Narhem décida d’aller parler avec Khala. Comme la dernière fois, quitte à exterminer les elfes noirs, autant les utiliser d’abord. Le peuple de Dalak ne lui étant pas fidèle, la malédiction ne les toucherait pas. Narhem comptait bien utiliser cette armée entraînée inopinée pour prendre Falathon.
- Je t’offre Falathon et tu fais la tête ? s’exclama Narhem devant un Khala extrêmement sceptique.
- Nous avons la compétence, mais aucune arme, rappela Khala.
- Vous en aurez. Le moment venu, je vous dirai où vous servir. Du métal noir…
Khala frémit puis secoua la tête.
- Les falathens sont bien plus puissants et nombreux. Nous sommes une poignée…
- Vous ne serez pas seuls, assura Narhem. Des alliés prendront les falathens à revers, les obligeant à lutter sur deux fronts en même temps. Ils n’auront pas assez d’hommes pour faire face.
Que Khala pense l’aide venir d’Eoxit convenait très bien à Narhem. En réalité, Narhem avançait très bien avec les orcs, qui lui mangeaient maintenant dans la main. Il pouvait obtenir d’eux tout ce qu’il voulait. Il leur avait apporté du bois permettant de construire des maisons sur pilotis au dessus de l’océan, loin des terres sombres. Les orcs libérés du mal et gavés de poissons, chantaient ses louanges dans leurs grognements.
- Et les elfes des bois ? interrogea Khala.
- Quoi les elfes des bois ? gronda Narhem qui ne comprenait pourquoi Khala lui parlait des blonds vivants en haut des arbres.
- Ils sont alliés à Falathon. Ils les aideront en cas d’attaque. Leurs flèches nous tueront tous et nous n’y pourrons rien. Ils restent dans leurs arbres, insaisissables.
- Il vous suffit de rester loin de leurs arbres, répliqua Narhem acerbe.
- Des arbres, il y en a partout à Falathon. Ils ne resteront pas à Irin, répliqua Khala. Ils se déplaceront de bois en bois.
Narhem réfléchit, se recréant mentalement la carte de Falathon et dut se rendre à l’évidence : aucune voie ne permettait de relier le lac Lynia à Tur-Anion sans frôler aucun arbre.
- Que sais-tu des elfes des bois ? interrogea Narhem.
Khala lui envoya un regard étrange.
- La dernière fois que tu m’en as parlé, tu m’as dit que tu n’en savais rien et que je n’avais qu’à aller voir par moi-même. Tu sembles bien plus informé maintenant.
Khala sourit.
- Je suis sur le trône, rappela-t-il. C’est à moi maintenant d’aller voir. Merci bien. Je m’en serais bien passé !
Narhem rit. Retrouver son ami lui faisait toujours beaucoup de bien.
- Je n’en sais pas beaucoup. Mes éclaireurs ont dû rester sacrément longtemps cachés et silencieux pour en apercevoir.
Narhem sourit. Khala avait utilisé la même technique que lui.
- Leur langue est relativement simple, continua Khala.
Narhem frémit. Ainsi, les elfes noirs parlaient le lambë. Cette information le prit par surprise.
- Ils passent leur temps à chanter, danser et surtout, baiser. Ils aiment le cul, beaucoup… trop…
- Trop ? répéta Narhem en se souvenant que les elfes noirs de L’Jor trouvaient déjà les humains trop tournés vers leur bite.
- Ils passent plus de la moitié de la journée à se servir de leur sexe, hommes et femmes !
Khala fit une grimace dégoûtée.
- Tu exagères, répliqua Narhem.
- Non ! s’écria Khala. Je t’assure ! Ils passent vraiment tout leur temps à ça ! C’est ahurissant. À croire qu’ils n’ont que ça à faire…
La jalousie de Khala fit rire Narhem, qui ne voyait pas bien où était le souci. Lui-même, lors des moments creux de son existence, passait l’intégralité de ses nuits, soit en hiver plus de la moitié de la journée, à baiser. Il avait trouvé cela très agréable et n’en éprouvait ni honte ni remord.
- Peut-être… proposa Narhem. Que sais-tu d’autre ?
- Que j’ai eu tort…
- Tort ? Quand ça ?
- Le jour où je t’ai dis que les humains avaient nommé « elfes » deux peuples qui n’avaient rien en commun. C’est faux. Nous sommes… très proches, je le concède désormais. Ils… ont autant si ce n’est plus de peine que nous à se reproduire. Leurs femmes tombent rarement enceintes et ne mettent presque jamais au monde de filles.
- Elles baisent à longueur de journée en espérant maximiser leur change de procréer, comprit Narhem.
- Mieux vaut baiser moins mais au bon moment et avec un reproducteur savamment choisi.
Cette méthode ne semblait pas mieux réussir aux elfes noirs que celle choisie par les elfes des bois, pensa Narhem qui garda cette réflexion pour lui.
- Ce n’est pas le pire, maugréa Khala.
Narhem indiqua son intérêt par une mimique faciale.
- Ils ont mis une femme au pouvoir. Tu te rends compte !
Narhem n’était pas bien sûr de voir le problème avec le fait qu’Ariane soit reine.
- Elle est tellement occupée par ses obligations qu’elle ne baise jamais. De ce fait, elle n’a jamais enfanté… jamais… depuis sa naissance… jamais… La perte est… Si seuls les hommes peuvent être rois, ce n’est pas pour rien, insista Khala. Lorsque la survie de l’espèce est en danger, il faut prendre des mesures sévères. Les femmes n’ont pas de temps à perdre avec les basses besognes. Leur énergie doit être entièrement tournée vers la reproduction. Leur choix me dépasse !
- Que sais-tu d’autres ?
- Rien, répondit Khala. Soit déjà heureux que j’en sache autant. Les forestiers sont sacrément discrets, cachés en haut des arbres. Il a fallu de nombreuses années pour en savoir aussi peu.
- Il nous faut un informateur infiltré, comprit Narhem.
- Aucun elfe n’acceptera de corruption, ni de menace.
Cela, Narhem n’en doutait pas. À Eoxit, aucune femme elfe, pourtant sauvagement torturée pendant des siècles, n’avait craqué.
- Les elfes ne tentent jamais rien parce qu’elle les a trop souvent rembarrés, dit Narhem qui pensait à voix haute.
- Qui ça ?
- Ariane, la reine des elfes.
- Tu connais son nom ? s’étonna Khala.
Narhem sourit et Khala plissa des yeux, semblant se rendre compte que son roi en savait beaucoup plus qu’il ne le montrait.
- Elle ne peut plus s’offrir. Elle risquerait de se prendre des réflexions du genre « Ce n’est pas trop tôt ».
- Je n’apprécierais pas, murmura Khala.
- Mais si la proposition vient d’un étranger non humain… une créature aux oreilles pointues…
Khala perdit tout sourire en comprenant, sous le regard lourd, l’implicite dans la phrase.
- Tu veux que… non… non… non, répéta-t-il.
- Tu n’as pas le droit de baiser les femmes de ton peuple mais cet interdit ne s’applique pas aux autres espèces.
- Non, non ! insista-t-il.
- Elle refusera un humain, indiqua Narhem. Les elfes des bois la méprisent. La nouveauté d’un elfe à la peau noire… Ça peut marcher.
- Pourquoi ferais-je cela ?
- Pour lui faire un enfant, répondit Narhem.
- Les femmes elfes des bois ont les même problèmes de fécondité que les nôtres. Il faudrait la baiser mille fois pour qu’elle…
- Elle n’a jamais enfanté. Son corps ne réclame que ça. Elle va réagir au quart de tour. Il te faudra aller trouver cet enfant, lui annoncer ta paternité, l’accueillir à Dalak, l’élever en prince, lui offrir la reconnaissance, l’amour, lui permettre de se complaire dans sa double identité. Fais-le parler sur les elfes. Un jour, je reviendrai et je te poserai des questions. Il me faudra des réponses.
- Quelles questions ?
- Je ne sais pas encore.
Khala soupira.
- Je suis censée la trouver comment ? Irin est inaccessible !
- Il suffit d’aller à Tur-Anion au solstice d’automne. Elle y sera.
- Ah bon ?
Narhem observa Khala en plissant des yeux. Falathon ne lui appartenait pas. Par conséquent, toute personne lui étant fidèle devait mourir au moment d’y poser le pied. Dalak, d’une certaine manière, appartenait à Narhem puisqu’il était le vrai roi des elfes noirs mais Falathon lui échappait toujours.
- Es-tu déjà retourné au lac Lynia depuis la création de Dalak ? interrogea Narhem.
- Oui, répondit Khala. Je traverse ces saletés de terres sombres tous les ans pour aller encourager nos pêcheurs.
Où s’arrêtaient les terres possédées par Narhem ? Les terres sombres en faisaient-elles partie ? Que prenait en compte la malédiction ? Cela prouvait-il que Khala, sur le trône, était avant tout fidèle à son peuple et non à Narhem ? Narhem n’en avait pas la moindre idée. Le risque de perdre son meilleur ami était énorme. Narhem enfouit ses angoisses profondément. Khala était un elfe noir, au même titre que les autres. Il devait mourir, verser le sang pour expier tout le mal. Il ne méritait ni pitié, ni amitié.
- Cela me rassure, dit Narhem en soupirant d’aise. Nous partirons au début de l’été. Je ne veux pas prendre le risque de rater le rendez-vous. L’avancée à Falathon risque d’être compliquée. Tu ne dois en aucun cas être vu. Les falathens n’apprécient pas énormément les elfes noirs.
Khala hocha la tête en grimaçant. Il n’aimait pas ce plan, pas du tout, et ne le cachait pas. Narhem, lui, trouvait cela parfait. Il allait enfin avoir une porte d’entrée dans Irin. C’était parfait.
Au début de l’été, les deux hommes prirent la route, Khala ayant annoncé aller rendre visite aux pêcheurs. De fait, il le fit en passant mais continua plus loin, vers le nord. La frontière passée, il ne tomba pas raide mort, confirmant que son faux titre de roi des elfes noirs le mettait hors de portée de la malédiction. Narhem lui donna les vêtements qu’il avait volés pour lui et une dague de métal noir qui rassura Khala sur les promesses faites.
- Narhem, mon ami, as-tu déjà couché ? demanda Khala alors que les deux voyageurs contournaient une ferme d’orge.
- Oui, et de nombreuses fois, confirma Narhem.
- Apprends-moi, s’il te plaît. Ça sera probablement la seule fois de ma vie. Je ne veux pas que ça soit un désastre. J’aimerais au moins qu’elle se rappelle de moi positivement, que « elfe noir » ne soit pas synonyme de mauvaise baise.
Narhem sourit. Son ami faisait de la peine à voir. Il le prit en pitié et lui expliqua volontiers tout ce qu’il savait, conscient du gouffre entre la théorie et la pratique. Il ne pouvait cependant guère plus pour son ami.
Ils campèrent près de Tur-Anion jusqu’à l’arrivée de la délégation elfique. En début de soirée, la reine s’éloigna pour passer la nuit dans les jardins. Khala en profita pour la suivre. Narhem les perdit tous deux de vue. Il attendit, fébrile, tremblant comme un jeune adolescent, conscient de l’énorme probabilité que ce plan avait de foirer.
Khala revint, l’énorme sourire sur son visage annonçant qu’il avait réussi.
- Elle a adoré, s’écria-t-il tel un adolescent furieux.
- J’en suis ravi pour toi. On rentre.
- Non, s’exclama Khala. Je retourne la voir demain soir.
Narhem fit la moue. Il ne s’attendait pas à ce que Khala s’éprenne de la reine elfique. Le but était de lui faire un mioche, pas d’en tomber amoureux. Conscient qu’il ne pourrait pas lutter, il accepta. De toute façon, dès la fin du tournoi, Ariane retournerait à Irin et l’amourette cesserait automatiquement.
Le lendemain soir, Khala disparut dans le jardin pour revenir quelques instants plus tard, le visage fermé, froid, tendu, empli de rage, de colère et de tristesse mêlées.
- Que s’est-il passé ? interrogea Narhem.
- On rentre, gronda Khala.
Il resta muet tout le trajet de retour. Narhem ne sut jamais ce qui avait bien pu se passer. Il n’insista pas. Après tout, il s’en fichait. L’acte avait été réalisé. Il était satisfait.
- Je te laisse, annonça Narhem lorsqu’ils eurent atteint le lac Lynia. J’ai d’autres obligations qui m’attendent. À partir d’ici, tu ne risques plus rien. Je reviendrai quand l’enfant sera en âge de marcher et de parler. Avant, il n’est guère utile.
Khala hocha la tête et Narhem se rendit à Eoxit prendre soin de ses orcs et vérifier le bon état de son royaume. Par bateau, il couvrit les orcs libres de cadeaux puis remonta vers Falathon afin de consolider les liens d’amitié en cours.
Le temps passa à une vitesse ahurissante. Les saisons s’enchaînèrent, les années filèrent. Narhem retourna voir les elfes noirs, conscient que l’enfant était devenu adulte depuis bien longtemps.
- Comment va ton fils ? interrogea Narhem après les salutations d’usage.
- À merveilles, répondit Khala. Que veux-tu savoir ?
Narhem sourit. Droit au but ! Le Tewagi ne perdait pas de temps.
- Si Ariane meurt, qui monte sur le trône ?
Khala perdit tout sourire. Il cligna plusieurs fois des yeux.
- Euh… Aucune idée, admit-il.
Narhem transperça son ami des yeux. Il avait bien précisé qu’un jour, il viendrait avec des questions et qu’il comptait bien obtenir des réponses.
- Je ne crois pas que les elfes eux-même le sachent ! se défendit Khala. Ariane est la première reine. Avant elle, les elfes vivaient en petits groupes éparses nomades. Personne ne s’est jamais posé la question là-bas. Pourquoi veux-tu savoir cela ?
- Je ne veux pas que les elfes soient impliqués dans un conflit qui ne les concerne pas, expliqua Narhem. Je ne leur veux aucun mal, bien au contraire. Je souhaite éviter toute intervention de leur part. Je veux qu’ils restent neutres lorsque vous attaquerez.
- Tu veux mettre Beïlan sur le trône.
- Ton fils, je suppose.
Khala confirma d’un hochement de tête.
- Oui, je le souhaite.
- J’ai cru comprendre que seules les femmes pouvaient prétendre au pouvoir mais j’ignore laquelle sera choisie ou comment, admit Khala.
- Si aucune n’accepte le poste, que se passe-t-il ?
- Je ne sais pas, avoua Khala. Beïlan nous rendra bientôt visite. Je vais l’interroger sur ce sujet précis.
Narhem accepta volontiers le délai. Après tout, il n’était pas à une lune près. Le roi d’Eoxit resta sur place, observant l’animation de Dalak de loin, en profitant pour penser. Il vit arriver Beïlan, elfe blond aux yeux bleus détonnant dans ce paysage sombre autour de lui. Aucun elfe noir ne l’insulta. Il reçut quelques salutations polies. Sa présence ne dérangeait personne. Narhem fut épaté de la tolérance du peuple elfe. Alors qu’il était présent depuis un petit moment, l’elfe blond devint noir, ne gardant que ses vêtements pour le distinguer des autres. L’effet était saisissant.
- Si toutes les femmes refusent, Beïlan suppose qu’un homme peut se proposer mais si une fille demande à prendre sa place, elle obtiendra la couronne.
- Il faut faire en sorte qu’elles n’en veuillent pas, annonça Narhem.
- Comment ?
- Beïlan est bien intégré à Irin ?
- Ils n’apprécient pas sa façon de disparaître aussi souvent. C’est courant que les elfes quittent Irin mais pas de manière aussi fréquente. Ceci dit, sur place, il agit en elfe des bois.
Narhem hocha la tête.
- J’aimerais qu’il commence à parler… à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. D’abord en murmure, puis de plus en plus fort…
- À savoir ?
- Qu’il est intolérable que la reine n’ait enfanté qu’une seule fois.
- Deux, rétorqua Khala. Beïlan a un frère cadet.
Ainsi, la reine avait fini par s’offrir à un elfe, un seul. Bien peu. Cela suffirait.
- Ah… Deux… ça reste vraiment peu. J’aimerais que les insinuations deviennent des insultes, que les regards soient suivies de gestes, que la reine soit exclue, rejetée.
- Afin qu’aucune femme ne souhaite vivre la même chose après sa mort, comprit Khala.
- Beïlan se proposera et il ordonnera aux elfes de ne pas bouger lorsque leurs alliés humains se feront envahir. Ainsi, vous n’aurez pas à craindre leurs flèches.
« Et les elfes des bois n’auront pas à pâtir d’un combat qui ne les concerne pas », pensa Narhem.
- Il sera fait selon ta volonté, dit Khala. Le plan pourrait fonctionner.
Narhem sourit. Son allié commençait à se laisser convaincre. Narhem espérait réellement prendre Falathon de force. Si quelques elfes noirs mourraient dans l’histoire, cela ne le dérangeait pas plus que ça, bien au contraire. Comment anéantir les elfes noirs après ? Narhem n’en avait aucune idée mais une fois Falathon à lui, ses armées eoxannes seraient libres de pénétrer à l’intérieur et d’exterminer les Tewagi. Les femmes et les enfants restés à Dalak seraient une simple formalité dont Narhem pouvait se charger seul.
Narhem retourna à Falathon où il demeura quelques temps. Il grimpa les échelons, parvenant à se faire inviter au tournoi d’archerie de Tur-Anion, ravi à l’idée de pouvoir y admirer Ariane.
Quelle ne fut pas sa surprise en voyant arriver un elfe seul en lieu et place de la reine ! Renseignements pris : il s’agissait de Ceïlan, l’ambassadeur des elfes, remplaçant la reine devenue trop vieille pour supporter le voyage. Narhem sourit. Son grand âge annonçait une fin proche. Narhem courut ordonner à ses orcs de commencer à réaliser la trouée dans la forêt au sud du comté d’Anargh, corrompit le duc en place pour que nul ne s’oppose aux actes en cours, puis rendit visite à Khala.
- Nous sommes prêts. L’attaque se fera au moment où tu le souhaiteras.
- Comment ça ? s’étrangla Narhem, qui n’était pas prêt. Ariane est morte ?
- Non, mais Beïlan va monter sur le trône. Il a réussi à la faire destituer. Elle lutte et se débat, mais le résultat sera inéluctable. Tout Irin réclame son départ. Elle devra abdiquer. Beïlan se proposera de prendre le trône et tout le monde le lui laissera. Ils veulent passer leurs journées à baiser, pas à gérer les problèmes de la communauté.
- C’est… parfait…, bredouilla Narhem abasourdi, mais trop soudain.
- Tu veux que je lui demande d’annuler ?
- Non, non ! Surtout pas. Simplement, n’attaquez pas tout de suite. Les alliés ne sont pas en place. Je ne m’attendais pas à une attaque aussi rapide.
- Combien de temps ?
- Une quinzaine d’années environ.
- Cela donnera la possibilité à Beïlan de désarmer les elfes, nous assurant ainsi leur totale inaction, en conclut Khala.
Narhem lui lança un regard interrogateur.
- Ne t’inquiète pas. Je gère, lui répondit Khala.
Narhem sortit sa dague et dans la terre composant le sol de la hutte du faux roi, il traça rapidement les contours du nord du lac Lynia.
- Tu es sacrément doué ! s’exclama Khala. Voilà bien une chose dont je suis incapable.
Narhem sourit. Khala était un excellent combattant et stratège. Le reste le dépassait. Narhem enficha sa dague sur le sol.
- Les armes de métal noir sont là, annonça-t-il avant de lui décrire précisément l’endroit. Tu trouveras ?
- Oui, tes indications sont parfaites, annonça Khala.
- Je vais à Falathon. J’agirai de l’intérieur.
- Tiens, dit Khala en lui tendant un petit objet en bois. C’est un appeau, précisa-t-il. Une pygargue te suivra partout où tu iras. Le rapace est dressé pour aller de toi à moi, où que nous nous trouvions.
- Tu féliciteras le dresseur ! Obtenir un tel résultat est…
- Beïlan est nilmocelva.
- Nilmocelva ? répéta Narhem.
- Il sait parler avec les animaux. Les rapaces sont sa spécialité. Les elfes d’Irin ignorent tout de son talent. Ils se fichent tellement des compétences de chacun qu’ils n’y ont jamais prêté attention.
Narhem ne répondit rien. Il trouvait cela étrange mais garda ses réflexions pour lui.
- Il peut porter des messages accrochés à sa patte.
- Tu sais lire ? s’étonna Narhem.
- Oui, dit Khala. Je me renseigne sur mes futurs ennemis.
Narhem acquiesça, impressionné.
- C’est parfait, dit-il sans cacher son admiration.
Khala hocha la tête. Narhem reprit sa dague, effaça la carte du bout de son pied puis s’éloigna, satisfait. Dans une quinzaine d’années, Falathon serait à lui. Il rugit de satisfaction. Rien ne pourrait l’empêcher d’atteindre ses objectifs. Le succès était à portée de main.
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- Quoi ! s’exclama Armand Thorolf en recrachant le vin qu’il venait de mettre dans sa bouche.
Un messager venait de lui murmurer une information à l’oreille. Thorolf se leva instantanément.
- Hurl, selle mon cheval immédiatement. Je pars pour Liennes.
Narhem observa le palefrenier du noble le plus influent de l’ouest de Falathon partir en courant. Il avait cessé de jouer de la viole, tout comme ses comparses, au moment où le noble avait crié. Il observa la scène avec intérêt. Il posa son instrument puis rejoignit le messager qu’il attrapa dans un couloir sombre.
- Qu’as-tu dis au seigneur Thorolf ?
- Je ne vous…
Une dague sous la gorge, le messager se montra soudain très conciliant.
- L’anneau d’Elgarath est à la guilde des voleurs de Liennes. Leur maître vient de le mettre sur le marché.
- L’anneau d’Elgarath ? répéta Narhem. Qu’est-ce que c’est ?
Le messager en resta un instant muet de stupeur. Il détailla son agresseur des pieds à la tête, cherchant à comprendre sans y parvenir. La lame tranchant doucement sa gorge le rappela à l’ordre.
- L’anneau des rois, obligatoire pour s’unir à un membre de la famille royal. Sans lui, le mariage ne peut pas avoir lieu.
- Depuis quand ? s’exclama Narhem qui avait assisté à quelques mariages royaux à Falathon sans jamais en avoir entendu parler.
- Je ne sais pas… Longtemps…
L’homme s’écroula, la gorge tranchée. Il ne lui était plus utile. Tuer un être humain lui était désagréable mais Narhem n’avait pas le choix. Il ne voulait pas laisser de témoin. Narhem se dirigea vers une autre maison chez qui il était connu et demanda audience au duc qui le reçut volontiers.
- Mon ami ! Quelle joie de te voir.
- Qu’est-ce que l’anneau d’Elgarath ? demanda Narhem qui n’avait pas le temps pour les politesses.
- Une merde en argent possédée par les rois de Falathon. Pourquoi ?
- Développe, s’il te plaît.
- Que te dire ?
- Depuis quand son port est-il nécessaire pour épouser un membre de la famille royale ?
- Trop de saisons pour compter, depuis que la mère de la princesse Elgarath Faïmyr l’a maudite.
Narhem passant son temps entre Eoxit, Dalak, les orcs et Falathon, avait raté un évènement important. Il serra les dents de rage. Il se souvenait vaguement d’Elgarath Faïmyr, une bonne reine, douce et juste. Un règne banal sans aucune raison de rester dans les mémoires, ni en bien, ni en mal.
- Maudite sorcière, continua le duc. Dire qu’elle était parvenue à devenir reine. Quand le roi s’en est rendu compte, ça n’a pas tardé. Dans l’heure, elle brûlait sur le bûcher. Ses derniers mots ont été une malédiction : la stérilité pour lui et leur fille. Plus jamais ton sang ne montera sur le trône, aurait-elle lancé. Bref, le roi a couché avec toutes les femmes du royaume, en vain. Pas d’enfant. Elgarath s’est mariée mais elle n’a pas enfanté tandis que de son côté, son mari infidèle s’entourait de bâtards.
- Sa mère était vraiment une sorcière et la malédiction réelle, comprit Narhem en sentant ses tripes se serrer.
Il avait lui aussi été la proie d’une de ces créatures démoniaques. Son esprit eut envie de dériver vers le jour de sa rencontre avec la magicienne noire tout de blanc vêtue. Il l’en empêcha, offrant toute son écoute au duc.
- À sa place, j’aurais pleuré en boule. Elgarath a fait tout le contraire. Elle est allée trouver la magicienne du sud.
- La magicienne du sud ? répéta Narhem, stupéfait.
- Celle par qui le mal noir est venu. Elle lui a rappelé sa dette. Elle a reçu cet anneau. Grâce à lui, elle a enfanté et aujourd’hui encore, malgré la malédiction, le sang des anciens rois est sur le trône.
L’anneau efface les malédictions, comprit Narhem qui sentit ses jambes trembler.
- Mon ami ? Tu ne te sens pas bien ?
Cet anneau magique se trouvait à la guilde des voleurs de Liennes et Armand Thorolf courait le récupérer. Narhem comptait bien le prendre de vitesse. À la course, il allait plus vite que n’importe quel cheval. Sans un mot pour le duc, il sauta par la fenêtre et détalla dès que ses jambes brisées se furent ressoudées, soit un souffle.
Il courut plus vite que jamais, comme porté par une force invisible. L’espoir lui donna des ailes. Il parvint à Liennes à l’aube. Thorolf arriverait en soirée, si chaque relais lui fournissait des montures rapides et fraîches.
Il n’était venu à Liennes qu’une seule fois et cela datait. Il eut du mal à trouver la guilde des voleurs mais finalement, il fut accueilli par Narco, le chef de la guilde, dans son bureau. Sans un mot, Narhem déposa une bourse sur la table du maître voleur. Narco ouvrit le sac et blêmit en découvrant son contenu.
Narhem n’avait pas cherché à économiser. La Trolie vendait de nombreuses pierres précieuses et Narhem ne voyageait jamais sans une quantité non négligeables de ces rochers brillants.
- Il est à vous, annonça Narco sans discuter.
Le maître de la guilde ouvrit une malle derrière lui et devint plus blanc que neige.
- Il n’est plus là.
- Pardon ?
- Il…
Narco serra les dents. Sa rage était évidente.
- Vous avez été victime d’un vol, comprit Narhem. Le chef des voleurs volé. Super…
Narhem reprit sa bourse et sortit, entamant une surveillance étroite de Narco. Il ne faisait aucun doute que cet homme ferait tout pour retrouver l’objet vu l’argent qu’il recevrait en échange. Lorsqu’il mettrait la main dessus, Narhem serait prêt. Personne ne viendrait le lui ravir sous le nez.
Narhem observa de loin tous les voleurs de la ville retourner la bourgade en tout sens, agresser et fouiller les passants apparemment au hasard, mettre sens dessus dessous l’intégralité des maisons de la ville. Même le château fut inspecté. Le jour du mariage, la guilde n’avait toujours pas été capable de mettre la main sur le précieux bijou.
Narhem, dans la foule, observa les épousailles de la princesse Yillane de Baladon avec un fils de capitaine sans intérêt. Sa sœur dont Narhem ignorait le nom, sortit l’anneau d’Elgarath de ses jupes pour le tendre au futur prince. Narhem fulminait. Si proche et pourtant insaisissable. Narhem haletait. Il le voulait. Il résoudrait tous ses problèmes. Avec lui, il pourrait envoyer ses armées déferler sur Falathon puis exterminer les elfes noirs.
Tandis que le prince et la princesse montaient dans une voiture pour la capitale, les voleurs de Liennes rentrèrent chez eux, comme si le mariage mettait un terme aux recherches. Narhem secoua la tête. Non ! Si Armand Thorolf venait de perdre tout intérêt pour cet anneau, ce n’était pas son cas.
Narhem profita de sa présence dans le sud de Falathon pour se rendre à la trouée creusée par ses orcs. Elle était fantastique. Les bêtes travaillaient à merveille. Narhem estima à cinq ans avant la fin du travail. Il sortit l’appeau de sous son pourpoint et souffla dedans. La pygargue descendit. Narhem indiqua à Khala que l’attaque pourrait commencer dans cinq ans. Puis, il courut jusqu’à Tur-Anion, arrivant bien avant le cortège royal.
Il se fit des amis grâce à des bières, des parties de cartes, de dés ou des paris dans des combats de coqs. Il rendit visite à la guilde des voleurs de la capitale pour mettre un prix sur l’anneau d’Elgarath. Le maître des voleurs de Tur-Anion ne posa aucune question. Il enregistra la demande et la transmit.
Le roi arriva et Narhem put entrer dans le palais à sa suite. Il avait utilisé toutes ses compétences en diplomatie et dépensé beaucoup d’argent, mais il y était. Les jours passèrent mais le maître des voleurs ne chercha pas à le contacter. Narhem retourna le voir. Nulle trace de l’anneau, nulle part. Il avait disparu. Narhem grimaça. Un bijou ne pouvait pas disparaître de la sorte ! Narhem décida d’engager ses propres mercenaires.
Au mariage royal suivant, ses hommes et une énorme quantité de voleurs tentèrent de s’emparer de la bague mais elle disparut comme par enchantement. Narhem enragea, incapable de comprendre ce qui se passait. Empli de colère, il tournait en rond toutes les nuits, criait sur ses hommes la journée. L’anneau d’Elgarath devint une obsession l’éloignant du temps.
la proie d’une de ses créatures démoniaques => une de ces créatures
La coquille est corrigée. Merci beaucoup !
Au sujet de l'invasion de Falathon, Narhem a l'air d'attaquer le royaume "gratuitement". Je pense qu'il pourrait avoir l'air plus sympathique (ou du moins, plus nuancé) si on voyait que la situation de Falathon est merdique comparée à Eoxit (politique, économique, etc), je ne me souviens plus à quel point c'est le cas dans l'arc d'Elian.
Idem pour l'anneau, je trouve que ses motivations ne sont pas suffisamment marquées. Il vient de se rendre compte que ses elfes noirs peuvent survivre en-dehors de ses terres (d'ailleurs, pourquoi ? Parce que la malédiction se base sur l'esprit du porteur et qu'il ne considère pas les elfes noirs comme ses loyaux sujets ?), il met au point un super plan pour envahir Falathon, il n'est pas spécialement bloqué par la malédiction à ce moment-là.
Et sinon, pour exterminer les elfes noirs, je viens d'imaginer un super plan : il se dévoile au grand jour comme étant leur roi, il fait en sorte que les elfes lui redeviennent loyaux (par exemple en leur promettant de les conduire sur des terres plus hospitalières), et hop, fidélité à la terre, tous les elfes meurent ;-)
Je prendrai le temps de relire le passage sur l’invasion de Falathon mais il me semble qu’à ce moment-là, il s’agit seulement de l’envahir pour s’approcher des elfes noirs (et pas spécialement pour améliorer le pays). Ils sont juste entre lui et sa proie, c’est tout. Ce n’est pas gratuit. C’est un moyen d’avancer vers son véritable adversaire.
Pour l’anneau, il découvre qu’il existe peut-être un moyen de ne plus être maudit alors il fonce. Ça lui fait complètement perdre la tête et il s’en rend compte plus tard, mais sur le moment, il agit sans réfléchir (comme quoi, ça arrive même aux meilleurs).
Les elfes noirs peuvent survivre où qu’ils se trouvent parce qu’ils ne sont pas fidèles à Narhem. Ce ne sont pas les sujets de Narhem qui ne peuvent pas quitter ses terres, seulement ceux qui lui sont loyaux. La plupart des elfes noirs ne connaissent pas Narhem et ceux qui le font lui obéissent par respect pour les anciens lois, pas par loyauté. La loyauté, ça ne s’arrache pas. Plusieurs des gardes de Narhem à Eoxit ont survécu à la traversée vers la Trolie et tous ses ambassadeurs par la suite aussi. Il faut juste choisir des gens qui ne lui sont pas loyaux (super…).
Si Narhem arrive à faire en sorte que les elfes noirs redeviennent loyaux, alors il est roi de leur territoire aussi et comme ce territoire devient le sien, personne ne meurt. Éventuellement, les pêcheurs pourraient mourir car le lac Lynia n’appartient à personne (ou à tout le monde et dans ce cas, ils ne meurent pas non plus). Bref, je trouve bien plus sur de les égorger que de compter sur une malédiction et une loyauté.