Chapitre 31 : Aélya - Déménagement

- Stan, ici contrôle ! Tu fais quoi putain ? Je sais que tu n’es pas un pilote émérite mais quand même ! Tes mouvements sont complètement erratiques.

Aélya se tourna vers son éleveur et sourit.

- Contrôle ici Stan, répondit-il. C’est Aélya qui pilote.

Il y eut un petit silence puis la voix reprit :

- Tu laisses un animal piloter ?

- Je déteste ça et elle en crevait d’envie, expliqua l’éleveur.

- Tu laisses un animal piloter, répéta la voix ahurie avant de se taire.

L’éleveur se tourna vers Aélya qui le regardait en souriant pleinement.

- Ne m’appelle pas comme ça.

- Bien sûr que non, monsieur, dit Aélya, ravie de connaître le nom de son éleveur.

Il lui envoya un clin d’œil puis reprit un visage sérieux pour annoncer :

- Tu devrais vraiment regarder les écrans ou tu vas finir par percuter une navette voisine.

Aélya se recentra sur le pilotage. Elle resta à sa place à l’intérieur de la formation d’une dizaine de navettes que d’autres rejoignaient une à une. Bientôt, le nuage compta une trentaine d’appareils.

- Navettes ici contrôle. Le chargement est complet. Nettoyage dans dix, neuf…

- Donne-moi les commandes, ordonna l’éleveur.

Aélya obéit sans comprendre. Elle transféra les contrôles au copilote. Lorsque la voix dit « zéro », un sursaut apparut sur un des écrans de contrôle. Aélya sut immédiatement à quoi il correspondait. Elle observa les écrans autour d’elle avant d’en conclure la terrible et implacable vérité. Son âme pleura tandis que son cœur saignait.

- Es-tu en capacité de reprendre les commandes ? demanda l’éleveur.

- Pourquoi ? demanda-t-elle. Pourquoi avez-vous fait cela ?

- Notre position était découverte. Nos ennemis n’auraient pas tarder à pénétrer nos défenses.

- Aucun chasseur de Vampires ne pourrait jamais passer les barrières de sécurité du palais ! s’exclama Aélya en retour.

- Justement ! C’est bien là qu’est le problème !

- Comment ça ?

- Ils ont trouvé notre position mais toutes leurs tentatives pour entrer se sont soldées par des échecs. Comment réagit l’espèce humaine dans une telle circonstance ?

- Ils font tout péter, répondit Aélya en grimaçant.

- Avec ce qu’ils ont de plus gros. Leur bombe nucléaire n’aurait pas passé la barrière mais ils auraient essayé tout de même, détruisant des milliards de vies animales et végétales alentours sans le moindre scrupule.

- Déménager n’y changera rien, répliqua Aélya. Ils recommenceront dès votre nouvelle localisation découverte.

- Vu notre destination, on a le temps de voir venir avant que l’humanité soit en mesure de nous atteindre. Prête à reprendre les commandes ?

Aélya grimaça. Les Vampires venaient de détruire le palais, avec tout le bétail qu’il contenait. Une explosion aussi spectaculaire que sans conséquence pour la nature autour du palais. À l’intérieur, il ne resterait plus rien. La nature reprendrait rapidement ses droits. D’ici une dizaine d’années, il n’y paraîtrait plus. En attendant, des milliers de têtes de bétail venaient de périr. Les éleveurs n’avaient conservé que les meilleures, dont Aélya faisait partie.

Elle hocha la tête et le Vampire près d’elle lui rendit le contrôle.

- Depuis quand tu prononces le mot « Vampire » à la place d’éleveur, toi ? interrogea Stan en souriant.

- Depuis que j’ai lu tout ce que Stiny écrit.

- Tout ? répéta Stan. Hé ben tu t’ennuies sacrément !

- Je dévore aussi les publications de Baptiste, précisa Aélya.

- Et tu comprends ce que tu lis ?

- Oui, répondit-elle sincèrement.

- Alors tu pourras sans doute me dire ce qui se trouve derrière la lune, annonça Stan tout sourire.

Le satellite dévoila un objet dans l’espace. Aélya n’en avait jamais vu mais elle connaissait la théorie derrière cet évènement.

- Baptiste estime à plus de trois millénaires son avance technologique sur ce thème, souffla Aélya, impressionnée.

- Trois mille ans avant que les humains ne soient en mesure de rejoindre le palais. Tu vois ! Pas de quoi te faire de la bile. Tu ne seras plus là pour le voir. Cette seconde version des fermes sera ta dernière.

- Une version améliorée ? demanda Aélya.

Son éleveur la transperça des yeux.

- Parce que tu penses que ça mérite d’être amélioré ?

Aélya grimaça.

- Sous-entendrais-tu que ça n’est pas parfait ? Aurais-tu des reproches à formuler ?

- Non, monsieur.

L’éleveur sourit. La brebis docile venait de se soumettre.

- Hé bien moi, je trouve cela très imparfait, dit une voix nouvelle dans les hauts parleurs. Stan, je valide ta proposition. Ta relation avec Aélya m’a convaincu.

- Merci, brebis docile, dit l’éleveur tout sourire.

- Je ne comprends pas, avoua Aélya.

- Je n’ai pas le droit de te toucher.

Aélya fronça les sourcils. Son sang ne lui était pas destiné, certes, mais… Elle frémit en constatant que, effectivement, depuis leur rencontre, il n’y avait jamais eu le moindre contact entre eux. Il enfonçait l’aiguille sans jamais la toucher directement. Il utilisait les entraves pour l’immobiliser, toujours à distance. Il la torturait sans poser les mains sur elle.

- Cela m’oblige à repenser ma façon de me comporter, à réfléchir avant d’agir. Le fait de ne pas te consommer moi-même me rend plus disponible. Je sers quelqu’un d’autre, quelqu’un d’un rang supérieur au mien. Je mets tout en œuvre pour qu’ils soient satisfaits. Évidemment, j’y gagne quelque chose, à savoir le droit de consommer du sang en provenance des fermes, mais pas le tien. Cela rend notre relation plus bienveillante. Je veux réellement prendre soin de toi, sans mauvaise pensée.

- Tu es réellement un éleveur, quelqu’un qui prend soin de ses bêtes, dit la voix désincarnée dans les hauts parleurs. C’est de cela dont les fermes ont besoin. Pas de sadique ou de pervers sexuels.

- Nous allons avoir du mal à recruter, maugréa Stan.

- Je ne pense pas. Avoir accès au sang des fermes fera venir du monde. Ils accepteront toutes les conditions pour un peu de bonheur liquide.

- Espérons, souffla Stan.

- Aélya, tu seras chef du nouveau village, annonça la voix.

- Comme vous voulez, Baptiste.

Stan sourit tandis que la voix soupirait sans nier son identité.

- Vous serez toutes d’excellente qualité. Tes compagnes changeront toutes d’éleveurs. Tu seras la seule à conserver le tien et à comprendre pleinement ce qui s’est produit. Je pense que tu es à même de les aider à prendre leurs marques. Évidemment, tu as le droit de passer le flambeau quand tu veux. Je te veux chef du village à sa création. Tu n’as pas à le rester.

- Bien, monsieur, dit Aélya.

- Tu sais ce que tu as le droit de dire ou pas ? demanda la voix.

- Oui, Baptiste. Je n’ai pas le droit d’enseigner la lecture et l’écriture.

- Parfait. Communications interrompues le temps du saut.

Aélya offrit toute son attention au pilotage. Elle traversa sans difficulté et une vue magnifique s’offrit à elle : une nuée de gaz rougeoyants tirant parfois à l’orange, des nuages pourpres et jaunes s’entrelaçant de manière chaotique. Elle se sut en plein milieu d’une nébuleuse.

- Nouvelles coordonnées, annonça Stan.

Aélya dirigea l’appareil dans la direction pour voir apparaître une bulle de savon aux reflets arc-en-ciel. Elle la creva et l’espace disparut pour céder la place à une réplique du palais sur Terre. Aélya posa la navette à l’endroit indiqué afin de permettre aux passagers de descendre.

- C’est pour eux, la nourriture, n’est-ce pas ?

- En grande partie, oui. Le reste est consommé par les résidents du palais.

- Je croyais que vous ne consommiez que du sang, répliqua Aélya.

- Qui a dit que je ne t’avais jamais menti ? rétorqua l’éleveur et les lèvres d’Aélya s’étirèrent tandis qu’elle lui envoyait un regard narquois.

Elle décolla et l’appareil brisa une nouvelle bulle. Ici, le ciel brillait uniformément. Aucune source lumineuse n’apparaissait. Aélya fut soudain très triste.

- Je ne reverrai jamais le soleil, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.

- Je ne suis pas devin, répliqua Stan et Aélya le lui accorda volontiers. Tu remarqueras que vu que je reste là à m’occuper de toi, je ne le reverrai pas non plus avant un moment.

Aélya hocha la tête. Cela se tenait en effet.

- Merci ? lança l’adolescente.

- Je suis heureux de prendre soin de toi, précisa-t-il.

- Parce que ça vous offre du sang de bonne qualité ?

- Parce que j’aime m’occuper de toi.

Aélya sourit. Elle posa la navette en douceur sur la place centrale d’un village tout juste sorti de terre.

- À tout à l’heure pour ton prélèvement et bonne prise de fonction, lança Stan.

- Merci, monsieur, répondit Aélya avant de sortir du cockpit tandis que l’éleveur s’installait dans le siège du pilote.

Elle sortit la dernière de la navette qui décolla sans un bruit à peine elle eut débarqué. D’autres navettes disparaissaient dans le ciel. Douze femmes hagardes se tenaient sur la place centrale, peu certaines de ce qui était attendu d’elle.

Aélya s’avança et les femmes firent de même, formant un cercle parfait. Parmi les douze, Aélya reconnut Danaïs, Nali et Lili. Elle espéra que d’autres villages du même genre avaient été crées un peu plus loin.

- Bonjour, mesdames. Je m’appelle Aélya et je suis la chef de tribu.

- Et mon cul, il est quoi ? gronda une femme inconnue.

- C’est la volonté des éleveurs, précisa Aélya.

- La volonté des éleveurs sera faite, dirent toutes les femmes en cœur, même celle qui s’était énervée.

- Pour commencer, vous allez toutes changer d’éleveur. Ensuite, sachez que quelles que furent vos conditions précédentes, elles auront peut-être changé. Votre nouvel éleveur vous l’indiquera mais quoi qu’il en soit, votre éleveur ne vous touchera pas.

Ce disant, Aélya se tourna vers Nali et lui sourit. Plus jamais elle n’aurait à échanger de droit de visite au marché contre son corps. La femme cligna plusieurs fois des yeux, abasourdie par cette nouvelle.

- Bien. Maintenant, sachez que j’ai quinze ans et que je suis de la nourriture.

- Ben ça doit pas faire longtemps ! s’exclama la même femme.

- Cinq ans, répondit Aélya.

- Cinq ans ? répéta-t-elle. T’as été appelée à dix ans ? N’importe quoi !

- Aélya et moi venons du même village, intervint Lili, et je confirme qu’elle n’avait que dix ans quand…

- Laisse tomber, Lili. Elle n’a aucune raison de te croire davantage que moi. Il suffit qu’on se soit mises d’accord dans la navette.

- En parlant de navette, lança Nali. Nous ne t’avons pas vue de tout le trajet. Où étais-tu ?

- Dans la navette, assura Aélya, gênée.

- Évidemment, nous t’avons vue en descendre… bien après nous, fit remarquer Nali.

Aélya décida d’ignorer ce problème.

- Donc, je suis de la nourriture, de l’excellente nourriture mais je pense que c’est votre cas à toutes.

Elle reçut des hochements de tête.

- Vous aviez sûrement, comme moi, l’habitude d’avoir des privilèges par rapport à vos comparses.

Elles acquiescèrent.

- Ça ne va pas être possible ici car nous sommes toutes supérieures. C’est l’unique raison de notre survie.

- Survie ? répéta une femme inconnue. Comment ça ? Qu’est-il arrivé aux autres membres de mon village ?

- J’ignore le nombre de survivants mais de nos villages respectifs, je pense que nous sommes les seules.

Elle voyait mal les éleveurs séparer des femmes qui avaient passé toute leur vie ensemble. Le moment était suffisamment pénible pour ne pas en rajouter. De plus, la présence de Lili, Nali et Danaïs confirmait cette hypothèse.

- Il va falloir, toutes ensembles, qu’on arrive à s’écouter et à se respecter. Pour commencer, je vous propose de nous présenter. Les reproductrices pourraient-elles lever la main, s’il vous plaît ?

Lili, Nali et deux autres femmes, dont une au ventre proéminent, levèrent la main.

- Je vous présente Lili et Nali, indiqua Aélya et les deux femmes s’inclinèrent à l’énoncé de leur nom.

Aélya se tourna vers les deux autres femmes qui se présentèrent à leur tour.

- Ambre, est-ce que tu es enceinte ? demanda Aélya.

- Pourquoi me le demandes-tu spécialement à moi ? gronda-t-elle en retour.

- Parce que Salome est tellement grosse que la question ne se pose pas et que venant du même village que Nali et Lili, je sais qu’elles le sont.

- Oui, je suis enceinte, répondit Ambre et Aélya hocha la tête.

Les éleveurs avaient sauvé les espoirs.

- Cet état vous affaibli-t-il ? demanda Aélya qui, n’ayant jamais porté la vie, n’avait aucune idée de la réponse.

- Non, au contraire ! s’exclama Salome. Je suis en pleine forme !

Lili, Nali et Ambre firent la même réponse.

- D’accord. Super. Vous préférez la cueillette ou le marché ?

- Le marché, annonça Ambre.

- Je choisis chaque matin en fonction de mes envies, précisa Salome.

- Tu m’indiqueras ta préférence chaque matin et j’essayerai de te satisfaire, proposa Aélya.

- Le marché, annonça Nali.

Maintenant qu’elle n’aurait plus à payer pour s’y rendre, elle comptait bien en profiter.

- Les fruits, préféra Lili.

- Merci, mesdames. Maintenant, levez la main celle qui sont de la nourriture.

Aélya leva sa propre main et constata que cinq femmes faisaient comme elle. En restait une qui n’était ni reproductrice, ni nourriture. Aélya vit sa curiosité poussée au vif. Existait-il une autre catégorie ? Elle décida de se calmer et de continuer sans investiguer immédiatement.

- Je m’appelle Aélya et je suis prélevée deux fois par jour, après le petit déjeuner et le déjeuner. Chaque prélèvement me prend cinq poches.

- Cinq poches ? s’étrangla la femme en colère.

- Je ne dis pas ça pour me vanter, précisa Aélya, mais parce que ça influe sur mes capacités à travailler, qui sont de ce fait quasi nulles. Je mets un long moment à m’en remettre. En réalité, je suis à peu près bien le soir, prête pour aller dormir.

Les femmes ricanèrent nerveusement.

- De plus, je n’ai pas le droit de m’éloigner du centre de prélèvement… la tour argentée, traduisit-elle en constatant les regards d’incompréhension de ses compagnes. Du coup, je ne peux ni aller dans les champs, ni au marché.

- Tu fais quoi de tes journées ? dit la femme hargneuse.

- Rien, mentit Aélya. Je mange, je dors, je me repose, je regarde passer les nuages. Ma seule préoccupation est d’être disponible pour le prochain prélèvement.

- T’as une vie de merde, dit la femme et elle semblait sincère.

Aélya haussa les épaules.

- C’est la volonté des éleveurs.

- La volonté des éleveurs sera faite, dirent toutes les femmes d’une même voix.

Étrange que la seule chose en commun entre toutes ces adultes en provenance de villages différents soit cette ritournelle.

- Pourriez-vous vous présenter et m’indiquer votre fréquence de prélèvement ainsi que votre ressenti, afin que je puisse au mieux vous répartir dans les différentes tâches ?

- Jasmine, dit une femme rousse aux yeux verts. Je fais un don de trois poches par jour, le soir, avant d’aller me coucher.

Aélya tiqua au terme « don » mais choisit de ne pas s’opposer.

- Cela ne m’a jamais empêché d’effectuer une quelconque tâche, finit-elle.

- Fruits ou marché ? demanda Aélya.

- Fruits, dit Jasmine.

- Maggie, un don de quatre poches tous les deux jours, le soir aussi. Ça ne m’empêche pas de ramasser tous les fruits dont j’ai envie. J’aime aller au marché de temps en temps.

Aélya hocha la tête.

- Grenade, se présenta la suivante. Un don quotidien de cinq poches, le soir également. Il peut m’arriver d’avoir du mal à me lever le matin mais un bon coup de pied au cul et je gère ma journée.

Tout le monde rit doucement.

- Pomme. Quatre poches. Le matin au réveil. Je passe mes journées au marché.

- À baiser ! s’exclama Grenade et Pomme lui tapa gentiment sur l’épaule.

Ces deux-là venaient visiblement du même village.

- Je troque des trucs… parfois… grommela Pomme.

- Saule, se présenta la femme en colère. Six poches quotidiennes le soir. J’ai besoin de beaucoup me nourrir alors marché ou fruits, peu m’importe, tant que je peux consommer sur place.

- Bien sûr, répondit Aélya.

Saule était prélevée le plus après Aélya jusque-là.

- Danaïs ? lança Aélya.

La femme avait toujours refusé de parler de ses prélèvements. Allait-elle accepter de faire l’effort devant cette assemblée nouvelle ?

- Je m’appelle Danaïs et je donne durant la nuit. Je n’ai pas d’horaire fixe. Je peux être appelée n’importe quand dans l’obscurité. Jusque-là, j’ai été appelée une fois par nuit, sauf une fois où j’ai dû rejoindre mon éleveur deux fois. J’ignore la quantité de sang prélevée.

- Tu ne regardes pas ? s’étonna Saule. C’est la seule chose à faire pourtant…

- Je… ne suis pas… prélevée de cette manière… dit difficilement Danaïs qui cherchait ses mots.

Aélya frissonna.

- Tu… rencontres… ton consommateur, comprit-elle. Il…

Aélya leva l’index et le majeur, les recourba et frappa dans le vide devant elle en grimaçant. Danaïs sursauta.

- Je n’en ai jamais parlé à personne, murmura-t-elle ahurie. Je pensais… qu’on ne me croirait pas. Tu… sais ? Tu le vis aussi ?

- Non, dit Aélya. Je sais juste que ça existe.

- T’en sais des choses, ma poule, lança Saule.

Celle-là allait lui poser des soucis, elle le sentait. Aélya se tourna vers la dernière femme, celle qui n’appartenait à aucune des deux catégories.

- Tu es ? lança-t-elle, indécise.

- Je m’appelle Mélissa.

- C’est une vache, ricana Saule.

Mélissa lui envoya un regard noir, plein de haine. Ces deux-là se connaissaient et ne s’appréciaient visiblement pas.

- C’est avec plaisir que je préparerai les repas, annonça Mélissa. J’aime beaucoup cuisiner.

- Ces plats sont un vrai délice ! assura Ambre.

- Ta gueule ! gronda Saule et Ambre baissa les yeux.

- Je m’occuperai aussi des enfants… lorsqu’il y en aura, se proposa Mélissa.

L’endroit brillait par leur absence. Seules des adultes avaient été déplacées. Aélya essaya de ne pas trop y penser.

- Bien sûr, Mélissa mais… excuse-moi, je n’ai pas compris.

- C’est une vache ! insista Saule.

Ambre acquiesça tandis que le reste de l’assemblée lançait sur Saule un regard navré.

- Quoi ? s’exclama Saule. Ce n’est pas une insulte ! C’est vrai ! Regardez-la ! Elle va exploser si elle ne court pas vite se faire traire !

Aélya se tourna vers Mélissa. Sa poitrine sous sa tunique était certes imposante mais… Le regard furieux de Mélissa annonça que Saule disait la vérité.

- Tu leur fournis du lait, comprit Aélya.

- Ils en font quoi ? demanda Lili, surprise.

- Il faut bien nourrir les bébés, dit Mélissa. Les hommes élèvent les nourrissons. Mon lait part directement dans la bouche d’un petit.

Aélya trouva cette tâche très noble.

- Tu as du lait sans avoir eu d’enfant ? s’étonna Nali.

- J’ai eu un petit, il y a longtemps, se rappela Mélissa. Ma lactation a été intense. Ils l’ont stimulée davantage encore. Depuis, je n’ai pas été enceinte. Je n’ai pas la possibilité d’aller au marché de toute façon. Aucun éleveur ne m’appelle jamais. La douleur dans mes seins devient tellement grande au bout d’un moment que j’y vais de moi-même. Une machine me libère de ma souffrance.

Enclenchant le cercle vicieux. La traite stimulait la lactation, augmentant la nécessité de la femme à venir se faire traire, et ainsi de suite.

- C’est noté, Mélissa. J’ai faim, annonça Aélya. On découvre notre nouvel environnement ?

Chacune se choisit une hutte. Lorsqu’Aélya entra dans la cabane principale, Mélissa y préparait déjà le repas.

- Le matériel est complet mais niveau nourriture, il n’y a pas grand-chose, précisa-t-elle. Je fais de mon mieux.

- Ça sera parfait, sans aucun doute, Mélissa.

Aélya commença à préparer la table.

- Tu n’as pas à faire cela, fit remarquer Mélissa.

- Je ne vais ni à la cueillette, ni au marché. C’est l’une des rares activités à faible risque.

- Risque ? répéta Mélissa.

- Je n’ai pas le droit à la moindre blessure.

- Petite nature ? lança Saule en entrant.

Elle s’assit sans même s’intéresser à aider à la mise en place du repas.

- Mon éleveur y tient énormément, précisa Aélya.

- La volonté des éleveurs… commença Saule mais Danaïs la coupa.

- Une femme est morte pour avoir osé lever la main sur Aélya. Je te déconseille de t’y frotter.

- Elle ne devait pas être importante, répliqua Saule, amusée. Je suis sûre que tu avais mérité de te faire frapper. Tu m’as l’air du genre tête à claque.

Aélya servit les convives sauf Saule. La femme se contenta de prendre son assiette à Ambre qui ne se rebiffa pas.

- Bonne traite, la vache ! s’exclama Saule alors que Mélissa sortait discrètement.

Aélya emboîta le pas à Mélissa.

- T’inquiète pas pour moi, dit-elle. J’ai l’habitude. Avant, j’étais de la nourriture… bien meilleure qu’elle. Mon éleveur m’appelait deux fois par jour, comme toi. Et puis, un jour, ils m’ont fait rencontrer un homme. Pendant ma grossesse, je n’ai pas été appelée une seule fois. Ça a été une année bénie.

Aélya sourit.

- Après l’accouchement, je me suis mise à faire du lait. Je savais que ça n’était pas banal. Mes compagnes avaient bien sûr quelques coulures mais sans bébé pour stimulation, cela s’arrêtait rapidement. Moi, ça ne s’arrêtait pas. Mon éleveur a observé cela avec attention et avant le soir, la machine m’était proposée. La première traite a été une véritable libération. Je n’ai plus jamais donné mon sang.

- Faisant de Saule la meilleure nourriture du village, comprit Aélya et Mélissa hocha la tête. Il n’y a rien de déshonorant à procurer du lait à des bébés plutôt que du sang à des… aux éleveurs, se corrigea à temps Aélya.

- Saule ne le voit pas ainsi. Dans notre village, les chefs de tribus ont toujours été les anciennes meilleures nourritures. Chaque jour, les femmes annoncent leur nombre de poches de sang tout en se vantant de leur excellente santé.

- C’est ridicule, maugréa Aélya. Donner un bébé à ces salopards n’a pas de prix ?

- Salopards ? Tu es insultante envers les éleveurs ?

- Je pense qu’ils sont parfaitement au courant de ce qu’ils sont, répliqua Aélya. Je leur obéis. Je suis soumise. Ils m’ont brisée.

- Tu dis ça avec un tel calme.

- C’est vrai, répliqua Aélya en haussant les épaules. Je suis de la nourriture et ils sont des putains de salopards d’éleveurs. Ce n’est pas parce que je suis consciente de ma place que je dois m’y complaire.

Mélissa ne répondit rien. Elle sourit à demi, partagée entre l’amusement et la terreur. Les deux femmes entrèrent en même temps dans le bâtiment, chacune passant une porte différente.

- Bonjour, Aélya, lança Stan qui entra dès qu’elle fut installée.

- Bonjour, monsieur.

- Je suis un putain de salopard ? demanda-t-il.

- Puis-je répondre oui avec respect, monsieur ?

Il sourit puis lui enfonça l’aiguille dans le bras.

- Pas trop dure la prise de fonction ?

Aélya grogna en réponse. Chef était un rôle dont elle ne voulait pas. Certes, elle n’était pas obligée de le garder mais à qui le confier ?

- Entraves, dit-elle.

Stan sourit et la laissa exprimer sa peine, sa rage et sa tristesse.

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