CHAPITRE 31

Versailles

Après avoir trouvé un chirurgien compétent pour recoudre la plaie de Charles et l'avoir remis sur pieds à coup de rasade d'alcool fort, ils reprirent leurs investigations. Val-Griffon n'en démordait pas et Édith le suivait pour le ramasser si d'aventure, il se sentirait mal.

Ils firent une virée dans la ville, battant le pavé, faisant du porte à porte, demandant à tous les chirurgiens et après les avoir tous interrogés, il n'en restait plus qu'un : un de mauvaise renommée.

Un marchand ambulant de colifichets leur dit qu'à cette heure, il devait sûrement être à l'auberge du Cygne.

Ils passèrent les portes de l'enseigne et se dirigèrent vers la patronne. Celle-ci était en train d'houspiller son mari, soumis, et de le charger de régler son compte au Maton, famille de manouvrier.

— J'lui ai bien rabattu le caquet à la mégère Maton ! Mais vas-y en remettre une couche pour être sûr qu'elle ne revienne pas l'ouvrir !

— Madame, coupa Charles, on voudrait savoir où se trouve Hubert ?

— Vous voyez pas que je cause ! Hubert ? Il est à la niche le Hubert !

Édith pouffa malgré elle du mauvais jeu de mot... Il n'était plus qu'à espérer qu'Hubert n'avait pas l'allure d'un saint-Hubert...

Val-Griffon répéta sa question avec un peu moins d'aménité. La patronne au fort tempérament se mit en rogne et désigna un pauvre gars attablé au fond de la salle, à moitié-endormi, avachi sur sa chaise, la tête calée contre le mur.

— Je vous remercie madame, fit Val-Griffon pince sans-rire.

— Ah la jeunesse de nos jours ! Et toi là, toujours pas parti redresser le poil des Maton !

— Si si, répondit l'aubergiste en traînant ses sabots jusqu'à la porte.

Ils abandonnèrent la scène de ménage et se dirigèrent vers leur proie.

Val-Griffon donna un petit coup au pied de la table pour réveiller le dormeur et celui-ci se redressa dans un soubresaut, l'œil vaseux. Édith put constater avec que le pauvre diable avait hérité des mêmes bas-joues pendantes que saint-patron canin... et se mordit la lèvre pour ne pas rire. Se moquer était méchant...

Charles remarqua qu'il sentait l'alcool et une fragrance capiteuse qui ressemblait à du parfum... Très étrange pour un chirurgien aussi mal fagoté que lui...

— Eh bien mon cochon, vous vous noyez à cette heure ? se railla Charles.

— Fiche le camp blanc-bec ! rétorqua l'autre.

— Je partirai quand tu m'auras dis, si t'as soigné un gars hier qui avait un doigt arraché.

— Bah oui, comme souvent depuis qu'il y a le chantier ! Les accidents, ça manquent pas !

— Et un gars qui avait un doigt arraché et des griffures dans le dos ? Des griffures de loup ?

— De loup ? Oh le fumier, il m'avait dit que c'était un accident avec une fourche ! Je vais lui découdre sa plaie si je le recroise, j'aime pas ça les menteries ! Ça m'rappelle qu'il m'avait sommé de pas causer de ça ! Eh puis flûte, quand on magouille, on a le retour de bâton et puis c'est tout ! Maintenant du vent !

— Juste une chose, comment était-il ?

— Casse-pied.

Hubert jeta un coup d'œil dans la cour de l'auberge et se redressa d'un bond en pointant du doigt une silhouette frêle à travers les carreaux poussiéreux.

— C'est Germaine ! Tenez, allez lui tirer les vers du nez, moi j'ai plus envie de vous voir !

— Pourquoi irions-nous la trouver ? rétorqua Val-Griffon.

— Parce que c'est la jolie Germaine qui a fait avoir une place au château au perroquet que vous cherchez ! Elle travaille aux communs, elle en saura plus que moi ! Allez ouste !

Charles lui donna une tape sur la tête pour leur avoir causé avec tant d'insolence et prit Édith par la main pour sortir, cet endroit lui donnait la nausée !

Ils coururent rattraper cette Germaine au cotillon(1) apparemment !

— Mademoiselle Germaine ! cria Val-Griffon. Mademoiselle Germaine, arrêtez-vous !

La jeune fille sursauta et se retourna, ébahie qu'on la hèle dans la rue. En bousculant un marchand ambulant de chapelets et un gagne-petit(2) avec sa brouette et sa meule pour aiguiser les lames, ils arrivèrent à sa hauteur.

— Mademoiselle ! dit Val-Griffon. Nous avons à vous parler.

— Pardon, mais nous connaissons-nous ?

— Non, répondit Charles, mais c'est Hubert qui nous a envoyé vers vous.

— Hubert ? Le pilier de cabaret qui roupille tous les jours à l'auberge du Cygne ?

— C'est cela ! dit Édith en reprenant son souffle.

Rattraper Germaine n'avait point été de tout repos avec le monde dans les rues aux dernières heures du matin !

— Qu'est-ce que vous me voulez ! demanda-t-elle en calant un panier vide sur sa hanche.

— Des réponses, répliqua Charles. On veut savoir qui est le gars que vous avez fait rentrer au château.

Germaine ouvrit les yeux et pouffa.

— Il va falloir être plus clair mon joli, des gars qui veulent une place au château, il y a foule au portillon ! Et j'en ai déjà fait rentrer cinq !

— Un à qui il manquait un doigt ? repartit tout de go Édith.

— Ah celui-ci ! Un vrai gouailleur doublé d'une âme d'intriguant ! Il m'a demandé que je le fasse entrer comme jardinier il y a deux jours, avec la construction des jardins, ça n'a pas été très difficile.

— Il y a deux jours, ça fait le 28 ! chuchota Édith à Charles. Il devait avoir sa plaie encore toute fraîche... demanda-t-elle à Germaine.

La servante acquiesça en pinçant la bouche de dégoût.

— Pour sûr qu'elle était fraîche ! Elle empestait le sang ! Pourtant, il a tempêté pour que je le trouve un emploi de jardinier ! Mais ce qui est étrange, c'est que je l'ai recroisé hier soir dans les couloirs et le bougre portait une livrée qui lui donnait de l'allure ! Avec stupéfaction, j'appris que ce gars-là n'avait jamais quitté son poste au service d'une dame de la Cour ! Il doit avoir un sosie comme jardinier, je vois pas autrement...

— Quand l'avez-vous croisé pour la dernière fois ? questionna Val-Griffon, inquiet par ce méli-mélo d'emplois et de figures identiques.

— Le jardinier, le 28, son sosie hier soir.

— Et son sosie... a-t-il fait quelque chose qui vous mette la puce à l'oreille ? l'interrogea Édith, de plus en plus perdue.

Germaine leva les yeux, repositionna son lourd panier sur hanche et réfléchit.

— C'est possible... il y a quelques jours dans les communs, il préparait une tisane dans un coin et en remplissait une gourde. C'était très tard le soir, le plus gros des domestiques était déjà parti.

Charles tilta et montra sa gourde qu'il gardait attachée à sa ceinture.

— Une comme celle-ci ?

— Tout pareil, confirma Germaine.

— Savez-vous à quoi était la tisane ? interrogea Édith, soucieuse.

Tout cela ressemblait à un acte fourbe, le Dauphin et Val-Griffon avaient été drogués à leur insu...

— Non, et puis le coco a décampé quand il m'a vu arriver avec une femme de chambre ! Il a fermé sa gourde, jeté l'eau dans l'évier et filé comme un voleur. Ici, le sablon ! apostropha-t-elle un marchand ambulant accompagné d'un geste de main.

Celui-ci arriva, un fouet à la ceinture pour recadrer sa chèvre qui marchait à ses côtés. La bête portait deux gros paniers en osier et secouait sa tête, gênée par la foule. Ses bêlements avaient attiré un chien qui lui aboyait et le marchand ambulant fit claquer son fouet en criant : « Ouste, sale corniaud ! »

Devant le petit groupe, il demanda à Germaine ce qu'elle voulait.

— Rempli ce panier, mon brave, lui répondit-elle en le lui tendant. C'est pour le château soit bon et met de la bonne marchandise, ton sable sert le roi !

Le marchand renifla, cala son fouet entre ses jambes et commença à remplir le panier d'un sable blanc.

Édith le reconnut, c'était du sablon d'Estampes qui servait à récurer la vaisselle d'étain et de cuivre.

— Voilà, ça suffit ? dit le marchand de sablon.

— Oui tiens, lui fit-elle en le payant, puis en se retournant vers Édith et Charles. Vous êtes encore là vous !

— On voudrait savoir comment on pourrait rencontrer cet homme ?

— Oh je n'en pas la moindre idée, il ne m'a pas même dit son nom, c'est dire l'oiseau que s'est ! Mais il rôde au château, ça, j'en mets ma main à couper ! Allez, faut que je vous quitte, les garçons de cuisine attendent ma livraison, il y a une pénurie de sablon là-bas !

Sur ce mot, elle fila et fut rapidement engloutie par le va-et-vient incessant des habitants de la ville de Versailles.

Édith soupira et croisa les bras, défaite.

— Cette affaire est pire qu'un fuseau de dentelle, dont les fils se seraient emmêlés !

GLOSSAIRE :

(1) Jupon.

(2) Rémouleur.

 

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