Chapitre 30 : Le cadeau de la vérité

D'ordinaire, les couloirs de l'aile des invités du Palais des Lumières n'étaient que de longs espaces vides qui ne connaissaient que le bruit étouffé des pas pressés. Mais ce matin-là, alors que Jade comptait sur une promenade matinale paisible, elle fut amèrement déçue.

Devant une grande porte d'acajou se tenaient Eléanor de Percée, tête baissée et mains croisées dans le dos, face à un Dévoué Valmec qui gesticulait avec une fougue et une fureur évidentes. Sans intention de se dissimuler, la reine d'Indeya marcha franchement vers les gouvernants du royaume de Percée, mais à sa plus grande surprise ni la reine ni son conseiller ne remarquèrent sa présence. Eléanor, trop penaude pour relever la tête et sortir de sa torpeur, Valmec possédé tout entier par sa rage.

— Vous êtes inconsciente ! Je vous l'avais pourtant dit : « pas d'initiative ambitieuse » ! Qu'est-ce qui vous a pris ?

Pendant une seconde, le Dévoué cessa de faire les cents pas pour se planter devant Eléanor, qui ne broncha pas.

— Je… Je ne sais pas, je… Ça m'a juste semblé… important, alors j'ai…

— Important ! s'esclaffa-t-il dans un rire fou. Important, évidemment que c'est important ! C'est une politique de plusieurs décennies que vous voulez remettre en cause, là ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte !

— Si, je… si, bien sûr, souffla la reine. Mais, je… je croyais qu'il était temps de…

— Mais temps de quoi, Eléanor ? Vous vous rendez compte des conséquences, si votre demande avait été accueillie ? Vous avez pensé à l'impact sur le royaume de Percée ? Toutes les… vérités qui auraient pu émerger à cause de ça ?

D'un mouvement violent, il fit volte-face dans un grognement bestial, faisant virevolter sa longue robe blanche.

— Vous vous rendez compte de ce qu'il pourrait advenir, si certaines voix étaient entendues ? Moi, je vous dis tout cela pour vous aider, comme je l'ai toujours fait, comprenez-le bien. Mener cette politique de front n'est pas une partie de plaisir, je le conçois, mais cela est nécessaire, je crois. Pour vous, pour votre famille, pour Percée. Imaginez une seconde ce que les gens pourraient penser, s'ils apprenaient que le roi Richard…

Soudain, il s'interrompit, dos à la reine de Percée, fixant le mur recouvert d'une immense tenture d'un air mort. Jade s'immobilisa. Finalement, il finit par se retourner pour reprendre d'une voix soudain plus douce, mesurée, mielleuse.

— Des voix comme celles d'Emile Cujas, de Quionn Senti… Elles doivent demeurer dans l'ombre, vous comprenez ? Toute vérité n'est pas bonne à entendre. Vous ne voudriez pas ternir la mémoire de votre défunt époux, n'est-ce pas ?

Avec une douceur nauséabonde, Valmec glissa une main vicieuse sous le menton d'Eléanor, qui leva la tête à contre-cœur. Sous sa chevelure délabrée, la reine de Percée sembla soutenir le regard de son conseiller, avant d'acquiescer lentement, avec une réticence que seul Valmec refusa de voir.

Tandis que Valmec souriait aux personnages peints sur les murs, lissant sa tunique de Dévoué avec ferveur, Jade choisit cet instant pour s'approcher, annonçant sa présence cette fois sans discrétion aucune.

— Oh, bonjour Votre Majesté, Dévoué Valmec, les salua-t-elle avec une retenue et un enthousiasme polis.

Elle ignora délibérément les yeux violets flamboyants de méfiance de Valmec pour poser toute son attention sur Eléanor, qui maintenait fermement la tête orientée vers le sol, dissimulée derrière un rideau de mèches ternes et sèches. Mais comme si elle se sentait attirée par les prunelles émeraude, la reine de Percée parvint tant bien que mal, dans un geste lourd, laborieux, à lever les yeux vers Jade.

Et toute ébauche de sourire sur les lèvres roses s'évanouit instantanément.

Bloqué par la silhouette de Jade, Valmec ne pouvait pas admirer lui-même la cicatrice que ses mots avaient laissé sur le visage acariâtre d'Eléanor. Mais Jade en revanche, ne put voir que cela.

Entre les cheveux bruns emmêlés, au coin des yeux éteints brillaient une petite perle, perçante comme une étoile dans la nuit noire. Sous le regard ébahi de Jade, les perles fondirent comme neige éphémère.

La reine d'Indeya ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt lorsqu'un grincement strident déchira le calme du corridor. Dans un même mouvement, Eléanor, le Dévoué Valmec et Jade tournèrent la tête vers la porte qui venait de s'ouvrir au bout du couloir, plongé dans la pénombre bleue de l’aube timide.

— Le Palais des Lumières a sans nul doute connu des aurores plus calmes.

Jade grimaça à l'écoute de la voix froide qu'elle n'eut aucun mal à reconnaitre, et les épaules raidies d'Eléanor lui confirmèrent qu'elle ressentait la même appréhension. Diane s'approcha d'eux pas à pas, comme si elle glissait sur le sol, sa longue robe blanche trainant derrière elle. Ses cheveux d'argent réunis dans un chignon agrémenté de tresses étaient plus lisses et étincelants que jamais, comme si les flammes de Marina les avaient purifiés.

— Bonjour, Votre Majesté, l'accueillit Valmec de sa voix nasillarde et tremblante, courbé dans une révérence exagérée. Nous sommes navrés d'avoir troublé votre quiétude matinale. Je suis sincèrement confus. À vrai dire, je ne savais pas que…

— Dévoué Valmec, le coupa Diane sans vergogne, ses yeux de diamant brut fixés sur lui. Veuillez me suivre, je vous prie. J'ai… quelque chose en ma possession, que je souhaiterais vous montrer.

Jade haussa un sourcil de feu, mais se résigna à l'indifférence de sa mère. Elle tenta tant bien que mal d'apparaitre aussi insensible que cette dernière devant le visage illuminé d'espoir de Valmec. Mais les yeux de diamant paraissaient tout à coup happés par un point fixe au bout du corridor.

— Es… murmura Diane, le regard hanté.

Et aussitôt, sa voix se coupa. La reine d’Indeya suivit ce regard hagard qu’elle n’avait jamais observé chez sa mère, avec une curiosité non dissimulée, à temps pour apercevoir une ombre se dissoudre à l’extrémité du couloir avalé par les ténèbres bleues.

— Avez-vous aperçu quelqu’un, Mère ?

Mais encore une fois, la reine des Ospales agit comme si sa fille n’avait jamais ouvert la bouche, et évita avec grand soin le regard inquisiteur de Jade.

— Suivez-moi, trancha-t-elle, impassible, reportant son attention sur le Dévoué.

Et sans plus d’attention pour le religieux aux yeux brillants, elle fit volte-face et se dirigea vers ses appartements. Valmec la suivit dans un rire gras et nerveux, la démarche chancelante. Le grincement retentit de nouveau, et Jade entendit les pas qui franchirent le seuil de la porte. Avant que le claquement de bois retentisse, un cri perça l'air.

La reine d'Indeya tourna la tête précipitamment et vit du coin de l’œil Eléanor qui esquissait un geste en direction du hurlement. Jade hésita de longues secondes, avant de se décider à prendre une décision qu'elle se refusait de regretter. Elle pose une main apaisante, dissuadante sur l'avant-bras de la reine de Percée. Elle s'arma d'un sourire aussi implacable, mais plus sincère que celui qui l’avait élevée.

— Non, Votre Majesté, ordonna-t-elle d'une voix douce. Faites-moi confiance, je vous en prie. Ma mère n'apprécie guère d'être dérangée avant le lever du soleil. Je suis sûre que Valmec se porte bien.

Eléanor riva ses yeux vitreux sur elle, aussi figée qu'une statue. Le sourire de Jade s'élargit, plus chaud et plus lumineux. Puis la reine d'Indeya glissa un bras sous le sien et l'entraina dans une démarche modérée.

— Dirigeons-nous plutôt en direction de la Table, si vous le voulez bien.

Apathique, vidée de toute étincelle, Eléanor la suivit sans dire mot, comme guidée par une force qu'elle savait trop puissante pour elle. Aussi, lorsque la reine d'Indeya s'engagea dans un couloir qui s'enfonçait dans une aile latérale au lieu de prendre le chemin direct menant à la salle de la Table des Sept, elle n'ouvrit pas la bouche pour protester.

— Vous savez, commença Jade après quelques instants de silence, vous n'êtes aucunement obligée d'écouter et de suivre les conseils du Dévoué Valmec.

— Je… Je sais, murmura Eléanor d'une voix lointaine. C'est juste que… Il était le conseiller de mon défunt époux, et il a toujours eu à cœur les intérêts du royaume…

Un sourire narquois naquit au coin des lèvres de Jade.

— Les intérêts du royaume, vraiment ? En êtes-vous certaine ? Les intérêts du royaume de Percée… ou du roi Richard ?

Eléanor baissa la tête subitement, avalant sa salive bruyamment.

— Eh bien… Je… Les intérêts du roi coïncident souvent avec les intérêts du royaume…

— Hm. Mais pas ceux du roi Richard, rétorqua Jade en l'entrainant dans un nouveau couloir interminable.

— Je… Je ne pourrais dire. Je ne sais pas. Ses intentions n'ont pas toujours été claires, je…

— Reine Eléanor, la coupa Jade avec la prudence de celle qui ne veut pas effrayer une bête égarée. M'autoriseriez-vous à vous poser une question, et à attendre une réponse sincère de votre part ?

La reine de Percée marqua un silence hésitant, avant d'hocher la tête.

— Je… Oui, allez-y.

— La Magicienne Sans Cœur n'a jamais « collaboré » avec le roi Richard de son plein gré, n'est-ce pas ?

Inspiration saccadée.

— Elle… Non.

— Et je crois qu'elle n'a jamais enlevé la princesse Juliette non plus ?

Soupir haletant.

— Elle lui a jeté une malédiction lorsqu'elle était un bébé, mais…

Jade esquissa une grimace désolée.

— Oh, je suis navrée d'apprendre cela. Et pourtant, reprit-elle dans un rictus amusé, Juliette ne semble pas lui en tenir rigueur…

Eléanor ouvrit la bouche, la referma, puis secoua la tête, amère, avec un air d’abandon.

— Non, en effet, répondit-elle, les lèvres serrées. Vous avez raison : elle ne l'a jamais enlevée. Juliette a quitté le palais royal de son plein gré.

— Et pourtant, Valmec a choisi d’écrire tous ces mensonges dans ses écrits. Et il est déterminé à étouffer la vérité concernant la Magicienne Sans Cœur lorsqu'elle tente de remonter à la surface. Mais dites-moi…

Jade s'immobilisa dans le couloir et se tourna franchement vers Eléanor. Son sourire était d'ivoire et ses yeux d'un vert chatoyant.

— Vous allez rétablir la vérité, n'est-ce pas, Votre Majesté ?

Eléanor cligna des yeux avec une lenteur presque inhumaine.

— Que… Je… Je vous demande pardon ?

Le rictus de Jade se fit fantomatique lorsqu'elle tendit la main vers la porte derrière elle. Et enfin, Eléanor remarqua qu'elle connaissait ces larges battants de bois noir. L'entrée de la bibliothèque royale du Palais des Lumières.

— Pour quelqu'un qui aime autant lire, je ne vous ai pas beaucoup vu lire dans cette bibliothèque depuis votre arrivée.

Sans qu'elle ne sache pourquoi, les mains rachitiques d'Eléanor devinrent soudain moites lorsqu'elle observa Jade ouvrir la porte de la bibliothèque.

— C'est que je n'ai eu que peu de temps à disposition, avec la Table, et… Votre Majesté, reprit-elle d'une voix mal assurée, ne devions-nous pas nous rendre justement à la Table des Dix ?

Jade l'ignora royalement et entra dans la bibliothèque sans vérifier qu'elle la suivait. Ce qu'elle fit naturellement.

— En fait, je vous ai vue seulement prendre des notes.

Un frisson d'angoisse parcourut son échine tandis qu'elle suivait Jade entre les rayons sombres et poussiéreux.

— Reine Jade, appela-t-elle, tremblante, j'apprécie cette discussion, mais vraiment, je crois que nous devrions y aller, la Table va bientôt…

Eléanor se mit à trembler de tous ses membres, telle une enfant terrifiée. Au lieu d'écouter ses suppliques, Jade la guida jusqu'au petit établi qui avait assisté à leur riche discussion quelques jours auparavant. La bougie était éteinte, mais la plume trônait toujours dans son encrier et le carnet noir qui contenait les notes de la reine de Percée était encore posé sur la table. Eléanor se sentit comme aspirée dans une torpeur noire. Soudain, Jade fit volte-face pour la regarder droit dans les yeux.

— Dites-moi, Votre Majesté. Saviez-vous que Quionn Senti préparait actuellement un manuscrit traitant de la vision et l'usage de la magie dans le Continent Inconnu ?

Eléanor détourna la tête, tentant de contrôler au maximum ses tremblements.

— Non, non… Bien sûr que non, comment pourrais-je le savoir ?

Jade parut sincèrement surprise.

— Oh ? N'avez-vous pas lu son dernier livre ?

— Je, euh… Si, bien sûr que si.

Jade ne répondit pas, elle sourit. Elle partit alors chercher un manuscrit sur une étagère non loin. Une sueur froide et suintante commençait lentement à dégouliner le long de la nuque d'Eléanor.

—  Vous savez, pour être parfaitement franche avec vous, j'ai été très étonnée lorsque vous avez évoqué la pratique magique des Îles Taravané. Même la reine Marina, qui est très renseignée sur le sujet, ne savait pas ce que « parler à la Nature » signifiait. Vous étiez la seule.

— Oui, j'ai… J'ai fait quelques recherches, c'est pour cela… J'ai déjà lu, euh… Quelque part, je crois… Il parait que sur le Continent Inconnu…

— Hm, l'interrompit encore Jade, sa voix se faisant sournoise. Mais voyez-vous, le problème, c'est que c'est impossible.

Eléanor ouvrit de grands yeux horrifiés.

— Je… Non, ce n'est pas impossible… C'est certes difficile, mais il est possible de… de trouver certains ouvrages…

— Justement, non, la contredit Jade dans un rictus presque attendri. Il est impossible de lire sur la pratique magique du Continent Inconnu, tout simplement parce qu'il n'existe aucune recherche, aucun manuscrit à ce sujet. En revanche…

Jade revint à ses côtés, un épais manuscrit sombre à la main, qu'elle ouvrit sous les yeux écarquillés d'Eléanor.

— Quionn Senti a écrit dans sa dernière publication qu'elle se pencherait bientôt sur la magie du Continent Inconnu, afin d'ouvrir ses perspectives. Voyez-vous ? l'interpella Jade, posant son doigt sous une ligne manuscrite.

— « Il n'existe à ce jour aucun travail, aucun ouvrage, aucune ébauche de recherche sur ce sujet », lut Eléanor dans un chuchotement pétrifié. « C'est pourquoi je projette – et je vous prends pour témoin de cette promesse – de réaliser très prochainement mes propres investigations afin d'écrire le tout premier manuscrit qui aura pour ambition de percer le mystère de la magie au-delà des Terres Vierges. À ce jour, je ne suis certaine que d'une seule chose, que je dois néanmoins garder secrète pour l'instant… »

Sa voix s'éteignit dans un mi-hoquet, mi-sanglot, et elle couvrit sa bouche pour étouffer tout son qui pourrait s'en échapper. Le sourire de Jade était celui d'un rapace qui venait de fondre sur sa proie, avec la ferme intention de lui tordre la nuque.

— Oui. Cela n’a rien d’étonnant, cela dit. Qu’il n’y ait aucun manuscrit sur la question, je veux dire. Cela parait évident, puisque personne ne s’y est rendu pour rencontrer les peuples autochtones ni pour y mener des recherches.   Après tout, nous ne l’appelions pas Continent Inconnu pour rien, n’est-ce pas ? Personne n'a donc fait des recherches sur la magie dans le Continent Inconnu, personne ne sait même si elle y est présente, et encore mois utilisée par la population. Personne sauf Quionn Senti… et vous, reine Eléanor.

— Je, je… bafouilla-t-elle misérablement, son regard papillonnant dans toutes les directions à la recherche d'une échappatoire. Ce n'est pas… Je suis tombée par hasard sur des recherches, mais sans doute qu'elles n'ont jamais été publiées… Je veux dire, ce n'est pas…

Les yeux de Jade scintillèrent de malice.

— Oh, mais moi aussi, je suis tombée parfaitement par hasard sur des recherches fascinantes ! Tenez.

Elle referma le manuscrit d'un coup sec et le posa sur le petit établi. À la place, elle se saisit du carnet de notes d'Eléanor qu'elle ouvrit à une page qu'elle semblait connaître par cœur. Et Eléanor la connaissait encore mieux pour l'avoir écrite de sa propre main. Elle détourna les yeux avec violence, dissimulant son visage émaciée derrière sa chevelure misérable.

— Voyez-vous, il est écrit dans vos carnets plusieurs témoignages, recueillis sur les Îles de Taravané l'an passé.  Par des ambassadeurs, des agents envoyés par le royaume de Percée, j'imagine ? Témoignages qui, je cite, « confirment l'hypothèse que j’ai émise antérieurement ; la magie est chose commune et partagée dans les Îles Taravané. »

Jade referma le carnet qu'elle tendit à Eléanor dans un geste respectueux. Son sourire était si grand qu'il semblait prêt à déchirer son visage en deux.

— N'est-ce pas amusant ? Vous nous avez sans le vouloir livrer lors de la Table des Dix le secret du prochain manuscrit de Quionn Senti. C'est presque dommage, ajouta-t-elle dans un petit rire aérien. Vous trahir ainsi, alors que cela fait probablement des années que vous maintenez cette couverture avec brio…

Eléanor tourna brusquement la tête à temps pour voir le rictus satisfait qui tordait les lèvres roses. Précipitamment, elle se saisit de son carnet qu'elle serra contre sa poitrine haletante.

— Non. Non, non, non. Je ne suis pas… Ce n'est pas ce que… Enfin, je vous en prie… bredouilla-t-elle entre deux expirations coupées. Je n'ai… absolument pas…

Dans un élégant froissement de soie, Jade se pencha vers elle et déposa des mains froides mais fermes sur les siennes, brûlantes et chevrotantes.

— N'ayez crainte, Votre Majesté, j'ai bien l'intention de demeurer la seule à savoir.

Ses yeux verts se baissèrent sur le carnet de notes, avant de se replonger dans le regard hagard d'Eléanor.

— Et je suis impatiente d'en apprendre plus sur la pratique magique du Continent Inconnu. Assurez-vous, je vous prie, de me faire parvenir un exemplaire lorsque le manuscrit sera publié.

La reine de Percée tenta désespérément d'aspirer toute l'énergie, la force, la vitalité de ce regard. Elle ne sut combien de temps elle se perdit dans ces yeux qui abritaient tout le courage qu'elle n'avait jamais eu. Toute la perspicacité qu'elle avait jamais désiré. Lorsqu'elle voulut ouvrir la bouche pour répliquer, Jade s'éloignait déjà entre les hautes étagères éclairées par la lueur de l'aube.

— Oh, autre chose.

La reine d'Indeya lui adressa un dernier coup d'œil par-dessus son épaule, sincère, presque solennel.

— Je pense que vous avez raison de vous battre pour la vérité. Contre Valmec et contre tous. Et je vous en supplie, n'abandonnez pas. Vous êtes reine, vous détenez le pouvoir du changement entre vos mains. N'écoutez pas ceux qui croient connaître sans comprendre. Il n'existe pas une seule manière de se battre. Parfois, les voies conventionnelles sont tout simplement impraticables. Vous avez droit à la vérité, et votre peuple aussi. Et qui sait…

Elle marqua une pause, et les petites épaules blanches se soulevèrent d'un air nonchalant, étincelantes dans la pénombre bleue de la bibliothèque qui s’éveille.

— À tout hasard, peut-être que… Quionn Senti pourrait commencer par l'offrir à la Magicienne Sans Cœur ?