreuves. Cessons de nous chercher querelle. Donnons-nous au mieux pour bâtir un futur radieux.

Soreth soupira. Écouter parler Darsham sans intervenir était un supplice. À côté de lui, Kalinda frotta ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer.

— En appeler au collectif après avoir égoïstement amassé une fortune, il faut reconnaître qu’il ne manque pas de toupet.

— C’est un jeu dangereux, acquiesça le prétorien en balayant la foule agacée du regard. Ses propos justifient peut-être les récriminations de ses amis à l’égard des démunis, mais eux ne sont pas dupes.

Kalinda tourna à son tour la tête vers les badauds en dessous d’eux, desquels montaient maintenant un grondement sourd, et ajouta avec déception.

— Parfois, j’ai l’impression que le conseil est contre nous.

Une grimace traversa le visage de Soreth. C’était plus vrai qu’elle ne le pensait. Il lui fallait toutefois reconnaître qu’il n’était pas difficile d'analyser le comportement de Darsham : assez d’égoïsme pour éviter de constater que la méritocratie ne fonctionnait pas, suffisamment de prétention pour ne pas voir que sa richesse venait moins de ses efforts de l’exploitation des autres, et juste assez d’ignorance pour ne pas comprendre ce qui arriverait s’il s’entêtait. Au final, Mascarade n’avait pas besoin d’acheter ou de menacer le marchand. Il lui suffisait seulement qu’il soit égal à lui-même.

Le capitaine Tolvan devait partager cet avis, car il s’empressa de contredire le conseiller dès que celui-ci lui donna la parole.

— Nous n’avons ni trouvé le meurtrier d’Harien ni ceux qui terrorisent notre ville, la faute nous en incombe. Sachez cependant que l’enquête se poursuit, et que votre coopération nous a permis d’appréhender plusieurs suspects.

Quelques murmures approbateurs parcoururent les spectateurs, moins énervés contre le héros que contre Darsham. Celui-ci leur répondit par sourire triste. Puis, à la surprise générale, il tourna les talons et descendit les escaliers de marbre. Les invités du balcon se levèrent et s’approchèrent dans un même mouvement des balustrades, curieux de voir où se dirigeait le capitaine. La foule resta silencieuse, à la fois stupéfaite et curieuse.

Soreth parvenait tout juste à la rambarde quand Tolvan atteignit les pavés de la place. Ce dernier avança alors au milieu du rassemblement, qui s’ouvrit pour le laisser passer, et rejoignit la gigantesque torture de fer de la cour, dont le regard fixe semblait braqué sur les évènements. Il s’y agenouilla humblement, ses longs cheveux noirs retombant sur ses épaules, posa son épée devant elle, et déclara d’une voix forte et intelligible par tous.

— Je jure devant ma cité et mes ancêtres de ne pas connaître le repos tant que le meurtre du conseiller Harien n’aura pas été puni. Que ceux qui ont bafoué nos lois soient prévenus. Justice sera faite.

Le silence gagna la place. Les yeux rivés sur le dos du capitaine, Soreth ne put s’empêcher d’être impressionné. Il s’était attiré les grâces de la population en une poignée de minutes. C’était remarquable et, avec un peu de chance, pour le meilleur.

Comme pour démentir cette pensée, Jarrett fut le premier à saluer son confrère. Cela lui valut un regard furieux de Lyne, puis l’ensemble du rassemblement se joignit à lui. Le héros leur avait redonné l’espoir qu’il leur manquait.

Quand Tolvan eut regagné le balcon, sous un tonnerre de louanges et d’applaudissements, Meilisse se jeta à son cou et sa mère s’inclina devant lui. Il reposa la première, releva la seconde, puis se courba à son tour. Il les raccompagna ensuite à leurs chaises, tandis que le reste des invités retournaient s’asseoir, puis les musiciens entamèrent un deuxième chant funéraire.

Du coin de l’œil, Soreth constata que deux personnes ne quittaient pas le capitaine du regard. Ewan, que la réaction de son amie semblait contrarier, et Lyne, dont les prunelles brillaient de fierté ; elle avait décidément un faible pour les scènes grandiloquentes. Tout en rajustant son manteau pour se protéger du froid, le prétorien se prit une fois de plus à espérer que Tolvan ne soit pas un parjure. Il ne voulait pas voir sa partenaire trahie par son héros d’enfance.


 

Lorsque la musique se tût, une moue ennuyée traversa le visage de Kalinda.

— Ça ne va pas être facile de passer après lui.

Soreth esquissa un sourire encourageant, mais se sentit rassuré de ne pas participer.

— Vous faites cela depuis des années. Je suis sûr que vous vous en sortirez.

La diplomate acquiesça d’un air inquiet et se leva avec autant d’entrain qu’une soldate avant la bataille. Elle retrouva heureusement un peu d’énergie quand Trisron et Eloïs la rejoignirent, adoptant une expression plus impériale. Le trio se dirigea ensuite vers la rambarde où, comme ils avaient passé des heures à le négocier, Eloïs prit la parole en premier.

Débutant par un long hommage à Harien, le discours rappela que les trois nations feraient ce qu’elles pourraient pour soutenir la cité, et se termina en mentionnant l’arrivée imminente de provisions. L’information fut accueillie avec un profond soulagement sur le balcon et à son pied, mais les propos des diplomates restèrent moins impressionnants que leur unité. Ils s’échangeaient la parole avec fluidité, aucun n’essayant d’avoir l’ascendant sur les autres, et s’accordaient autant dans leurs postures que dans la détermination qui brillait dans leurs yeux. C’était rassurant de les voir oublier leurs querelles pour sauver Hauteroche et, si leurs ancêtres étaient avec eux, cela inspirerait les conseillers.

Wynna adressa ses remerciements au trio pendant qu’ils retournaient à leurs places, puis une femme d’une trentaine d’années aux cheveux châtains et à la peau blanche s’approcha de la rambarde. Elle balaya le rassemblement d’un regard sévère avant de se présenter d’une voix forte et claire, qui n’avait rien à envier à Tolvan.

— Bonjour à tous et à toutes, je suis l’ancienne adjointe d’Harien, Carasielle Pirus. On m’a autorisé en ces heures sombres à prononcer quelques mots pour celui qui fut à la fois mon mentor et mon idéal.

Muette depuis sa déclaration, Kalinda plissa les lèvres avec amusement.

— Cela m’aurait étonné que Wynna ne fasse rien pour sa favorite, quand Darsham a profité de l’enterrement pour avoir une tribune.

Soreth hocha la tête, non sans se départir d’une certaine inquiétude. Après le discours du marchand, il y avait peu de chance que Carasielle fasse preuve de retenue.

— Harien était un homme bon. Un homme élu pour nous représenter et nous protéger. Un homme qu’ils ont tué pour cela. Les mots ne peuvent décrire cette ignominie. Pas plus qu’ils ne peuvent qualifier ceux qui profitent de cette mort pour nous déposséder de nos droits. Nous sommes accablés par le chagrin, envahi par la peur et la faim, et certains, non contents de nous donner des leçons, espèrent utiliser ce meurtre contre nous. C’est inadmissible !

Une vague de grondements parcourus la foule. Beaucoup d’habitants du quartier sud se reconnaissaient dans le discours. Surtout après les paroles de Darsham. Derrière la prétendante, Meilisse semblait elle aussi conquise par la harangue, son regard se faisant de plus en plus déterminé.

— Nous avions un grand conseiller ! Nous nous en montrerons dignes, en ne nous laissant ni berner ni soumettre. Jour et nuit nous déchargeons les bateaux, nourrissons les marins, approvisionnons les commerces. En échange, nous ne demandons qu’une assiette pleine et un logement décent. Cela, c’est encore trop pour certains ! Ils nous qualifient de rustres du haut de leurs privilèges. Ils se croient meilleurs que nous. C’est faux ! Nous ne sommes pas des criminels ! Nous ne sommes pas des assassins ! Nous sommes les enfants d’Harien ! Nous sommes le quartier sud ! Nous sommes Hauteroche !

Un tonnerre d’applaudissements raisonna dans la place. Le regard de Carasielle se posa sur Darsham, qui pâlissait à vue d’œil, puis elle salua la foule et retourna à sa chaise tandis que l’on scandait à nouveau le nom du défunt.

— Elle se débrouille bien, commenta Kalinda d’un ton approbateur.

— En effet. Elle ferait une très bonne conseillère.

La diplomate tourna la tête vers Soreth, chassant l’odeur d’encens pour une plus agréable de rose, et haussa un sourcil interrogateur.

— Est-ce la position officielle de l’Erellie ?

— C’est la mienne en tout cas, répondit le prince en souriant. J’attends les actes pour juger, mais j’apprécie les paroles. Bien plus que celles de Darsham ou de son candidat.

— Je n’ai pas une grande estime pour Riil non plus, concéda finalement l’ambassadrice, mais il y a des gens au sénat qui préféreraient le voir en charge du quartier sud. Je ne sais pas qui nous devrons soutenir. De toute façon, les élections ne sont pas notre priorité.

Le prétorien opina, puis jeta un regard plein de compassion à Kalinda. Les scrutins ne manqueraient pas s’ils démasquaient le complot de Mascarade. Dans le cas contraire, il n’y aurait probablement plus jamais besoin d’élections.


 

La cérémonie s’acheva peu après le discours de Carasielle. Les conseillers se prosternèrent tour à tour devant le cercueil, puis se regroupèrent autour de lui et demandèrent à Harien de continuer de les aider à guider Hauteroche. La famille du défunt remercia ensuite une dernière fois la foule. En dépit de l’état dans lequel les avaient plongées les allocutions des politiciens, les citoyens ne firent pas de vague. Même s’ils étaient en colère, ils respectaient trop Harien pour salir ses obsèques. Sur ce point, ils s’en sortaient mieux que leurs dirigeants.

Lorsque Wynna se rassit, toujours aussi pâle mais moins tremblante qu’auparavant, les habitants quittèrent peu à peu la place. Sur le balcon, les invités rompirent le silence en attendant que la cour se vide. Kalinda en profita pour échanger quelques banalités avec Soreth, puis prit congé de lui pour regagner son groupe.

Resté seul et soucieux d’éviter la moindre conversation, il sentait arriver le début d'une migraine, le prince balaya les environs du regard. Tolvan était en grande discussion avec Wynna près du cercueil, tandis que Meilisse s’était éclipsée pour rejoindre Ewan et le brasero auquel il se réchauffait. Les autres membres du conseil étaient éparpillés et s’occupaient des invités. Trisron avait d’ailleurs accaparé Keyne, dont les larmes ne tarissaient pas.

Lorsque Soreth le voyait deviser, agitant ses mains et s’efforçant de sourire pour remonter le moral de son interlocutrice, il avait du mal à reconnaître l’homme effondré que Lyne avait dû réconforter. Toutefois, d’aussi loin qu’il le connaissait, le diplomate avait toujours agi ainsi. Son travail était sa façon d’encaisser et de rendre les coups. Plus ses ennemis pousseraient, plus il résisterait. Sur ce point, il avait le caractère d’un Erellien.

Continuant d’inspecter le balcon, tout en se massant le front sa douleur, le prétorien constata que Beorthne discutait avec une galweide de la cité et que le capitaine Yllan s’approchait de Lyne, adossée à une colonne de marbre. Malgré la notoriété du conseiller, Soreth le connaissait fort mal : sa réputation de prince indolent déplaisait au vieux guerrier, qui ne lui parlait que s’il n’avait pas d’alternatives.

Intrigué par ce qu’il pouvait vouloir à sa protectrice, il repoussa la tempête qui tourbillonnait sous son crâne, tira un morceau de parchemin de sa veste, et, tout en faisant semblant de s’y intéresser, tendit l’oreille en direction des militaires.

— Votre armure est toujours aussi splendide, commença Yllan d’une voix affable.

— Merci, capitaine. Votre épée n’est pas mal non plus. Elle doit être plus efficace que l’autre.

— Hélas, les temps ne sont plus à l’esbroufe. Je ne sors plus de chez moi sans ma vieille amie. J’aimerais vous la montrer, mais je crains que dégainer ici ne soit malvenu.

Lyne s’esclaffa et hocha la tête.

— Il n’y a que le capitaine Tolvan pour oser tirer sa lame au clair durant des funérailles.

— Quel phénomène ! Ce n’est pas toujours simple de travailler avec lui, mais je ne me plaindrai jamais qu’il soit à nos côtés. Sa nomination fut l’une de nos meilleures décisions.

Il y eut un blanc, puis la guerrière ajouta, incapable de se retenir.

— Votre réactivité dans le défilé de Tagard a tout de même sauvé de nombreuses vies. Maintenir l’embuscade du plateau de Norois vous a aussi permis de remporter le conflit. Sans oublier ce que vous avez fait à la grande porte, lors de la première offensive. Et… je crois que je vais m’arrêter là. Je pourrai d’y passer la journée.

Soreth s’empêcha de rire derrière son parchemin. Son amie n’exagérait pas, elle lui en avait déjà fait la démonstration. Même Ecyne n’avait pas lu autant d’ouvrage qu’elle sur la guerre de Hauteroche. Cela sembla plaire au capitaine, qui répondit non sans fierté.

— Certes, il nous aura fallu beaucoup de bons choix pour remporter cette guerre.

Il marqua ensuite une pause, caressant sa barbe grise, et ajouta plus tristement.

— Beaucoup de sacrifices aussi. Quand bien même certains sont prompts à les oublier.

La remarque flotta quelques secondes dans l’air, comme pour voir si quiconque oserait la contester, puis il laissa échapper un long soupir et Lyne relança la conversation avec curiosité.

— Êtes-vous de ceux qui n’ont pas apprécié l’intervention de Darsham ?

— En effet. Ses propos risquent plus de créer des problèmes que d’en éviter. Il compte trop sur ses soutiens dans le quartier sud, et en oublie ses nombreux opposants.

Lyne esquissa une moue dédaigneuse.

— Lorsque je le vois jeter de l’huile sur le feu ainsi, je ne suis pas étonné que Carasielle ait plus d’alliés.

— C’est vrai, acquiesça Yllan avant d’ajouter d’un ton sévère, ce qui devrait la pousser à agir de façon plus responsable. On ne peut pas briguer un mandat de conseillère et provoquer une insurrection.

Il y eut un nouveau silence, pendant lequel Soreth n’eut aucun mal à imaginer la colère grandissant chez son amie, puis celle-ci éclata et répliqua sèchement.

— Je ne crois pas que ce soit elle qui ait perquisitionné tout ces gens. Il ne me semble pas non plus l’avoir vu fêter son anniversaire en organisant un festin hors normes. Pas plus qu’elle n’a demandé des efforts à ceux qu’elle foulait en même temps du pied. Elle ne provoque personne. Elle ne fait que répondre.

— Il est certain que Darsham pourrait leur apporter plus de considération, commenta Yllan avec la prudence d’un chasseur au milieu d’une meute de loups. Toutefois, lorsque l’on a vécu autant de guerres que moi, on sait que le conflit n’est pas une solution. Les habitants du sud pourraient défendre leurs conditions sans se montrer aussi agressifs.

— Pour cela, il faudrait que vous rappeliez vos soldats. Si vous utilisez la violence contre eux, vous ne pouvez que vous attendre à ce qu’ils en fassent de même. La seule différence, c’est que la vôtre est illégitime, car vous aviez d’autres choix, alors que la leur est tout ce que vous leur avez laissé.

Lyne marqua une pause alors que sa voix se faisait de plus en plus cassante, et s’efforça de reprendre plus calmement.

— En Erellie, nous avons coutume de dire qu’il y a deux types d'individus qui craignent une colère juste : ceux qui la provoquent et ceux qui leur obéissent. Lorsque le peuple est furieux, nos reines et nos rois l’écoutent et font ce qu’ils peuvent pour l’aider.

— Et comment faites-vous si la solution nuit à un autre groupe ?

— Parfois, nous discutons jusqu’à trouver un arrangement. Parfois, il n’y en a pas besoin. Comme lorsque des gens meurent de faim et que d’autres se remplissent la panse.

Yllan laissa échapper un ricanement contrit en acquiesçant. Il assura ensuite Lyne qu’il parlerait de son avis aux membres du conseil, puis la salua et s’éloigna dans la foule.

Tandis que sa partenaire revenait vers lui, Soreth constata que sa migraine avait disparu et rangea son parchemin avec soulagement.

— Te voilà amie avec un capitaine de Hauteroche, s’amusa-t-il lorsque Lyne s’arrêta à son niveau, tu gagnes en prestige.

— Je crois que « amie » est un peu fort. Surtout après mon… explication.

Le prince sourit et se retint de caresser la joue de sa protectrice.

— Cela devrait aller. Il est connu pour préférer l’honnêteté à la flatterie. Je ne sais pas si cela le changera par contre. Il tient beaucoup à son « apolitisme ».

Ils échangèrent une grimace à ce terme, puis, comme la place s’était vidée, se dirigèrent vers les escaliers où Beorthne et Trisron les attendaient. Légèrement en retrait derrière sa partenaire, Soreth ne put s’empêcher de l’admirer du coin l’œil. Elle représentait tout ce pour quoi il se battait, et plus le temps passait, plus il l’appréciait. Il ne s’était jamais senti aussi heureux. C’était étrange, surtout à un enterrement. Afin d’éviter de se mettre à sourire bêtement, il reporta son attention sur son maître, qui lui adressait un drôle de regard. L’un de ceux qu’il réservait aux moments où il était fier de lui. Étonné, il n’avait rien fait pour le mériter, le prétorien garda néanmoins ses interrogations pour plus tard. Il avait déjà beaucoup à penser s’il voulait sauver la cité.

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Camille Octavie
Posté le 02/03/2023
Bonjour :)
Je suis un peu surprise par ce chapitre j'avoue que je n'avais pas compris qu'il y aurait une "vraie" cérémonie mortuaire, et leur petit tour hors de la ville a faussé ma notion du temps
Il y a je pense beaucoup de choses "cachées" dans ce chapitre, mais j'ai eu une sensations un peu légère par rapport aux scènes, je n'ai pas trop ressenti de tension du coup j'ai eu du mal à me concentrer pour fouiner de l'info.
Si je suis la seule à dire ça, c'est peut-être juste moi qui suis fatiguée ^^
Par contre j'ai bien aimé le début, c'est chou et ça fait progresser les choses entre eux. Il faudra penser à faire un "sous-entendu" de temps en temps sinon le lecteur ne saura pas "où" ils en sont (j'ai eu le même truc une fois c'est que au bout de plusieurs mois qu'une lectrice m'a dit qu'elle n'avait carrément pas compris que mes persos "couchaient", pour parler vulgairement, malgré le fait qu'ils sortaient de la même chambre tous les matins...)
Vincent Meriel
Posté le 03/03/2023
Bonjour !
Merci pour ton retour sur ce chapitre, je prends note et je vais voir ce qu'en disent les autres. Il est un peu spécial, et pas évident à réaliser ^^
J'étais curieux de ton retour sur le début, je suis content si tu l'aimes bien. Je n'avais pas forcément prévu de sous-entendu, mais je verrais si les gens ne comprennent pas XD (dans ma tête dormir dans le même lit est suffisant pour une relation ^^)
À bientôt !
Camille Octavie
Posté le 03/03/2023
En l’occurrence, j'avais tendance à penser comme toi, si les deux personnages dorment ensemble, a-t-on vraiment besoin d'en dire plus ? Dans l'absolu je n'ai pas de réponse mais dans mon histoire concernée ça avait de l'importance parce que plus tard la fille était enceinte et manifestement au moins une lectrice a failli croire au miracle XD
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