Le lendemain, au petit déjeuner, les conversations allaient bon train. Chacune racontait sa rencontre avec son nouvel éleveur et se réjouissait des nouvelles conditions.
- Merci, Aélya, dit Danaïs.
- De quoi ? répliqua Aélya.
- Mon nouvel éleveur, il m’a dit que c’était grâce à toi alors merci.
- Qu’est-ce qui est grâce à moi ?
- Les nouvelles règles.
- Je n’ai rien fait, répliqua Aélya. Si tu veux remercier quelqu’un, dis plutôt « Merci, Stan ».
- Merci, Stan ? répéta Danaïs, ahurie.
- C’est le nom de mon éleveur. L’idée est de lui, pas de moi.
- Tu appelles ton éleveur par son nom ? s’étonna Ambre sous le regard ahuri de toute l’assemblée.
- Évidemment que non ! Mais si Danaïs dit « merci, monsieur », ça se réfère à qui ?
Des ricanements partirent dans toute la pièce.
- D’accord, dit Danaïs, alors : merci, Stan. Il m’a entendue, tu crois ?
- Sans aucun doute, dit Aélya.
- N’importe quoi ! gronda Saule.
- Ils nous écoutent tout le temps ? s’étonna Mélissa en apportant une part de tarte à Aélya.
Aélya hocha la tête.
- Ben il doit sacrément se faire chier, mon éleveur, parce que mes conversations sont tout, sauf intéressantes ! rit Maggie.
Plusieurs femmes confirmèrent.
- Ils reçoivent une compensation pour ce travail très ennuyeux, précisa Aélya.
- Une compensation ? répéta Grenade.
- L’éleveur de Maggie reçoit ton sang et inversement, expliqua Aélya.
Un silence glacial envahit la pièce.
- Tu sais jeter un froid, ma poule ! lança Saule, amusée.
- Non, mais, je ne sais pas si c’est vrai ! précisa Aélya. C’est le principe que je vous explique. Si votre éleveur personnel n’a pas le droit de vous toucher, en revanche, il reçoit le sang d’une autre tête de bétail.
- Bétail ? gronda Saule, irritée.
- C’est ce que nous sommes. Du bétail dont ils disposent à volonté. Ils nous engrossent, choisissent nos reproducteurs, nous parquent, nous déplacent au gré de leurs besoins avant de nous tuer quand nous sommes devenues inutiles ou encombrantes.
- Aélya… murmura Lili.
- Si vous n’êtes pas conscientes de ce que vous êtes, je n’y peux rien, se défendit Aélya. Ouvrir les yeux vous fera peut-être du bien. Vous vous croyez supérieures parce que vous avez survécu ? Vous êtes juste leur plus belle bête. De quoi se vanter en effet. Réjouis-toi, Saule, tant que tu le peux car bientôt, une jument plus forte et rapide que toi prendra ta place et tu te retrouveras à l’abattoir.
Saule lui jeta un regard noir. Aélya sortit pour rejoindre le centre de prélèvement.
- Ce n’est pas comme ça que tu te feras aimer, lui lança Lili en la rattrapant.
- Je n’ai aucune envie de me faire aimer, répliqua Aélya.
- Une chef doit…
- Je n’ai aucune envie de rester chef. Tu veux le poste ?
- Non, répliqua Lili dans une moue dégoûtée.
Aélya soupira. Mélissa était inenvisageable. Saule non plus. Ambre suivait cette dernière comme un petit chien. Si elle choisissait Lili, Nali ou Danaïs, on l’accuserait de favoritisme. Elle allait devoir découvrir les autres qu’elle ne voyait que le matin et le soir, ne pouvant les accompagner dans leurs activités quotidiennes.
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- Je me sens mal, se plaignit Aélya.
- Tu es capable de supporter, répliqua l’éleveur.
- Monsieur, s’il vous plaît, je…
Aélya perdit connaissance. Lorsqu’elle s’éveilla, elle était seule dans la pièce blanche. Il venait de lui prélever six poches… pour la deuxième fois de la journée. Aélya se redressa mais un vertige la prit et sa tête retomba lourdement sur le fauteuil. Aélya respirait difficilement. Elle avait peur, de ne pas tenir le choc, de ne pas pouvoir se relever.
Son éleveur entra dans la pièce. Il se plaça près d’elle et lui dit tendrement :
- Tout va bien. Tu t’inquiètes trop. Si je le fais, c’est que ton corps le supporte. Tu en es capable. Je repousse tes limites car ton corps réagit en créant davantage de sang plus vite.
- Je suis tellement fatiguée, pleura Aélya. Je n’ai même pas réussi à lire de la journée. J’ai juste dormi.
- Tu existes pour nous nourrir et pour rien d’autre.
Aélya gémit.
- Tu vas t’en remettre et bientôt, tu nous fourniras cette quantité sans broncher.
- Accepteriez-vous de prélever la même quantité, mais en trois fois ? Je viendrai le soir après le dîner.
Stan plissa des yeux, semblant considérer la question.
- Vous êtes occupé le soir, comprit-elle. Je suis désolée de vous importuner. Vous avez une vie. Bien sûr. Le matin, après déjeuner et en milieu d’après-midi, le tout avant le retour des femmes ?
- Voilà qui me convient bien davantage, annonça Stan.
- Merci, monsieur.
Aélya était consciente d’offrir le bâton pour se faire battre car il était évident que rapidement, il ne se contenterait pas de quatre poches par prélèvement. Aélya espéra que son corps supporterait mieux le traitement et qu’elle pourrait vivre un peu en journée.
Les jours suivants donnèrent raison à ses craintes. Il avait rapidement augmenté les doses. Dès le lendemain, il passait à cinq et Aélya peinait de plus en plus à garder les yeux ouverts.
- Il va finir par te tuer, gémit Mélissa, seule femme avec elle en journée. Tiens, mange. Tu dois reprendre des forces. Ton prochain don est pour bientôt.
Mélissa nourrissait Aélya à la becquée, qui peinait à mâcher. Les heures passaient dans un flou complet. Elle reprenait juste assez conscience pour se rendre au centre de prélèvement. Elle ne pleurait plus, ne suppliait plus. Elle n’en avait plus l’énergie.
- Son bracelet vient de vibrer, dit Jasmine.
- Aélya ? Ton éleveur t’appelle. Aélya ?
Assise devant la table du dîner auquel elle n’avait pas touché, Aélya entendait les paroles autour d’elle sans y donner de sens. Sa vue était brouillée.
- Aidez-moi. On va l’amener nous-même, lança Pomme.
Au moment où des mains se posèrent sur son dos, Aélya se sentit perdre l’équilibre.
- Oh ! hurla Grenade. Aidez-moi ! Je vais la lâcher !
Plusieurs bras attrapèrent Aélya dont le corps ne répondait plus. Elle se sentit porter. Elle vit le plafond de la hutte se transformer en un ciel bleu virant au sombre. La nuit n’allait pas tarder. S’était-elle rendue au prélèvement de fin d’après-midi ? Elle n’en était plus certaine. Il lui semblait que oui. Pourquoi l’appelait-il encore ?
- C’est son cinquième ! s’exclama Mélissa.
Aélya entendit les femmes gémir ou hoqueter à côté d’elle.
- Il est fou, souffla Saule qui se rangeait rarement du côté d’Aélya. Il va la tuer.
- Et alors ? gronda Lili. C’est son droit. Nous ne sommes rien, que du bétail dont ils disposent à volonté.
La réponse jeta un froid. Un profond silence suivit.
- Que voulez-vous ? demanda une voix désincarnée à la porte du bâtiment blanc.
- Aélya a été appelée mais elle n’est pas en capacité de venir elle-même, indiqua Pomme.
Le ciel sombre devint un plafond blanc. Aélya voyait trouble. Une succession de latte sous un brouillard à couper au couteau. Elle sentit le coussin moelleux sous son dos.
- Restez-là ! ordonna Stan.
Un simple gémissement. Ce fut tout ce qu’Aélya parvint à exprimer alors que l’aiguille fendait sa peau pour la cinquième fois de la journée. Le prélèvement fut long et Aélya sentit l’atmosphère s’alourdir à chaque minute qui passait avant de sombrer, perdant connaissance.
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Elle ouvrit les yeux dans sa hutte. Que s’était-il passé ? Elle s’ébroua avant de se redresser. Elle se sentait bien. Elle constata la présence d’un tuyau dans son bras gauche. Elle le suivit jusqu’à une poche au contenu transparent accrochée à un bras métallique.
Elle se leva sans ressentir le moindre vertige. Elle attrapa la poche et lut son contenu. Pas étonnant qu’elle se sente bien. Le serum lui fournissait tout ce dont elle avait besoin.
Elle savait que les laborantins de Baptiste avaient crée ce produit. Ils cherchaient, bien évidemment, à créer un sang de synthèse mais jusque-là, rien n’égalait le vivant. Les animaux des fermes fournissaient un sang meilleur pour un coût négligeable comparé à une synthèse artificielle. De plus, les fermes offraient de la nourriture classique de qualité, bien utile à nourrir les initiés mais également à satisfaire les papilles gustatives des résidents en quête de gastronomie. Enfin, les fermes offraient la certitude qu’en cas de destruction de la Terre, les Vampires auraient une issue de secours.
Aélya parcourut une seconde fois la composition du liquide lui ayant redonné force et vigueur aussi vite. Elle comprenait l’intégralité des composants et le cocktail était explosif. Pas étonnant qu’elle se sente en pleine forme et ce bien qu’il fut le milieu de la nuit.
Aélya sourit puis pâlit et son visage se fit grave. Elle attrapa une poche en frissonnant. Elle parcourut une fois de plus le texte, la respiration rapide, le cœur s’emballant.
Grâce à la tablette, elle avait accès à énormément d’informations. Entre autres, les publications de Baptiste lui étaient disponibles tout autant que ses mémos informatifs et ses conférences.
« Je veux que les animaux des fermes restent au niveau préhistorique. Nous leur fournissons des technologies de haut vol mais eux ne doivent jamais en apprendre les rudiments ni leur principe de fonctionnement. Ils seront des utilisateurs ignorants et devront le rester. Leur esprit est brillant, plus que la plupart des vôtres. Je sais… C’est un problème. Nous n’arrivons pas à le résoudre. Plus de sang implique une meilleure irrigation du cerveau et par conséquent, une intelligence remarquable. Jusque-là, la corrélation a systématiquement eu lieu. De ce fait, afin d’éviter toute rébellion des fermes – et croyez-moi, vous n’aimeriez pas ça – il est essentiel que le bétail reste le plus ignorant possible. Ils ne doivent jamais, sous aucun prétexte, apprendre à manier les symboles. Aucune forme d’écriture, pas même des dessins. »
Lors de cette conférence, de nombreux cris avaient retenti. Des questions, des remarques, des obstacles…
« Tous les boutons devront être neutres. Pas de symboles. Pas de dessin. Pas de texte. Rien. Vous apprendrez par cœur l’utilité de chaque instrument. Réprimez avec tact toute envie de dessin, y compris dans le sable. S’ils voient une écriture, ils en tireront immédiatement les conséquences. »
Baptiste avait dû s’arrêter tant les voix s’élevaient.
« Ils ont une mémoire aussi parfaite que la nôtre. Ils enregistreront les symboles à la perfection et croyez-moi, ils retiendront et en déduiront le principe même de l’écriture en un claquement de doigts. Jamais aucun animal ne doit être confronté, de près ou de loin, au principe du symbole. »
Ainsi, les pots de confiture n’étaient pas marqués. Les fours et plaques de cuisson étaient neutralisés - selon le terme consacré. Il n’y avait aucun écriteau, aucun dessin, si sculpture, ni peinture. La musique transmise oralement était permise, tant que cela se faisait sans le moindre support visuel.
Aélya n’avait jamais vu un enfant tenter de dessiner dans le sable. Elle s’était toujours demandée comment les éleveurs l’en empêcheraient « avec tact ».
Comment Stan avait-il convaincu Baptiste de laisser Aélya apprendre à lire ? Elle l’ignorait. Elle n’avait jamais trahi sa confiance. Elle n’avait jamais transmis le précieux savoir et Stan la tenait en laisse courte, s’assurant régulièrement de sa docilité. Aélya était parfaitement consciente que le moindre dérapage de sa part ne lui coûterait pas sa vie à elle – elle était trop précieuse – mais celle de ses compagnes.
Cette considération-là la fit hésiter une seconde. Si elle le dénonçait, le risque que les femmes du village soient égorgées par principe de précaution était énorme. Si elle ne faisait rien, ça serait bien pire ! Aélya frémit puis se décida, la mort dans l’âme.
Elle saisit la barre métallique et se rendit devant la porte de la tour argentée.
- Qu’est-ce que tu veux ? demanda la voix désincarnée.
- Parler à Baptiste.
- Ouais, bien sûr… Et puis quoi encore ?
- J’ai vraiment besoin de lui parler.
- Va te faire foutre, lui répondit l’éleveur. Entre. C’est à moi que tu vas parler.
- Si vous voulez, monsieur.
Aélya passa le seuil de la porte et attendit dans le hall. L’éleveur apparut rapidement.
- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.
Aélya prit une des poches accrochée sur le bras métallique, en attente d’être utilisée, celle reliée à son bras étant moitié vide. Elle la lui tendit en précisant :
- Elles ne sont pas neutralisées.
L’éleveur la saisit avec brutalité avant de serrer les dents et de lâcher un « Hé merde ! Putain, Stan ! Tu fais chier ! ». Aélya baissa les yeux en tremblant devant ce Vampire en colère. Il saisit son téléphone et composa un numéro en bougeant en tout sens.
- Armelle ! Convoque-moi immédiatement tous les éleveurs du bâtiment C. Oui, tous ! Bien sûr, Stan y compris ! Tous je t’ai dis ! C’est urgent !
Il raccrocha et composa un autre numéro en tremblant de rage.
- Baptiste ? Pardonne-moi de te déranger. Tu pourrais venir immédiatement au bâtiment C ?
Aélya imagina très bien le maître des lieux gronder en retour. Qui osait le convoquer, lui ? L’éleveur raccrocha puis se tourna vers Aélya et lui dit avec un sourire qui se voulait aimable :
- Je te conseille de reculer. La suite pourrait être violente.
Aélya se colla contre le mur, avide de se fondre en lui. Un Vampire arriva rapidement.
- Je suis vraiment désolé de te déranger, précisa l’éleveur. Les autres ont été convoqués.
- Les autres ? répéta Baptiste. Qu’est-ce qui se passe ? Aélya ?
- Bonjour, Baptiste, dit Aélya humblement.
- Tu voulais lui parler. Il est là, dit l’éleveur, amusé devant la terreur de l’adolescente.
- Tu voulais me parler ? s’étonna Baptiste. C’est que c’est grave alors !
- Plutôt, oui, répondit l’éleveur.
L’arrivée de deux Vampires mit un terme à cet échange. Baptiste s’approcha d’Aélya qui ne put s’empêcher de trembler.
- Tu n’as pas l’air bien, fit-il remarquer.
- Beaucoup de prélèvements ces derniers jours, répondit Aélya.
Son ton n’indiquait pas la moindre critique ni opposition. Elle énonçait un fait, simple et indéniable. La seule réponse de Baptiste fut un « huhu » amusé. La salle se remplit doucement.
- Bon, tu vas nous dire pourquoi on est là ?
- Il manque Stan.
- Stan ? Il est sur Terre. Il ne risque pas de…
- Il est en chemin, répliqua l’éleveur.
- On ne peut pas commencer sans lui ?
- Non, on ne peut pas, gronda l’éleveur.
- Ça doit le concerner puisqu’Aélya est là, souffla Baptiste.
L’adolescente fut soudainement le centre de l’attention d’une douzaine de Vampires et elle détesta cela. Un silence total suivit cette assertion. Aélya se retrouva au milieu d’un musée de cire. Chaque Vampire venait de passer en mode pause. Devant Aélya n’ignorant rien de leur nature, ils n’avaient pas besoin de se cacher et ne comptaient pas le faire. Muets, ils n’avaient pas besoin de respirer. Leur esprit, capable d’émettre et de recevoir toutes les ondes connues, naviguait probablement sur leurs consoles personnelles, leur permettant de travailler, de lire, d’écrire, de regarder des films ou de jouer à un jeu vidéo tout en attendant.
Stan entra dans la salle et tous les Vampires reprirent vie ensemble. L’effet était saisissant.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
L’éleveur à qui Aélya avait parlé en premier jeta une poche de serum à Stan.
- Elle n’est pas neutralisée, cingla-t-il.
Des hurlements désapprobateurs parcoururent la salle. Les éleveurs s’approchaient tous pour constater eux-mêmes les écritures présentes sur le bout de plastique. Aélya lança vers Stan un regard désolé.
- Ne t’excuse pas, gronda Baptiste. Ni d’un geste, ni d’un regard, ni d’un mot. C’est son erreur. Tu n’y es pour rien.
Si Aélya avait été capable de supporter les prélèvements, Stan n’aurait pas été obligé de lui offrir le serum.
- Si on doit trouver un responsable, ce serait plutôt moi, annonça Baptiste.
Sa remarque, pourtant dite à voix basse et à destination d’Aélya, jeta un froid.
- Parce que vous avez une faim dévorante ces derniers jours, monsieur ? proposa Aélya.
Pour toute réponse, il sourit et son regard brilla quand il se posa sur elle.
- Vos dents vous démangent, monsieur, comprit Aélya qui en trembla de terreur.
- Tu sens délicieusement bon.
Le cœur d’Aélya s’emballa. Son consommateur se trouvait à un pas d’elle et il crevait d’envie de se servir à la source.
- Stan est également responsable, sans aucun doute, continua Baptiste. Dans l’urgence, il a oublié de neutraliser les poches.
- Aélya ? Penses-tu que tes compagnes aient constaté la présence des écritures sur les poches ? demanda un éleveur.
- Je n’en ai aucune idée, monsieur. Je n’étais pas en état, admit Aélya.
- Elle était inconsciente, indiqua Stan. Elle a frôlé la mort. Son cœur s’est arrêté pendant plus de deux minutes. Ce n’est pas passé loin que je la perde.
- Je vais réduire mes demandes, promit Baptiste.
- Quel âge a-t-il ? demanda Aélya.
- Qui ça ? interrogea Baptiste, surpris.
- L’animal de meilleure qualité qui me remplacera, précisa Aélya.
- Cinq ans, indiqua volontiers Baptiste.
S’ils commençaient à le prélever, comme elle, a dix ans, alors elle avait encore un long moment à tenir avant d’être soulagée de ce poids-là.
- Ceci dit, il ne te remplacera pas. Vous vous partagerez l’affiche. Clairement, un seul ne nous suffit pas.
« Nous » répéta Aélya. Baptiste n’était pas son seul consommateur. Il y en avait au moins un autre. Seule information positive à tirer de tout cela : l’abattoir ne serait pas pour demain en ce qui la concernait.
Un Vampire s’approcha et changea les poches pour des contenants vides de toute écriture.
- Tu peux disposer, annonça-t-il mais Aélya ne broncha pas.
Ce Vampire n’était pas son éleveur.
- Aélya. Va dormir, ordonna Baptiste.
Stan avait disparu ainsi que presque tous les éleveurs.
- Oui, monsieur, répondit Aélya.
- Qu’est-ce que tu sens bon ! entendit-elle Baptiste lancer alors qu’elle passait le seuil de la porte.
Elle frémit. Il avait dû beaucoup se retenir pour ne pas se jeter sur elle. Aélya s’endormit à peine allongée. Elle était épuisée, tant physiquement que nerveusement.
Au matin, Pomme, Grenade, Mélissa et Saule furent appelées après le petit déjeuner.
- Qu’est-ce qui se passe ? s’exclama Saule.
- Pourquoi veulent-ils nous voir ? demanda Pomme.
- Aélya ? Tu connais la raison ? lança Mélissa.
Aélya grimaça.
- Allez-y et vous verrez bien.
- Dis-moi ce qui se passe ! gronda Saule, menaçante.
Elle se crispa et Aélya comprit qu’elle venait de recevoir un avertissement. Dernier avis avant souffrance.
- Tu es une putain de salope ! cracha Saule avant de s’éloigner avec les autres vers le bâtiment blanc.
- Aélya ? Que se passe-t-il ? demanda Lili. Pourquoi les ont-ils appelées ?
- Ils vont juste leur poser des questions. Espérons que leurs réponses seront les bonnes, gémit Aélya.
Le bracelet de Maggie vibra soudain. Toutes les femmes sursautèrent.
- Aélya ? s’étrangla Maggie.
- Vas-y, dit la chef du village, mortifiée.
Maggie était amie avec Pomme. Cette dernière avait-elle vu les écritures ? En avait-elle parlé à Maggie ? Aucun autre bracelet ne vibra. Après une attente qu’Aélya trouva interminable, Saule, Grenade et Mélissa reparurent.
- Où sont Pomme et Maggie ? demanda Salome.
Aélya fondit en larmes. L’erreur de Stan venait de coûter la vie à deux membres de son village.
- Que vous ont-ils demandé ? demanda Ambre.
- Ils m’ont demandé de raconter ma soirée d’hier soir, dans ses moindres détails, indiqua Saule. Nous t’avons aidée hier et c’est notre récompense ?
- Pomme a été la première à venir vers toi, dit Ambre et son ton était agressif.
- Aélya ? Elles vont revenir, n’est-ce pas ? pleura Salome.
- Elles étaient de la nourriture de qualité, gronda Saule. Pour qu’ils se permettent de s’en séparer, c’est qu’ils ont une sacrée bonne raison. Tu sais quoi, Aélya ? Tu peux aller te faire foutre. La prochaine fois, je ne t’aiderai pas. Tu pourras crever par terre ! Je ne bougerai pas un petit doigt pour toi.
Aélya baissa les yeux. Elle ne pouvait pas s’opposer. Elle ne pouvait pas leur hurler la vérité. Ce secret-là ne pouvait être dévoilé. Les femmes partirent chacune à leur tâche. Seule Mélissa resta mais Aélya sentit l’animosité de sa compagne pourtant habituellement très douce.
Aélya se leva et se rendit au centre de prélèvement. Stan l’accueillit. Ils échangèrent leurs salutations habituelles. Rien dans son comportement ne sembla indiquer qu’un drame venait de se jouer. Aélya ne demanda rien. Stan lui prit seulement quatre poches de sang, si bien qu’Aélya, toujours branchée sur le serum, ressortie en pleine forme.