Gwenn :
Les cris résonnaient au-dehors. Gwenn, figée, regardait avec ses parents et sa sœur les flammes dévorer la forêt et s’approcher du village.
Les habitants fuyaient vers le port, cherchant désespérément un moyen d’échapper au brasier.
— J’ai peur… murmura sa petite sœur, la voix tremblante.
— Ne t’en fais pas. Les guerriers veillent sur nous, la rassura Gwenn en serrant sa main.
Une femme passa près d’eux, les bras chargés d’un enfant en pleurs, le visage décomposé.
— Ils tuent tout le monde… Des hommes en armure sombre, des sabres… Ils n’épargnent personne !
Un silence tendu suivit, brisé par le père de Gwenn :
— Il faut les aider. On doit les évacuer.
— Mais comment ? demanda la mère, inquiète.
— On met les navires à l’eau. Ceux qui le peuvent monteront à bord. Ensuite, nous irons prévenir les forteresses. Les seigneurs doivent savoir ce qu’il s’est passé ici.
La mère acquiesça, esquissant un sourire fragile à ses filles.
— Il ne nous arrivera rien. Je vous le promets, dit-elle en pinçant tendrement la joue de la plus jeune.
Le père s’éloigna pour rassembler les membres de leur famille. Tous mirent la main à la pâte : remettre les navires à la mer, guider les habitants affolés, calmer les plus jeunes. Par miracle, la marée était haute — un coup de chance inespéré. Les bateaux purent être poussés à flot bien plus vite que d’ordinaire.
Autre miracle : les charpentiers avaient achevé les réparations le jour même.
Comme si tout s’était aligné pour qu’ils survivent…
Mais les combats se rapprochaient.
Parfois, au loin, on entendait même un grondement de tonnerre. Les premiers navires, bondés de villageois, prenaient déjà le large. Gwenn aidait à faire embarquer les suivants.
Alors qu’elle attendait qu’un autre bateau soit prêt, une main saisit son bras :
— Eh ! s’écria-t-elle, prise de panique.
— C’est moi, c’est moi ! T’as vu comme je fais peur ? lança Draiss en riant.
— Quand tu débarques comme un sauvage ! grogna Gwenn, le cœur battant.
Son rire la calma, lui rendit un peu d’air.
— T’as vu Tan ? Il est déjà monté sur un navire ?
— Gwenn ? s’inquiéta Draiss.
Tan.
Son cœur se contracta. Son regard se perdit vers le village en flammes.
— Gwenn ? insista Draiss, inquiet.
Je suis sa protectrice. Mais… ma famille…
Je dois l’aider.
Je dois les aider tous.
Elle savait que sa famille réussirait à fuir. Un navire allait les accueillir.
Et elle… elle devait retrouver Arnitan. Il ne pouvait pas être mort. Pas sans elle.
Rif, leur petite chienne, s’était enfin calmée. Elle était blotti contre la sœur de Gwenn. Le moment était venu de faire un choix. Un choix qu’elle ne pourrait pas expliquer. Pas maintenant.
Je ne peux pas… dit-elle jetant un regard à sa sœur, peut-être pour la dernière fois.
— Je dois aller l’aider, dit-elle d’une voix ferme.
— Quoi ? Il est toujours là-dedans ? demanda Draiss, en désignant les rues embrasées.
Gwenn hocha la tête.
— Je viens avec toi.
— Non. J’ai besoin que tu restes ici, pour protéger ma famille. Je suis la protectrice d’Arnitan.
— La quoi ? demanda Draiss, surpris.
— Pas le temps d’expliquer. Tu me fais confiance ?
Il la fixa un instant, les mâchoires serrées, puis hocha lentement la tête :
— Je le ferai. Mais toi… qui va te protéger ?
Elle ne répondit pas. Elle courait déjà, s’enfonçant dans les ténèbres et les flammes.
Elle ne devait pas se retourner.
Arnitan lui avait donné un but. Une raison d’être. Comment aurait-elle pu trahir sa promesse ?
Si elle n’y allait pas, elle ne se le pardonnerait jamais. Qu’il soit en vie…
Et s’il avait péri ? Non. Non, elle refusait d’y croire.
Elle ne savait pas manier les armes. Elle ne savait même pas comment s’y prendre pour le sauver. Mais peu importait.
Je le défendrai. Quoi qu’il m’en coûte, se répéta-t-elle, le cœur battant.
Elle refusait d’être encore cette petite fille tapie dans l’ombre, à pleurer sans agir.
Assez de se cacher, d’attendre. Celui qui l’écoutait, la rassurait, l’aimait — il était en danger.
Et elle… elle était l’Hirondelle. Celle de son destin. Elle n’avait pas le droit d’échouer.
Alors qu’elle remontait le village en courant, une silhouette encapuchonnée apparut sur son chemin.
Elle s’arrêta net.
Ces vêtements…
— L’hirondelle a assez virevolté, dit l’homme d’une voix douce, presque amusée. Il est temps qu’elle retrouve son chemin.
Ce ton… cette assurance tranquille. Elle l’avait déjà entendue.
Non… se dit-elle. C’est impossible.
— C’est très possible, au contraire, répondit Erzic, son sourire s’élargissant. Tu es l’Hirondelle. Celle qui ouvrira la voie au Loup. Nous ne faisons qu’accélérer un peu les choses.
Il lit dans mes pensées ?
— Je peux faire bien plus que ça, ajouta-t-il avec cette satisfaction calme et insupportable.
— Quelle voie ? demanda-t-elle, rassemblant son courage. Quelle voie dois-je lui ouvrir ?
Elle ne comptait pas fuir. Plus maintenant.
— Celle qui délivrera ce monde, dit-il. Mais si tu restes ici… tu ne la verras jamais.
— Je ne vous suivrai pas. Je dois protéger Arnitan !
— Et comment comptes-tu le protéger ? dit-il, la tête légèrement penchée.
La question lui brisa la poitrine. C’était exactement ce qu’elle se demandait depuis qu’elle avait quitté le port.
— Tu ne sais pas. Mais moi, je connais la réponse. Si tu me suis, aucun mal ne lui sera fait. Ni à lui, ni aux autres. Je te le promets.
Elle recula d’un pas, indécise.
— Je… je ne peux pas. Si je ne suis plus là, qui le protégera ?
— Mes amis veilleront sur lui. Jusqu’à ce que vous vous retrouviez.
Il disait ça avec un calme presque doux. Mais quelque chose sonnait faux. Elle le sentait.
— Pourquoi ne pas nous emmener tous les deux ? Pour en finir?
Erzic éclata de rire.
— Plus futée que je ne l’imaginais. Mais non. Arnitan a une autre mission. Il doit l’accomplir. Et toi… toi, tu dois ouvrir la voie. C’est ta fonction.
Mensonges, pensa-t-elle. Manipulations.
Elle envisagea de fuir. De le contourner. Peut-être avait-elle une chance… Si elle courait vite…
Mais alors il parla, plus bas, plus lentement :
— Pendant que nous bavardons, mes guerriers avancent vers les navires. Vers ceux qui tentent de fuir. Des familles, des enfants. Tu veux les voir brûler ?
Elle se figea.
Draiss. Sa mère. Sa sœur. Tous à bord de ces navires. Et il le savait.
Il venait de refermer son piège.
— Je vous suis… finit-elle par dire, à contrecœur.
Je suis désolée, Tan… Je n’ai pas réussi.
Des larmes de colère lui brûlaient les yeux.
— Au contraire, vous avez fait le bon choix, répondit Erzic, le ton mielleux. La voie que vous avez choisie nous mènera vers un âge… merveilleux.
Merveilleux ? Comment croire un homme qui avait attaqué Krieg, causé tant de morts, juste pour l’éloigner d’Arnitan ? Et maintenant il prétendait que c’était pour le bien ?
Un fou. Voilà ce qu’il était.
Mais elle n’était pas assez forte pour lui tenir tête. Pas encore. Et s’il disait vrai… s’il suffisait qu’elle parte avec lui pour que le massacre s’arrête, alors elle l’acceptait. Pour eux.
Ils vivront. Tous.
Erzic eut un ricanement étouffé, puis leva les mains.
Il psalmodia quelques mots dans une langue étrange. Un cercle de feu jaillit du sol, s’ouvrant devant lui.
— Com… comment avez-vous fait ça ? souffla Gwenn, saisie d’effroi.
— Viens. Je te promets que tous survivront. Et je t’expliquerai tout ce que tu voudras, assura-t-il, en lui tendant la main.
— Ceux qui sont encore en vie… murmura-t-elle.
Elle n’attendit pas sa réponse. Les yeux embués, elle avança et entra avec lui dans le cercle de flammes.
— Ne t’inquiète pas, nous serons en lieu sûr, promit-il.
Le feu n’était pas brûlant. Il semblait même réconfortant. Et à l’intérieur, une silhouette apparut : un vaste dôme couleur sable, irréel.
Alors qu’ils le traversaient, une voix familière fendit le tumulte :
— Gwenn !!
Elle se retourna. Et le vit.
Arnitan. Vivant. Le souffle court. Les larmes coulèrent aussitôt, brûlantes.
Il est en vie… Je suis désolée, Tan… Je t’ai—
Mais elle n’eut pas le temps de finir sa pensée. Le cercle se referma dans un tourbillon de lumière.
Krieg disparut.
Et Arnitan avec.
Le noir se fit. Plus noir encore que la nuit dans une forêt. L’air était humide, lourd. Des pas résonnèrent à ses côtés.
Une flamme s’alluma. Erzic, une torche à la main.
Derrière lui, quelque chose scintillait
Des… barreaux ?
Une silhouette était assise, à peine visible. Seule la teinte verdoyante de ses yeux attestait qu’elle était vivante.
— Bienvenue chez vous, Hirondelle, rit Erzic.
Il ouvrit la cellule, l’invitant à entrer.
Avait-elle le choix ? Elle ne savait même pas où elle était.
La femme, pâle et magnifique malgré l’épuisement, la fixait en silence.
La porte claqua derrière elle.
— Je repasserai. Faites connaissance. Je suis sûr que vous avez beaucoup de choses à vous dire. Pas vrai, Elira ?
Gwenn sursauta.
— Et… et Krieg ? demanda-t-elle, la voix tremblante.
— Ne t’inquiète pas. Tout est terminé.
Elle se figea. Avait-il… menti ?
— Comme promis, nous nous sommes retirés. Tes amis sont vivants, ajouta-t-il, plus calme.
Elle voulait le croire. Elle voulait croire que ce sacrifice n’était pas vain.
Plus aucune lumière
Juste elle.
Et cette femme aux cheveux d’or.
Elle sentit sa gorge se nouer. Les larmes revinrent.
Erzic parti, ses pas résonnèrent un long moment dans la cellule.
Puis lorsqu’il fut assez éloigné, plus aucune source de lumière.
Elle était là à côté d’une étrangère qui la fixait.
Tan… Draiss… ma famille… Krieg...
J’ai tout perdu.
Puis une voix douce, grave, résonna dans le noir.
— Tu n’es pas l’Hirondelle, jeune fille.
Chapitre très agréable à lire, je n'ai pas relevé de problème de forme :). Meme si l'on comprend la décision de retrouver Arnitan ca reste quand assez idiot pour une ado de foncer tete baissée dans un village en proie aux flammes et attaqués par des guerriers sans aucun plan. Mais bon l'amour rend aveugle. La manipulation d'Erzic était sympa meme si je suis un peu surpris qu'il épargne les villageois, après cela peut s'expliquer par le fait qu'il n'en tire pas la moindre importance.
Enfin, la dernière scène où l'on apprend que Gwenn n'est pas l'hirondelle. Bien que l'on s'en doutait déjà, la scène est sympa et l'on comprend aisément l'erreur d'Erzic étant donné qu'Arnitan n'a pas arrêté de l'appeler de cette façon.
Je continue.
Ahah il y a toute une stratégie d'Erzic derrière ça. Comme tu l'as dit il pense avoir la véritable Hirondelle mais ce n'est pas le cas. Mais ça n'empêche pas le fait qu'Arnitan voudra certainement la sauver :) Quoi de mieux notre mage :)
le Tome 2 va nous livrer beaucoup de réponses :)