Putain, ce que j'ai mal dormi !
Sa tête se releva difficilement et son torse ne voulait pas bouger. Ses yeux papillonnèrent jusqu'à réussir à s'ouvrir enfin.
La cellule ?
Les interrogatoires, la torture, tout cela n'avait donc pas été un cauchemar. C'était douloureusement réel. Pourtant, tout était si calme, même les oiseaux s'étaient tus, alors que la nuit commençait à peine de tomber. L'ambiance ne semblait pas coller au lieu.
En essayant de déplacer ses bras, Matt ne comprit pas pourquoi il n'arrivait pas à les mouvoir. Un poids les écrasait.
Avec ses yeux nouvellement opérationnels, il balaya les alentours et se figea. Il y avait du sang, beaucoup de sang, absolument partout, du sol au plafond. Le jeune homme n'avait jamais vu une telle boucherie. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer ici ?
Alors qu'il poursuivait sa découverte, il finit par tomber sur des masses sombres. Il s'agissait des lestes qui l'entravaient. Mais à y regarder de plus près, il décela une forme connue. Était-ce des corps ? Sans nul doute. Ce n'est qu'à cet instant qu'il réalisa : les corps étaient ceux de ses amis.
Un shot d'adrénaline le fit se lever d'un bond. Il se jeta sur Archi et le secoua.
-Hey !! Tu m'entends !
Il posa son oreille sur son torse et constata, avec soulagement, que son cœur battait toujours. Matt se précipita alors vers la jeune femme.
-Lya, mura-t-il en la soulevant délicatement.
Heureusement, elle respirait encore, mais elle était méconnaissable. Du sang séché formait un masque macabre sur son visage autrefois innocent. Ce n'est qu'avec cette vision terrifiante que des flashs de ce qui s'était passé lui revinrent enfin en pleine figure. Il serra son amie aussi fort qu'il le pouvait.
Son chagrin dura quelques secondes avant qu'il ne se ressaisisse. La priorité numéro un était de sortir d'ici. Il s'étonna d'ailleurs qu'aucun garde ne soit venu, mais il n'avait pas le temps de se poser trop de questions.
Le grand brun se rua vers la fenêtre, mais comprit rapidement qu'ils étaient bien trop hauts pour sauter. Il s'approcha alors silencieusement de l'entrée et passa sa tête discrètement. Il faisait trop sombre pour voir loin, mais dans les mètres environnants, il n'y avait pas l'ombre d'un chat. C'était sa chance.
Il retourna auprès de ses amis et commença par charger Archi sur son dos. Astucieusement, il parvint à le maintenir en déchirant les guenilles qui lui servaient de chemise. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il remarqua, traversant ses abdominaux, plusieurs grosses entaillent. Il prit le temps d'y passer sa main. Elles ne lui faisaient pas mal, bien que leurs apparences soient très préoccupantes.
Malgré tout, il ne s'y attarda pas davantage et s'occupa de Lya. Ses deux bras puissants la soulevèrent étonnamment facilement, malgré sa fatigue extrême. La tête de la jeune femme calée contre son épaule, il prit une seconde pour la contempler, comme s'il ne l'avait pas vue depuis des années.
Après ce moment de nostalgie, il se dépêcha de sortir de la prison. Les six mois passés ici lui avaient semblé des années, et le simple fait de voir autre chose que sa cellule le perturba.
Il remonta le couloir, bizarrement silencieux. Après quelques mètres, il croisa un corps, puis deux, trois... Il cessa de compter après le dixième. Il s'agissait presque tous de soldats, mais il y avait aussi des domestiques, sans distinction de genre ou d'âge.
-Bordel ! Qu'est-ce qui s'est passé ici !
Il ne s'arrêta pas pour autant. Sa mission était simple : mettre ses amis à l'abri, et pour cela, il devait sortir des bâtiments du PC. Quoi qu'il en coûte.
*****
À bout de souffle, Matt referma la porte croulante de la maison et découvrit, avec bonheur, qu'il y avait un lit dans le coin de la pièce. Il y déposa ses amis, tout en s'assurant que leur état ne s'était pas dégradé.
Après avoir réussi miraculeusement à les faire sortir de leur prison, le jeune homme avait couru sans arrêt. Son but était de trouver une petite campagne tranquille où ils auraient pu se cacher le temps de discuter de la suite.
Son périple dura des heures et des heures. La nuit noire étant de son côté, il croisa plusieurs garnisons, mais il les esquiva en se camouflant dans des bosquets. Alors que ses forces commençaient sérieusement à manquer, il eut la chance de tomber sur une maisonnette abandonnée, au milieu d'un champ délaissé. Après s'être assuré que le lieu était bel et bien vide, il finit par s'y engouffrer.
Le grand brun ferma consciencieusement tous les rideaux avant de se poser sur une chaise bancale. Ses bras et ses jambes étaient tétanisés par l'effort. Il prit le temps de souffler et d'analyser où ils avaient atterri.
La petite bâtisse ne comportait qu'une seule et unique pièce. Elle devait être inoccupée depuis un moment, ce qui rassura un peu le jeune homme. En plus du lit, il y avait une petite table ronde avec des chaises mangées par les mythes. Une cheminée, noirci par des années d'absence d'entretien, formait l'essentiel de la décoration du lieu. À part cela, on pouvait y trouver quelques placards et ustensiles inutiles, devenus la demeure des araignées.
Ce n'est pas la maison de mes rêves, mais ça fera l'affaire pour l'instant..., pensa Matt avant de se laisser submerger par la fatigue.
Mais avant de complétement sombrer, il se releva. Il ne pouvait pas s'endormir. Au moins l'un d'entre eux devait monter la garde. Ses yeux roulèrent à multiples reprises, néanmoins il essaya de garder les idées claires.
Soudain, un cri perça l'air, et Matt, paniqué, chercha frénétiquement sa provenance. Un deuxième cri retentit, et malgré ses efforts, il ne pouvait déterminer s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Dans tous les cas, cette personne semblait désespérée.
Les hurlements se multiplièrent progressivement, se rapprochant de manière inquiétante. Une cacophonie indescriptible submergea le jeune homme, l'obligeant à se couvrir les oreilles pour se protéger. Les supplications étaient si fortes et angoissantes que Matt ne parvenait pas à les supporter. En guise de réponse, il se mit également à crier.
-LAISSEZ-MOI TRANQUILLE !
En entendant sa propre voix, le grand brun sursauta et rouvrit les yeux. Couvert de sueur et haletant, il constata que tout était à nouveau calme et inchangé, seul le soleil commençait à pointer à l'horizon. Il comprit qu'il s'était assoupi.
Encore tremblant de son cauchemar, Matt réussit à trouver de l'eau dans les récupérateurs extérieurs. Il se passa un linge humide sur le visage pour essayer de se remettre de ses émotions.
-M-Matt...
En entendant la faible voix de son amie, le garçon se précipita vers elle. Il lui serra la main de toutes ses forces.
-Tu es réveillée !
-M-Matt... c'est vraiment toi ?, demanda Lya en ouvrant difficilement ses yeux.
-Bien-sûr que c'est moi.
-Tu n'es pas mort !
Un petit sourire craquela le masque noirâtre de son visage. La jeune femme se releva doucement.
-Tu devrais rester allongé, tu...
Matt n'eut pas le temps de finir sa phrase, que son amie le coupa en l'enlaçant. Il ne résista pas et lui retourna son attention.
-Je ne pensais plus jamais te revoir !
Ils restèrent un petit moment à profiter de la chaleur de l'un et de l'autre. Ce contact pur et emplit d'amour, était devenu qu'un lointain souvenir, après toutes les horreurs qu'ils avaient subies. À cet instant, ils n'étaient plus des prisonniers, plus des choses, mais bel et bien des êtres humains avec des sentiments.
Après ces retrouvailles touchantes, Matt fit allonger Lya sur ses genoux afin de nettoyer son visage et ses cheveux. Il ne supportait plus de la voir ainsi, ou plutôt de ne pas la voir sous cette épaisse couche de sang séché. À l'aide d'une serviette qu'il rinçait régulièrement, le jeune homme réussit à enfin libérer la petite blonde. Doucement et méticuleusement, la peau blanche et fragile de son amie refit surface. Quand il eut fini, l'eau transparente était devenue marron.
Lya tendit alors sa main pour caresser la joue de Matt. Elle n'arrivait toujours pas à réaliser qu'il était là, devant elle.
-Je ne vais pas m'envoler tu sais !, s'amusa le garçon, devinant très bien ses pensées.
-Tu étais mort Matt...
-En l'occurrence, je ne l'étais pas tout à fait !
-Ne rigole pas, c'est très sérieux !
-Qu'est-ce que tu veux que je te dise... je ne me souviens de rien.
La petite blonde qui avait planté son regard dans celui de son ami, remarqua enfin son reflet dans ses prunelles. Elle sursauta.
Quel est ce monstre ?
Elle se releva machinalement, laissant Matt dans l'incompréhension.
La jeune femme chercha frénétiquement quelque chose dans la pièce, ouvrant les placards et déplaçant de la poussière à foison. Enfin, elle s'arrêta devant des débris scintillants sur le sol. Elle saisit le plus gros bout de miroir et le plaça devant elle.
Ce qu'elle y vu, la pétrifia. Son visage était métamorphosé. Gonflée à certains endroits et balafrée à d'autre, sa tête n'avait plus rien d'humain, à tel point, qu'elle ne se reconnaissait pas. La frayeur que lui procurait son reflet, lui coupa le souffle et elle se mit à reculer, comme pour s'éloigner d'elle-même. Mais Matt qui était juste derrière elle, la stoppa en l'enlaçant.
-Je... préférai que tu ne me regardes pas..., lui demanda la jeune femme.
-Je t'ai toujours regardé et je continuerais à la faire.
-Mon visage... je suis un monstre !
-Lya !
Le garçon s'énerva en entendant les durs mots de son amie. Dans un même temps, il saisit la main de la jeune femme et la força à maintenir le miroir devant elle.
-Moi ce que je vois, c'est toi, et tu as toujours été magnifique. Autant aujourd'hui qu'hier.
-Arrête de mentir !
La petite blonde se débattit et sortit de l'emprise du jeune homme. Aucun mot n'aurait pu la réconforter, même pas les mensonges de son ami. Elle serra alors le bout de glace tranchant, jusqu'à sans faire saigner la main. Son reflet était trop dur à assumer.
-Où est-ce que nous sommes ?, changea-t-elle de sujet rapidement.
Matt soupira, sachant très bien que son amie continuait à se torturer toute seule.
-Nous sommes au sud-est de l'ESSM... Je ne pourrais pas te dire exactement où.
-Depuis combien de temps ?
-Une nuit, je pense.
-Il ne faut pas qu'on reste trop longtemps au même endroit.
-Mais on ne peut pas bouger tant qu'Archi est inconscient.
-Oui... tu as raison.
Lya jeta un regard empreint d'inquiétude à son ami étendu. Il était rare de le voir aussi vulnérable. Si seulement elle savait ce qu'il avait, l'attente aurait été moins angoissante. Mais au moment où elle se fit cette réflexion, elle décela un léger mouvement dans le lit.
-Archi ?
Le blondinet commença à grommeler et se tortillant.
-ARCHI !, s'exclamèrent Matt et Lya en chœur, avant de courir vers leur ami.
Ils se jetèrent littéralement au cou du blessé.
-Aïe ! Doucement..., se plaignit-il en essayant de se relever. C'est vous ?
-Qui d'autre imbécile !, sanglota Matt avec joie.
-Tu vas bien ?, demanda Lya en renforçant sa prise.
Archi grimaça.
-Ce n'est pas le terme que j'aurai employé pour décrire la situation, mais on va dire que oui. Où est-ce qu'on est ?
-Plus au PC ne t'inquiète pas, le rassura Matt.
-Vous pourriez me lâcher, vous me serrez trop fort !
-Plus jamais de la vie !, s'exclama Lya avec un sourire.
Ils restèrent un moment ainsi. Enfin réunit tous les trois.
-Bon, reprit Archi. Vous ne pourriez pas au moins allumer la lumière !
-Il fait jour, pas besoin de lumière !, s'exclama Lya.
-Et ça attirerait les ennemis.
Malgré ces belles retrouvailles, un silence pesant s'installa. Lya et Matt commencèrent à lentement desserrer leur étreintes, comprenant que quelque chose clochait.
Archi brisa cette anbiance pesante, la voix tremblante.
-Les gars... je ne vois rien...