- Tu es lointaine ces temps-ci, dit Juliette après que Julie lui eut ouvert la porte.
Cette dernière ne pouvait s’empêcher de grimacer devant son interlocutrice plus morte que vivante. Juliette ne ferait aucun effort pour paraître humaine. Aucun Vampire ne le faisait jamais à Musawa. Julie avait pu le constater, encore et encore, pendant ces cinq dernières années.
- C’est le déménagement qui te rend nostalgique ? Tu pourras toujours te rendre sur Terre pour tes événements. Ça sera juste un peu plus long.
- D’un autre univers à celui-là, récita Julie qui n’arrivait toujours pas à s’y faire.
- C’est sans danger, la rassura Juliette.
- J’ai confiance en vos ingénieurs et en Baptiste, précisa Julie.
Elle travaillait beaucoup avec eux. Ils lui avaient ouvert des lignes sécurisées vers ses différents interlocuteurs un peu partout sur Terre. Ils s’assuraient que les liaisons soient toujours parfaites et ne l’avaient jamais déçue. Le frère du roi, Baptiste, gérait ses équipes d’une main de maître.
- Alors qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Juliette.
Julie grimaça. Elle n’aimait pas les Vampires. Ils avaient beau dire, cette égalité n’existerait jamais. Juliette pourrait mettre en place toutes les idées du monde, rien ne ferait tomber la barrière entre des immortels aux sens sur développés et de banals humains.
Ainsi, Juliette avait perçu le changement chez Julie. Cette dernière baissa les yeux, retenant les larmes qui perlaient.
- Tu sais combien je suis attachée à ce que tous mes concitoyens se portent bien. Je suis la maire de cette ville et…
- Tu sais aussi bien que moi que je ne suis pas une résidente normale de Musawa. Personne ne m’approche. Les doigts, bras et poignets cassés par mes protectrices ont refroidi tout le monde.
- Tu as Auguste, rappela Juliette.
- Auguste est mon fils, cingla Julie.
Phrase on ne peut plus inutile. Juliette le savait fort bien. Julie n’avait juste rien trouvé d’autre à dire sur le moment.
- C’est d’un autre type de contact dont tu as besoin. Chris serait ravi de…
- Non merci ! s’écria Julie en se reculant de terreur. Je n’ai aucune envie qu’il m’approche.
- Tu as quelqu’un en vue ?
Julie se tortilla de malaise.
- Oui et non, avoua-t-elle. Disons que sa présence m’a fait ressentir encore plus profondément le manque. Tout le monde me fuit comme si j’avais la peste. J’ai besoin… d’un peu de tendresse. Ce n’est même pas de sexe dont je parle. J’ai mes mains pour ça.
- Et quelques jouets tout droit sortis des laboratoires, s’amusa Juliette.
- Aussi, oui, admit Julie. Ils ont des idées sacrément perverses et s’avèrent très doués, autant dans ce domaine que les autres et c’est peu dire.
Le regard de Juliette se perdit dans le lointain et ses lèvres s’étirèrent lentement, formant un sourire proche de celui de la Joconde, mettant Julie très mal à l’aise.
- Je me sens seule, termina Julie, ramenant le regard de Juliette sur elle.
Ses yeux n’exprimaient qu’une immense bienveillance. Elle ne jugeait pas, ne se moquait pas.
- Je suis navrée que Chris ne te l’apporte pas, dit Juliette et elle semblait sincère. Si ça peut te rassurer, je crois qu’il ne donne de son temps à personne. Il est complètement submergé par le travail. C’est éreintant de gouverner le monde.
- Il s’occupe de Malika, dit Julie.
Elle n’avait absolument pas prévu la pointe de jalousie dans son ton. Elle ? Jalouse de la reine ? Depuis quand ?
- Il la baise pour qu’elle lui donne des filles, dit Juliette en haussant les épaules. Je crois qu’il me baise moi plus qu’elle.
Julie préféra autant ne pas répondre à ça. La relation entre Chris et Juliette la dépassait.
- La nouvelle Musawa sera bien plus grande, indiqua Juliette. Ici, nous sommes limités dans l’espace mais dans le nouvel univers, nous pourrons créer toutes les zones voulues. Tu te souviens du morceau de chocolat que tu as ramené en douce pour ton fils ?
Julie aurait préféré oublier. Ses protectrices l’avaient vendue. Les femmes en noir étaient censées empêcher quiconque de la toucher, pas la dénoncer au premier manquement. Julie l’avait toujours en travers de la gorge. Juliette ne pouvant toucher Julie, elle avait attendu qu’Auguste, trop petit pour comprendre, ait le morceau dans la main et le lui avait retiré. « Musawa est et restera auto-suffisante en nourriture ! Rien de consommable en provenance de l’extérieur ! »
Mouais, sauf le sang pour les Vampires s’occupant des terminaux énergétiques. Julie avait préféré ne pas faire de remarque. Elle préférait autant que les buveurs de sang prélèvent leur dose ailleurs.
- Nous pourrons planter des cacaoyers. Une chocolaterie va voir le jour.
- Avec des Oompas Loompas ?
Juliette plissa les yeux.
- Laisse tomber, soupira Julie. La plupart des Vampires comprennent parce qu’ils viennent à mes événements cinéma mais toi, tu ne sors jamais de Musawa alors oublie ma réponse. C’était censé être drôle.
- Ah… souffla Juliette. Désolée, je n’ai pas la référence.
- C’est ma faute. J’aurais dû me douter que tu ne l’aurais pas.
- Moi, j’ai trouvé ça drôle, dit une voix désincarnée.
- Merci, Sophie, répondit Julie.
Elle n’avait jamais vu le visage de la protectrice. C’était la seule à lui adresser de temps en temps la parole.
- Karim sera envoyé dans un autre village, annonça Juliette.
- Ça serait plus juste que ça soit moi qui m’éloigne. Il n’y est pour rien si je l’apprécie vraiment beaucoup et puis, franchement, c’est ridicule. Jamais je ne désobéirai à Chris. Je n’entrerai pas en contact avec Karim.
- Mais sa présence te fait te sentir mal, dit Juliette d’une voix pleine de soutien.
- La présence de n’importe quel humain me fait ça. Je n’ai même pas le droit de serrer la main de mes interlocuteurs sur Terre. Tout le monde est au courant alors ça passe mais ça me complique quand même les choses.
- Tu t’en sors très bien, grommela Sophie. Tes événements sont de pures merveilles.
- C’est vrai qu’ils sont bien ! approuva Juliette.
Julie en avait monté un à Musawa. Des Vampires curieux étaient venus regarder et certains, en découvrant la ville, avaient décidé d’y rester, fantastique publicité pour cette cité mal vue du reste de la communauté. Le ratio très largement en faveur des humains à l’arrivée de Julie penchait doucement vers une égalité, ravissant madame la maire.
- Je pourrais faire encore mieux si on ne me mettait pas des bâtons dans les roues, maugréa Julie.
- Si on te change de village, Auguste va perdre tous ses amis. À son âge, c’est difficile. Karim est adulte et célibataire. Un changement de village lui permettra de rencontrer de nouvelles personnes. Je vais lui choisir un joli voisinage.
Julie comprit qu’elle ferait en sorte qu’une femme lui plaise là-bas. Facile quand on sentait les phéromones. « Égalité mon cul », pensa Julie.
- Ton fils aura du chocolat avant ses dix ans, promit Juliette.
- Youpi ! grogna Julie d’un ton rauque en totale contradiction avec le mot prononcé.
Même l’amitié lui était interdite, par peur qu’elle dépasse les limites, soi-disant pour la protéger. Elle se sentait déjà mal. La présence de Karim n’augmentait pas sa peine. Elle était déjà incommensurable. Julie se renferma et Juliette la laissa tranquille.
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Les coups sur la porte firent lever les yeux de Julie. Elle couchait sur le papier des idées en vrac, à la recherche de l’inspiration pour son prochain événement. Auguste faisait du vélo avec ses amis et ne rentrerait pas avant la tombée de la nuit. Enfant surdoué, il montrait des capacités cognitives hors du commun. Heureusement que les professeurs à Musawa étaient doués. Des Vampires exclusivement, s’était rendue compte Julie lors de la première rencontre parents-professeurs, un moment extrêmement pénible pour Julie.
Elle reboucha son stylo, se leva, repoussa sa chaise et se dirigea vers la porte. Elle l’ouvrit. Les visiteurs étaient rares. Elle s’attendait à un copain d’Auguste et s’apprêtait à lui indiquer son emplacement.
Son cœur rata un battement quand elle se rendit compte de l’identité de son invité surprise. Elle recula en tremblant.
- Bonjour, Julie.
- Bonjour, Chris, répondit-elle, sa voix se modulant bizarrement.
- Je peux entrer ?
- Bien sûr ! dit-elle. Je vous sers un café ?
- Volontiers, répondit-il.
Il entra et referma derrière lui. Julie se rendit dans la cuisine et y manipula la machine à café avec la sensation d’avoir du coton dans les doigts. Que pouvait bien lui vouloir le roi pour avoir fait le déplacement ? Elle le savait très occupé et ne s’attendait pas à ce qu’il se souvienne de son existence. Après tout, en seize ans, pas une visite, pas un appel, même pas un cadeau pour la naissance d’Auguste, rien à ses anniversaires.
Julie apporta la tasse fumante et la posa sur la table basse devant le canapé où Chris avait pris place tel le conquérant en terres connues. Julie prit place sur un fauteuil en face, ne sachant quelle attitude adopter.
- Ce que j’ai à te dire ne va pas te plaire, indiqua Chris.
Julie se crispa. Avait-il des reproches à lui faire ? Avait-elle mal agi ? Elle se repassa le film des derniers jours, sans rien trouver.
- Je souhaite que tu arrêtes de faire des événements sur Terre, continua le roi.
Julie en cessa de respirer. Son travail était tout ce qui lui permettait d’oublier sa vie de merde. S’il lui prenait cela…
- Celui de Musawa est une totale réussite. Le nombre de Vampires résidents augmente brusquement après chacun d’eux, poursuivit Chris. Juliette ne tarit pas d’éloges. Cela m’a donné une idée.
Julie fronça les sourcils. À quoi le roi pensait-il donc ?
- Le palais est actuellement inintéressant, lui apprit Chris. Les Vampires viennent pour me voir, me parler, échanger un mot avec moi, et ce même s’ils n’ont rien à me dire, c’est juste histoire de pouvoir dire « je lui ai parlé ».
Julie parvint à sourire. Chris semblait tellement blasé.
- Et puis ils s’en vont, poursuivit le vieux Vampire affalé sur les coussins moelleux. Je voudrais qu’ils restent et j’ai autre chose à foutre que de refaire la déco.
- Je comprends, indiqua Julie.
- Je veux que le palais devienne l’endroit à la mode, où il faut être. Comme tu le sais, nos installations sont hors sol alors tu as une place infinie, des crédits illimitées et les laboratoires feront tout ce que tu voudras.
- Je peux très bien gérer ça et mes événements terrestres en même temps, assura Julie.
- Je veux que les Vampires préfèrent vivre hors sol. Tes événements leur donnent envie de retrouver le plancher des vaches. Je souhaite exactement l’inverse.
Les pommettes de Julie tressautèrent. Le roi désirait que les siens quittent la Terre. Avait-elle bien compris ? Elle était censée créer le paradis des Vampires, loin de leur planète de naissance ?
- Nous sommes au milieu d’une bulle de sécurité, précisa Chris en désignant l’espace autour de lui du menton. Je ne veux pas que mon objectif soit connu. Le palais doit devenir un lieu branché et c’est tout. Tu feras ton possible pour y arriver, n’est-ce pas ?
- Bien sûr, promit Julie.
- Parfait. Tu m’y rejoindras demain, le temps de faire tes bagages et dire adieu aux amis que je suppose que tu t’es fait ici.
- Bagages ? Adieux ? répéta Julie. Je ne comprends pas. Je dois quitter Musawa ?
- Tu seras plus efficace en travaillant sur place. Pas de perte de temps. Et puis, ça te donnera encore plus envie de rendre cet endroit agréable si tu t’y trouves.
- Agréable n’a pas le même sens pour un humain et pour un Vampire, grogna Julie.
- Certains Vampires adorent la vie humaine, comme Musawa le prouve. Sauf que cette ville est un peu extrême pour certains. Ils ont besoin de normalité mais pas autant que ça. Tu vas devoir danser sur un fil. Mieux vaut que tu sois sur place.
- Vous me demandez d’abandonner notre fils ?
Chris transperça Julie des yeux, constatant, impassible, les larmes ravalant son visage.
- Tu peux l’amener avec toi, précisa le roi.
- Ce n’est qu’un enfant ! Il va encore à l’école. Il sort avec ses potes. Le palais n’est pas un endroit pour lui. Malika m’a dit qu’un humain n’y survivait pas plus d’un an !
- Je déclarerai Auguste intouchable, promit Chris.
Julie en eut la nausée. Interdiction de contact. Elle en souffrait tant ! En aucun cas elle ne souhaitait imposer cela à son enfant, sa seule compagnie, son unique source de tendresse.
- De plus, Auguste n’est pas un enfant, poursuivit Chris. Il a peut-être quinze ans physiquement mais mentalement, il est plus proche de vingt-cinq. Peut-être faudrait-il songer à lui demander son avis. Il est en âge de choisir. Une navette viendra te chercher demain, accompagnée ou pas, peu m’importe.
Julie fut incapable de se contenir davantage. Les larmes ravalèrent son visage. Quel choix de merde ! Soit elle abandonnait son enfant, le laissant seul sans sa mère, soit elle l'emmenait avec elle mais l'obligeait à vivre dans un endroit pourri. Elle s'en voulait tellement de préférer la seconde option, celle qui lui permettait de ne pas perdre son unique source de tendresse, de contact, de chaleur humaine.
Chris se redressa et fit quelque chose que Julie n'aurait jamais cru possible : il la prit dans ses bras. Il était chaud et sentait bon, une odeur subtile et nuancée, ni trop, ni pas assez. Son torse pulsait au rythme d'un battement cardiaque que Julie savait inutile. Chris faisait l'effort de paraître humain pour elle.
Il le faisait depuis son arrivée, d'ailleurs, remarqua Julie. Contrairement aux Vampires de Musawa, le roi préférait afficher une apparence humaine. Julie lui en sut gré. Sa proximité lui était bien plus supportable ainsi. Elle se rendit compte des efforts qu'il faisait pour elle.
Tandis qu'il lui caressait les cheveux dans un geste tendre et rassurant, Julie se demanda pourquoi il faisait ça. Il prenait sur son temps - pourtant compté - pour lui parler et la câliner. Elle lui en fut infiniment reconnaissante, sans être capable de l'exprimer avec des mots, se contentant de sangloter entre ses bras réconfortant.
Enfin un peu de chaleur humaine ! Elle en rêvait tant ! Ce contact l'emplissait de bonheur. Il était doux. Elle le croyait cruel. Voilà que le lion prenait la biche en pitié. Julie ne comprenait pas et ne posa aucune question. Elle profita du moment en ronronnant de bonheur.
La porte s'ouvrit avec fracas, faisant sursauter Julie. Chris ne se dégagea pas d'elle, malgré l'apparition inopinée de trois adolescents dans la maison.
- Oh pardon ! dit Manssour. Nous ne...
L'adolescent à la peau noire se tut, les mots suivants restants bloqués dans sa gorge tandis que ses yeux s'ouvraient ronds en constatant l'identité de la personne présente.
À l'école de Musawa, des cours portaient sur la politique, celle de différents pays sur Terre mais également celle de la cité. Ainsi, tous savaient que Juliette commandait ici mais qu'au-dessus d'elle, il y avait Chris, le roi, dont le portrait s'affichait un peu partout.
Samy, l'autre ami d'Auguste, un Vampire ne cachant rien de sa nature, comme de bien évidemment à Musawa, se contenta d'un sobre mais non moins très poli salut de la tête, auquel Chris répondit sobrement.
- On se casse, annonça Samy.
Manssour mit un moment à réagir mais finalement, il suivit son comparse dehors. Auguste se retrouva seul dans l'entrée, figé. Si l'identité du visiteur l'avait surpris, sa posture l'avait complètement déstabilisé.
Auguste n'ignorait pas que sa mère fut intouchable. Une aura d'épine l'entourait. Lors des fêtes, les gens se serraient la main, s'enlaçaient ou se faisaient la bise. Mais pour interagir avec Julie, tout le monde se contentait d'un lointain "salut" accompagné d'un geste rapide de la main.
Et si par malheur quelqu'un osait franchir la ligne invisible de la bulle intime de sa mère, il se retrouvait sans raison au sol à hurler de douleur, le doigt, le bras ou le poignet brisé.
Auguste avait fini par apprendre qu'il était le seul à pouvoir franchir cette ligne sans risque, bien que ne comprenant pas pourquoi. Il avait déjà vu sa mère, au parc, voir un enfant tomber et se faire mal et ne rien faire. Auguste le lui avait reproché, une fois. "Je n'ai pas le droit de le toucher", avait répondu tristement sa mère. Auguste n'avait plus jamais insisté. Il avait senti l'extrême détresse dans la voix de sa mère et ne s'y était plus jamais frotté.
Alors voir cet homme enlacer sa mère ! Auguste en resta figé de stupeur. Puis il se reprit. Bien sûr qu'il pouvait. C'était le roi ! Il avait le pouvoir de franchir la ligne magique entourant sa mère.
Auguste fut pris d'une intense bouffée de jalousie. Il était le seul à pouvoir donner de la tendresse à sa mère. Il savait combien elle en avait besoin et en jouait. Il savait comment obtenir d'elle ce qu'il voulait : il lui suffisait de bouder. S'éloigner d'elle physiquement. Lui refuser le contact. S'enfermer dans sa chambre. Sortir de la maison. Ne pas l'embrasser le matin. Se coucher sans le câlin. Julie craquait toujours et lui offrait tout ce qu'il voulait. Elle était si facile à manipuler.
Alors la voir entre les bras de cet homme... Le roi était en train de lui voler sa mère. Il n'allait pas se laisser faire tout de même !
- Tu tombes bien mon garçon ! lança le roi. Ta mère et moi voulions te parler, justement.
Auguste se crispa à ces mots. Ils avaient quelque chose de déplacé. Comment l'avait-il appelé ? Mon garçon ? Et puis "Ta mère et moi" ? Cela sonnait faux. Julie ne réagit même pas aux propos, se contentant de profiter des caresses sur ses cheveux. Elle avait toutefois les yeux gonflés de larmes. Auguste fut sur ses gardes.
- Assieds-toi. C'est important, insista le roi en désignant le fauteuil près de sa mère de la main.
Ce faisant, il s'était un peu écarté de Julie mais Auguste constata qu'il lui tenait la main, la caressait de son pouce. Auguste s'assit, tendu, les nerfs à vif. Mais que se passait-il ?
- Ta mère va quitter Musawa demain pour ne plus jamais y revenir, annonça le roi.
Auguste se tourna vers sa mère qui pleurait et fuyait son regard.
- Pourquoi tu ne m'as pas prévenu ? demanda Auguste, abasourdi.
- Elle vient seulement de l'apprendre, précisa le roi. La question est : souhaites-tu la suivre ?
Julie gémit. Auguste ne l'avait jamais vue ainsi. Sa mère était une femme forte, à la tête d'équipes solides devant lesquelles elle ne faiblissait jamais. Il l'entendait souvent tenir des conversations téléphoniques dans différentes langues. Il l'admirait beaucoup.
Là, elle ressemblait à un agneau perdu. Elle tremblait, sanglotait, pleurait. Son dos courbé, la tête basse... Elle lui faisait de la peine.
- Tu as le droit de préférer rester à Musawa pour poursuivre tes études et terminer ta vie ici, précisa Chris. Ta mère et toi resterez en contact visio. Via la réalité augmentée, ça sera comme si vous étiez l'un à côté de l'autre.
- Elle ne pourra pas juste venir me rendre visite ? demanda Auguste.
- Non, coupa Chris. Elle va me rejoindre au palais et n'en sortira plus.
- Au palais ? s'exclama Auguste les yeux brillants. Tu vas aller vivre au palais ?
Julie leva un regard peiné sur son fils. Il s'imaginait sûrement un château comme dans les contes. Il serait vite détrompé sauf que ça serait trop tard pour faire marche arrière.
- Là-bas, les Vampires et les humains ne sont pas égaux, comme ici, prévint Julie d’une voix éraillée par les larmes et entrecoupée de reniflements. L'ordre naturel est la règle.
- L'ordre naturel ? Je ne comprends pas.
- Les Vampires ordonnent. Les humains obéissent, tenta d'expliquer Julie.
Elle sut qu'elle avait échoué dans le regard vide de son fils.
- Pourquoi ? demanda-t-il, les yeux écarquillés.
- Parce qu'en cas de refus d'obéissance, l'humain se fait tuer, intervint le roi.
Julie lui sut gré de l'aider. Seule, elle ne se sentait pas d'y arriver.
- Généralement torturé puis tué, d'ailleurs, précisa Chris. Violé, mangé morceau par morceau, frappé, griffé, les os brisés, souvent tout ça en même temps, sous le regard ravi des autres résidents. On s'ennuie tellement au palais. Un peu d'animation est la bienvenue alors les initiés sont poussés à la faute. Ta mère doit justement changer cela.
- Elle doit empêcher les Vampires de tuer de pauvres gens ?
- Je suis le roi du monde, indiqua Chris, et même si je ne porte pas les initiés dans mon cœur, ils restent mes sujets et je dois prendre soin d'eux. Ces décès pourraient être évités.
Julie comprit la conséquence de son échec et l'importance de sa mission. Il ne s'agissait pas seulement de divertir des Vampires en mal de sensation. Il fallait surtout et avant tout retirer des humains des mains cruelles de Vampires plein d'ennui.
- J'ai donné pour mission à Julie de s'en charger. La tâche sera immense, j'en suis conscient mais j'ai toute confiance en ta mère. Elle saura rendre le palais attractif et plaisant pour des Vampires, sans que le sang des initiés ne doive se répandre.
Auguste cligna plusieurs fois des yeux, réfléchissant intensément. Julie savourait le contact de la main du roi dans la sienne.
- Ta mère part demain matin. Tu peux l'accompagner, ou pas. Ça sera ton choix et il sera définitif. Il n'y aura aucun retour en arrière possible alors réfléchis bien mon garçon. À demain, Julie.
- À demain, Majesté, répondit-elle.
Le roi se leva et sortit de la maison.