Chapitre 30

Notes de l’auteur : --> « I have died everyday waiting for you, Darling don’t be afraid, I have loved you for a thousand years ... » Christina Perri
https://www.youtube.com/watch?v=mk3XycambgI

- Hey Punck !

- Hey… 

Sylvia entre sans aucune forme de politesse et s’assoit sur mon canapé.

- Ecoute little jerk, je sais que toi et moi on est pas très proches, mais je t’aime bien. Alors je viens t’informer que Bastien a profité de ton absence et a enfin trouvé le courage pour inviter Emilie en tête-à-tête. Et elle a accepté. 

Mon cœur se fige dans une prison de glace. Ça y est, ce que je redoutais le plus est en train d’arriver. Je fais les cent pas, incapable de prendre une décision, tiraillé entre les cris de mon cœur et la peur qui me dévore comme un redoutable monstre sanguinaire et m’empêche d’avancer.

De innombrables images d’elle dansent le tango dans mon esprit et m’étourdissent.

- Martin … 

- Quand ? je parviens à demander.

- Maintenant.

Elle me regarde avec intensité.

- Sur la place du champ de Mars. 

Je dégage le col de mon t-shirt, j’ai l’impression d’étouffer. Je fais un pas vers la porte mais la panique me tenaille la poitrine.

- Martin … 

- J’peux pas ! je crie, désespéré.

Je tente de respirer comme elle me l’a appris, je me remémore les mots du psy: « Se connecter à la réalité, à l’instant présent … » mais putain la réalité, là tout de suite, c’est que je vais la perdre ! Mon corps monte en température, j’ai l’impression que je vais mourir.

La main de Sylvia s’immisce dans la mienne et me tire jusqu’au canapé. Elle s’assoit sur la table basse, me faisant face.

- Regarde-moi Martin. 

Apeuré, je m’accroche à son regard comme un naufragé à sa bouée.

- Regarde mes yeux. Tu vois de quelle couleur ils sont ? Et mes cils ? Sont-ils maquillés ? Sont-ils clairs ou foncés ? Fournis, courts, longs ? 

Je m’attarde pour la première fois sur ses traits. Ses petits yeux marrons, dépourvus de maquillage, encadrés par des cils très noirs et courts alors qu’elle est blonde. Son visage est calme, serein. Elle avait raison. On dirait bien qu’elle a une vieille âme, malgré le fait qu’elle fasse plus jeune que son âge.

- Tu es assis sur ton canapé. Tu dois pouvoir sentir le dossier et l’assise derrière ton dos et sous tes fesses. Tu as chaud, non ? On est dans ton appartement, on entend un peu la circulation au dehors. Aucun danger ne te guette ici. 

- Je vais la perdre, je murmure, meurtri.

Elle ne sourit pas, reste incroyablement calme et posée.

- Non, tu ne vas pas la perdre. Elle t’aime. Et tu vas aller la retrouver et lui dire que tu veux être avec elle. 

Mon visage se tord dans une affreuse grimace et je fais ‘non’ de la tête, en me triturant les mains. Ma respiration se saccade à nouveau.

- Pourquoi non, Martin ?

J’ouvre la bouche mais les mots ne viennent pas.

- De quoi tu as peur ? insiste-t-elle.

- Si tu n’agis pas, tu vas finir par la perdre. Qu’est ce qui peut être pire que ça ? 

Mes mains se mettent à trembler, ma gorge se comprime et les larmes inondent mes yeux sans couler.

Elle pointe durement un doigt sur mon cœur.

- Qu’est ce qu’il y a là, Martin ? 

Je pense à mon père, sa douleur, la mienne, je pense à l’amour de mes parents qui me faisait tant rêver.

Et ça déborde.

- Laisse-moi, je l’implore, me sentant à deux doigts d’exploser.

- Non. Dis-moi Martin. Dis-moi ce qu’il se passe. 

Je lève les yeux sur le visage aussi dur que doux qui me fait face, ce petit bout de femme qui me regarde avec une sincérité désarmante, et qui ne veut pas me lâcher. Ce n’est pas vraiment une amie. Et elle ne me connaît pas vraiment non plus. Elle ne sait pas grand-chose de moi. Pourtant je sens que je peux avoir confiance. Et que c’est justement parce qu’on ne se connaît pas bien tous les deux, que je peux lui dire la peur qui me bouffe les entrailles depuis si longtemps.

- Mon père, je lâche.

Elle ne bronche pas, reste impassible, hoche seulement un peu la tête.

- Je …C’était horrible. 

Je pleure à chaudes larmes.

- C’était horrible, je répète, les épaules secouées par les sanglots.

- Et c’est pas juste ! je m’exclame. A quoi bon ? A quoi bon vivre des amours aussi grands si c’est pour tant souffrir quand on nous les retire ? Ça ne vaut pas le coup. Je …je veux pas être comme mon père.

Les derniers mots me broient le cœur : de culpabilité pour avoir osé dire ça à voix haute, et d’empathie pour le chagrin de mon père.

- Je suis incapable de vivre ce qu’il a vécu. 

Je baisse la tête en secouant la tête, défaitiste.

- Je ne le veux pas. 

Ma colère et ma peur se sont calmées pour laisser place à la résignation.

- Pff t’es vraiment stupide quand tu t’y mets, finit-elle par dire, sans aucune compassion. 

Mon front se plisse sous l’incompréhension.

- Tu ne veux pas vivre ce que ton père a vécu. Mais lui, lui ! sa voix monte en intensité. Lui, il donnerait tout pour revivre ça encore et encore, même s’il doit à chaque fois affronter de la voir mourir, même s’il doit à chaque fois affronter la peine que ça lui inflige. Lui, il trouve que ça valait cent fois le coup d’être tombé amoureux de ta mère et d’avoir vécu toutes ces années avec elle. Elle lui manque tous les jours mais tu sais ce qu’il fait ? Il continue à vivre pour elle. Tu savais qu’il fait plein de nouvelles activités ? Qu’il rencontre du monde, fait du sport, voyage dans la France ? Tu savais qu’il a sauté en parachute y a deux mois de ça? 

- Mais …qu’est-ce que tu racontes ? 

- Je suis allée voir ton père une fois ou deux, m’explique-t-elle en haussant les épaules.

- Mais, je ne comprends pas, pourquoi tu es allé voir mon père ? 

Elle siffle, dépitée.

- Parce que je m’inquiétais pour toi, jackass ! elle s’exclame en m’adressant une pichenette sur le front.

Je porte instinctivement la main à mon front en fronçant les sourcils, et reste hébété devant ses dires.

Elle lève les yeux au ciel.

- On est amis, non ? 

Je croise son regard. Amis ? Je me sens con. C’est vrai que Sylvia a toujours été là, à sa façon, tout en respectant ma distance. Mais avec les femmes, je n’ai jamais conçu de vivre des amitiés. J’ai été tellement aveugle. Je n’ai rien remarqué.

- Ton père ne regrette rien. Et aujourd’hui, certes il a cette tristesse au fond de lui, qu’il ne perdra jamais vraiment, mais il vit pour elle, tu comprends ? Il vit les expériences qu’elle, aurait aimé vivre, et il a l’impression de l’avoir encore un peu avec lui de cette manière. Et puis ton père t’a toi. Tu es un bout de la femme qu’il aime. Elle lui a laissé le plus beau des cadeaux. Même si son cadeau fait un peu la gueule ces derniers mois et que ça lui crève le cœur … 

Elle m’adresse son premier sourire, léger mais mutin, diabolique. 

- Tu n’es pas ton père. Tu es un fabuleux mélange de deux êtres extraordinaires qui se sont aimés passionnément. Tu ne vas pas vivre la même chose que lui. Je ne peux pas te dire que tu ne connaîtras jamais la souffrance. On va tous y avoir le droit. Mais c’est ça qui permet d’apprécier le beau dans la vie, d’être reconnaissant pour l’amour que l’on reçoit. Et puis regarde-toi. Tu t’empêches de vivre parce que tu as peur de souffrir. Mais tu t’es vu ? Tu souffres comme un chien enragé depuis des mois. Alors si tu veux mon avis, t’es pas très doué pour éviter la souffrance. T’as le bonheur qui te tend les bras. Tu as un père qui ne se laisse pas abattre et qui est génial, des amis qui ne t’ont jamais abandonné, et qui ma foi sont plutôt marrants dans leur genre, tu as Emilie … Tu es vivant, t’as pas le droit de gâcher ça, tu dois à ta mère de vivre à fond, tu te dois d’aimer et de rire. Va kiddo, qu’est-ce que tu attends ? 

Elle m’offre un de ces sourires, vous savez, ceux qui vous persuadent que tout va bien se passer, qui vous allègent le cœur et vous donnent des ailes pour voler.

Je saute sur mes pieds, lui embrasse la joue et cours rattraper mon destin.

 

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*Emilie

Bastien m’attend sur les marches du kiosque de la jolie place du champ de Mars. J’ai refusé qu’il vienne me chercher chez moi. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre, enfin si j’ai des suspicions bien sûr, mais je ne voulais pas que notre entrevue fasse trop officiellement rencard. Car je ne veux pas que ça en soit un. D’ailleurs, je n’ai pas tenu à m’habiller autrement qu’à mon habitude : short en jean et débardeur. 

Quand il m’aperçoit, il m’adresse un grand sourire et se lève pour venir à ma rencontre. Nous nous faisons la bise, de façon un peu embarrassée, puis rejoignons le kiosque pour nous y asseoir. J’installe une distance respectable entre nous et lui fais face.

- Je suis content que tu sois là.

J’hoche timidement de la tête. Je ne comprends pas complètement pourquoi j’ai accepté ce …’date’. J’apprécie beaucoup Bastien. Il a toujours été si gentil avec moi. Et les quelques moments de chant partagés étaient magiques … Il m’a fait sortir de ma réserve. Il n’est pas dénué de charme, blond, les cheveux coupés en brosse, les yeux bleus … Mais je n’ai jamais rien ressenti pour lui. 

- Bastien …, je commence mais il me coupe.

- Attends Emile, avant que tu ne dises quoi que ce soit, je voudrais plaider ma cause, si tu le veux bien.

J'acquiesce de la tête et il se lance:

- Je craque sur toi depuis le premier jour. Avant même que je sache que tu as une voix merveilleuse, que nous partageons les mêmes goûts musicaux, avant même de découvrir qui tu es vraiment. Chaque jour passé n’a fait que renforcer ce que je ressens pour toi. Je sais qu’il y a eu une histoire entre Martin et toi. Ce que j’ignore, c’est ce qu’il s’est passé entre vous deux mais clairement, vous ne vous voyez plus. Et dernièrement j’ai eu l’impression que tu étais plus atteignable… Je préfère affronter un refus de ta part que regretter de ne pas avoir essayé. Est-ce que tu crois que tu pourrais me donner une chance?

“Arrache le pansement, arrache le pansement!” je me martèle la tête.

- Bastien, je t’apprécie sincèrement, et je suis flattée et reconnaissante de ton honnêteté. Tu es bien plus courageux que moi …

Il grimace.

- Y a un ‘mais’ n’est-ce pas?

- En effet … je suis désolée, je ne partage tout simplement pas tes sentiments…j’avoue en me mordant la lèvre, embarrassée.

Il tourne un instant la tête, inspire profondément puis me dit:

- Okay …merci de ta franchise Emilie. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé chez toi.

Il se lève et me tend galamment la main. Je m’en empare mais il en profite pour me relever si vite que je tombe dans ses bras. Et sans que j’ai eu le temps de comprendre ce qu’il se passe, ses lèvres sont sur les miennes. Il se contente d’un simple smack qui s’attarde légèrement et recule pour me libérer.

Il rougit.

- Désolé, je me devais d’essayer, il se justifie, gêné. 

Je plisse les yeux et tords la bouche, tout aussi mal à l’aise que lui, si ce n’est plus.

- Tu as ressenti quelque chose? je demande.

Il semble surpris et réfléchit quelques secondes.

- Ce n’était pas désagréable …mais ce n’était pas ce que j’imaginais.

Je ricane, l’égo un petit peu heurté, mais surtout soulagée.

- Tu devrais tenter ta chance avec Ludivine.

- Ludivine ? Répète-t-il, surpris.

- Conseil d’amie, je lui dis avec un sourire.

Il semble méditer mes paroles. 

- Are we cool? je lui demande.

Il me sourit.

- Yes, we’re cool. J’espère que tu voudras bien continuer à chanter avec moi de temps en temps.

- J’adorerais ça.

 

“Emilie c’est Sylvia. Martin vous a vu, Bastien et toi, vous embrasser. Je ne sais pas s’il est arrivé trop tard. Nous sommes à son appartement.”

- Oh crap ! je jure à voix haute.

Une passante me jette un coup d'œil.  J’accélère l’allure et rejoins ma voiture. Dix minutes plus tard, c’est Sylvia qui m’ouvre.

- Je vous laisse, déclare-t-elle en  quittant l’appartement.

- Alors tu nous as vu … je dis à un Martin très en colère.

- Qu’est ce que tu veux ? demande-t-il la mâchoire serrée.

- On peut parler ? 

- Parler ? 

Un sourire mauvais étire ses lèvres. Il me plaque contre le mur, pose une main sur ma taille et l’autre sur le mur près de mon visage. Il approche son visage du mien et me crache son venin :

- Parler de tes lèvres sur celles de Bastien ? dit-il avec ironie dans un rictus démoniaque.

Je ne l’ai jamais vu comme ça. Il semble possédé.

- Tu veux pas te calmer deux secondes que je puisse t’expliquer … 

- M’expliquer quoi ? Que tu préfères recevoir ses baisers plutôt que les miens ?

Il écrase ma lèvre inférieure de son pouce.

- Of course, tu finis dans les bras du gentil gars qui n’a aucune ombre au tableau. Qui je suis pour vouloir m’opposer à ça ? Pour désirer la même chose ?

Il resserre sa prise sur mes hanches.

- S’il te plaît, écoute-moi…, je tente en vain.

- Je pensais naïvement que tu m’attendrais, au lieu de ça, tu laisses c’t’enfoiré de guitariste te charmer avec son sourire et ses chansons … tu l’as laissé poser ses lèvres sur les tiennes… 

Il semble à deux doigts de me voler un baiser mais il flanche, l’air abattu, et s’éloigne de moi, me tournant le dos.

- Tu devrais partir, Emilie, dit-il finalement en se servant un shot de vodka. Il jette le liquide au fond de sa gorge.

Son comportement m’exaspère. Il a atteint un niveau de connerie plus élevé que son égo. Je sens la colère crépiter dans mes veines.

- Si tu tiens un peu à moi, tu devrais vouloir mon bonheur…

Il soupire et revient devant moi.

- Fine ! Je suis joie. Soyez heureux et ayez beaucoup d’enfants tout gentil tout mignon comme vous. 

- On y compte bien mais pas de suite, non, il faut qu’on finisse nos études, qu’on ait une situation stable mais …on se projette déjà. 

Je lui décoche un sourire innocent.

- C’est merveilleux Emilie. 

C’est pas possible d’être aussi stupide, achevez-moi !

- Après, j’hésite à m’engager aussi vite avec lui. Après tout tu m’as appris à profiter de la vie, j’aurais bien envie de vivre d’autres aventures avant de me ranger…, je continue.

- To be expected.

Je ne tiens plus et le gifle. Il se tient la joue, médusé. Moi je ressens un certain soulagement à l’avoir fait.

- Tu veux pas arrêter d’être con deux secondes c’est …usant ! Dis-moi vraiment ce que tu ressens avant que je te pète la gueule! 

Wouah, je ne me reconnais pas moi-même. Je ne savais pas que j’avais un tel feu en moi.

- All right. Tu veux que je sois honnête ? 

Sa main tape fort le mur à côté de ma tête, me faisant sursauter.

- Je n’aurais jamais dû tomber amoureux de toi ! Il crie.

J’ai l’impression que mon cœur fond comme de la neige en plein soleil d’été.

- Je suis …complètement … fou amoureux de toi ! Voilà, t’es contente ?! J’ai su pour ton rencard avec Bastien, je voulais … mais …je suis arrivé trop tard… Je vous ai vu… 

Il sourit, amer.

- Le destin est vraiment ironique parfois.

Il s’éloigne à nouveau, va se resservir un shot de vodka. Je me rends compte que mes joues sont mouillées. J’ai tellement espéré sans jamais y croire qu’il me dise ce genre de choses. Je patientais, mais en même temps j’étais résignée à ne jamais entendre ce que je convoitais. J’essuie rageusement mes larmes. Je bondis pour lui voler le troisième verre qu’il se serre. J’enroule ma bouche autour du petit récipient et d’un grand coup de tête en arrière avale le liquide. Ses yeux me lancent des éclairs mais je lis aussi sur son visage de la surprise.

Mes émotions bouillent dans ma poitrine. Je le regarde avec un mélange de peur, de colère, de passion et de soulagement. Et me mets à lui frapper le buste du plat de la main. Je mets toutes mes frustrations, toute ma peine, toute ma colère, toutes mes inquiétudes, tous mes doutes, dans mes mains qui le poussent en s’écrasant contre son poitrail. Il se laisse faire, ne dit rien.

Puis je me surprends moi-même à bondir sur lui. Ma bouche déjà entrouverte rencontre la sienne avec passion et rage. Pendant quelques dixièmes de secondes, il est sous le choc, mais il cède vite sous l’assaut de mes lèvres et les siennes me rendent mon baiser affamé. Nos langues se retrouvent comme si elles mourraient quand elles étaient l’une sans l’autre. Ses bras m’enlacent et me soulèvent légèrement du sol. Je ne saurais décrire la profondeur de mes sentiments en cet instant : c’est un feu d’artifice qui explose sous ma cage thoracique.

Soudain, il me repose au sol et m’écarte de ses bras.

- Wait, wait, je ne comprends pas … 

- La seule aventure que je veux vivre, c’est avec toi, crétin, je lui déclare, amoureuse. T’as de la chance que je sois patiente, j’ajoute.

Il fronce les sourcils, scrute mon regard. L’incompréhension se lit très clairement sur son visage.

Encore rouge et essoufflée de ce baiser je lui explique ce qu’il s’est passé entre Bastien et moi.

- Attends …t’es en train de m’expliquer que tu t’es foutue de ma gueule ? 

- Bah …tu te comportais tellement comme un …con ! Tu m’as vraiment énervée, j’avoue avec un sourire en fuyant son regard.

Il me soulève contre lui et me fait tournoyer dans une tendre étreinte, m’arrachant un cri joyeux.

- Tu m’as tellement manquée.

Je souffle d’aise.

- Pas autant que toi tu m’as manqué, je rétorque, apaisée dans ses bras.

Il me repose à terre et recouvre son sérieux.

- Et Anthony ? il me questionne, de l’inquiétude au fond des yeux.

Je soupire et porte ma main à sa joue.

- Je ne veux pas te mentir. Si tu n’existais pas, Anthony et moi serions certainement ensemble. Mais tu existes … Et que je le veuille ou non, dans mon cœur, tu détrônes tout le monde, j’explique avec sincérité en haussant les épaules, légèrement mélancolique.

Renoncer à Anthony reste douloureux, même si l’amour de Martin dépasse tout ce que j’ai pu imaginer et me transporte d’allégresse.

Il paraît méditer mes paroles, puis finit par me prendre les mains avec délicatesse et m’embrasse le front.

Étonnée par cette tendresse, je relève les yeux d’un air interrogateur.

- J’aimerais qu’il en soit autrement, surtout avec mon meilleur ami, mais je ne peux pas vous en vouloir. Vous êtes tous les deux exceptionnels, et c’est mon absence qui a provoqué votre rapprochement. Rien de tout ça n’est étonnant. 

Je fronce les sourcils, stupéfaite de sa compréhension, quand soudain, sans crier gare il me balance sur son épaule comme si j’étais un vulgaire sac de patates.

- Mais qu’est-ce que tu fous ?! je braille comme une petite souris prise au piège.

Il m’allonge sur le canapé et vient se coucher sur moi.

- Ça, c’est pour m’avoir parlé de tes enfants avec Bastien et pour avoir pensé à un autre que moi, me dit-il.

Il me regarde sérieusement, caresse mon visage de ses doigts.

- I hope you aren’t tired because …I’m going to take you right here and now … 

Je ris.

- Je suis extrêmement tentée. Mais je crois que je mérite un ou deux « dates » officiels avant d’aller plus loin .. 

Je soulève un sourcil d’un air provocateur. Il souffle bruyamment.

- T’as pas tort.

Il m’embrasse tendrement. Je nage en plein bonheur.

- Je t’emmène au cinéma ce soir. 

Je souris ravie.

- J’adore aller au cinéma ! 

- Pas de resto. Juste des tonnes de pop-corn et autres snacks de ton choix. 

- T’es vraiment un beau-parleur … 

J’attrape les cheveux derrière sa tête et amène sa bouche délicieuse à la mienne. Je me délecte de ses lèvres.

- Emilie ? 

- Hum ?

- Si tu veux qu’on fasse ça proprement, ne m’embrasse pas comme ça. 

Je me mords la lèvre.

- Et ne te mords pas la lèvre non plus. 

Je souris. Je suis si heureuse de pouvoir l’aimer enfin, sans aucune retenue.

- Et ne souris pas. 

Je ris.

- Ok, je rentre chez moi, je dis en le repoussant. On se retrouve là-bas ? Vers 20h30 ? 

- Reste, me supplie-t-il comme un enfant.

- Non, je veux me changer pour l’occasion. Et puis, je veux que ça ait vraiment l’air d’un rencard. 

- Ringarde, il me nargue.

Je souris et m’empresse de m’éloigner de lui et de quitter son appartement avant de ne plus en avoir le courage. 

La vérité c’est que m’apprêter pour notre date n’est pas ma seule raison de m’en aller : je dois aussi parler avec Anthony.

 

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* Anthony et Emilie

- Si c’est ce que tu veux, je suis heureux pour toi, Emilie.

- C’est ce que je désire depuis le début…

- Alors pourquoi tu fais cette tête-là ? il demande en douceur.

- Parce-que … , elle commence incertaine. 

Son cœur se serre étrangement tandis que ses yeux ne peuvent quitter ceux qui lui font face.

- Parce-que tu m’aimes, s’étrangle-t-elle avec l’émotion.

Il lui sourit tendrement.

- Oui je t’aime. Et toi aussi tu m’aimes.

Des larmes silencieuses s’échappent et creusent des sillons salés sur les joues d’Emilie. C’est la première fois qu’elle accepte pleinement la réalité de ses sentiments pour le ténébreux garçon.

- Mais certaines histoires d’amour ne sont pas faites pour être vécues. Ça n’en rendra notre lien que plus fort. 

Cette fois, elle n’en peut plus et se jette dans ses bras. Une vague puissante la terrasse. Contre le torse de cet homme qu’elle ne pourra jamais vraiment aimer, elle laisse les sanglots la submerger sans retenue. Elle n’a jamais eu de pudeur avec lui. Il lui a toujours laissé la place d’être complètement elle-même.

Anthony la serre avec puissance contre lui et pose sa joue contre le haut de son crâne, les yeux fermés et les sourcils froncés. Une unique larme franchit le seuil de ses cils. Elle lui semble brûlante.

Décidément, son meilleur ami teste très fort son amitié pour lui. S’ils peuvent survivre à un amour commun, ils survivront à tout. Mais pourquoi faut-il que ce soit Martin, et pas lui, qui gagne dans son cœur à elle ? Sans son ami, lui et Emilie auraient pu vivre une très belle histoire d’amour. 

Il souffle profondément. Il sait très bien que l’univers a ses raisons, même s’il ne les comprend pas encore, et que son cœur peine à battre sous la douleur actuelle.

- Ne me quitte pas, s’il te plaît, elle murmure suppliante. Reste mon ami, reste dans ma vie.

Il passe une main dans les cheveux ensoleillés d’Emilie pour la plaquer contre lui.

- Je n’ai jamais eu l’intention de m’éloigner de toi. Martin est mon meilleur ami mais il pourra aller se faire foutre s’il croit que je vais prendre mes distances.

Elle esquisse un sourire amer.

- Ça fait mal, dit-elle simplement.

- Voglio vivere, il répond.

Le tatouage de la jeune femme prenait sa pleine signification en ce moment précis. Choisir la vie, c’est choisir toutes les émotions, toutes les couleurs. Choisir, c’est abandonner un chemin, parfois pour toujours.

Elle abandonne la concrétisation de son amour pour Anthony pour vivre son histoire avec Martin. Elle ne choisit pas vraiment, Martin était une évidence à son cœur dès le début. L’univers ne lui laissait pas le choix, il lui imposait. 

Même si une partie d’elle sait d’avance que voir Anthony avec une autre femme lui griffera le cœur de jalousie, elle espère pourtant sincèrement qu’il puisse un jour aimer une femme en capacité de l’aimer en retour. L’amour qu’elle ressent pour lui est tel que son désir le plus cher était de lire le bonheur sur son visage d’ange déchu, même si elle n’en était pas la cause.

 

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