CHAPITRE 30

L'absence de douleur lui fit baisser ses bras qui protégeaient son visage et elle sursauta quand le elle découvrit qu'au-dessus d'elle se tenait un autre loup !

Pétrifiée, Édith ne bougeait pas d'un pouce et assistait, terrifiée à l'échange entre les prédateurs.

« Ne la tue pas ! »

« Écarte-toi où ça finira mal ! »

« Non ! »

« Non ?! » grogna le Grand loup blanc prêt à bondir sur un propre membre de son clan.

« C'est elle qui a sauvé ton fils du filet de braconnage ! Si le petit vit encore c'est grâce à cette humaine ! »

« C'est ma sauveuse papa ! C'est ma sauveuse ! Grâce pour elle, rien que pour elle ! » pleurnichait une petit voix à côté d'Édith.

La demoiselle découvrit avec stupéfaction que le louveteau était à côté d'elle, la queue dressée !

Le Grand loup blanc cessa de grogner et de montrer des signes d'hostilité.

« Tu peux te lever petite humaine, je ne te ferai rien, ni à ton compagnon, pour cette fois. » lui dit-il, contrarié.

« Merci, merci infiniment ! » répondit Édith en tentant de se relever mais le louveteau n'arrêtait pas de la lécher et le rire de le jeune fille attira Charles qui était descendu de l'arbre et courait dans la pente, épée à la main.

— Tout est terminé Charles ! lui lança-t-elle. Range ton arme, la paix est revenue !

Perplexe, les vêtements déchirés aux côtes, avec des loques tombant sur sa culotte, Val-Griffon demeurait prêt à se défendre.

— Tout est pacifié, je vous dis, le Grand loup blanc consent à nous laisser la vie sauve.

— Pourquoi un tel revirement soudain ? l'interrogea-t-il méfiant.

— Parce que la louve et son petit, qui sont sa compagne et son bébé, sont venus me défendre ! Puisque j'ai sauvé leur fils, il nous laisse la vie sauve.

Comprenant que cela était la plus stricte vérité, Val-Griffon souffla de soulagement et rengaina son épée.

— Ça va ? lui demanda-t-il en venant l'aider à se libérer de son imbroglio de jupailles.

— Moi oui, mais vous, vous avez l'air mal en point, vous saignez.

Elle essuya d'un revers de main, une plaie sanguinolente au front où des mèches noires s'étaient collées sur ses chairs ensanglantées.

« Nous n'avons pas tout notre temps. » coupa le Grand loup blanc en s'approchant d'eux.

Il dépassait la louve d'une tête et conservait une taille démesurée qui inspirait la crainte à quiconque le croisait.

« Je vais vous conter ce qui s'est passé car j'ai été témoin de toute la scène. Effectivement, deux hommes se sont aventurés en solitaire par-ici, lui, fit-il en jetant un regard à Val-Griffon, et un autre plus petit. Ils ont longuement marché jusqu'à étancher leur soif. Peu après, alors qu'ils atteignaient cette partie du bois, ils se sont mis à tanguer, à aller de travers, leur équilibre était précaire, ils chancelaient à la moindre bosse sur le chemin. Or ce qu'ils ne savaient pas c'est qu'ils étaient suivis [...] »

—  Suivi ! répéta tout haut Édith faisant sursauter Val-Griffon agenouillé à ses côtés.

— Comment ça suivi, Édith de quoi parlez-vous ?

— Chut !! fit-elle en posant son doigt sur ses lèvres. Vous m'empêchez d'entendre.

« Oui suivis, petite humaine. Un autre homme les talonnait et prenait beaucoup de précautions à ne pas se faire voir et entendre d'eux. Quand ils ont été étranges comme possédés, le troisième homme est sorti de sa cachette, a mis un masque et s'est approché du groupe discrètement. Malheureusement, il a heurté une jeune faisane malade et lui a fait payer cette erreur en la tuant avec monstruosité ! Furieux, j'ai bondi de ma cachette et je l'ai attaqué mais le lâche a réussi à s'enfuir. C'est là qu'il a poussé le garçon qui accompagnait votre ami dans la pente raide. »

« Cet homme, comment était-il ? » demanda Édith qui frissonna face à ce récit sanglant.

« Comme tous les autres. »

« Il n'y avait rien qui pourrait nous permettre de le distinguer ? »

« Tout ce que je peux te dire c'est que je lui ai arraché un doigt et griffé au dos. »

« Merci, merci de votre coopération, votre témoignage nous est d'une grande aide ! »

Le Grand loup blanc hocha la tête et fit signe à la louve et à son louveteau de partir, comme la dernière fois, le petit se retourna et joua à bouger ses oreilles pour lui dire aurevoir. Édith lui envoya un baiser et le mignon disparut avec ses parents.

Édith se releva et saisit le bras de Val-Griffon.

— Vous n'étiez pas seuls dans les bois, on vous suivait... Un homme qui n'a pas pu faire ce qu'il voulait, car il eut le malheur de tuer inhumainement une pauvre faisane, préparait un mauvais coup. En tuant la faisane, il a déclenché la colère du Grand loup blanc qui vous observait de loin. Il s'est jeté sur l'homme qui était masqué et c'est au cours de cette lutte que l'homme a poussé le Dauphin dans la pente.

— Ce qui explique pourquoi j'ai vu un loup blanc même abusé par des visions, repartit Val-Griffon, heureux de ne pas être fou.

— Oui, mais je sais aussi une chose, et pas des moindres. Le Grand loup blanc a arraché un doigt et a griffé le dos de notre homme.

Val-Griffon réfléchit à toute vitesse et ajouta :

— S'il était blessé, il est forcément aller voir un chirurgien. Allons interroger ceux de la Cour !

— Non ! Il serait fou s'il y était allé ! Il aurait été obligé de s'expliquer sur l'origine de l'incident et attenter au Dauphin ne donne pas envie de paraître dans les parages avec tous les gardes qui gravitent à Versailles.

— Vous savez avec le nombre de pauvres ouvriers qui meurent sur le chantier du château... un doigt coupé par accident ça ne doit pas être ce qui manque, répliqua Charles.

— Certes, fit Édith, mais aucun d'eux ne présentent des signes de luttes avec un loup...

— Vous marquez un point. Si notre agresseur est allé se faire soigner, c'est en ville...

— Ou à Paris, fit remarquer Édith découragée car passer au peigne fin tous les chirurgiens des deux villes allaient leur prendre trop temps.

Le cinquième jour du Grand Divertissement se rapprochait de plus en plus, compliquant son avenir qui était pendu à la parole de Val-Griffon au sujet des fausses déclarations d'Hozier... mais Val-Griffon était au bord de la disgrâce... Cet imbroglio lui donnait un mal de crâne terrible.

— Il ne sera pas allé à Paris, c'est trop loin et dans son état ce serait de l'inconscience pure et dure. Non, il est resté à Versailles j'en suis sûr, d'autant qu'il n'a pas terminé son œuvre envers le Dauphin, dit Charles, la mâchoire crispée.

— Ce n'est pas insensé, courons inspecter les chirurgiens, ça sera d'ailleurs très utile, vous saignez au front et aux côtes ! Mon Dieu, mais vous perdez trop de sang !

— C'est superficiel.

— Superficiel mon œil, il faut vous bander sans quoi vous vous viderez !

Édith arracha un bout de sa cape et l'aida à se faire un garrot, inquiète parce que ce têtu refusait d'admettre qu'il était plus mal en point qu'il ne le pensait !

Ils devaient rejoindre la ville de Versailles au plus vite.

Ils retrouvèrent le chemin principal et le suivirent jusqu'à la sortie des bois. Juste avant de franchir la lisière de la forêt, Michou arriva vers Édith à tire d'aile, en piaillant si fort qu'il aurait pu remplacer une trompette de guerre !

« Ah te voilà, toi ! Je commençais à croire que tu m'avais fait faux bond ! »

« Mais pas du tout ! répondit-il outré. Je suis venu dès que j'ai eu une bonne nouvelle ! J'ai été juste retardé parce que je vous cherchais au château ! Vous avez la bougeotte dis-donc ! »

« Qu'as-tu à nous apprendre, on est pressé ! »

« Ce manque de reconnaissance me perfore les entrailles ! » piaffa-t-il aussi tragique que comique.

« Rien que ça ! » fit Édith en l'obligeant à accélérer ses révélations.

« Oui, bon passons ! J'ai une excellente nouvelle ! Le Grand loup blanc a assisté à la scène ! Je l'ai mis sur le coup ! Dès que je lui ai parlé de vous, il a été très intéressé, il arrive ! D'habitude, il est pas trop commode, mais là, il était de bon poil, si je peux me permettre l'expression, dit-il tout content. Ne me remerciez pas, ce n'est pas la peine, je suis toujours l'oiseau de la situation ! En revanche, n'entrez pas dans les sous-bois, cela le mettrait de très méchante humeur ! Il est un peu agressif... Attendez qu'il vienne à vous. »

Édith manqua de s'étouffer, les avertissement arrivaient un peu tard ! Val-Griffon lança un regard au merle noir qui tournoyait autour d'Édith et lui dit : « Michou, je présume ? » Édith opina du chef, tandis que Michou examinait le gentilhomme.

— Que raconte-t-il ?

— Si vous saviez... répondit Édith qui n'osait se faire la traductrice du merle...

« Édith tu me dois un baiser ! Enfin à lui, vas-y embrasse-le, j'ai fait ma part du contrat ! »

« Pas le temps, on est pressé ! Et pour le loup, tu as une heure de retard Michou ! On a failli y passer !»

« EMBRASSE-LEEEEEEEEEE !!! C'est pas compliqué, regarde, il a l'air presque mort ! »

« Michou ! » s'offusqua Édith.

« Je veux mes mûres !!! Non parce que ce creuseur de galeries de Robert, l'année dernière, il m'a coiffé au poteau sur un autre pari ! Je veux ma revanche et mes mûres !!! »

Édith prit une profonde inspiration et dit :

« Bon écoute, Michou, il faut que je t'avoue quelque chose ! »

« J'espère pour toi que c'est au moins un potin croustillant ! » marmonna-t-il d'un air vexé.

« J'ai déjà embrassé Val-Griffon, enfin c'est lui, enfin c'est nous, enfin tu m'as compris ! »

La commère de la forêt faillit se prendre une branche tant la confession l'assit.

« Tu essayerais pas de m'entourlouper ! »

« Non ! »

« Alors je veux que ton chéri me le confirme ! »

— Enfin tu n'y penses pas ! s'écria-t-elle à voix haute voix.

— Pardon ? répondit Charles qui s'était adossé à un arbre, mal en point.

— Rien... rien.

— Que veut donc Michou ? Vous passez par toutes les couleurs depuis que vous lui causez !

— Il souhaite que... vous validiez quelque chose...

— Quoi donc ?

— C'est terriblement embarrassant... murmura-t-elle du bout des lèvres en fuyant son regard.

— Dites toujours.

— Il souhaite savoir si nous nous sommes vraiment... embrassés...

Val-Griffon, qui appuyait sa plaie aux côtes pour l'empêcher de saigner, coula un regard à l'oiseau qui le fixait de ses deux petits yeux ronds et jamais il eut cru qu'un merle lui ferait cette demande un jour !

— C'est une vraie commère qui a la passion des ragots, expliqua Édith empourprée, et nous avons fait un contrat. Il m'aidait en échange d'un baiser entre nous...

Ahuri, Val-Griffon ne savait plus quoi penser, sur quels étranges énergumènes étaient-ils tombés !

« Bon il va le cracher le morceau, le beau jeune homme ! » s'impatienta Michou en couinant.

— Oui, c'est vrai, nous nous sommes embrassés, dit Charles.

« Voilà tu es content ! » répliqua Édith en le fixant, encore plus gênée.

« OUI ! »

Et il s'envola pour aller réclamer ses dix mûres à Robert d'un air guilleret.

Charles se redressa pour reprendre la route mais s'immobilisa au milieu du chemin, Édith buta contre son dos et se fit mal au nez.

— Pourquoi vous arrêtez-vous ?

Il se retourna et son regard descendit sur la bouche de la demoiselle, remonta à ses yeux, et il sourit faiblement. Son teint avait pâli.

— J'ai terriblement eu peur pour vous toute à l'heure... je n'ose imaginer ce qui se serait passé si...

— N'y pensez plus, fit-elle avec un geste de la main pour chasser le trouble qui montait en elle.

Il l'attira contre lui, enleva la terre sur son nez, sourit tristement et l'embrassa. Lorsqu'il arracha ses lèvres aux siennes, ce fut une douleur vive et Édith se retrouva chamboulée sur le grand chemin.

— Ce baiser avait un goût d'adieu...

— Nous ne savons pas de quoi est fait demain et je ne veux rien regretter, répondit-il en voyant une cellule de cachot se rapprocher de son avenir.

 

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