Alors que l'inconnu levait son arme pour frapper de toutes ses forces, une onde puissante et implacable le percuta de plein fouet. Sans qu'aucune autre intervention ne soit nécessaire, son corps implosa, disparaissant en une nuée d'éclats sanglants et de viscères épars. Simultanément, les verrous des cages, la grille à la fenêtre et la porte d'entrée sautèrent dans un fracas assourdissant.
Archi, pris de panique, se jeta au sol, instinctivement cherchant à se protéger. Lorsqu'il releva la tête, il sentit les menottes tomber de ses poignets. Ce qu'il découvrit alors le glaça jusqu'aux os. La pièce, noyée dans un silence macabre, était un champ de carnage. Son regard s'accrocha enfin à une silhouette inquiétante au fond de la salle. Il lui fallut un moment pour comprendre qu'il s'agissait de Lya, ou du moins, de ce qui ressemblait encore vaguement à son amie. La petite blonde était méconnaissable.
Debout, immobile face aux cages, elle semblait auréolée d'une aura aussi fascinante que terrifiante. Son corps frêle était couvert de sang et des restes de l'homme qui s'était littéralement répandu sur elle. Ses yeux, désormais d'un noir insondable, évoquaient des abîmes sans fond, capables d'aspirer lumière, espoir et âmes avec une voracité silencieuse. Elle ne prononça pas un mot, mais son silence résonnait, oppressant, bien plus puissant qu'un hurlement.
Archi resta pétrifié. Lya n'avait plus rien d'humain. Les entrailles de l'inconnu dégoulinaient le long de ses bras, s'écrasant lourdement sur le sol poisseux, déjà couvert de fluides et de chair.
-C'est... toi qui as fait ça ?, demanda Archi d'une voix à peine audible.
Mais sa question resta sans réponse. Alors qu'il tentait désespérément de comprendre ce qui venait de se produire, un râle brisa sa concentration. Matt, gisant non loin, fut pris d'une violente quinte de toux, son corps se tordant de douleur sur le sol.
Sans réfléchir, Archi accourut vers la cellule où était enfermé son camarade. D'un geste fébrile, il ôta définitivement les menottes de Matt, déverrouillées on ne sait comment par Lya.
Penché au-dessus de lui, Archi prit enfin la pleine mesure de l'état critique de son ami. Chaque respiration de Matt, fragile et hachée, s'accompagnait d'un flot écarlate s'échappant de son abdomen mutilé.
-Non, Matt, s'il te plaît, reste avec moi !, s'écria Archi, la voix tremblante de panique.
Dans une tentative désespérée, il pressa ses mains sur les blessures ouvertes, cherchant vainement à contenir l'hémorragie.
Pendant ce temps, le tumulte dans la petite prison ne tarda pas à attirer l'attention. Des soldats, alertés par le chaos, convergèrent rapidement vers la pièce. Leur irruption fut marquée par un instant de sidération devant le spectacle sordide. Mais leur hésitation ne dura pas. D'un cri, ils se ruèrent sur les deux garçons.
Ils n'avaient cependant pas prévu que la bête, tapie dans l'ombre au fond de la salle, n'attendait que leur arrivée.
Lya les repoussa violemment contre un mur, les assommants instantanément. Cependant, cela ne suffit pas à apaiser sa colère. D'une main, elle forgea plusieurs lances épaisses à partir du fer des cages et les projeta pour transpercer les malheureux qui gisaient déjà immobiles.
La fureur se manifestait clairement dans ses yeux assombris par la haine et les veines noires qui recouvraient tout son corps. Quiconque passerait l'entrée, se verrait éliminer sans une once d'hésitation.
Archi, puisant dans ses dernières réserves d'énergie, canalisa sa magie de soin. Matt n'avait peut-être pas été la personne qu'il avait le plus appréciée au début, mais avec le temps, il était devenu une part intégrante de lui-même.
Les disputes fréquentes entre eux ne signifiaient pas qu'il ne l'aimait pas, bien au contraire. Lya et Matt étaient les pièces manquantes du puzzle qu'était sa vie. Jamais il ne s'était senti aussi complet jusqu'au jour où il les avait rencontrés. Il avait mis du temps à le réaliser, mais désormais, il n'avait plus aucun doute. Il vivrait pour eux jusqu'à mourir pour eux.
Lya ressentait une colère intense, une fureur viscérale, mais aussi une satisfaction jouissive. Un paradoxe inexplicable se jouait dans son esprit. Elle était à la fois consumée par la rage et libérée d'un poids qu'elle n'avait pas conscience de porter, probablement depuis sa naissance. Suivre les demandes, rentrer dans des moules, ne jamais dépasser certaines limites, dissimuler ses pouvoirs tout en les cultivant, être indépendante tout en restant une fille docile. Tout cela avait perdu son importance à présent. Elle détenait le pouvoir, celui de suivre ses propres inclinations, de créer ses règles du jeu.
Un nouveau garde fit irruption, mais sa tête explosa avant qu'il puisse prononcer le moindre mot. Autrefois, Lya aurait ressenti des remords et de la compassion pour la mort de cet homme, mais cela n'avait plus de place maintenant. C'était à son tour d'écrire l'histoire à sa manière.
Soudain, son instinct se crispa lorsqu'elle aperçut quatre gardes suivis du général Obscuda.
-Qu'est-ce que c'est que ce bordel !, vociféra-t-il.
Il comprit l'ampleur de la catastrophe quand il vit ses soldats, empalés sur le mur.
-Vous !
Il pointa Archi et Matt de son épée.
-Je vais vous faire comprendre ce que le mot douleur veut dire !
Il n'eut pas le temps d'avancer plus. Les gardes autour de lui se mirent soudainement à vomir du sang. Leurs yeux tournèrent aux blancs et ils s'effondrèrent en gargouillant.
Leur supérieur resta incrédule. Lya venait de réduire leurs organes internes en bouillie, d'un simple claquement de doigts.
-C'est moi ton adversaire, déclara-t-elle d'une manière à lui glacer le sang.
Le général brandit son épée, empli de rage. Il se précipita vers la jeune femme, qui esquiva ses attaques sans difficulté. Bien qu'il fût plus fort que les simples hommes de rang qu'elle venait de terrasser, cela ne lui conférait pas nécessairement l'avantage.
L'homme s'avança avec agilité, maniant son épée dans une série de mouvements rapides et précis. Cependant, chaque coup semblait être contré par une barrière invisible, issue des sorts de la mage. Elle se déplaçait avec grâce, esquivant habilement les assauts du général, ne répondant que rarement. Elle savourait de le voir perdre patience progressivement.
Comprenant que le combat ne tournait pas à son avantage, le général intensifia ses efforts. D'un habile revers de la main, il imprégna sa lame de son énergie magique, un exploit réservé aux mages de combat expérimentés. Armés de cette technique dévastatrice, les coups du général devinrent plus puissants et plus rapides. Pour autant, il ne parvint pas à déstabiliser la redoutable adversaire devant lui.
Lya prit plaisir à le voir prendre conscience de son infériorité, malgré ses attaques parfaitement exécutées. Elle le laissa s'épuiser et sombrer dans le désespoir avant d'utiliser son pouvoir pour déclencher des rafales de vent. Perturbant l'équilibre de son adversaire, celui-ci chuta à terre, la bouche grande ouverte.
-Tu... tu ne peux pas contrôler le vent ! C'est impossible !
Lya s'approcha doucement et l'homme commença à ramper au sol tout en la dévisageant d'horreur. Heureuse de voir l'effet qu'elle produisait sur lui, elle lui cassa alors les deux jambes, lui arrachant un cri qui déchira le silence ambiant.
-Rien n'est impossible tant que je ne l'ai pas décidé !
Elle se mit à califourchon sur l'homme qui ne pouvait déjà plus bouger, lui arrachant quelques gémissements de douleur.
-Tu-Tu es un monstre !, souffla-t-il.
-Surement, rigola-t-elle. Mais entre toi et moi, qui est le pire ?
Elle lui fractura les deux bras en éclatant de rire. Ce même rire de folie qu'elle n'avait pas pu contenir la dernière fois. Il devait souffrir. Pas pour se venger, pas pour qu'il apprenne la leçon, juste par plaisir de le voir se tordre tel un asticot misérable.
-Je vais vous laisser partir, ok !, négocia enfin l'ennemi vaincu. Si tu m'épargnes, je vous laisse partir toi et tes copains !
Sans même écouter, Lya saisit l'épée de l'homme et le transperça d'un coup net. Il hurla de nouveau.
-J'ai de l'argent ! Beaucoup d'argent !
Elle lui assena un nouveau coup.
-Je vous donnerai tous !! Arrête, je t'en supplie, ARRÊTE !
Mal gré, ses supplications, la lame le transperça, encore et encore, sans interruption.
Naguère empreint de douceur et de charme, le visage de la jeune femme était maintenant altéré par une folie meurtrière qui se manifestait à travers ses yeux.
Les prunelles qui avaient jadis reflété la vie et la tendresse étaient obscurcies par une lueur sombre et terrifiante. Ses pupilles, complètement dilatées, semblaient absorber toute lumière, laissant place à un vide glacial, dépourvu de toute émotion humaine. Des éclats d'obsidienne miroitaient dans ses yeux, évoquant l'obscurité insondable de son esprit perturbé.
Son sourire, autrefois éclatant de joie contagieuse, s'était métamorphosé en une grimace déformée. Les coins de ses lèvres relevées formaient désormais une expression inquiétante. Par moments, sa bouche s'ouvrait pour laisser échapper des rires stridents et cruels, accentuant le malaise ambiant.
Les traits de son visage étaient déformés par des rides de folie, créant des contours anguleux qui révélaient son état mental délabré.
C'était un spectacle à la fois dérangeant et tragique, car on pouvait percevoir, à travers les vestiges de sa beauté passée, l'ombre d'une âme qui avait été déchirée et brisée par les tourments qu'elle avait endurés. Et la cause de ses malheurs était là, entre ses mains. Sa folie meurtrière avait tout consumé, ne laissant derrière elle qu'une image glaçante de désespoir et de destruction.
Après des secondes qui parurent des heures, Lya se stoppa enfin et prit un peu de recul pour contempler son œuvre. Son souffle haletant montrait qu'elle avait mis toute sa force dans son funeste projet.
Le général n'était pourtant pas mort. Il ne bougeait presque plus, mais sa respiration sifflotante, bien que faible, continuait de soulever son thorax en charpie. Des giclées rougeâtres avaient fait de son visage, une peinture à la fois splendide et terrifiante.
Bien qu'au bord de la mort, les yeux de l'homme restaient écarquillés, ne pouvant se détacher de celle qui était en train de mettre un terme à son existence. Il ne pouvait plus parler, mais il pouvait voir.
Lya aimait ça. Elle adorait le fait qu'il soit encore en vie pour la contempler le défaire. Bien entendu, ce n'était pas un coup de la chance ou du désespoir. Elle avait fait exprès d'éviter de trop endommager les organes vitaux de sa proie, pour qu'elle puisse rester consciente.
La toute-puissante mage jeta la lame, abimée par ses coups incessants, et se pencha pour que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres de celui du général. Sa respiration, calme et froide, lui léchait le visage, comme si la faucheuse elle-même était là.
-Vous vouliez me faire connaitre l'enfer ?, lui susurra-t-elle. Mais l'enfer... c'est moi !
À ces mots, le corps de l'homme, pourtant complétement endolori, fut parcouru d'un frisson inexplicable. Les deux mains assurées du bourreau saisirent le cou du détenu, l'agrippant avec vigueur, puis dans une scène inimaginable, elles tirèrent la tête de l'homme. Dans un craquement insoutenable, cette dernière s'arracha, mettant enfin un terme aux souffrances du condamné.
Sans rien dire, la bête sauvage lança la tête sanguinolente par la fenêtre et, avec peu de considération, se releva. Elle toisa le corps décapité de celui qui autrefois était son supplicié. Elle n'avait ni remords, ni regrets.
-LYA !
Le hurlement de son ami fit revenir la jeune femme sur terre. Elle en avait oublié tout ce qui l'entourait.
En se retournant, la dure réalité lui revient en pleine face. Ses amis, sa famille, était en danger et le cri d'Archi n'augurait rien de bon.
Elle chancela jusqu'à la cellule. Ses forces s'étaient considérablement amoindries à cause de son coup de folie. Tout en trainant ses pieds, ses yeux commencèrent à retrouver leurs aspects habituels, tout comme son corps. Son aura maléfique diminua et elle redevint elle-même, enfin ce qu'il en restait.
-Comment... comment va-t-il ?, demanda-t-elle en s'accroupissant lourdement aux côtés de Matt.
-Lya...
-Est-ce que tu as réussi à le stabiliser ?
-Lya...
Archi avait un air à la fois grave et paniqué.
-Il ne respire plus...
-Non. Non ce n'est pas possible...
-Je crois qu'il est... je crois qu'il est mort.
-C'est faux !, suffoqua la jeune femme.
Archi prit les mains de la jeune femme pour les mettre sur le cou de leur ami.
Aucun pouls.
-Archi ! Il ne peut pas mourir ! On ne peut pas le laisser comme ça !!
-JE SAIS ! Je cherche une solution ! Merde !
Les deux jeunes gens altèrent de panique. Archi fixa Lya, comme si dans ses traits, il pouvait trouver une réponse. La jeune femme quant à elle, commençait à trembler. Elle venait enfin de se libérer de ses chaines et une nouvelle épreuve se présentait déjà. À quoi bon être une mage puissante, si elle ne pouvait pas protéger ceux qu'elle aimait ? Le général, les soldats, le PC, ils pouvaient tous pourrir en enfer, mais Matt, lui, il ne devait pas mourir.
-Lya, l'interrompu le blondinet. Mets tes mains sur les miennes.
-Qu'est-ce que tu vas faire ?
-Je vais essayer quelque chose, mais je ne sais pas si ça va fonctionner. Suis mes instructions. Je ne vais pas le laisser mourir !
La jeune femme obéit immédiatement. Elle posa ses mains sur celles de son ami. Ce contact chaleureux et réconfortant lui avait manqué, même si la situation ne s'y prêtait pas.
Archi ferma les yeux, démontrant une concentration extrême. Des soldats pouvaient arriver à tout moment, il devait se dépêcher, mais en même temps, il n'avait jamais fait cela auparavant. Ce qu'il croyait être une légende prenait désormais tout son espoir.
Il marmonna des paroles inaudibles avant de formuler distinctement son sort.
-Risalita nostri morti.
À la fin de sa phrase, une lumière blanche et pure emplit la pièce. Elle n'était pas agressive et enveloppa rapidement la salle des horreurs de sa clarté éthérée.
Archi et Lya se regardèrent droit dans les yeux, disparaissant presque instantanément tant ils étaient aveuglés. Une tranquillité apaisante les entoura, comme une couverture douillette. Si un paradis existait, il devait ressembler à cela.
Aussi soudainement qu'elle était apparue, la douce lumière disparut dans un silence assourdissant.
Instantanément, les deux mages s'effondrèrent, plongés dans l'inconscience.