Pour la première fois depuis son arrivée, Surielle avait quitté sa cellule. Désormais, elle était vêtue d’une tunique grise, sur un pantalon informe qui menaçait de lui tomber sur les chevilles si elle ne serrait pas la ceinture au maximum. Quant aux sandales qu’on lui avait fournies, elles ne méritaient même pas le nom de chaussures.
Si Surielle n’avait pu cacher son soulagement à l’idée de sortir, elle avait vite déchantée en découvrant les chaines apportées par ses geôliers. Ses poignets et ses chevilles furent bientôt liés, la contraignant à des pas de faible amplitude. Rien que le poids des fers l’auraient empêchée de gagner les airs. Le savaient-ils, ou l’ignoraient-ils ?
Elle avançait maladroitement, à petits pas précautionneux pour éviter de trébucher, se rattachait aux derniers lambeaux de sa fierté. Les yeux rivés au sol, Surielle se moquait bien de l’endroit où elle était conduite. De toute manière, la main ferme qui enserrait son coude ne lui donnait aucun choix.
Après de longues minutes, elle fut propulsée dans une salle plus grande, d’une luminosité qui la fit cligner des yeux. Sans ménagement, on la poussa vers une rangée de sièges, et Surielle s’installa comme elle le put. Était-ce une réunion, une cérémonie ?
— Pas un mot ou tu le regretteras.
L’infirmier ne lui avait jamais dit son nom, mais Surielle s’empressa d’acquiescer. Elle était perplexe et curieuse à la fois. Pour quelle raison l’avait-on amenée ici ?
La pièce était peu chaleureuse, avec ses murs blancs et ses chaises minimalistes. Au moins, le dossier ne gênait pas trop ses ailes. A l’autre bout de la pièce, elle discerna le mouvement d’autres chaines métalliques. Alistair était-il ici ? Son coeur accéléra tandis qu’un espoir fou s’insinuait en elle.
Mais des fidèles prirent bientôt place autour d’elle, bloquant son champ de vision. Ils étaient tellement nombreux !
Puis un homme monta sur l’estrade. Vu la surcharge de dorures sur les bordures de sa cape, Surielle songea qu’il devait occuper un rang d’importance dans les rangs des Stolisters. Peut-être l’un des Prêtres ? De l’index, il écarta une mèche bouclée de son visage. C’était étrange, de voir un ennemi avec un visage si doux, un sourire si sympathique, un regard si compréhensif.
Il aurait été tellement plus facile à détester s’il avait arboré un air pincé, une moue dédaigneuse, un regard glacé.
D’autres individus se déployèrent derrière lui - sa garde rapprochée, devina Surielle. Drapés dans leurs capes noires, ils apparaissaient sinistres. Eux ne souriaient pas, promenant un regard scrutateur sur la foule rassemblée. Surielle eut un rire amer. Enchainée comme elle l’était, ils n’avaient rien à craindre d’elle. Elle doutait d’être capable de s’envoler avec ce poids supplémentaire.
L’homme commença son discours. Des prières à Orhim que Surielle écouta d’une oreille distraite alors qu’un étrange instinct la poussait à regarder derrière elle. Les fidèles étaient rassemblés en deux groupes distincts, laissant une large allée entre eux.
Son coeur accéléra quand elle discerna plusieurs individus qui remontaient le couloir ainsi formé d’un pas lent et régulier.
Il était parmi eux, Surielle en était persuadée.
La silhouette encapuchonnée, encadrée par six Prêtres qui marmonnaient des prières, ne pouvait être que lui.
Ils s’approchaient, toujours plus près. Elle remarqua le regard vide, absent, de celui qui est présent sans être réellement là. Le regard fixe d’un drogué.
Ils s’immobilisèrent à dix pas de l’estrade et la silhouette poursuivit sa route seule sur le piédestal, rejoignit le Prêtre qui s’inclina brièvement devant lui.
Avec des gestes lents, il abaissa sa capuche pour révéler un visage jeune, au crâne rasé de près, sans sourcils. Les yeux verts comme des émeraudes ternes.
La parfaite incarnation d’un Dieu.
Et tandis que les paroles s’échappaient de sa bouche sur un ton grave, Surielle n’avait d’yeux que pour le tatouage sur le côté de son cou.
Une plume.
« Tu le reconnaitras au tatouage d’une plume sur son cou ».
Elle l’avait trouvé.
Elle avait trouvé l’Éveillé.
*****
Durant toute la cérémonie, Surielle s’était concentrée pour invoquer Eraïm. Elle y avait mis tout son cœur, toute son âme.
Ça ne marchait toujours pas.
Elle n’avait que trop conscience de ses geôliers près d’elle, des chaines qui reliaient ses poignets et ses chevilles.
Elle ne pouvait pas s’enfuir.
Pourtant, elle devait trouver un moyen de récupérer l’Éveillé. C’était si frustrant ! Alistair était-il dans la foule ?
Savoir qu’il était en vie lui avait redonné courage, avait affermi sa détermination. Elle voulait y arriver.
Pour Rayad, pour Bothik, pour tous ceux qui avaient cru en elle.
Pourtant, ses efforts ne produisaient rien, à part le début d’une migraine qui battait entre ses tempes, et la cérémonie touchait à sa fin. Le Prêtre s’était brièvement incliné une nouvelle fois devant l’Eveillé, avant de lui indiquer la foule rassemblée d’un large geste.
L’Éveillé descendit les marches, puis s’avança dans l’allée, bénissant ses fidèles tous les trois ou quatre pas.
Le cœur battant, Surielle réfléchissait à toutes les possibilités alors qu’on la forçait à se lever. Le ramener de force ? Impossible alors qu’elle était elle-même enchainée. Se libérer, le convaincre ? C’était compliqué aussi. Surielle grinça des dents, frustrée. Il lui fallait plus de renseignements. Découvrir le pourquoi et le comment de ces cérémonies. Soudoyer ses geôliers, peut-être ? Ou se montrer plus coopérative en échange d’information ?
Quelqu’un la bouscula.
Surielle trébucha dans ses fers, chercha un point d’appui pour se stabiliser, trouva une épaule, cligna des yeux, désorientée.
Et découvrit qu’elle était auprès d’Edénar. Surielle recula d’un pas, nota l’absence de fers à ses poignets, le ciel bleu et le décor étonnamment blanc.
— Que se passe-t-il ? s’inquiéta-t-elle.
— C’est toi, murmura-t-il.
— Quoi, moi ?
— Tu m’as touché. Pourquoi me toucher t’a-t-il amené ici ? Qui es-tu vraiment ?
Le cœur de Surielle s’emballa. Elle avait envie de rire et de pleurer ; la solution était là, sous ses yeux, depuis le début. Comment avait-elle pu se montrer aussi aveugle ?
— Serait-il possible que tu sois… l’Éveillé ?
— Je ne connais pas ce mot, dit Edénar, troublé. Qu’entends-tu par là ?
— Eraïm m’a parlé de toi. Du tatouage sur ton cou. Je dois te ramener à lui, pour que tu puisses aider Orssanc.
Edénar resta silencieux, passa la main sur son cou, ici dépourvu de la moindre marque. Tout aurait été bien plus simple s’il l’avait arborée dans son monde spirituel, songea Surielle.
— Ils m’ont dit que j’étais l’incarnation d’Orhim, dit-il enfin. Destiné à remplacer Orssanc, qui s’était révélée trop faible pour nous protéger.
— Qui ça, nous ? s’inquiéta Surielle
— Elurio, essentiellement. Varyl, parfois. C’est lui qui s’occupe de moi. Il me parle tout le temps, tu sais. Il me dit qu’il sait que je ne peux pas communiquer, que ce n’est pas grave, que je suis la voix du dieu. J’ai parfois l’impression qu’il s’adresse vraiment à moi, pas à celui qui occupe mon corps.
Troublée, Surielle resta silencieuse.
— Et tu trouves ça normal, toi, que ton corps ne t’appartienne pas ? Que tu n’aies pas voix au chapitre ?
— Mais comment puis-je savoir ce qui est normal ou pas, Surielle ?
Edénar inclina la tête.
— Tu es la seule à t’intéresser à moi. À réussir à venir ici. À me parler. Hormis Elurio… je ne sais rien d’autre que ce qu’il me dit.
— Si je pouvais te libérer… m’accompagnerais-tu ? Accepterais-tu de me faire confiance ?
— Je… je dois y réfléchir, Surielle. Jamais encore je ne m’étais posé toutes ces questions.
— Je sais que nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, prévint la jeune ailée. Je n’ai pas envie de te faire de mal, mais j’ai besoin de toi pour sauver mes amis. Pour sauver ce monde. Et le temps nous manque.
Edénar hocha la tête.
— Je comprends. Je viendrais te chercher quand tu seras endormie.
*****
La parfaite incarnation d’un Dieu.
→ dieu (pas de majuscule car c’est un univers polythéiste)
Pourquoi me toucher t’a-t-il amené ici ?
→ amenée
Merci je note de corriger ça.