Chapitre 31 : L'espoir fait vivre

Par Elly
Notes de l’auteur : Bonjour ! Merci à tous ceux qui prennent le temps de lire et de commenter mon histoire ! Je ne vous remercierai jamais assez !
Bonne lecture :)

La lumière blanche de l’infirmerie était toujours aussi aveuglante. D’abord ébloui, il savoura pendant un bref instant la joie d’être vivant. Puis il ressentit la douleur. Une douleur lancinante qui parcourut son corps comme le frisson d’un courant d’air.

Oh, oui. Il était bien vivant. Il pouvait le sentir jusqu’au bout de ses orteils, et ce n’était pas agréable.

Ses yeux à moitiés clos fixaient le plafond éclatant le temps que sa vision gagne en netteté. Malgré son réveil, tout son être ne demandait qu’à replonger dans le sommeil. Se concentrer nécessitait un effort colossal, ses paupières étaient lourdes et le suppliaient de se fermer. La lumière que dégageaient les fenêtres renforçaient son envie de retrouver l’obscurité. Il cligna plusieurs fois des yeux en regardant à côté de lui. Mme Delacroix circulait entre les lits vides pour les border. Plus loin, une infirmière aux cheveux courts essayait de calmer un élève qui pleurait alors que des bois similaires à ceux d’un cerf lui poussaient sur le crâne. Au fond de la salle, assise sur une chaise, une apprentie magérienne vomissait un liquide bleu ciel dans un seau. Le bruit qu’ils faisaient n’étaient pas la berceuse idéale. Thalion se contenta de remarquer l’absence de ses amis. Ils devaient être en cours. Depuis combien de temps était-il inconscient ? Que c’était-il passé, exactement ? Il avait l’impression que son cerveau fonctionnait au ralenti et qu’un brouillard dans sa tête l’empêchait de réfléchir. Les mots s’entrechoquaient sans qu’il ne parvienne à les aligner correctement.

Il essaya de se redresser, mais son corps lui parut si lourd qu’il retomba mollement dans son lit. Sa gorge était si sèche que déglutir en était douloureux. Un geignement dut franchir ses lèvres car Mme Delacroix leva la tête vers lui. Ses yeux s’écarquillèrent en constatant son réveil. Elle se précipita vers lui en s’exclamant :

  —  Par les dieux, quel soulagement de te voir réveillé ! Tu es resté inconscient pendant deux jours, expliqua-t-elle en saisissant un verre sur sa table de chevet. Tiens, bois ça.

Thalion était trop exténué par le simple fait d’être conscient pour faire attention à l’émoi de l’infirmière, ni à ses mains tremblotantes. Il se sentait si faible qu’il ne rechigna pas quand elle l’aida à boire le liquide verdâtre. Elle aurait pu lui donner la potion la plus infect que le magérien l’aurait bu tout aussi goulument. Le goût amer de la mixture ne l’empêcha pas de grimacer, ce qui la fit sourire.

  —  Je vois que tes papilles sont intactes. Même si son goût laisse à désirer, elle est excellente pour soigner les brûlures graves. Elle t’aidera à récupérer plus vite après tous les sorts que j’ai utilisés sur toi pour réfréner ta crise.

Quelques bribes des instants précédents sa perte de connaissance ressurgir dans sa mémoire. Thalion réalisa que ses bras et son torse étaient couverts de bandages. Ça devait aussi être le cas de ses jambes, mais il n’avait pas la force de soulever la couette pour vérifier. Il bailla. Ses yeux le picotaient tellement que les garder ouvert s’apparentait à de la torture.

  —  Rendors-toi. Ton corps a besoin de repos pour s’en remettre. Les soins que je t’ai attribué pendant ton sommeil ont accéléré ta guérison mais n’en sont pas moins épuisants. Tes amis viendront te voir après les cours.

Le magérien grommela quelques mots incompréhensibles avant de se sombrer.

À son réveil, Thalion n’était plus seul.

  —  On aurait dû sécher les cours, ronchonna Eris. On n’aurait pas raté son réveil.

  —  Tu sais bien que Mme Delacroix ne nous l’aurait pas permis. Et puis, je pense qu’il avait surtout besoin de se reposer, dit Nohan.

Effectivement, Thalion n’aurait pas eu la force de tenir une conversation. Autant qu’ils ne gâchent pas leur temps pour le réveil d’une momie incapable d’aligner trois mots.

Dormir quelques heures de plus lui avait permis de retrouver l’usage de ses capacités intellectuelles et cognitives. Il observa ses trois amis, assis sur une chaise autour de son lit. Leur attention était rivée sur les manuels ouverts sur leurs genoux. Près d’eux lévitaient calpins, stylos et feuilles. Étaient-ils sérieusement en train d’améliorer leur pratique du sortilège de lévitation ici ? Cally fut la première à remarquer ses yeux ouverts.

  —  Thalion ! Tu es réveillé !

Il faillit sursauter en entendant son prénom, y étant encore peu habitué. Les yeux d’Eris et Nohan se braquèrent instantanément sur lui. Les objets retombèrent au sol dans un fracas, leur attirant un coup d’œil agacé de l’infirmière aux cheveux courts, mais les magériens ne s’en soucièrent pas. Leurs épaules se dénouèrent comme si un poids leur était enlevé, et un profond soulagement illumina leur visage. Thalion ne savait quoi dire devant leur expression radieuse. D’une voix rauque, il lança la seule chose qui lui avait traversé l’esprit.

  —  Je rêve ou vous êtes en train de faire vos devoirs à l’infirmerie ?

Le sourire d’Eris s’agrandit.

  —  Tu ne rêves pas. Non seulement on est des amis en or qui attendent ton réveil avec impatience, mais aussi des élèves sérieux. Sois fier de nous.

  —  Je suis fier de vous, soupira-t-il en esquissant un bref sourire.

  —  On a aussi pris les cours pour toi. Et les devoirs, ajouta Nohan.

  —  Trop sympa… Merci.

Son corps était encore engourdi, mais Thalion en avait marre d’être allongé. Il se redressa tant bien que mal sous les commentaires inquiets et les avertissements de ses compagnons. À sa demande, ils lui expliquèrent ce qui c’était passé de leur côté. En sortant de la salle à manger, ils avaient croisé Aglaé qui pleurait à chaudes larmes. Ils apprirent entre deux sanglots qu’il s’était écroulé devant elle, et se précipitèrent ensuite à l’infirmerie où il avait été emmené.

  —  Aglaé est restée avec nous à chaque fois qu’elle le pouvait, l’informa Nohan. Elle culpabilisait en disant que c’était de sa faute, à force de t’accabler…

  —  Pas du tout, c’était à cause de la nouvelle potion.

  —  C’est ce qu’on lui a dit. On lui a expliqué pour… tes migraines. Désolé, je sais que tu aurais aimé garder ça secret…

Thalion se contenta d’hausser les épaules. Après avoir assister à ça, il voyait mal comment le lui cacher. Ça ne l’enchantait qu’elle soit au courant, mais au moins, elle ne se méfierait plus de lui et de ses visites à l’infirmerie.

  —  Elle s’en voulait de ne pas avoir remarqué plus tôt ton état, poursuivit-t-il. Je lui ai dit que te connaissant, tu avais dû cacher à quel point tu allais mal.

  —  C’est vrai. Sauf à la fin où j’ai essayé de l’avertir, mais elle ne m’a pas écouté. Elle pensait que j’abusais de la gentillesse de Mme Delacroix pour la voler…

  —  Vraiment ? s’étonna Nohan. Je te vois mal commettre des délits dans une infirmerie, moi…

Sa réponse rassura Thalion. Même si les rumeurs le dépeignaient comme un malpropre turpide, ceux qui le connaissaient savaient qu’il n’en était rien. Du moins, pas aussi pernicieux que ce que l’on imaginait.

Madame Delacroix, qui venait d’approcher, soupira.

  —  Je suis désolée pour ces accusations. Avec ma maladie, ma fille a tendance à me surprotéger. C’est ironique puisque c’est moi qui devrais…

  —  Vous savez ce qui est aussi ironique ? C’est que la potion censée l’aider l’a presque mené à la mort ! cracha Eris d’un ton aussi tranchant qu’une lame. Vous ne pouvez pas jouer avec sa santé comme ça. Il est peut-être trop inconscient ou désespéré pour s’y opposer, mais moi, je ne le permettrais plus !

Un lourd silence s’ensuivit. Cally et Nohan ne la reprirent pas, ce qui, de leur part, revenait à acquiescer. Mme Delacroix baissa le regard. Son front plissé et ses cernes ne lui donnaient pas bonne mine, mais n’émanait d’elle qu’un calme olympien.

  —  Je sais. Je ne m’attendais pas à une réaction aussi violente. C’était irréfléchi de ma part, et j’en assumerai les conséquences.

 Eris était rouge de colère. Thalion l’avait rarement vu aussi enragée. Lui aussi devrait être furieux. À cause de cette potion, il aurait pu mourir. Pourtant, ce n’était pas le cas. Il était trop fatigué pour s’énerver, mais surtout, il ne pensait pas que les intentions de Mme Delacroix avaient été malveillantes. Thalion ne pouvait se résoudre à la laisser tomber alors qu’elle avait seulement cherché à l’aider.

  —  Mme Delacroix n’est pas totalement responsable, intervint-il.

  —  Ne la défends pas, Thalion, s’énerva Eris. Te gaver de potions, c’était son initiative !

  —  Oui, mais j’étais consentant. Et Berry aussi était d’accord. Le but était seulement de m’aider. Personne ne pouvait prévoir une telle réaction.

Madame Delacroix lui adressa un sourire reconnaissant.

  —  Ta sollicitude me touche, merci de ne pas m’en vouloir. Je regrette que les potions n’aient pu t’aider d’une quelconque façon et aient même eut l’effet inverse. Madame Luciphella m’a fait comprendre qu’à trop vouloir bien faire, on finit par faire le contraire. En revanche, soigner reste mon métier et je ne regrette pas d’avoir tenté d’y parvenir.

Son ton clair et affirmé acheva de faire redescendre Eris. Cette dernière se contenta de baisser la tête, les dents serrées. Devant la mine perplexe de Thalion, Nohan lui expliqua brièvement que la proviseure adjointe avait grondé l’infirmière, mais qu’elle n’avait pas été virée car Berry avait donné son accord. Autrement dit, elle avait de la chance que le tuteur de Thalion soit un haut-gradé.

  —  Bon, affaire réglée, donc.

Les lèvres pincées et les sourcils froncés d’Eris indiquaient qu’elle était loin d’être d’accord avec lui. Alors qu’elle s’apprêtait à répliquer, la voix de Cally s’éleva pour poser une des questions qui taraudaient Thalion.

  —  Que contenait la potion ?

  —  Des herbes apaisantes et des plantes guérisseuses, essentiellement. La différence avec les potions précédentes vient de la pierre utilisée. Cette fois-ci, j’ai ajouté de la pierre divine que M. Bobignon a eu la gentillesse de me donner. Je voulais voir si ça s’évérait plus efficace avec un ingrédient de cet acabit... Je ne pensais pas qu’elle provoquerait ce type de réaction.

L’étonnement les figea sur place. La pierre divine n’était pas nocive, mais rare. Elle était connue pour stimuler la magie. Thalion aurait dû la sentir répondre plus facilement à son appel, être plus sensible à elle. Jamais il n’aurait dû réagir ainsi.

  —  Ce n’est pas la pierre qui serait née du sang des dieux lors de la Guerre millénaire ? interrogea Cally.

  —  Si, répondit-il. C’est pour ça qu’elle est si efficace.

Tout le monde se plongea dans une profonde réflexion. Pourquoi cette pierre avait provoqué une telle réaction ? Était-ce une allergie ? Thalion n’avait jamais entendu parler de pierres provoquant des allergies, surtout pas d’origine divine. Le minerai agissait sur la magie, et la sienne semblaient posséder certaines… particularités. Thalion se frotta les mains en songeant à ses brûlures. La pierre aurait entraîné une surréaction de ses pouvoirs, entrainant des effets décuplés de ceux ressentis lors de sa course-poursuite avec les picolatons. Plus il y songeait, plus Thalion se demandait si ce n’était pas sa magie qui était nocive, raison pour laquelle elle lui provoquerait des migraines. À moins que son corps n’émette de lui-même des résistances ?

Madame Delacroix choisit cet instant pour les laisser discuter entre eux le temps de préparer des remèdes. Face à ce nouveau mystère, ses amis se mirent à établir des hypothèses plus ou moins délirantes sur sa magie déviante.

  —  Peut-être… que tu es allergique à ta magie ? suggéra Nohan, lui-même peu convaincu par son idée.

  —  C’est possible, ça, un magérien allergique à sa magie ? Ce serait un comble… remarqua Eris.

  —  Je ne pense pas, répondit Thalion. Pour un magérien, ce serait comme être allergique à l’air. Et puis, si j’y étais allergique, j’aurais eu des brûlures plus souvent et pas seulement des migraines en représailles.

  —  La malédiction des corbeaux en serait la cause ? La magie noire serait la seule magie que tu pourrais manipuler sans problème, proposa Cally.

  —  De ce que je sais, mes prédécesseurs n’ont jamais vécu ça, et ce serait vraiment déloyal de la part de Magéra. Déjà que j’ai les Ombres à gérer…

  —  Alors je ne vois qu’une seule solution, déclara Nohan avec gravité. Les dieux ont lancé une deuxième malédiction sur toi. Sur ta magie.

Thalion s’apprêtait à réfuter cette suggestion en prétextant que les dieux avaient d’autres choses à faire que de s’occuper d’un énième corbeau parmi les mortels, mais il s’arrêta dans son élan. Une idée venait de lui traverser l’esprit, et l’envisager lui glaçait le sang. S’il n’était pas déjà alité, il se serait écroulé. Ses amis s’étaient également statufiés comme s’ils avaient cessé de respirer.

  —  Vous aussi, vous y avez pensé… chuchota Cally.

  —  Oui… souffla Nohan. Si les parents de Thalion ont affronté Apocryphos, le dieu de la mort a peut-être… maudit leur fils en disparaissant, donc…

… Donc sa magie aurait été maudite, la rendant mortelle pour lui, mais aussi dangereuse pour les autres. L’histoire de la divinité lui revint en mémoire. Apocryphos était craint pour sa magie qui anéantissait la vie. Il aurait voulu punir les Connor en condamnant leur descendant à vivre la même chose que lui ? Ou pire, en le condamnant à s’auto-détruire ?

Ses amis le scrutaient en attendant sa réaction. Thalion demeurait impassible pendant que cette hypothèse cheminait dans son esprit. Finalement, il se contenta de secouer négativement la tête en guise de réponse. Il ne pouvait pas accepter cette supposition. S’il le faisait, il reconnaissait que ses parents n’étaient pas tout blanc dans cette histoire. Cette possibilité lui retournait l’estomac. Heureusement que ce dernier était vide, il n’avait pas besoin d’une humiliation supplémentaire…

  —  Thalion, il faut que tu envisages que tes parents ne soient pas les Saints que tu t’étais imaginé… dit Eris d’une voix douce comme si elle s’adressait à un enfant apeuré.

L’adolescent contracta la mâchoire sans oser croiser le regard de ses amis. Il savait qu’il y lirait de la compassion, de la peine, de la pitié pour ce garçon qui avait passé ces dernières années à idéaliser des magériens potentiellement responsables de ses souffrances. Thalion ne pouvait pas l’admettre. Il ne voulait pas l’admettre.

Il s’apprêtait à nier en bloc quand un individu s’approcha d’eux. Des cheveux frisés, une peau brune, un air coupable, aucun doute, c’était Aglaé. Son arrivée coupa court à leur discussion, et rien que pour cette raison, Thalion l’accueillit à bras ouvert.

La magérienne triturait les plis de sa jupe en déglutissant, sans qu’aucun mot ne franchisse ses lèvres. Elle était absorbée par la contemplation de ses chaussures. Le silence s’éternisa. Ses amis s’agitaient, mal à l’aise. Leurs coups d’œil suppliaient Thalion de dire quelque chose, mais il ne voyait pas comment commencer la discussion. Aglaé finit par prendre son courage à deux mains, sans pour autant lever les yeux vers lui.

  —  Je… je suis désolée. J’aurais dû remarquer ton état. Et… tu avais raison. J’étais à côté de la plaque.

  —  C’est sûr que pour m’accuser sur la base de rumeurs…

  —  Avec tout ce qui se dit, c’est difficile de ne pas y croire… se justifia-t-elle avant de réaliser qu’elle était en train de rejeter la faute sur lui au lieu d’en prendre la responsabilité. C’est juste que… j’ai manqué de discernement. Je me suis laissée emportée par mes émotions, je suis déso…

  —  Oui, oui, c’est bon. J’ai compris. Je fais une overdose d’excuses, là. On dirait Nohan. 

Surprise par son ton nonchalant, Aglaé détacha son regard de ses souliers et découvrit aucune trace de rancune sur le visage du magérien. On aurait pu croire qu’il s’en fichait, surtout à la façon dont il avait expédié ses excuses. Thalion en avait juste marre des excuses. Aglaé n’avait aucune responsabilité dans cette histoire. Elle n’avait rien à voir avec la potion ou ses brûlures.

  —  Eh ! s’insurgea Nohan. Je m’excuse moins souvent qu’avant.

  —  Tu me pardonnes ? demanda-t-elle, étonnée par son indulgence.

  —  Oui…

  —  Mais il va quand même te le reprocher un de ces quatre, objecta Cally en faisant le parallèle avec sa propre expérience.

Thalion reconnaissait qu’il n’était pas du genre magnanime. Après tout, au cours d’astronomie, il n’avait pas hésité à lui rappeler ses propos lors de sa dispute avec Eris, qu’il « mettait son avenir en danger ».

  —  C’est toi qui es rancunière, là. Tu m’avais quand même balancé de sales trucs…

Leur débat sur qui était le plus rancunier d’entre eux se poursuivit avec Eris, une sacrée concurrente, tandis que Nohan fut choisi comme arbitre pour pouvoir trancher. Le pauvre ne savait plus où se mettre. Aglaé resta debout, pantoise devant cette joyeuse troupe qui riait autour de lui. Elle avait de quoi être stupéfaite. Le Thalion qu’elle avait connu n’aurait jamais pu se constituer un groupe d’amis pareil. Quelque part, il était fier de lui montrer son évolution, qu’elle constate que les choses avaient changé.  Il ignorait d’où lui venait cette envie, peut-être une façon de se racheter pour son comportement.

Mme Delacroix ressurgit, un verre rempli d’un liquide marron à la main. Thalion grimaça devant la mixture et fit de son mieux pour la convaincre qu’il se sentait en pleine forme, mais l’infirmière n’en avait rien à faire. Elle versa pratiquement la potion dans sa bouche, contraignant Thalion à avaler avec les rire d’Eris en bruit de fond.

  —  Ton tuteur a été informé de ton réveil, dit-elle à Thalion qui se remettait de cette attaque gustative. Il est inquiet et souhaite te parler dès que possible.

  —  D’accord, je lui écrirai en rentrant au dortoir.

Madame Delacroix rit doucement, comme s’il plaisantait.

  — Ça ne sera pas avant plusieurs jours, alors.

  —  Mais je me sens…

  —  Peu importe, tu resteras en observation cinq jour le temps de s’assurer que ton état est stable.

Elle s’éloigna de son lit dès lors que Thalion, outré par cet alitement forcé, entama les négociations pour raccourcir son séjour à l’infirmerie. Il jura l’entendre rire de son air révolté. Cinq jours ! Cinq jours à fixer ce plafond blanc sans rien faire, quelle torture !

  —  N’espère pas la faire changer d’avis. Elle est gentille, mais intraitable concernant l’état de ses patients, l’avertit Aglaé. Je vais vous laisser, j’ai des devoirs à faire. Une dernière chose, Thalion…

Il grimaça en l’entendant prononcer son prénom. Il se doutait qu’Aglaé souhaitait simplement le traiter avec plus de respect en rejetant son surnom, mais ça lui donnait l’impression de se mettre à nu devant elle. Leur relation était loin d’en être à ce stade.

  —  Corvus.

  —  Thalion. J’ai menti. Je ne te hais pas. Et tu n’es peut-être pas aussi mauvais que je le pensais, même si tu restes insupportable.

  —  Il fait toujours cet effet-là, confirma Cally, et ses deux meilleurs amis s’esclaffèrent.

Après avoir discuté avec lui jusqu’à ce que le soleil se couche, ils finirent par rentrer aux dortoirs. Nohan eut la gentillesse de faire l’aller-retour pour lui rapporter son papimédia. Thalion ne pouvait qu’imaginer l’état dans lequel était Berry. Entre l’instant où il avait perdu connaissance et son réveil, son tuteur avait eu le temps d’envisager les pires scénarios. Le stress avait dû lui faire blanchir les cheveux. En même temps, frôler la mort, ce n’était pas rien.

En y repensant, c’était la première fois que Thalion avait réellement senti sa fin proche. De toutes les morts dont il aurait pu être victime, il n’aurait jamais pensé que ce serait à cause d’une potion qu’il avait ingurgité de son propre chef. Quel fin glorieuse… On se serait moqué de lui dans les livres d’Histoire.

En saisissant le stylo, il songea à la réaction d’Eris, ainsi qu’aux mots de Nohan avant de retourner dans la chambre. « Je suis content que tu sois en vie ». Ça aussi, il ne l’avait pas prévu. Le Thalion du passé qui s’imaginait que personne à part Berry ne viendrait à son enterrement serait troublé d’apprendre que maintenant, des gens se réjouissaient de sa survie.

Il posa la feuille parcheminée sur le livre que Nohan lui avait laissé pour l’occuper, et commença à écrire.

« Salut. Je suis toujours en vie. »

La réponse fut immédiate.

« Encore heureux ! Je serais descendu en Enfer pour te récupérer par la peau des fesses, sinon. »

L’adolescent sourit. Le connaissant, il en serait capable. Les minutes suivantes, Thalion les passa à rassurer Berry sur son état. Heureusement qu’il n’était pas là pour voir ses bandages, il aurait fait une crise cardiaque. Apparemment, il avait fait des pieds et des mains auprès de Mme Luciphella pour être autorisé à venir, ne récoltant que des refus. Elle n’était pas responsable des consignes imposées par le proviseur extrêmement méfiant qui rechignait à faire entrer des individus autres que des élèves si une situation extrême ne l’y obligeait pas, craignant qu’une personne malintentionnée en profite pour s’infiltrer. L’insistance de Berry avait été telle que la proviseur adjointe, agacée par ses supplications, avait coupé court à leur discussion. Il s’insurgea aussi contre le proviseur qui n’était pas fichu de répondre à l’appel d’un conseiller en le critiquant vivement. Il était certain d’avoir volontairement été ignoré. Thalion n’était pas sûr, mais il avait l’impression qu’un passé épineux liait M. Cowen et lui.  

« J’aurais dû davantage réfléchir avant de donner mon accord. Je suis désolé. », écrivit Berry, pétri de remords.

Évidemment, il culpabilisait. Thalion ne lui reprocherait jamais d’avoir accepté. Il avait seulement vu une occasion de résoudre ce qui le rongeait depuis des années.

« Stop avec les excuses, j’ai eu ma dose aujourd’hui. Et puis, tu ne pouvais pas savoir que ça allait dégénérer ainsi. »

« C’est vrai. Au moins, on sait que tu as un problème avec la pierre divine. »

« Ou que ma magie a un problème avec. »

Thalion n’avait pas parlé à Berry de sa visite à la bibliothèque cachée et de sa discussion avec Shivana – encore heureux, il aurait fait une syncope – donc il ne pouvait pas non plus lui partager les révélations sur Apocryphos et… les hypothèses de ses amis. Outre le fait qu’il n’arrivait pas à l’accepter, comment pouvait-il lui expliquer une chose pareille ? « Au fait, Berry, mes parents auraient embrouillé le dieu de la mort qui aurait maudit ma magie, même si je n’y crois pas et que tout me prouve que j’ai tort ».

« Ta magie serait donc à l’origine de tes brûlures… »

Thalion fronça des sourcils. Derrière ses mots teintés d’inquiétude, il devina que quelque chose tracassait son tuteur. Il n’eut pas besoin de l’interroger car le conseiller se confia de lui-même.

« En fait, ça me fait penser à une affaire qui a fait du bruit avant mon arrivée au Conseil et qui fait écho à ton cas. »

« C’est positif ? »

« Pas du tout, c’est une sombre affaire. Un groupe de scientomages avaient entamé des investigations sur la magie divine, et le conseil les avait financés. »

La magie divine… Depuis la nuit des temps, les magériens cherchaient à s’en approcher et à se l’approprier. Les magériens restaient humains et la soif de pouvoir les guettait tout autant que les amagériens. De nombreuses études avaient été menées pour parvenir à la reproduire, sans succès. En plus, les quelques recherches rendues publics avaient créé d’énormes scandales, si bien que le Conseil avait finalement interdit ces expériences il y a une dizaine d’années.

« Leur recherche nécessitait une quantité importante de pierres divines pour l’étudier et l’expérimenter. Je ne vais pas te détailler le long processus, mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’ils sont parvenus à transmuter la magie d’un magérien à ce qui se rapprocherait le plus de la magie divine. »

« De la magie divine, rien que ça ? »

« Oui. En tout cas, sa magie était infiniment plus puissante. Sauf qu’on a retrouvé sa dépouille carbonisée. »

Un frisson parcourut l’échine de Thalion en imaginant le corps brûlé gisant sur le sol. Son cadavre se serait-il retrouvé dans le même état si Mme Delacroix n’était pas parvenu à neutraliser les effets de la pierre divine ?

Berry conclut l’histoire :

« Ça avait fait beaucoup de bruit au point que le Conseil a promulgué des lois contre ce genre d’expérience, et plus personne n’a tenté de se rapprocher des dieux depuis. »

« Mon cas est différent. Je n’ai rien à voir avec la magie divine. »

Thalion aurait aimé en être totalement convaincu, mais comment ne pas faire de similitudes entre ses brûlures et ce corps carbonisé ?

« Je ne sais pas, Thalion. Je me demande si ta magie ne serait pas particulière. Si, d’une manière ou d’une autre, elle serait similaire à celle des dieux. Ça expliquerait bien des choses. »

Thalion serra si fort le stylo dans sa main qu’il aurait pu se briser. Un nœud se forma dans son estomac pendant que les suppositions et les évènements vécus jusqu’ici s’embrouillaient dans son esprit.

Malgré les tentatives désespérées des scientomages, aucun humain n’était capable de supporter la magie divine. Thalion n’était pas assez arrogant pour se penser spécial à ce point, mais il devait reconnaître que cette possibilité expliquerait bien de chose. Cependant, la conjecture n’en était pas moins invraisemblable. Comment ce serait-il retrouvé avec une magie pareille ? Apocryphos l’aurait maudit et lui aurait accordé la magie divine juste pour qu’il s’auto-détruise ? Ça lui paraissait tiré par les cheveux.

Plus Thalion y réfléchissait, moins il parvenait à y voir clair. Il avait envie de hurler et de saccager l’infirmerie alors qu’il n’avait pas la force de bouger ses jambes. La frustration de ne pas comprendre et la sensation d’être plus perdu que jamais lui faisait tourner la tête. Faire surchauffer ses méninges dès le premier jour de son réveil n’était pas la meilleure idée. Mais les questions sans réponse fusaient dans son esprit. Que c’était-il passé cette nuit où ses parents avaient perdu la vie ? S’ils s’étaient battus contre un dieu, Thalion aurait dû être alerté par les bruits. Pourtant, Berry l’avait retrouvé dans son lit en train de dormir à point fermé. Avait-il été endormi de force ? Pourquoi…

Une pensée s’infiltra dans son esprit et lui coupa le souffle. Son sang se glaça à mesure que cette pensée s’ancrait en lui. Thalion posa une main devant sa bouche comme pour s’interdire de vomir. Il n’avait gardé en tête que l’idée d’une magie maudite, mais sa magie aurait pu se rapprocher de celle des dieux d’une autre façon. Une façon bien plus atroce qui ébranlait ses certitudes. La façon dont s’y étaient pris les scientomages.

Et s’il avait été le sujet d’une de ces expériences ?

Non, impossible. Ses parents étaient incapables de lui faire une chose pareille. Thalion préférait encore l’hypothèse du combat contre Apocryphos. En plus, ce n’étaient pas des scientomages, pourquoi leur famille aurait été mêlée à ça ? Même dans le cas où ils auraient été forcés, Apocryphos n’avait rien à voir là-dedans. Or, Shivana avait explicitement mentionné son lien avec lui.

En arrivant à cette conclusion, Thalion avait l’impression de respirer de nouveau. Il pouvait douter de ses parents, mais ils avaient toujours agi dans son intérêt, d’autant que des éléments ne coïncidaient pas. Quelques soient les suppositions, il lui manquait des informations cruciales, les clés pour comprendre ce qui lui arrivait.

Au fond, quel que soit l’explication, ce n’était pas important. La potion d’éveil allait éradiquer malédiction ou maladie. Thalion n’avait pas d’autre choix que d’y croire.

L’espoir fait vivre, comme on dit.

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Malodcr
Posté le 28/11/2023
OH PUNAISE

Trop de choses à penser, j'ai besoin de me concentrer !
Les liens, les éléments qui prennent sens, les révélations et les avancées : pépites !

J'aime vraiment la progression de l'histoire, c'est clair à suivre et je n'y ai vu aucunes incohérences et pourtant dans ce genre d'histoire il pourrait y en avoir vu comment il faut torturer (clairement) ses méninges !

J'ai tendance à dire qu'il y a un vrai lien entre les parents de Thalion et Apochryphose, mais peut-être pas négatif, peut-être que je justement pour une dette le dieu a donné de sa magie à Thalion ?
J'ai pas du tout envie d'apprendre que ses parents étaient des scientomages complètement fous ou bien qu'ils aient défié un dieu, ils peuvent pas être aussi inconscients ??

Son groupe d'amis : il faut qu'il le garde. Vraiment. Attachez-les ensemble svp. Calysse je l'adore, je sais pas pourquoi mais c'est un personnage avec une identité différente, je suis heureuse qu'elle soit bien intégré au groupe !
Elly
Posté le 30/11/2023
Ah, ton commentaire me fait sacrément plaisir ! Si tu savais comme je craignais que ce soit trop confus ou illogique, je suis heureuse de savoir que c'est clair et cohérent. Je suis ravie que l'avancée de l'histoire te plaise !

Qui sait, peut-être qu'ils sont vraiment inconscient, peut-être pas...

Thalion ne pouvait pas mieux choisir ses amis en effet xD Pour un asocial, il a du flair, même s'ils se sont plus imposés à lui qu'autre chose x) Je suis contente de trouver quelqu'un qui apprécie Calysse ! J'aime aussi ce personnage que je compte bien développer.
Némériss
Posté le 13/10/2023
Coucou !

Une théorie farfelue vient de me traverser l'esprit : et si Thalion et Apocryphos n'étaient qu'une seule et même personne ? Ou alors, si la magie divine d'Apocryphos était enfermée à l'intérieur de Thalion (peut-être par ses parents?) et que sa puissance était verrouillée pour le protéger ?
Je suis sans doute partie trop loin, mais j'avais envie de partager ce qui me passe par la tête lors de ma lecture !

Sinon, je pense que le début du chapitre peut être un peu plus fluide (même si j'aime voir Eris remontée).

A bientôt :)
Elly
Posté le 13/10/2023
Coucou !

Je ne vais rien dire pour pas spoiler mais j’ai hâte que tu lises la suite pour voir ce qu’il en est ! Lire les hypothèses des lecteurs est un vrai plaisir ^^

Je vais tacher de rendre le début plus agréable à lire dans ce cas !

Merci pour ton commentaire, à bientôt ! ^^
MrOriendo
Posté le 10/10/2023
Hello Elly !

Et bien, voici un nouveau chapitre riche en informations. On commence enfin à en savoir davantage sur la nature de la magie de Thalion et son lien avec Apocryphos. Le mystère autour de ses parents, en revanche, semble s'épaissir...
J'ai trouvé qu'il y avait parfois quelques lourdeurs dans la première partie du chapitre, notamment lorsqu'Eris "gronde" Mme Delacroix ou qu'ils évoquent la possibilité que Thalion soit allergique à sa propre magie. Ce sont des tournures de phrases qui ne sonnent pas très naturel, quelques répétitions aussi...

En dehors de ça, le chapitre était très agréable à lire et je m'éclate toujours autant en découvrant ton histoire. Mention spéciale à Berry et à sa réplique où il menace Thalion d'aller le récupérer aux Enfers par la peau des fesses.

À tout bientôt,
Ori'
Elly
Posté le 10/10/2023
Coucou !

Eh oui, il y a pas mal d'informations dans ce chapitre ! J'avais d'ailleurs peur que ce soit trop, mais apparemment ça passe bien alors je suis contente !
Je vois, j'essaierai d'améliorer la première partie pour que ce soit plus fluide et agréable à lire.

Je suis ravie que ça te plaise toujours autant !

A tout bientôt !
minoucheKa
Posté le 02/10/2023
salut

c'est bien de suivre le raisonnement de Thalion qui essaye de comprendre sa magie, la responsabilité de ses parents... Y a des nouvelles info qui font avancer l'lintrigue et c'est coll.
Elly
Posté le 02/10/2023
Coucou !

J’avais peur que ça paraisse trop lourd avec toutes ces informations, mais si ça rend bien tant mieux !

Merci pour ton commentaire !
Reveanne
Posté le 30/09/2023
Koukou!
Désolée pour le retard! :(

Que d'informations! L'histoire avance à grand pas. Mais se s'est-il passé lors de la mort de ses parents? Qu'ont-ils fait?
Que de suspens!

Une coquillette qui m'a fait rigoler :
«vomir un liquide bleu ciel dans un sot.» = je pense qu'elle vomit dans un seau pas dans un sot. ;)
Elly
Posté le 30/09/2023
Coucou !
Pas de soucis t'inquiète !!

Mystère mystère !

Mince, j'ai modifié plusieurs fois l'orthographe de ce mot en plus, avec l'aide d'internet ! Je devais être fatigué xD Merci de me l'avoir dit, je vais corriger ça !

Merci pour ton commentaire, j'espère que la suite continuera de te plaire !
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