Chapitre 31 : Guérison

- Maître Beaumont ? lança Marlène, toujours dans la salle du tribunal, maintenant presque vide.

Les journalistes attendaient dehors. Marlène savait cette salle sécurisée. Ce qui s'y passait y restait. Nul dehors ne pouvait entendre, de quelque manière que ce soit.

- Oui ?

- Accepteriez-vous de m’aider ?

- De quelle manière ?

- Ce que j’ai fait durant le match de la finale de la coupe du monde de PBM…

- Hum ?

- Ça a complètement détruit ma chambre des connaissances. J’ai perdu toute capacité à utiliser la magie.

- Quoi ? s’exclama Nicolas tandis que tout le monde restait bouche bée.

- C’est pour ça que ta gnosie n’est pas activée, comprit maître Beaumont et Marlène acquiesça.

- Et que c’est madame Malard qui utilise ses pouvoirs pour me traduire les propos de tout le monde.

- Je parle français, rappela maître Beaumont. Bien sûr que je vais t'aider Marlène. Avec grand plaisir.

- Est-ce que vous accepteriez d'apporter votre soutien à Nicolas. Il galère aussi et je pense que votre expertise ne sera pas de trop.

Marlène se tourna vers Nicolas qui grimaçait.

- C'est une pointure, vraiment, assura Marlène.

- Je n'ai pas besoin d'aide. Je m'en sors très bien tout seul, cingla Nicolas.

- Et s'il trouvait un moyen pour que tu arrives à décoller les deux pieds du sol ? proposa Marlène.

Nicolas frémit. La néomage sut qu'elle avait visé juste.

- Bon, d'accord, ronchonna Nicolas. Mais pas ici. Retournons au camp.

- J'ai démissionné, rappela Marlène. Je n'ai plus le droit de m'y rendre.

- Déjà, tu peux aller récupérer tes affaires et ensuite, j'ai le droit d'y inviter qui je veux.

- Merci, Nicolas.

Sa gentillesse la touchait. Elle avait la sensation de ne pas la mériter. Les vigiles du camp d’entraînement des Black Star ne les empêchèrent pas d’entrer. Marlène retrouva avec bonheur son cadre photo et sa feuille blanche vides. Marlène l’embrassa, priant pour que Lycronus soit bien traité en prison et qu’aucun agent du CIM ne lui fasse payer trois ans de railleries médiatiques.

- Le cadre des cœurs jumeaux, murmura Nicolas. N’en ayant jamais croisé, je n’ai pas été capable de le reconnaître, alors même qu’il était sous mon nez tout ce temps ! Il n’affiche rien !

- Parce que Lycronus avait besoin de la moindre once d’énergie pour fuir, expliqua Marlène. L’um de la pile représente beaucoup pour lui.

- Lui as-tu transmis toutes les améliorations possibles ? demanda Nicolas en désignant son crâne.

- Oui mais sur un magicien de fortune, l’effet n’est pas aussi intense que pour nous deux.

- Je comprends, assura Nicolas.

- La chambre est sécurisée, annonça maître Beaumont.

- Monsieur Stoffer est vraiment un génie, dit monsieur Toupin en manipulant la feuille blanche. Ce truc est intraçable et sécurisé. Seule Marlène peut l’utiliser. Pour quiconque, la feuille restera blanche. Y a-t-il quoi que ce soit d’écrit dessus ?

- Non, dit Marlène.

- C’est quoi ? demanda Nicolas.

- Une messagère. Sa jumelle se trouve entre les mains de monsieur Stoffer, je suppose.

Marlène acquiesça.

- Ainsi, vous étiez en contact, finit monsieur Toupin.

- Très peu, maugréa Marlène.

- Il va s’en sortir, promit monsieur Toupin.

- J’aimerais avoir votre optimisme, avoua Marlène en s’avachissant sur le lit.

- Monsieur Patriol, vous avez un souci avec votre chambre des connaissances ?

- Son jardin est inondé, dit Marlène. L’eau monte tellement haut qu’il se noie quand il s’y rend. Tout ça parce qu’il ne peut pas décoller ses pieds du sol ! Il lui suffirait de nager mais impossible. Il sait comment réduire le niveau d’eau mais le fait de devoir s’y rendre en apnée allonge considérablement la durée requise pour classer ses connaissances. Normalement, nos chambres échappent à la physique pour nous permettre davantage de mouvements. Elles ne nous limitent pas !

- Ta chambre des connaissances agit de la même manière, répliqua maître Beaumont.

- Comment ça ? s’étonna Marlène.

- Tu marches sur l’eau, rappela maître Beaumont.

- Ce qui n’est pas possible en réalité !

- Non, en réalité, on nage. À ma connaissance, tu ne peux pas le faire chez toi !

Nager ? se répéta Marlène en pensées. Elle détourna le regard. L’eau avait toujours été son élément. Dans son cocon maternel, elle se trouvait en plein milieu de l’élément liquide. Pourquoi se contentait-elle d’effleurer la surface ? Pourquoi subir le vent, les tornades et les vagues alors qu’il lui suffisait de plonger.

- Merci, maître !

- À ton service, répliqua-t-il en souriant.

Marlène entra en méditation. À peine arrivée, elle se sentit soulevée par le vent intense qui sévissait. Une tornade fonçait droit sur elle, menaçant de l’arracher du sol. Elle observa la surface de l’eau avant de s’y enfoncer en douceur. Marlène goûta le liquide tiède pour le découvrir non salé. Elle ressentait la présence de l’eau autour d’elle sans pour autant être mouillée, sensation étrange mais apaisante.

Marlène s’enfonça, comme tirée par un ascenseur poussif. Elle découvrit un paysage coloré, peuplé de coraux brillants, de poissons argentés, rouges et dorés, d’anémones, de petits requins, de serpents de mer, d’éponges jaunes en forme de tube, d’algues fluorescentes.

Marlène observa, fascinée, le ballet merveilleux. Une bulle sortant d’une éponge ramena la néomage à la raison de sa présence en ce lieu. La bulle aux reflets arc-en-ciel flânait vers la surface.

Marlène l’appela à elle. La bulle explosa au contact de sa main. Pas grave. Elle était vide de toute façon, certitude dont la néomage ignorait la raison.

Marlène se promena entre les rochers formant un labyrinthe. Prenant un peu de hauteur, elle constata qu’un trou central de grand diamètre se reliait via des canyons étroits à d’autres cavités plus petites.

Marlène se dirigea vers une alvéole, la trouvant accueillante. Elle regarda vers la surface pour voir les rayons du soleil traverser la surface, créant des raies lumineuses de toute beauté.

La néomage appela les bulles correspondants à la gnosie. Elles vinrent sans se presser, en rang d’oignons, se loger dans un creux. Marlène sourit à ces œufs précieux enfin à leur place. L’immense salle suivante accueillit la magie intra. Une autre plus loin offrit un refuge à la magie inter.

Marlène retourna au centre de l’abri. Chaque fissure menait à des connaissances bien rangées et protégées. Rien ne pourrait leur arriver. Le nouvel assemblage résisterait. Marlène savait que la magie lui était de nouveau disponible.

Elle observa autour d’elle et le néant comprima son cœur. Ça n’aurait pas dû être vide. Que manquait-il ? Elle ne douta pas que les autres alvéoles permettaient l’ensorcellement ou la guérison, des compétences dont elle ne disposait pas. La néomage estima que ces cavités resteraient vides pour toujours.

La centrale, en revanche, aurait dû accueillir quelque chose. Marlène papillonna des yeux. Allait-elle devoir retourner auprès de maître Beaumont ? Elle en avait assez de devoir toujours passer par lui. Elle n'était plus une gamine !

Elle soupira. Lycronus lui avait appris à persévérer. Sortir sans avoir trouvé reviendrait à le déshonorer. Et ça, il n'en était pas question. Marlène plissa les paupières. Elle se tenait droite dans l'eau, parfaitement à la verticale, comme depuis sa plongée initiale. Marlène frémit. Maître Beaumont lui avait dit de nager. Elle ne le faisait toujours pas.

Ses pieds semblaient collés à quelque chose. Elle se déplaçait en lévitation, comme manipulée par une dalle qui se mouvait à sa volonté. Marlène se plia en deux pour regarder sous ses jambes. Elle écarquilla les yeux devant une telle beauté.

Sous ses plantes de pied étincelait une bulle, pas transparente aux reflets arc-en-ciel comme les autres. Celle-ci illuminait d'un bleu profond, éclairant toute la zone. Comment Marlène n'avait-elle pas pu se rendre compte de sa présence jusqu'à maintenant ? La boule d'eau concentrée se trouvait-elle réellement sous ses pieds depuis le début ?

Marlène l'attrapa. Plus rien ne l'attirant vers le bas, elle se mit à flotter, sensation merveilleuse d'apesanteur. Elle nagea vers la cavité principale et y déposa la bulle. Elle s’enficha sur le sol avant de tressaillir, des vaguelettes se formant à sa surface. Marlène s’éloigna, profitant d’un courant chaud ascendant.

La bulle grossit et changea de forme. Finalement, elle emplit tout l’espace et ce fut comme si la cavité devenait une piscine à l’intérieur d’une abysse. Aucune réalité physique n’aurait pu expliquer un tel phénomène.

L’eau d’un bleu brillant irréel s’écoula dans les fissures pour rejoindre les assemblages. Marlène suivit le mouvement stoïque. Elle savait, sans pouvoir expliquer comment, que tout allait bien. Cela devait être ainsi.

L’azur profond enveloppa les bulles de connaissances. Marlène ne s’était jamais sentie aussi bien. Elle aurait pu dévorer le monde.

La néomage sortit de méditation pour se découvrir seule dans sa chambre. Elle se rendit dans son cocon maternel et entreprit de retrouver le ver de rendement maximal, qu’elle retrouva très vite.

Elle activa sa gnosie et reprit la création de magie avant de sortir à la recherche des autres résidents du campement américain. Elle les trouva dans le restaurant : américains et français réunis. Seuls trois d’entre eux mangeaient. Les autres papotaient.

- Marlène ! s’exclama Steven qui prononçait « Marleen ».

La phrase qui suivit s’avéra trop rapide et complexe pour que Marlène ne la comprenne. Elle activa son traducteur.

- … tellement incroyable ! Merci ! termina l’américain avant de la serrer dans ses bras.

Marlène envoya un regard ahuri aux français.

- Steven a retrouvé un rendement maximal et ses connaissances sont bien rangées, annonça maître Beaumont.

- Moi aussi, annonça Marlène. Encore, merci maître.

Maître Beaumont inclina la tête.

- Moi, j’ai retrouvé mon jardin fleuri, annonça Nicolas en remuant sa fourchette, envoyant valser un bout de pomme de terre. Oh pardon.

Il ramassa le morceau en s’excusant à Séverine avant de reprendre :

- Ils sont vraiment doués, tes professeurs.

- Les vôtres aussi, assura maître Beaumont. Ils ne peuvent simplement pas faire de miracles en trois heures par semaine.

- Oh ! s’exclama Steven.

- Quoi ? demanda Marlène.

- Le gouvernement italien gronde.

- Pourquoi ?

- Les américains refusent d’extrader Lycronus Stoffer, arguant que ce ressortissant américain doit être jugé chez lui.

Lycronus, américain ? Marlène l’ignorait.

- Qu’est-ce que le lieu du procès peut faire ? demanda Marlène.

- Là n’est pas le problème, précisa Steven. Il s’avère qu’ici, les prisonniers peuvent sortir en attendant leur procès, à condition de donner une caution.

Marlène se leva.

- À combien se monte la caution ?

- Quatre milliards d’um, annonça Steven d’un air désolé.

- Où doit-on donner cette caution ?

- Au centre pénitentiaire, répondit Steven.

- Où Lycronus est-il enfermé ? interrogea Marlène.

- Il faut payer quatre milliards d’um, intervint maître Beaumont.

- Je les ai, assura Marlène.

- Tu m’as dit avoir perdu toute faculté à utiliser la magie. Tu ne peux pas avoir regagné tout ça en si peu de temps. Que tu sois une machine à créer de la magie, soit, mais pas à ce point-là quand même !

- J’en ai en réserve, précisa Marlène. Lors du match de PBM, je ne suis pas tombée parce que j’étais vidée. La destruction de mon assemblage a causé ma défaite.

Steven annonça le nom du lieu de détention.

- Ce n’est pas loin d’ici, précisa-t-il.

- Je peux t’y téléporter, indiqua maître Beaumont en lui tendant la main. Ça demandera juste que tu me donnes cent um, quantité dont je ne dispose pas.

Marlène sentit une certaine amertume dans son ton. Elle venait de lui cracher à la figure en posséder plusieurs milliards. Elle grimaça en baissant les yeux. Nicolas lui avait pourtant dit de faire profil bas. Elle avait été enlevée et séquestrée parce qu’elle se vantait de la sorte. Elle secoua la tête, déçue d’elle-même.

- Pas grave, assura maître Beaumont.

La néomage lui lança un regard désolé auquel il répondit par un sourire rassurant. Marlène se leva. Maître Beaumont l’accompagna. Elle prit sa main tendue et lui transféra dix mille um. Maître Beaumont tiqua.

- Pour vous remercier. Sans vous, mon assemblage serait toujours en morceaux. C’est le moins que je puisse faire.

Il acquiesça, ses lèvres s’étirant un peu. Son regard s’adoucit. Marlène sentit une vibration caractéristique dans la magie et l’instant suivant, la néomage et son ancien professeur se trouvaient devant la porte d’un centre pénitencier spécialisé dans les magiciens, précaution plutôt inutile face à un magicien de fortune mais Marlène ne pouvait pas leur en vouloir d’être prudent face à un fuyard ayant réussi à mettre en défaut le CIM pendant des années.

Ils entrèrent ensemble. Un homme en uniforme leva ses yeux noirs vers eux.

- Bonjour monsieur, commença Marlène. Je viens payer la caution de Lycronus Stoffer afin qu’il puisse être libéré.

- La caution se monte à quatre milliards d’um, cingla l’homme en levant les yeux au ciel.

- Je possède cette somme. Elle me sera rendue quand ? demanda Marlène.

- Après le procès, si monsieur Stoffer s’y présente, précisa l’agent du CIM en écarquillant les yeux.

- Bien sûr qu’il s’y rendra ! Il s’est rendu ! gronda Marlène. Comment je paye la caution ?

La main droite de l’agent disparut sous son comptoir pour ressortir tenant un bracelet de transfert. Marlène blêmit.

- Vous n’auriez pas quelque chose de non enveloppant ? s’enquit Marlène.

- Non, madame, siffla l’argent. C’est la procédure !

- Je ne peux pas mettre ça, gémit Marlène.

- Je veux bien le faire pour toi, indiqua maître Beaumont en attrapant le bracelet qu’il passa à son poignet droit avant de lui tendre sa main gauche.

Donner quatre milliards d’um à un autre magicien en espérant qu’il ne le garderait pas pour lui mais le transférerait effectivement au centre pénitencier pour libérer un criminel ? Marlène se recroquevilla. Il fallait une sacrée dose de confiance pour faire ça. En tremblant, elle attrapa la main tendue et lui donna la quantité voulue.

- Putain ! s’exclama l’agent. Putain ! Putain !

Le pauvre homme ne devait jamais avoir vu autant de magie d’un coup.

- Je… Je lance la procédure de sortie de monsieur Stoffer, bredouilla l’agent une fois le transfert terminé.

- Merci, maître Beaumont.

- Je t’en prie, dit-il. C’est grisant, autant de pouvoir d’un coup. Comment fais-tu pour ne pas sombrer ?

- Je ne sais pas m’en servir, rappela Marlène en haussant les épaules.

- Tu as remporté la coupe du monde de PBM, la contra-t-il.

- J’ai triché, rappela Marlène et son ancien professeur ne nia pas. J’ai besoin de vous parce que je ne sais pas me téléporter.

Maître Beaumont garda le silence. Il n’y avait aucun argument à opposer à cela. Marlène créait de la magie. En revanche, elle ne savait rien en faire. Une idée germa dans son esprit et ses épaules se détendirent. Elle avait enfin trouvé. Elle se sentait en paix, profondément.

- Ça va, Marlène ? interrogea maître Beaumont en fronçant les sourcils.

- Merveilleusement bien, assura Marlène.

Le reste de l’attente dans ce hall animé où les policiers allaient et venaient se fit en silence. Au loin, des téléphones sonnaient. L’odeur du café leur parvenait.

Finalement, une porte s’ouvrit, dévoilant Lycronus. Il était magnifique. Ses cheveux noirs mi-longs volaient autour de sa tête. Son regard brillait. Chemise noire, pantalon de ville et chaussures sombres, Marlène en trembla de partout et un nectar fabuleux parcourut ses veines. Le teint clair et un léger sourire aux lèvres, il ne semblait pas avoir subi de mauvais traitements.

Marlène se jeta dans ses bras et le serra, s’enivrant de son odeur. Il lui avait tant manqué ! Travailler loin de lui avait été si difficile. Sa présence seule suffisait à calmer la néomage. Elle s’écarta de son torse pour plonger son regard dans celui sombre de son amant, cherchant son accord. Le baiser fut aussi merveilleux que dans les rêves de Marlène. Première fois entre les deux amants. Marlène en fut certaine : il y en aurait d’autres, beaucoup d’autres. Elle ne pouvait pas laisser Gilain le lui prendre.

Marlène était consciente que rien n’était gagné. Lycronus n’était pas libre. Le procès serait décisif et il était certain que le directeur du Mistral ne se laisserait pas faire.

- Je t’aime, miaula Marlène.

- Je t’aime, répondit Lycro.

L’entendre pour la première fois donna chaud partout à la néomage. Elle se blottit contre son épaule, buvant son odeur, ronronnant, se sentant à sa place.

- Je vous ramène ? proposa maître Beaumont en tendant ses deux mains.

- Téléportation ? supposa Lycronus et maître Beaumont confirma d’un geste. Je n’ai pas de quoi payer.

- Madame Norris a fait le nécessaire, assura maître Beaumont.

- En ce cas, souffla Lycronus avant de prendre une main tendue.

Marlène attrapa l’autre et ils se retrouvèrent dans un couloir du camp d’entraînement américain. Marlène constata qu’ils se trouvaient juste devant la porte de sa chambre.

- J’ai supposé que vous apprécieriez un peu d’intimité, s’amusa maître Beaumont avant de s’éloigner en sifflotant vers la cantine.

Lycronus et Marlène profitèrent de la perche tendue, trois fois de suite.

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