Le téléphone de Marlène sonna. La néomage tendit le bras, identifia son correspondant puis s’assit dans le lit tout en portant l’appareil à son oreille.
- Comment va-t-il ? hurla Amanda.
- Qui ça ? demanda Marlène tandis que Lycronus déposait des baisers sur sa nuque tout en profitant de la poitrine généreusement offerte.
- Monsieur Stoffer ! Les infos ne parlent que de ça. Tu as payé sa caution !
- Puis-je dire sans me vanter qu’il se porte à merveille ?
- Tu peux, susurra Lycronus à son oreille.
Il y eut un silence puis Amanda lança :
- Je vois. Je dérange. Hum… Je rappellerai plus tard.
Marlène explosa de rire tandis que l’appel cessait.
- Il faut qu’on se lève. Tu n’as pas faim ?
- Si, admit Lycronus.
Ils s’habillèrent puis rejoignirent le restaurant où se trouvaient une bonne trentaine de personnes. Lycronus tiqua à l’entrée mais Marlène l’encouragea. Il ne reçut que des regards chaleureux.
- Je suis ravi de te revoir, Lycronus, assura maître Beaumont.
- Merci, maître, répondit le jeune homme.
- Ton procès est dans quatre heures, continua le professeur de méditation. Gilain a fait en sorte qu’il soit le plus rapide possible, sans doute en espérant que tu aurais ainsi très peu de temps pour te préparer.
- Je n’ai pas besoin de me préparer, gronda Lycronus en plongeant la main vers un bol de samoussas au bœuf. Je n’ai rien fait de mal.
- Méfie-toi, prévint maître Beaumont. Gilain va t’amener où il le voudra, comme il l’a fait avec Marlène. Il vient de se faire humilier. Il fera tout pour conserver son honneur. Il ne va rien lâcher.
- Humilier ? répondit Marlène. Je ne comprends pas.
- Tu as été déclarée non coupable, rappela maître Beaumont.
- J’aimerais tout de même bien savoir, commença Marlène. Il se serait passé quoi si j’avais rempli moi-même cette pile ? Je veux dire… On s’en fout, non ? En quoi est-ce si grave d’utiliser un pauvre um pour armer un objet magique personnel ?
- Si tu avais utilisé le tien, intervint monsieur Toupin, tu aurais écopé d’un mauvais usage de la magie. Dans ce cas-là, ce n’est pas très grave. Une amende, probablement à hauteur de 3 um et un emprisonnement avec sursis. D’autres mauvais usages de la magie peuvent coûter bien plus !
- Comment peut-on mal utiliser la magie ? demanda Marlène.
- Tu es naïve et gentille, s’amusa maître Beaumont. Un bon magicien peut, par exemple, modifier son apparence extérieure pour ressembler à quelqu’un d’autre et ainsi avoir une interaction sexuelle avec une personne qui pense faire ça avec son compagnon habituel.
Un viol. Marlène frémit.
- Plus simplement, poursuivit maître Beaumont, un magicien qui utilise sa gnosie pour aller regarder ce qui se passe chez son voisin commet un délit. La vie privée doit être respectée. Les journalistes sont souvent accusés de ce genre d’indiscrétion.
Marlène l’imaginait volontiers.
- Commettre un meurtre est déjà grave en soi, finit-il. Mais si en plus la magie est l’arme du crime, alors la peine est immensément plus lourde.
Marlène indiqua d’un geste qu’elle comprenait. Monsieur Toupin reprit la parole.
- Si tu avais utilisé la magie de l’école pour remplir la pile du cadre des cœurs jumeaux, alors cela aurait été un vol.
- Je n’ai pas imaginé une seule seconde prendre la magie de l’école, assura Marlène. Je n’aurais même pas su comment faire ça. J’ignorais même cela possible, en dehors du guide, je veux dire.
- Tout dépend de ton contrat, en fait, assura maître Beaumont. Certains résidents y ont accès, d’autres pas.
- Les professeurs peuvent l’utiliser, supposa Marlène.
- Selon des conditions définies par leur contrat, nuança maître Beaumont. Certains élèves aussi.
- Des élèves ? s’étonna Marlène.
- Comment crois-tu que monsieur Stoffer ait pu créer deux cadres des cœurs jumeaux en étant magicien de fortune ? siffla monsieur Toupin.
Marlène se tourna vers Lycronus qui grimaçait.
- Si j’avais su que ce choix apporterait autant de problèmes, j’aurais choisi un autre objet à pile, assura le jeune homme.
Nul ne répondit. Monsieur Toupin poursuivit à l’adresse de Marlène :
- Si tu avais volé cette magie au Mistral, tu aurais probablement écopé des mêmes peines : 3 um d’amende et quelques mois de prison avec sursis.
Marlène haussa les épaules. Elle ne voyait pas bien le problème.
- L’important est que dans les deux cas, tu aurais été déclarée coupable et de ce fait, tu aurais eu pour obligation de rembourser à maître Gilain ses dépenses liées au procès.
Marlène montra qu’elle ne saisissait pas.
- Rembourser ses avocats, par exemple, précisa monsieur Toupin.
- Et étrangement, poursuivit maître Beaumont, ils proposeront des honoraires particulièrement élevés, plusieurs millions d’um, là où bien évidemment, ils n’en demandent que quelques milliers. Maître Gilain et eux se partagent ensuite le pactole.
Lycronus gronda de colère.
- De même pour la téléportation, poursuivit maître Beaumont. Maître Gilain va annoncer plusieurs dizaines de milliers d’um pour chaque mouvement. Sauf qu’on ne peut pas vérifier s’il dépense vraiment autant.
- Vous ne m’avez demandé que cent um, se rappela Marlène.
- Cela m’en coûte une vingtaine, précisa maître Beaumont.
Marlène lui envoya un regard profond.
- Vingt par personne, précisa le professeur. Deux à l’aller, trois au retour. Ça fait bien cent.
Marlène s’excusa d’un geste.
- Pas grave, assura maître Beaumont.
- Pourquoi cela lui en coûterait-il des dizaines de milliers à lui si cela vous est aussi peu coûteux ?
- Mon grand-père était néomage, apprit maître Beaumont. François Gilain, quant à lui, est magicien de fortune.
- Quoi ? s’exclama Lycronus. Je n’ai trouvé cette information nulle part.
- Gilain aime à la distiller au compte-goutte, s’en servant uniquement quand ça l’arrange, précisa maître Beaumont.
- Je ne vois pas le rapport, grogna Marlène. Si je devais me téléporter, je consommerai probablement des millions d’um tellement je suis nulle. Quel rapport avec la proximité avec un néomage ?
- Gilain profite de cet amalgame que la plupart des gens font entre la magie produite et son maniement, admit maître Beaumont.
- Il va tout faire pour que je sois déclaré coupable, comprit Lycronus.
- Méfiez-vous, conseilla maître Beaumont. Il va tenter de vous emmener là où il veut. Il est très doué. Ce combat est loin d’être gagné.
Lycronus hocha la tête tout en mâchant une part de gâteau au chocolat. Marlène le regarda manger, encore et encore, à croire qu’il n’avait rien avalé depuis des années. Elle devait bien admettre qu’il n’était pas bien gras. La cavale lui avait coûté, sans aucun doute.
- Pourquoi Gilain t’en veut-il à ce point ? demanda Marlène.
Lycronus cessa de mâcher et se tourna vers elle. Il lui avait déjà dit l’avoir enculé bien profond mais Marlène trouvait cette explication fort imprécise. Lycronus avala sa part de gâteau puis commença :
- Vous savez tous que je suis magicien de fortune.
Toute l’assistance acquiesça.
- Ce que vous ignorez probablement, c’est que ma grand-mère était une magicienne hors paire. DM10, elle faisait partie des rares magiciens capables de déceler des infimes particules de magie dans les êtres vivants. Elle repérait les néomages.
Marlène l’ignorait. Elle ne savait rien de Lycronus. En apprendre sur lui la ravissait. Elle le transperçait des yeux, suivant ses lèvres remuant en rythme avec ses mains, le tout formant un ballet merveilleux.
- Quand je suis né, poursuivit Lycronus, elle a tout de suite testé. Habituellement, les mages ne testent que les enfants de treize ans afin de ne pas perdre de temps avec ceux qui ne survivront pas jusqu’à cet âge-là. Les magiciens capables de détecter des particules infimes de magie sont peu nombreux. Ils doivent faire des choix.
Marlène comprenait fort bien.
- Tu imagines combien ma grand-mère, dont la fille n’était pas magicienne, a été heureuse en constatant ma nature de magicien. Elle l’a annoncé à tout le monde. Trois mois plus tard, un homme inattentif au volant a percuté son vélo, la tuant sur le coup.
Marlène en fut très attristée.
- Mes parents m’ont toujours dit que j’étais magicien, précisa Lycronus. Ils ont toujours voulu l’excellence pour moi. J’étais leur seul enfant, né alors que ma mère était censée être stérile. J’étais leur miracle. Ils prenaient toujours le temps pour moi. Ils me couvraient d’amour et m’aidaient, me soutenaient, m’encourageaient vers l’excellence. Tout petit, ils me lisaient des livres traitant de magie, des ouvrages auxquels ils ne comprenaient eux-même rien, si bien que l’ensemble manquait de cohérence.
Plusieurs personnes dans la salle en rirent, sons dénués de toute moquerie. Lycronus poursuivit.
- Quand j’ai su lire, j’ai dévoré l’intégralité des « Julien le petit magicien » si bien que bien qu’étant un magicien de fortune, j’avais tout de même une idée assez précise et concrète de ce monde rêvé.
Marlène l’imaginait fort bien. En lisant ces livres d’apparence banale, elle avait emmagasiné une quantité impressionnante de savoirs liés à la magie.
- En grandissant, j’ai commencé à choisir mes lectures sur la magie et je me suis naturellement axé vers ce que je pouvais faire sans magie, à savoir répertorier la nature. Vous savez ces enfants qui connaissent par cœur le nom de centaines de dinosaures ?
Plusieurs personnes hochèrent la tête.
- Je pouvais citer tous les types de grès ou de calcaire, d’érable ou de chêne et les reconnaître sur une photo, qu’on me montre la feuille, une branche ou le fruit. Je savais même leur intérêt au niveau magique, même si ce n’était que purement théorique.
Marlène fut impressionnée. Monsieur Toupin souriait.
- Quand le temps fut venu d’entrer à l’école de magie, j’ai dit à mes parents que je voulais aller au Mistral. Ils ont été étonnés. Ils ne savaient pas que j’avais fait des recherches. Ils ont été désolés. Appartenant à la classe moyenne américaine, ils n’étaient pas sans le sou mais ne disposaient pas non plus de l’argent nécessaire pour une école privée. Ma grand-mère n’avait laissé que 102 kum à la banque pour moi. Pas de quoi se payer cette école prestigieuse. Je n’ai pas baissé les bras. J’ai envoyé un courrier à Gilain, expliquant ma situation.
Marlène allait enfin savoir pourquoi Gilain avait pris en grippe son petit-ami. Il avait tout son attention.
- Quelques jours plus tard, il était là. Je m’attendais à ce qu’il me réponde par lettre ou au mieux à un coup de téléphone. Certainement pas à ce qu’il se déplace ! Il m’a dit que la question du prix pouvait se négocier. J’étais aux anges. Voilà ce que je lui ai dis : « Je ne reste que un an maximum. Aucune obligation de résultat de son côté : mon diplôme de sortie dépendra seulement de moi et de mon travail et je ne me retournerai pas contre lui et son école en cas d’échec. À la fin de l’année, je lui donnerai les 102 kum présents sur mon compte en banque. »
- 102 kum pour une seule année ! s’exclama Marlène. C’est énorme !
- Je sais et je le savais déjà à l’époque. En échange, continua Lycronus, j’aurais accès à la magie de l’école uniquement dans un but pédagogique.
- Il n’a pas pu dire oui, s’étonna Marlène.
Offrir ses précieuses réserves sans limite à un élève ? Gilain ne pouvait pas avoir accepté ça.
- Il a posé des conditions supplémentaires : je devais augmenter ma magie quatre heures par jour et utiliser la mienne en priorité lors de mes études. Je devais trouver le rendement maximal avant toute autre chose. Je ne devais jamais chercher à obtenir un diplôme supérieur au DM4.
Lycronus fit une pause, sourit puis annonça :
- C’est sur ce dernier point que j’ai niqué Gilain. Quand il a énoncé ses conditions, j’ai répété : « Je ne devrai jamais chercher à obtenir les DM5, 6, 7, 8, 9 ou 10 ».
- Quelle différence ? demanda Marlène.
- Gilain a pensé comme toi et il a écrit ma version sur le contrat. Le premier septembre, j’ai foncé chez maître Beaumont. Il m’a montré comment créer de la magie puis je lui ai parlé du rendement maximal et il m’a montré comment le chercher. J’y ai passé ma journée, ma nuit, la journée suivante et la première moitié de la nuit suivante. Vers deux heures du matin, je l’avais atteint.
- Joli ! s’exclama Marlène que cela n’étonna pas.
Lycronus était un bosseur persévérant et ultra concentré. Maître Beaumont sourit à ce doux souvenir.
- En parlant de leçon, intervint maître Beaumont. As-tu besoin d’aide pour classer tes connaissances, Lycronus ?
- Non, maître. Ma chambre des connaissances se porte à merveille, je vous remercie. Quand Marlène m’a indiqué que le classement automatique ne l’était pas, je m’y suis rendu et j’ai remis de l’ordre.
- Tu n’as rencontré aucune difficulté ? s’étonna Marlène.
- Non, assura Lycronus.
- Tu te connais très bien, le félicita maître Beaumont.
Lycronus le remercia d’un geste puis poursuivit son récit :
- Mercredi matin, je suis allé au cours de monsieur Toupin. Après tout, je n’avais choisi cette école qu’en raison de sa présence là-bas.
- Comment ça ? demanda Marlène.
- Un ensorceleur, annonça Lycronus. Je voulais apprendre de lui.
Lycronus et monsieur Toupin échangèrent un regard lourd, experts se reconnaissant et se respectant l’un l’autre.
- Il n’enseigne pas l’ensorcellement, répliqua Marlène, uniquement l’utilisation d’objets magiques.
- Pour enseigner, il doit créer des objets, remarqua Lycronus. C’est l’intérêt pour lui d’être professeur. Quand c’est dans un cadre pédagogique, il a le droit d’utiliser les réserves de l’école.
Marlène montra qu’elle comprenait.
- Et moi, j’étudiais ses œuvres, annonça Lycronus en lançant un regard désolé vers monsieur Toupin. J’observais son montage, quelle pièce allait où…
- C’est pour ça que tu m’as demandé de te donner tous les objets que je gagnais avec lui ! s’exclama Marlène.
Lycronus admit d’un geste. Monsieur Toupin gronda.
- Dès que j’ai su contrôler ma gnosie, je surveillais monsieur Toupin et dès qu’il ensorcelait, je le fixais, observant attentivement les moindres variations dans la magie, admit Lycronus.
- Ce n’est pas censé être interdit ? Une intrusion dans l’intimité de quelqu’un ? demanda Marlène.
- Si, totalement, confirma Lycronus. Allez-vous porter plainte contre moi, monsieur Toupin ?
- Je ne sais pas, lança l’ensorceleur ancien professeur au Mistral. J’attends de voir. L’avenir le dira.
Marlène frémit. La tension entre ces deux-là était palpable. L’un avait profité de l’autre. Il avait volé son savoir, se l’était approprié sans son consentement. Les deux ensorceleurs respectaient la compétence de l’autre mais humainement, ils se haïssaient.
- Dès ce premier cours avec monsieur Toupin, poursuivit Lycronus qui reprenait le fil de sa narration après cette digression, j’ai gagné l’objet magique proposé sans même savoir activer ma gnosie. J’ai juste utilisé mes connaissances.
Marlène imagina sans peine le désarroi des autres élèves. Cela expliquait pourquoi tous les collégiens le harcelaient. Ils étaient jaloux de sa réussite, celle d’un magicien de fortune qui les ridiculisait. Lycronus narra :
- J’ai consacré tout mon temps – en dehors des cours de monsieur Toupin où j’allais juste pour obtenir l’objet magique suivant – à développer ma gnosie.
- Pour déterminer les signatures des matières, supposa Marlène.
- Et pour pouvoir activer un objet magique. J’ai appris à classer mon esprit. J’ai obtenu mon DM1 mi septembre, indiqua Lycronus.
Marlène avait mis un mois supplémentaire à le gagner. Lycronus était réellement plus investi et bosseur qu’elle. Il n’avait qu’un an pour atteindre ses objectifs. Il avait intérêt à ne pas traîner.
- Devoir créer de la magie quatre heures par jour m’handicapait. J’ai fini par aller trouver Gilain et lui demander de changer les termes en « Créer autant de magie que possible par jour ». Il a accepté. Après tout, j’ai une tellement faible capacité à en créer qu’au bout d’une heure, j’ai fini.
Marlène comprenait fort bien. Pour sa part, elle pouvait en créer vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans jamais se sentir fatiguée mais elle savait que ça n’était pas le cas des autres magiciens.
- Dès ma gnosie fonctionnelle, j’ai étudié les objets réalisés par monsieur Toupin et j’ai commencé à les modifier, à en créer de nouveaux, à manipuler et assembler les composants autrement, tout cela, bien sûr, en utilisant la magie de l’école, ce qui était permis puisque j’étais en train d’apprendre. Maître Gilain ne s’est rendu compte de rien. Après tout, les quantités que j’utilisais étaient encore faibles à ce moment-là. Certes, c’était de la magie inter et donc, sacrément lourde mais mes premiers objets étaient simples. Comme je me faisais emmerder, j’ai crée ma première cape d’invisibilité, dont j’étais très fier.
- Emmerder ? répéta Nicolas.
- Lycro se faisait harceler, indiqua Marlène. Les autres l’insultaient, le poussaient, le faisaient tomber. Paul lui a même envoyé une tarte à la figure.
- Les professeurs ne faisaient rien ? accusa Nicolas.
- Paul s’est pris un blâme et a frôlé l’exclusion du collège, répondit Marlène.
- Ça ne me semble pas suffisant, précisa Nicolas. Ils auraient dû le protéger.
- Il s’en est chargé tout seul, répliqua maître Beaumont. Sa cape d’invisibilité lui a permis de travailler en toute tranquillité. De plus, ses professeurs lui offraient de travailler en dehors du groupe classe, seul dans une pièce vide.
- J’ai réussi à obtenir mon premier objet magique dissocié chez monsieur Toupin et son étude a révélé des merveilles, poursuivit Lycronus. C’était magnifique mais là s’arrêtaient les compétences de monsieur Toupin. Il ne savait pas réaliser la seconde compétence pour avoir le droit au titre d’ensorceleur niveau 2 : savoir créer un objet spécifique.
Marlène se souvint que, en effet, elle n’en avait jamais étudié avec monsieur Toupin.
- J’ai dû compulser des livres et tester sans support, appliquant seulement la théorie. J’ai puisé dans les réserves de l’école… beaucoup. Maître Gilain s’en est rendu compte et j’ai senti qu’il me surveillait. Il m’a observé et s’est aperçu que je ne travaillais pas du tout la magie intra, comme le demandaient les DM2 et 3, mais la magie inter et de haut niveau ! Il est venu me trouver et m’a rappelé le contrat : ne pas viser le DM5. Je lui ai répliqué que je ne cherchais pas le DM5, mais à devenir ensorceleur. Il a blêmi, comprenant son erreur.
- S’il avait indiqué « Aucun diplôme supérieur au DM5 » comme il l’avait annoncé au départ, tu n’aurais pas pu agir de la sorte, comprit Marlène.
- Exactement mais là, j’étais dans mon bon droit. Monsieur Toupin m’a interdit de me rendre dans son cours.
Marlène a levé les yeux sur le professeur d’utilisation des objets magiques. Il posait sur Lycronus un regard glacial.
- Tu dois comprendre, Marlène, que même monsieur Toupin ne peut pas ainsi puiser dans les ressources de l’école.
- Vous étiez jaloux, comprit Marlène.
Monsieur Toupin ne répondit rien, se contentant de transpercer Lycronus des yeux.
- Maître Gilain a ricané, continua Lycronus, me rappelant que pour obtenir le titre d’ensorceleur, je devais posséder un DM4 et que sans la magie intra, je n’obtiendrai même pas le DM2. Je dus admettre qu’il avait raison. C’est ainsi que fin janvier et alors que mon classement était déjà automatisé depuis longtemps – enfin soi-disant – j’ai commencé à travailler la magie intra, dérangeant tous mes camarades qui avaient dépassé ce stade depuis longtemps…
- Te retrouvant isolé dans la réserve, comprit Marlène.
- Où se trouvait une petite écervelée qui préférait s’amuser que bosser et était, de ce fait, très en retard.
- Je venais de passer un mois et demi aux mains de voleurs de magie qui…
- Marlène, je sais. Tu n’as pas à te justifier, tout va bien.
Marlène grogna et bouda mais ne pouvait s’empêcher de sourire.
- Au départ, l’écervelée m’a empêché de travailler. Puis, après quelques temps, sa présence m’a donné envie de me surpasser pour l’impressionner et la magie intra, pour laquelle je n’avais aucun attrait, est mieux passée grâce à elle.
- Ce qui t’a permis d’obtenir tes DM2, 3 et 4 rapidement, se souvint Marlène. Et quand je t’ai demandé si tu visais maintenant le DM5, tu m’as répondu non sans détailler. Je n’ai pas compris mais je n’ai pas insisté non plus.
- J’ai demandé à Gilain de faire valider mon niveau 1 d’ensorceleur et quelques mois plus tard, mon niveau 2. Il était vert de rage. Il guettait le moindre de mes pas, cherchant le moyen de me faire tomber.
- Il ne s’est pas dit que ça ferait une bonne publicité, si un ensorceleur niveau 3 sortait de son école ?
- Si, bien sûr, mais cela compenserait-il la quantité ahurissante de magie que je lui prenais ?
Marlène dut admettre que Lycronus consommait sans jamais s’arrêter. Néomage, cela ne l’avait pas choqué et pourtant, elle aurait dû trouver cela surprenant. Lycronus poursuivit :
- Tu m’as permis d’apprendre à créer de la magie en dormant, libérant mes journées. Gilain devait compter les jours avant la fin de l’année, essayant d’en déduire combien j’allais lui coûter. J’avais déjà largement dépassé les 102 kum.
- Je l’imagine aisément, répondit Marlène.
- Et puis Amanda est venue me prévenir de l’arrivée de ton anniversaire et je me suis lancé dans la création de mon premier objet à pile, compétence nécessaire à obtenir le titre d’ensorceleur niveau 3, le plus haut qui existe. J’avais déposé le cadre devant ta porte. Je l’avais activé de mon côté et j’attendais que tu le trouves, un peu anxieux pour ne rien te cacher.
Marlène le comprenait.
- Ta photo a mis du temps à apparaître mais elle a fini par le faire. J’étais tellement heureux ! Je suis sorti pour te rejoindre dans ta chambre. En chemin, maître Gilain m’a convoqué dans son bureau. J’avoue ne pas avoir compris. Que pouvait-il me vouloir ?
Marlène en trembla. Que s’était-il passé dans ce bureau pour que Lycronus prenne la fuite ?
- Quand je suis entré, il a décroché son téléphone sans m’adresser la parole en mettant le haut parleur. Une voix masculine a annoncé « CIM, comment pouvons-nous vous aider ? » ou un truc du genre et Gilain a répondu « Je veux dénoncer un criminel. Monsieur Lycronus Stoffer a utilisé la magie de mon école pour un usage non éducatif ». J’en étais estomaqué. « Pouvez-vous décrire précisément l’usage fait de votre magie par cet élève ? » a demandé l’autre. J’avoue que j’attendais la réponse avec impatience parce que moi, je ne voyais pas. « Il a rempli une pile de manière à activer un cadre des cœurs jumeaux dont il a envoyé le double à sa bien-aimée ». « Et alors ? » ai-je répondu. « Mes objets, il faut bien que je les teste ! » « Les photos sont-elles apparues ? » a demandé l’officier du CIM. J’ai vu dans le regard de maître Gilain que la question l’énervait. Qu’est-ce que cela pouvait faire ? « Oui » a-t-il répondu d’un ton très sec, ce à quoi l’autre a répondu « Je valide monsieur Lycronus Stoffer en temps qu’ensorceleur niveau 3. » Maître Gilain n’en revenait pas. Il venait de m’offrir mon diplôme sur un plateau d’argent en cherchant à me démonter.
Marlène rit. C’était peu dire que Lycronus avait niqué Gilain.
- « Qu’il crée un cadre des cœurs jumeaux est un sujet comme un autre. Qu’il en remplisse la pile n’était en revanche pas nécessaire. Étant DM3, monsieur Stoffer avait acquis cette compétence depuis longtemps », a dit Gilain. « Il fallait bien que je le teste ! » ai-je répété. « Il vous suffisait de faire un officier du CIM. Il aurait rempli la pile pour vous » cingla le directeur. Le fait est que je l’ignorais. Magicien de fortune, ce genre de détails m’était inconnu.
- En même temps, d’habitude, tout le monde s’en fout, intervint maître Beaumont. Il ne s’agissait que d’un prétexte et Gilain le sait très bien.
- À l’hésitation de l’agent du CIM, je l’ai bien compris, indiqua Lycronus. Il a tout de même enregistré la plainte et a annoncé envoyer une patrouille me chercher. Au sourire victorieux de Gilain, j’ai compris qu’il irait jusqu’au bout. Il était hors de question que je mette un pied en prison à cause de ce connard. J’ai activé ma cape d’invisibilité et maître Gilain a annoncé « Monsieur Stoffer vient de refuser de se soumettre à l’autorité ». Je n’ai pas attendu d’en entendre davantage. J’ai couru récupérer quelques affaires dans ma chambre puis je suis parti pour prendre un avion. J’ai atterri à Paris quelques heures plus tard.
- Paris ? Pas New-York ? s’étonna Marlène.
- Là où on m’attendait ?
Marlène dut admettre que le raisonnement se tenait.
- Et puis, j’avais une messagère à faire entrer chez toi, rappela-t-il. Je l’avais créée lors de mes tentatives de créer des objets magiques spécifiques. Je n’en avais pas l’utilité à l’école puisque tu étais avec moi tout le temps. Je me suis dit que c’était le moment où jamais. J’ai mis un moment à trouver le bon moyen, discret, efficace et sûr. Ensuite, j’ai beaucoup voyagé. Dans les journaux, j’ai découvert l’intégration de Marlène aux Tuniques rouges. J’étais content qu’elle aie enfin trouvé sa voie.
- Marlène a démissionné, maugréa Patrick Balia, l’entraîneur de l’équipe de France de PBM.
- Je déteste jouer au PBM, indiqua Marlène. Je ne l’ai fait que pour devenir audible médiatiquement. J’avais besoin de me faire entendre.
- Tu as réussi, assura maître Beaumont tandis que les membres des Tuniques rouges grognaient.
- Qu’elle sorte avec moi ne t’a pas dérangé ?
- Non, assura Lycronus. Elle m’en avait demandé la permission via la messagère.
Marlène sourit à ce doux souvenir.
- Sans déconner ? s’étrangla Nicolas.
- Le cadre des coeurs jumeaux me rassurait dès que j’en avais besoin. Marlène m’aimait. Rien d’autre n’importait. Comment aurais-je pu lui refuser un peu de tendresse alors même que j’étais loin et inaccessible. Merci d’avoir pris soin d’elle, d’ailleurs.
- De rien, grogna Nicolas.
- Pour la première fois, j’ai suivi une coupe du monde de PBM, admit Lycronus. La façon dont tu as gagné m’a interloqué. Je n’étais pas le seul dans ce cas.
Marlène ricana.
- Puis tu as été arrêtée sur un prétexte débile de Gilain, raconta Lycronus. Il ne faisait aucun doute qu’il essayait de m’atteindre à travers toi. Il comptait me pousser à la faute.
Marlène serra la main de son compagnon qui poursuivit :
- Il n’a pas hésité à remettre le couvert avec cette putain de pile du cadre des cœurs jumeaux. Merci, monsieur Toupin, de l’avoir remplie vous-même.
- De rien, assura monsieur Toupin. Marlène a fait des erreurs, certes, mais elle était jeune et par la suite, elle s’est rachetée.
Le cœur de la néomage se réchauffa.
- Tu étais présent pendant tout le procès ? demanda Marlène.
- Oui, assura Lycronus. Je n’allais tout de même pas rater ça !
- Pourquoi vous être dévoilé ? demanda maître Beaumont.
- Gilain n’a pas gagné, indiqua Lycronus, alors même que le juge lui était dévoué.
- Le juge ? Dévoué à Gilain ? s’étonna Marlène.
- Alors qu’il réclamait que tu te taises, tentant de recentrer les débats, Gilain l’a contré et le juge l’a suivi. Il s’avère que tu n’as vraiment rien à te reprocher, une anguille filant entre les mains de Gilain.
- Ce qui n’est pas ton cas, rappela Marlène, l’estomac noué à l’idée du procès à venir.
- Ça va bien se passer, promit Lycronus.
Elle enfouit sa tête au creux de son cou. Comme elle aurait aimé avoir son optimisme !