— Cherchons au château, la coupa Val-Griffon.
— Et comment ? Tout le monde nous reconnaîtra et sans vous offenser, avec votre allure, vous faites tache...
— Comment cela ? repartit-il vexé.
— Regardez-vous, crotté de terre jusqu'à la ceinture, le front bandé, vous puez le sang à des lieues... Ah oui vous êtes du dernier chic ! Comme vide-gousset, vous avez de l'avenir ! C'est un miracle qu'aucun commissaire ne nous est point interpelé !
— Et vous alors ? Des feuilles dans les cheveux, les joues pleines de terre, le jupon déchiré et pendant comme une loque, vous passez plus pour une catin que comme une jeune fille bien éduquée !
— Val-Griffon je ne vous permets pas de m'insulter de la sorte ! s'écrit-elle furieuse.
Ils se jetaient des regards en chien de faïence, si bien que cela fît rire une dame à la taille épaisse qui arriva vers eux, les yeux éclairés d'une arrière-pensée.
— Bah alors mes petits mignons, vous vous prenez le bec comme ça en pleine rue, c'est pas joli, joli ça ! Peu me chaut(1) votre querelle, j'vais être ben bonne pour vous, venez avec moi, dit-elle en les embarquant de force.
Quelle poigne pour son âge !
Après avoir contourné un pâté de maisons, ils arrivèrent au numéro 7 de la rue Hoche, devant une enseigne que fréquentaient les gens de la Cour et leur suite : « Aux bains royaux »
En 1671, le barbier Claude Roger, valet de chambre de Monsieur frère du roi, avait obtenu le monopole des bains publics et était l'heureux propriétaire de cet établissement avec l'accord du roi. Son service offrait aux personnes de qualité ne logeant point au château, toutes les commodités nécessaires pour se rafraîchir !
— Sales comme vous êtes, vous avez besoin de vous laver ! fit la dame en les poussant à l'intérieur.
— Madame, nous ne sommes point des courtisans... bredouilla Édith.
— C'est ça et moi je suis reine d'Égypte ! Vous sentez la noblesse à plein nez ! On me l'a fait pas !
À l'intérieur, elle fit un clin d'œil à un homme qui s'empressa de les conduire chacun à un appartement à l'étage, où ils pouvaient se nettoyer, après avoir payé la note. En passant la porte, Édith entendit la dame glisser à son compère qu'aller repérer les clients, ça grossissait mieux les entrées que de les attendre les bras ballants !
Édith fit fit de cette vénalité et découvrit une garde-robe et une chambre. Dans la première pièce, il y avait différentes bassins, pour les mains, les pieds, à barbe, des miroirs, une chaise percée, ainsi qu'une table table qui accueillait fards, pommades, essences, boîtes à poudre et peignes.
La demoiselle se dévêtit, se dirigea vers une cruche remplie d'eau et s'astiqua du mieux qu'elle put en se lavant le visage, les bras, la gorge, les pieds en passant sur sa peau une toilette(2) imbibée d'alcool et se sécha vitement. Elle passa ensuite dans la chambre où elle avait jeté pêle-mêle ses habits sur la couche et vit qu'un de ses jupons était tombé à terre.
Elle se baissa et son œil fut attiré par une petite boule chiffonnée sous le lit. Elle tendit le bras pour l'attraper et piquée d'une curiosité trop grande, elle courut l'ouvrir à la clarté de la fenêtre. Elle n'était pas contre un petit poulet(3) oublié comme remontant après tous ces rebondissements et frayeur !
Son sourire s'effaça d'un coup, son sang ne fit qu'un tour et elle se rua dans l'appartement où était Val-Griffon !
Elle débarqua sans frapper dans la garde-robe dans laquelle se lavait Charles, qui la vit débouler presque nue, ne portant que sa chemise humide sur le corps...
— Je crois savoir qui est votre agresseur ! s'exclama-t-elle en lui tendant le billet.
Devant l'inexpression de Charles, son euphorie fut douchée et elle prit conscience avec embarras du lieu où elle était, dans quelle tenue et surtout dans laquelle était son compagnon ! Il était entièrement nu jusqu'au nombril ! Ses joues s'empourprèrent à la vue de son torse musclé ! Elle fit volte-face et détala comme elle était arrivée : telle une tornade !
Une fois rhabillée, Édith partit attendre Val-Griffon dans la rue et se tapait la tête ! Quelle impudence ! Quelle bévue ! Entrer chez un homme à sa toilette ! Elle l'avait vu nu ! Elle en était tourneboulée de honte, engluée des images qui ne s'estompaient pas de son esprit et sursauta quand il lui tapa sur l'épaule.
Sans réfléchir, Édith s'écria :
— J'ai tout vu, ne vous en faites pas !
« Seigneur... je suis prête à venir vous retrouver... » pensa-t-elle à la mention superbe de sa nouvelle étourderie !
Val-Griffon lui fit pinça la joue, un sourire malicieux glissa sur les lèvres, il était de toute évidence fort amusé par son embarras !
— Alors, qui est notre homme ? lança-t-il pour éviter à sa compagne qu'elle ne prenne les jambes à son cou.
Édith se racla la gorge et sortit le billet froissé de son décolleté.
— Tenez, regardez !
« Rendez-vous à la pension à 5h à la Saint-Samson. »
C'est tout ce qu'il y avait d'inscrit. Charles arqua les sourcils, perdu.
— Et ? fit-il. Ce n'est qu'un billet sans importance.
— Nenni ! C'est un mot qui était destiné à Sanloi, j'en suis certaine !
— Je l'ai mis en défaite à Fontainebleau. Il est parti suffisamment amoché pour ne pas reparaître à la Cour, je peux vous le garantir. Il est en exil à l'heure qu'il est !
— Non... Il est à Paris, avec le chevalier de Rohan. Je les ai vus avant de venir à Versailles. Ils se sont réunis dans une pension dans le quartier de Pique-Puce.
— Pourquoi ne me l'avez-vous pas dit ! s'exclama-t-il outré.
Ce silence les mettait dans de beaux draps !
— Dois-je vous rappeler comment les évènements se sont enchaînés !
Val-Griffon souffla, si ce que prétendait Édith était vrai, il courrait à la catastrophe.
— Charles, la Saint-Samson, c'était le jour où vous vous êtes fait attaquer...
— Je sais... murmura-t-il entre ses dents. C'est un désastre, si Sanloi est de retour et qu'il s'avère que c'est bien lui qui a essayé d'attenter à Monseigneur. Dans quel péril est-il désormais !
— Pourtant, Sanloi n'a pas honoré son rendez-vous, repartit-elle.
Charles la fixa, étonné.
— Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
— À quelle heure étiez-vous dans les bois ?
— Aux alentours de 4h30, pourquoi ?
— Sachant qu'il faut deux heures pour faire le trajet de Versailles à Paris, s'il vous a attaqué, il n'a pas honoré le rendez-vous, ce qui expliquerait le papier froissé abandonné sous le lit.
Val-Griffon se mit à faire les cent pas en méditant.
— Ce que vous dites ne manque de sens, après nous avoir attaqué, il serait venu ici se laver ici et s'est fait soigner par Hubert, voilà d'où provenait l'odeur parfumée que je sentais sur lui ! Toutefois, je ne peux croire Sanloi grimé en simple jardinier, il est trop infatué de lui-même pour cela.
— Il a déjà emprunté l'allure d'un garde du corps du roi, fit remarquer Édith.
— Tout juste, tout juste.
— Et puis qui s'intéresse aux domestiques...
— Personne, répondit-il, ce qui leur laisse une liberté d'action considérable...
Édith repensa aux paroles de Germaine et s'en ouvrit à Charles.
— Moi ce que je trouve louche, c'est cette histoire de sosie en livrée... Si votre agresseur est bien Sanloi, cela veut dire qu'il a marché sur le rendez-vous du chevalier de Rohan pour vous suivre en forêt tout en se faisant employer comme jardinier dans la foulée... Un jardinier peut-il devenir serviteur en livrée ?
— Bien sûr que non ! rétorqua Charles. Ces emplois ne sont pas les mêmes ! Du moins, un tel changement ne se fait pas aussi vite ! Et puis, la livrée de qui d'abord ? renchérit-il une migraine à la tête.
— Ou alors, le serviteur est un complice... C'est lui qui a préparé une tisane suspecte...
— Pour peu que ce ne soit un élixir de jouvence qu'aime tant boire les dames pour rajeunir, persifla Charles en se massant les tempes. Rhaa la peste soit cette affaire ! C'est à rendre fou ! Il faut retourner enquêter au château au plus vite !
— Mais comment ! Les gardes ne nous laisseront pas passer !
— Suivez-moi, lui glissa Charles en se mettant en marche, je connais un endroit discret pour entrer sans qu'on nous surprenne...
Ils se hâtèrent de rejoindre le château et surprirent dans l'ombre d'une habitation face à la place d'Armes, une conversation animée entre deux hommes.
Le bailli de Versailles, Georges Legrand, ancien procureur du roi, enrageait et tentait de se calmer.
— Le marquis de Sourches a osé me mander pour me remettre un ordre de Sa Majesté ! Comme si j'étais sous ses ordres ! Le bailliage de Versailles(4) est une juridiction particulière ! Dieu me garde, mais ce Grand prévôt de l'Hôtel me chauffe les nerfs !
— Calmez-vous, il est jeune et inexpérimenté, il reçoit un ordre de cette envergure, alors il veut bien faire tout simplement, dit son commissaire.
— Vous le défendez !
— Nenni, je vous donne des raisons de vous lénifier(5).
Furieux, le bailli fourra une feuille dans sa poche et partit d'un pas de maréchal vers sa résidence, son commissaire sur les talons. Édith vit que la feuille s'échappa de sa cachette et courut la ramasser. Par dessus son épaule, Val-Griffon lui chuchotait :
— Qu'est-ce que ça peut bien être ?
— Je ne sais pas, attendez.
Ils n'eurent pas à aller jusqu'à la fin pour blêmir. Sa Majesté avait donné l'ordre d'arrêter Charles...
GLOSSAIRE :
(1) Peu m'importe.
(2) Toile.
(3) Billet doux.
(4) Le bailli de Versailles gérait la police dans la ville et était souvent en concurrence avec le Grand prévôt de l'Hôtel, qui avait également un pouvoir de police.
(5) Apaiser.